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Chapitre d’ouvrage

Chapitre 6. Explorer les œuvre

L’approche esthétique des organisations et les méthodes de recherche « art-based » : une posture épistémologique renouvelée

Pages 101 à 129

« Aesthetic understanding of organizational life… is an epistemological metaphor which problematizes the rational and analytical analysis of organisations. »
(Strati, 1999)

1Les arts nous parlent de la société souvent mieux que d’autres discours (Becker, 2007). Depuis maintenant deux décennies ils sont réputés donner aux sciences de gestion des entrées inédites sur les phénomènes étudiés, que l’on s’attache aux aspects visuels ou formels de l’organisation, à l’étude d’œuvres (films, pièces de théâtre, poèmes, romans…), ou que la méthode d’enquête passe par l’intervention artistique sur le terrain observé. Donner accès à un regard différent, changer les perceptions, décaler les points de vue, rompre les routines de pensée et de pratiques, fournir des modèles d’organisations différents, tels seraient les apports de l’art (Schein, 1981), sur lesquels se fonde l’émergence du champ de la recherche dite « art-based » : une recherche fondée par l’appui sur l’art, pour approcher les organisations avec un regard neuf, avec l’espoir d’en tirer une compréhension plus profonde des phénomènes qui s’y déroulent. En pratique le chercheur attiré par cette approche dispose de diverses méthodes, qu’une série d’ouvrages décrivent et théorisent (Mc Niff, 2008 ; Denzin et Lincoln, 2005 ; Liamputtong et Rumbold, 2008 ; Barone et Eisner, 2011 ; Jagodzinski et Walin, 2013 ; Leavy, 2009 ; parmi d’autres). Ici, plutôt qu’entamer une revue systématique de cette littérature et de proposer une classification comparée des effets escomptés de l’emploi de l’art dans la recherche, et des méthodes dites « art-based », je propose d’en explorer les concepts sous-jacents, pour en éclairer les enjeux. On ne se met pas à pratiquer des méthodes « art-based » sans raisons, et ces raisons sont d’ordre épistémologique. Je me replacerai pour cela à la source de ce qui constitue leur fondement et leur légitimation : l’approche esthétique des organisations, pour en tirer une compréhension de fond plutôt que d’en donner des recettes d’applications – de toute manière inapplicables.

2Les méthodes de recherche basées sur l’art sont apparues dans les années 1970-1980 dans le champ de la psychiatrie avec le but d’explorer les profondeurs non verbalisables, pleines de contradictions et hors des catégories établies, qui peuplent la psyché (art et thérapie, Mc Niff, 1992). Elles se sont transportées ensuite dans le champ de l’éducation et des sciences de l’éducation à l’initiative d’artistes-chercheurs convaincus que leurs processus créateurs associés aux processus de recherche bénéficieraient à l’art comme à la connaissance (Savin-Baden et Wimpenny, 2014). Mais dans la recherche en gestion ce sont des préoccupations sociales, philosophiques et politiques qui ont mené à l’utilisation de telles méthodes et présidé à l’avènement de l’approche esthétique. La différence la plus notable avec les champs de la psychologie ou de l’éducation tient en ce que dans le domaine des études organisationnelles le mouvement fut initié par des publications théoriques plus que par la pratique. S’appuyant sur les théories de l’art, de la perception, de l’esthétique et sur les théories cognitives, sociales et organisationnelles, des textes fondateurs ont posé les bases de bien plus qu’une méthode, fut-elle « art-based ». Ils ont dessiné un nouveau paysage épistémologique dont l’exploration convoque un rapport à l’esthétique élargi au-delà du rapport à l’art et qui interroge l’objet de la recherche en gestion, la posture du chercheur et les modes d’accès à la réalité des phénomènes. L’approche esthétique des organisations et les méthodes dites « art-based », parce qu’elles permettent au chercheur en sciences de gestion de se positionner épistémologiquement et d’ouvrir de nouvelles perspectives, ont de ce fait acquis une présence certaine dans la recherche européenne et internationale. Elles restent cependant les parents très pauvres de la recherche française, où dominent encore largement les études « distanciées », menées par des chercheurs extérieurs à leur objet et cherchant à atteindre une « vérité » des « lois » organisationnelles. La recherche sur des formes alternatives de management passe surtout par l’étude de pratiques inhabituelles observées au sein d’organisations atypiques, telles qu’un voilier de course (Bouty et Drucker-Godar, 2012) ou l’équipe de France de voltige aérienne (Godé, 2012), études qui sont éventuellement menées dans la perspective « située » de l’activité, de la cognition et de l’enquête (Suchman, 1987 ; Dewey, 1938 ; Journé, 2007 ; Lorino et al., 2011). S’intéresser aux circonstances exceptionnelles rencontrées dans les centrales nucléaires (Gauthereau et Hollnagel, 2005), les porte-avions (Weick et Roberts, 1993), les expéditions polaires (Aubry et al., 2010) ou en haute montagne (Giordano et Musca, 2012 ; Allard-Poési et Giordano, 2015) permet certes d’interroger les conditions de la performance en contexte extrême (Godé et al., 2016). Les mondes des gamers, des bénévoles, de l’insertion, ou encore des pompes funèbres offrent une variété de cas à exploiter. Mais l’exploration, nécessaire complément de l’exploitation lorsqu’il s’agit d’innover (Mothe et Brion, 2008) consiste-t-elle à envisager sans cesse des terrains originaux ? La recherche ne devrait-elle pas innover à propos d’elle-même, en explorant les terrains connus avec de nouvelles méthodes, plutôt que se cantonner à exploiter des méthodes connues sur des terrains inattendus ?

3Plutôt que de donner des modes d’emploi, je vais ici tenter d’exposer la genèse et les fondements des méthodes dites « art-based », et de détailler en quoi elles sont susceptibles d’apporter des réponses pertinentes aux problématiques actuelles. La recherche en gestion n’est pas isolée dans sa tour d’ivoire. Comme d’autres domaines des sciences humaines, sa validité se mesure – aussi – à un critère d’actionnabilité (voir le numéro « Impact de la recherche en gestion » de la Revue Française de Gestion en 2016 ; Denis, 2017). Elle participe à la conversation des acteurs de son champ, et se doit de cultiver les fertilités d’où pourront croître de nouvelles compréhensions, où de nouveaux pouvoirs d’agir pourront se déployer. Et elle se doit actuellement de répondre aux voix récentes qui se sont élevées pour appeler à des formes alternatives de management, des formes qui sachent faire face à des situations en constante turbulence dans lesquelles les processus planifiés et standardisés et les modes classiques de coordination sont inefficaces (Bouty et al., 2012). Un appel à plus de critique, de réflexivité et de dialogue, tant dans la pratique que dans la recherche ou l’éducation, s’entend internationalement depuis déjà de nombreuses années (Antonacopoulou, 2010 ; Alvesson et Sköldberg, 2009 ; Fox et Grey, 2000). Non que la période actuelle en soit la cause, car il est peu probable que le changement, l’incertitude, les crises ne soient l’apanage que de notre époque, et les organisations humaines ont de tout temps adapté leurs fonctionnement à ces paramètres ; mais après des décennies de rationalisation, de planification et de gestion des défauts et des risques, d’autres formes de gestion sont attendues, qui sachent composer avec la contradiction, la différence, les altérations continues, les transgressions ordinaires (Barlatier et al., 2017). De cette visée d’actionnabilité participent en sciences de gestion les approches de type recherche-action, ou recherche-intervention, qui font appel à une posture de chercheur-acteur (Lallé, 2004) ou encore la recherche critique en management (CMS) initiée par l’ouvrage d’Alvesson et Willmott en 1992 et qui s’est implantée en France (Huault et Perret, 2011). Dans le prolongement de ce mouvement, l’approche basée sur l’art et l’esthétique ouvre des perspectives multiples qui mènent à un enrichissement conceptuel, théorique et méthodologique de notre champ (Hatch et Cunliffe, 2000 ; Allard-Poési et Perret, 2014).

4Les méthodes dites « art-based » présentent trois apports majeurs dont il me semble que le chercheur en sciences de gestion pourra tirer profit :

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  1. Une exposition augmentée aux données. En recherche en sciences sociales, la confrontation au terrain et la récolte des bien mal nommées « données » (qui loin d’être données sont à chercher d’abord) est délicate. Parce que nous avons affaire à un matériau humain, les phénomènes étudiés sont en partie insaisissables, incorporés par des acteurs qui la plupart du temps n’en sont pas conscients, ce qui inclut le chercheur lui-même, qui interagit inévitablement avec ce qu’il observe, puisque justement il l’observe en contexte… Il est essentiel de se donner les moyens d’accéder à plus de profondeur, plus d’épaisseur et de richesses.
  2. Une capacité à mettre en mouvement, à ouvrir sur plus d’hypothèses, à être attentif à plus d’inconnu, de nouveau. C’est le rôle traditionnel du chercheur que de s’ouvrir à ce qu’il ne sait pas encore qu’il va trouver… et cette tâche difficile se trouve aidée par les méthodes basées sur l’art, qui justement en faisant appel aux imaginaires libère des zones ordinairement discrètes voire secrètes.
  3. Une invitation à la réflexivité. Induite par l’implication inévitable du chercheur dans le contexte, la prise en compte de notre propre subjectivité, de nos préconceptions, de nos affects et de nos réactions comme éléments du phénomène observé suppose une mise en réflexivité permanente qui ne va pas de soi, et que les méthodes « art-based » favorisent par la mobilisation de l’expression subjective.

6Après avoir défini ce qui dans le domaine des organisations peut être nommé « esthétique » et en quoi l’usage du terme est pertinent pour les sciences de gestion, je poursuivrai par la présentation et l’explicitation des phases possibles d’une recherche menée suivant la méthode esthétique, ou « art-based ». Je terminerai en commentant le terme « art » dans « art-based ».

L’approche esthétique des organisations

7Ce mouvement est né à peu près simultanément en Italie, en Scandinavie… et en France. Dès 1985, Vincent Degot organise une conférence sur « l’image corporate », à Antibes, qui réunit ceux qui en seront les acteurs principaux : Benghozi, Dean, Linstead, Strati, Gagliardi, Jones, Grafton-Small, Ottensmeyer, Ramirez, Degot, Rusted, Turner. L’annonce initiale de la conférence de 1985 paraît dans Organization Studies. Elle l’annonce en lien avec une autre conférence qui lui fait immédiatement suite : « Les deux sont organisées par le Standing Committtee on Organizational Symbolism (SCOS). La première, du 26 au 29 juin 1985, à Antibes, France, se focalise sur lesImages corporate”, et est organisée par Vincent Degot (adresse). […]. Le thème du deuxième workshop (30 juin-3 juillet 1985, Trento, Italie) estCompétences (skills) ”. Pour plus d’information contacter Antonio Strati (adresse) » (Organizations Studies, Vol. 6, Issue 2, rubrique « News and notes », April 1985).

8À leur suite, en 1987 est publié un numéro spécial de Dragon, journal de la conférence Standing Conference on Organizational Symbolism (SCOS), dirigé par Pierre-Jean Benghozi, dans lequel Vincent Degot publie « Portrait of the manager as an artist », un article qui fera date et auquel se réfèreront les auteurs suivants. Une dynamique est initiée qui se déploiera rapidement. En 1998 Antonio Strati, qui travaille depuis plusieurs années sur les dimensions temporelle et symbolique dans les organisations, publie l’ouvrage Organizations and Aesthetics, en 2000 paraît The Aesthetics of Organizations, dirigé par Stephen Linstead et Heaher Höpfl, en 2004 The Art Firm : Aesthetic Management and Metaphysical Marketing from Wagner to Wilson de Pierre Guillet de Monthoux. L’année 2003 voit la parution d’un numéro spécial du journal Qualitative Inquiry consacré à l’approche esthétique et à une réévaluation des notions de vérité, de beauté et de connaissance. Les bases sont posées de la nouvelle approche et d’une nouvelle épistémologie de la recherche en sciences de gestion. En France, le mouvement s’attache à la confrontation entre art et management et aux relations ambiguës entre artistes et managers, dont Eve Chiapello étudie à partir de 1994 les « arrangements coopératifs » au sein d’orchestres et de maisons d’édition. En 1998, elle publie Artistes versus managers. Le management culturel face à la critique artiste et l’année suivante avec Luc Boltanski Le Nouvel esprit du capitalisme, dans lequel les auteurs enquêtent sur le lien critique entre art, capitalisme et management. Si l’approche française est sociologique en grande partie, ce qui colore encore en grande partie le champ actuel, les chercheurs internationaux en théorie des organisations, principalement européens, s’emparent du rapprochement mais adoptent une perspective esthétique.

« Esthétique » ou esthétique ?

9Dans le prolongement du constructivisme radical (Allard-Poesi et Perret, 2014) le postulat de base qui supporte ce mouvement est le suivant : l’organisation est un construit social (social construct) qui n’est pas exclusivement cognitif ; il découle aussi de la faculté de création de connaissance propre à tous les sens. La création de connaissance « sensible » s’opère dans l’organisation par des processus continus de négociation, d’invention et de redéfinition des valeurs, des symboles et des pratiques, entre tous les acteurs y inclus les chercheurs et leurs multiples idiosyncrasies personnelles (Strati dans Linstead et Höpfl, 2000). C’est ce réseau dynamique de symboles, de valeurs, d’appréciations, de discours et de pratiques non discursives, d’affects et d’actions que désigne le terme d’esthétique, le critère de beauté n’en étant qu’une caractéristique amovible. Le concept, repris des fondateurs de l’esthétique moderne : Baumagarten, Kant, Hegel, Schiller, renvoie à un mode collectif de connaissance, heuristique plus que représentatif, distinct de la connaissance intellectuelle et rationnelle (Taylor et Hansen, 2005). Il s’enracine dans les relations non raisonnées qui nous lient ensemble et au monde. Un corollaire en découle : la dimension esthétique dépasse le subjectif individuel, et organise le rapport social autant que le font les structures rationnelles et abstraites. « Bien des organisations ne tiennent ensemble que par le jugement esthétique » (Guillet de Monthoux dans Linstead et Höpfl, 2000). Selon Dobson (1998), après le passage d’une logique organisationnelle à dominante technique (fonctionnel « scientifiquement organisé ») à une logique « morale » suspendant décisions et actions à des objectifs universels et des principes moraux (le règne du « non-profit », de la responsabilité sociétale organisationnelle, de l’associatif et du volontariat), nous entrons dans une période d’esthétisation croissante de l’action et de la décision, qui sont prises de plus en plus souvent sur des motifs débordant le cadre strictement instrumental pour toucher à des aspects holistiques intégrant l’émotionnel, le personnel, l’idéologique, le professionnel, l’affectif, le matériel, le projectif et l’imaginaire de l’expérience des acteurs, qu’ils soient consommateurs, clients, managers, collaborateurs, partenaires, actionnaires… ou chercheurs. Le développement d’Apple par exemple, fondé entre autres sur l’offre d’une plateforme de fourniture de musique en ligne alternative au piratage, soutenue par la mise sur le marché de produits techniques iconiques dédiés à l’utilisation optimale de cette plateforme, démontre que le succès de l’entreprise repose avant tout sur la maîtrise des représentations et des formes associées aux construits socio-culturels et à leur évolution, ce qui passe par la production de récits stratégiques dotés de qualités narratives (Kahanne, 2005).

10L’étude de l’esthétique organisationnelle ne se réduit donc pas à la prise en compte d’appréciations subjectives portant sur des aspects superficiels ou sans conséquences. Il ne s’agit pas de l’étude de ce qu’on désigne trivialement comme « esthétique » au sens de décoratif, beau, agréable : l’esthétique se propose dès ses débuts comme une science (« l’art analogue à la raison » Baumgarten 1735, 1750), et même comme le « projet d’une science nouvelle » (Vico, 1725), qui marque les débuts de la conception moderne d’une histoire proprement humaine, et non purement divine. Si initialement le domaine de l’esthétique organisationnelle accorde une place importante aux catégories traditionnelles de la perception et du jugement sensible (catégories du beau, du laid, du sublime, de la grâce, du comique, du pittoresque, du tragique) l’évolution récente opère un déplacement qui rapproche l’esthétique du politique en tant que travail sur les représentations sociales partagées (Negash, 2004) – ou plus directement en tant que médiation des relations sociales par les artefacts organisationnels (Strati, 2014). Cette évolution consiste à prendre en compte la nécessaire mise en forme esthétique de tout discours (Steyeart et Hjorth, 2002), qui peut aller jusqu’à égaler esthétique et politique : Rancière (2000) définit l’aisthesis comme la capacité de mise en ordre du monde par le logos, une capacité politique (car imposable ou partageable socialement) qui résulte de l’intrication indémêlable entre les facultés de perception, d’interprétation et d’expression, posant la question de l’attention à toute expression. Il s’agit bien toujours de penser notre rapport au sensible, mais un sensible épais de multiples couches d’interprétations qui en sont indissociables, engageant du même coup les acteurs de l’organisation dans le « partage du sensible » (Rancière, 2000), soit une conversation continue tissée de processus de négociation autour du sens, qui donne à l’esthétique sa puissance d’agréger ou de discriminer le social (Strati, 2014). L’esthétique devient alors une connaissance non pas scientifique (connaissance d’une vérité) mais sociale et politique (re-connaissance des différences, confrontation, interférences ou luttes d’interprétations), rejoignant en cela un mouvement assez général en art, qui depuis les années 1970 voit la possibilité d’une réorganisation du social par et dans les pratiques et les concepts artistiques (Lütticken, 2014 ; Scholette, 2006 ; Bourriaud, 1995). Une dimension critique, de résistance et d’émancipation s’attache dès lors à l’approche esthétique, inscrite dans le courant des Critical Studies (Huault et al., 2014).

11L’approche esthétique doit ainsi se comprendre comme une « anti-anesthésie » : un éveil et une stimulation des sens et de notre faculté de connaissance sensible, contre l’effet narcotique de l’analyse rationnelle et déductive (Marquard, cité par Strati dans Linstead et Höpfl, 2000). C’est une esthétique opérationnelle (Guillet de Monthoux et Mairesse, 2017). Notre attention réveillée peut alors se porter sur les formes en creux, mineures, oubliées, occultées de l’organisation : les silences, les blancs, le non-dit, l’indicible, l’implicite, l’ambigu, en complément de ses aspects patents. Vue sous cet angle, l’approche esthétique revient à célébrer la valeur de l’ignoré, et partant la valeur de l’ignorance, du non-savoir (« not-knowing », Berthoin Antal, 2013), non en tant que refus du savoir ou de la connaissance, mais en tant que proposition d’un dépassement de l’opposition entre savoir et ignorance (Rancière, 2007). La compréhension esthétique se situe du côté d’un savoir qui reconnaît son ignorance des aspects non-dits, inconscients, implicites, esthétiques des phénomènes organisationnels, plutôt que du côté d’un savoir monologique, positiviste et finalement assujetti aux normes dominantes dont elle cherche à s’émanciper.

12L’objectif d’une recherche basée sur l’approche esthétique des organisations sera ainsi le renouvellement des conceptions et des pratiques de gestion, pour les extraire de l’emprise monolithique des approches « scientifiques » rationnelles, causales, logico-déductive, prescriptives, quantifiantes et contrôlantes. En reconnaissant l’importance de la dimension esthétique des phénomènes organisationnels, irréductible au jugement rationnel, en entreprenant de la révéler et d’explorer comment l’action et la décision en résultent au moins autant que de motifs logico-déductifs, il s’agit d’appréhender la complexité organisationnelle sans la réduire. Au lieu « d’avoir l’impression décourageante que tout est lié à tout », de « se sentir écrasé par la complexité des phénomènes analysés » et de se réfugier derrière « la formalisation indispensable pour aboutir à un modèle [qui] permettra de dépasser ce stade » (Cartier et Forgues, 2006), le chercheur adoptant l’approche esthétique aime cette complexité comme il aime la vie, la sienne comme celle des organisations qui le fascinent. Il n’a pas peur, justement, d’explorer les liaisons entre tout et tout qui tissent ce vivant et il se soucie d’en ouvrir plutôt que d’en fermer l’accès.

13L’esthétique organisationnelle (et l’enquête liée) est par conséquent une dynamique interrogative des formes de connaissances et de lien social tacites, non discursives, cachées ou masquées, plus qu’une dynamique explicative. L’approche esthétique ne produit pas de connaissance généralisable, universelle et objective des organisations, mais une connaissance partielle, fragmentée et avant tout modeste, qui ne cherche pas à dominer ou exclure d’autres sortes de connaissance, et qui s’élève contre toute tendance suprématiste de l’une ou l’autre. Ce qui ne signifie pas que la dimension esthétique soit un à-côté, un surplus à la compréhension du fonctionnement des organisations : elle en est une condition – peut-être nécessaire.

Les méthodes basées sur l’approche esthétique

14Si certains ont privilégié le sens de la beauté dans l’étude de l’esthétique organisationnelle : « beauté » d’un produit bien fini, d’un travail bien fait (Bidet, 2011), d’un comportement élégant à l’opposé d’attitudes révoltantes, « moches » (Strati, 1998 ; Ramirez, 1991), d’autres s’attachent à redonner leur place aux cinq sens aux côtés de l’intellect et de la raison (Küpers, 2013), c’est-à-dire à enquêter sur l’ensemble des processus de perception et d’interprétation, dans l’objectif d’une compréhension plus complète, plus complexe, de la vie des organisations et de l’expérience de leurs membres, en accordant la plus grande importance aux artefacts sensibles qui médiatisent ces processus, par exemple l’architecture et le design des espaces, ou encore les modes rhétoriques utilisés pour transmettre une stratégie (Kahanne, 2005 ; Chanal et Tannery, 2005). La caractéristique de ce mode de recherche est de ne pas être une méthode systématique ou strictement protocolaire. Il revient au chercheur de définir précisément les différentes étapes qu’il devra suivre pour interroger son terrain, ses données, en fonction des circonstances, du contexte, et de son adaptation personnelle à ses conditions de recherche. Je propose ici un découpage possible en cinq phases, présentées sur le tableau 6.1, un schéma que j’ai moi-même appliqué (voir l’encadré) et vu mettre en œuvre fréquemment, sans pour autant prétendre en faire un modèle universel. D’autres modélisations du processus de recherche « art-based » existent (voir par exemple Bobadilla et al., 2017). Je m’appuie pour décrire ces étapes sur le squelette proposé par Barone et Eisner (2011, p. 49-52), repris du processus de résolution de problème défini par Ecker (Eisner et Ecker, 1966), processus qu’ils identifient à un processus de travail d’art ou de recherche (« identical with the production of a work of art or research »). Squelette que je revêts de chair, lui donnant forme humaine, mais peut-être pas celle que Barone et Eisner avaient en tête…

La posture du chercheur et son exposition aux données

15Les méthodes « art-based » visent à activer, mobiliser et étudier les complexes sensoriels et perceptifs des acteurs – et du chercheur – pour s’intéresser symétriquement à la manière dont l’organisation émerge de l’activation de ces complexes sensibles, qu’elle influe et qui la transforment. Le chercheur s’intéressera par conséquent à des « données esthétiques », c’est-à-dire des éléments qui expriment, traduisent, reflètent l’activation sensori-perceptive des acteurs (lui-même y compris) : par exemple une blague au sujet d’un collègue et la manière dont elle est reçue, répétée, amplifiée, constitue un objet légitime pour la recherche, bien que ne pouvant donner lieu à une analyse quantitative (combien pèsent les rires, quel pourcentage d’ironie et d’affection s’y mêlent). Son étude donnera lieu à la mobilisation de concepts tels que la séduction, la répulsion, la coalition, le soutien, l’empathie. Elle demandera au chercheur de mobiliser ses propres facultés sensibles et perceptives dans l’observation et le recueil de données hétérogènes, telles que les expressions des acteurs présents, les distances physiques entre eux, les gestes esquissés et retenus, les directions des regards, la configuration de l’espace de la salle, les couleurs et la lumière du moment, leur influence sur les esprits, autant d’indices qu’il faudra ensuite décoder comme les signaux sensibles de l’organisation « en train de se faire ». L’attention à cette capacité de l’appréciation esthétique à organiser le social implique par ailleurs une sorte de réorganisation intérieure du chercheur (comme de l’amateur d’art), un peu de la même manière que l’ethnologue confronté aux jugements et coutumes étrangère doit produire un effort de déshabituation et de réorganisation de ses critères appréciatifs pour accéder à une compréhension empathique du groupe qu’il rencontre (Schütz, 1944-2003). C’est une re-cherche (re-search), un retour répété sur les phénomènes, qui cherche par itération à s’en faire une idée plus complète. Il s’agit de scruter minutieusement, encore et encore, ce que les arts déploient quotidiennement (Barone et Eisner, 2011). Toutefois, il est possible de proposer une série de phases possibles pour une telle approche (Tableau 6.1).

16Deux premières phases fréquentes dans les méthodes « art-based », phases essentielles mais dont le chercheur ne sort pas indemne, consistent ainsi à prêter la plus grande attention à ces données hétérogènes, intriquées, interdépendantes.

17▪ Phase 1. Repérer les observables. À cette étape, le chercheur, s’il a circonscrit le domaine de sa recherche, n’a pas délimité son objet avec précision. C’est la première étape de sa recherche. Il s’attache à repérer et inventorier le réseau de relations entre les divers niveaux et formes de symbolisations activées par les acteurs et l’organisation : les perceptions et interprétations des acteurs s’expriment individuellement et collectivement par une diversité de registres symboliques, du discursif au gestuel en passant par le graphique et le sonore (paroles, mouvements, émotions, schémas, arrangements dans l’espace, rythmes, images…). C’est la mise au jour du réseau de relations qui les relie qui pourra définir l’objet de la recherche, au départ relativement indéterminé.

18Cette phase se caractérise ainsi par un état « brumeux » et une discrimination délicate et hasardeuse des qualités des observables. Le chercheur est ouvert à une infinité de possibilités, ce qui peut générer une certaine anxiété, de la confusion et nécessiter d’anticiper ce sur quoi se focaliser. Ce peut être un moment de paralysie, d’anesthésie mentale. Par exemple, l’observation de l’arrivée d’un artiste photographe au sein d’une lutte ouvrière contre un processus de restructuration imposée à l’entreprise Chauffeau (Abrir, 2015) et le constat de ses multiples niveaux d’interaction et de production avec les ouvriers (portraits, négociation des mises en scène, poses nues, diffusion de cartes postales, de calendrier, entre stratégie médias et revalorisation des identités et des fiertés déchues…), en même temps que l’observation des luttes elles-mêmes (négociations syndicales, revendications, grève, affrontements), le tout coextensif au ressenti affectif du chercheur face à l’expression des peines et des ressentiments vécus par les acteurs, rend la situation de terrain confuse, trouble, incertaine. C’est en revenant sur les faits à plusieurs reprises, en réactivant l’histoire après-coup, qu’une prise possible se fait jour.

19▪ Phase 2. Rencontre de l’objet. Le chercheur se trouve en présence du phénomène brut, non dégrossi, dont il sent que c’est un bon objet d’étude. Il ne cherche pas immédiatement à l’affiner. Il s’attache à ses qualités « floues », susceptibles d’altération, de reconstruction ou de transformation. Cette phase circonscrit l’objet de la recherche, par l’extension des liens entre formes symboliques observées. Lorsque François, le photographe immergé dans le conflit dû à la restructuration, propose de réaliser un calendrier où les travailleurs posent nus, les débats portent sur la collecte et l’utilisation de l’argent de la vente. La question de l’impudeur du déshabillage n’entre pas en compte, n’est évoquée (par l’image) que la symbolique du « nu comme un ver » en correspondance avec la perte de l’outil de production. Le chercheur qui gloserait sur la représentation du nu, la pudeur en milieu ouvrier, l’érotique du travailleur ou autre interprétation de son cru, s’il ne peut y rattacher aucune symbolisation effective des participants, ferait fausse route. C’est l’envergure et la variété des symboliques activées (formes observables) qui définissent la pertinence de l’objet à étudier, et non leur concentration et leur homogénéité (interprétation évidente). Par exemple il était intéressant dans le cas du photographe qu’il donne des versions contradictoires de son engagement dans l’aventure et ne sache pas précisément dire comment il se sentait après l’expérience.

20Accéder à la dimension esthétique de l’expérience des membres enrichira encore cette compréhension. Mais comment ? Les méthodes fondées sur le discursif (questionnaires, entretiens, codage, analyse sémiologique) risquent fort de passer à côté de cette dimension qui se situe précisément hors du discursif, voire du conscient et au sujet de laquelle il n’existe pas dans l’organisation de registre de discours établi, mais au contraire une sorte de « mutisme esthétique » (Taylor, 2002). Plus exactement, la difficulté provient de ce que la symbolisation esthétique n’est pas une correspondance bijective univoque symbole-référent (« not a one-to-one signifier-signified semiotics », Ramirez, 1991), mais un réseau de relations entre symboles dont la correspondance avec un réseau de référents émerge de manière variable. Par exemple dans le fameux film Les Temps Modernes, devenu un symbole de l’ensemble du travail, il n’y a pas de référence directe à tel ou tel travailleur, à telle ou telle classe de travailleurs, au contraire : le décalage poétique et absurde de Charlot crée un réseau de significations symboliques dont émerge un réseau de significations référentielles possibles, plausibles parmi d’autres (Debenedetti et al., 2017). Il s’agit de la dimension évocative des formes esthétiques (Linstead et Höpfl, 2000), qui se joue à deux niveaux : 1) les jeux d’influence, de porosité et de transformations des perceptions-interprétations ; 2) une exploration ontique et phénoménologique du sens (Letiche dans Linstead et Höpfl, 2000). Chacun des deux niveaux d’évocation s’appliquant au chercheur autant qu’aux acteurs observés, on comprend la difficulté. Il s’agit de repérer les accords (ou désaccords) quant au sens de l’action, que les confrontations d’interprétations recouvrent, expriment et travaillent.

21Cette phase s’accommode par conséquent bien d’une méthode ethnographique, participante, ou immersive. L’immersion peut concerner le chercheur (immergé dans le flot des symbolisations et d’expressions esthétiques), elle peut aussi concerner les participants si la recherche se fonde sur l’intervention et la mise en place d’actions esthétiques ou artistiques destinées à recueillir les expressions des participants. L’objectif en phase 2 est de procéder à une heuristique exploratoire, associative et médiée par des formes esthétiques d’expression spontanée ou suscitée.

Tableau 6.1. Les phases méthodologiques possibles d’une approche « art-based »

PhasesMéthodesObjectif
1 – ObservablesImmersiveExploration discriminatoire, interrogations associatives
2 – Objet de la rechercheEthnographique, participanteMédiation heuristique associative
Recueil de matériau, délimitation de l’objet
3 – AnalyseDescriptive interprétativeIntégration des perceptions, émotions, formes médiatrices et symbolisantes, et exploration des logiques de sens en présence
4 – ÉlaborationHypothético-pragmatiste (abduction), narrativeExploration discriminatoire, interrogations associatives
5 – DisséminationEnactmentConversations interprétatives

Tableau 6.1. Les phases méthodologiques possibles d’une approche « art-based »

La mise en mouvement

22Les deux phases suivantes consistent à se mettre en mouvement et ouvrir de nouvelles hypothèses nées des observables plutôt que de la littérature. En se laissant affecter par le terrain, au sens de ce qui met en branle, le chercheur inverse la méthode classique : au lieu de partir de la théorie pour la confronter à la pratique, il part du terrain pour aller glaner dans la littérature les bribes théoriques qui pourraient éventuellement l’aider à comprendre la logique du terrain et des données. Il s’agit d’être attentif à l’inconnu, de lui accorder la puissance de susciter des hypothèses et de progressivement se l’approprier.

23▪ Phase 3. Explorer les possibilités de correspondances du réseau des observables avec un réseau de référents. Les formes symbolisantes et les acteurs sont en interaction, et leurs interactions renvoient indirectement à des réseaux de référents organisationnels : relations hiérarchiques, rôles et jeux de rôle, négociations, modes de contribution, processus de décision, etc. De la même manière que pour les phases précédentes, cette exploration doit se faire en étroite relation avec les acteurs. Solliciter leur verbalisation, avec les techniques habituelles de l’entretien ouvert, est pertinent à condition qu’ils commentent une forme concrète qu’ils ont produite, et non un épisode que le chercheur aurait identifié comme significatif et au sujet duquel il souhaiterait connaître la perception sensible des participants (ce qui se heurterait au « mutisme esthétique » déjà évoqué). L’écueil du déclaratif et la difficulté du passage au-delà des présupposés des acteurs, que l’approche sociologique classique résout par la référence à un savoir scientifique, ignoré des membres qui restent soumis au cadre, est ici transformé en une richesse : la profusion de l’apport des acteurs n’est pas à juger en termes de vérité mais de réalité et d’expérience.

24Dans cette phase, une qualité unifiante se répand et émerge des éléments qualitatifs répertoriés à la phase 2 et de leurs relations. Il se produit une sorte de cristallisation, le chercheur « voit » la cohérence émerger, il ne la construit pas mais l’éprouve en tant que lui-même acteur de la situation (ici encore on s’aperçoit de l’importance dans cette approche de ne pas tenir à une posture distanciée de son objet). C’est un moment éminemment fondé sur un paradigme participatif, dont la valeur pour ce type de recherche s’impose plus que celle de la posture constructiviste (Heron et Reason, 1997). Lors de cette phase il devient possible d’ajouter au « texte » de la recherche en train de se faire toutes sortes d’éléments pertinents par rapport au thème qui se dessine (comme en musique se dessine une mélodie entre les mesures annonciatrices), par associations, réminiscences, affinités, échos de sens. Il devient aussi possible (parce qu’évident) de se détacher de données dont la pertinence n’est pas importante, ou dont l’imbrication dans le réseau de significations esthétiques est faible. Cette phase représente un soulagement. Elle correspond dans les méthodes classiques à la phase d’analyse des données. Ici, il s’agit d’une étape de description interprétative, interprétation étant pris ici dans son sens scénique : comme l’interprète musicien joue la partition écrite, le chercheur les décrivant ne peut éviter de décrire à sa manière et de donner à la description sa couleur personnelle, en ce sens « interprétative ». La frontière entre fidélité et interprétation lorsqu’il s’agit de méthode descriptive est inévitablement brouillée, et c’est là que commence le travail d’écriture de la recherche. Le chercheur ne tente pas d’être fidèle, il tente de refléter au mieux la cohérence qu’il éprouve. Son objectif est d’intégrer perceptions, émotions et formes esthétiques médiatrices et symbolisantes, dans un travail d’exploration des logiques de sens en présence. Pour reprendre le cas de l’entreprise Chauffeau, les interactions et les interprétations croisées, divergentes, des chercheurs aux bagages variés mobilisés a permis lentement de dégager des lignes de forces, des logiques de sens et de questionnement, qui sans être exhaustives permettaient de mieux cerner les enjeux du phénomène : luttes d’identités, confusion entre communication médiatique et stratégie professionnelle, division des intérêts collectifs par l’argent (autour de la vente du calendrier, très médiatisé).

25▪ Phase 4. Mettre en récit l’ensemble du processus, en faire émerger une cohérence possible : la phase d’écriture, travail de symbolisation propre au chercheur, pas plus que les précédentes, n’est autonome. La mise en mouvement se poursuit. Loin d’une progression linéaire par déductions logiques qui concluraient des rapprochements choisis de données et de théories, ici c’est de revenir sur ses pas, de décrire à nouveau les étapes déjà parcourues, de leur donner une forme de récit, qu’émergera du sens éventuel, c’est-à-dire qu’apparaîtront des hypothèses plausibles de correspondances entre expressions symboliques et réseau de référents concrets. L’aller-retour avec la phase trois est caractéristique. Que l’un des points d’achoppement de la lutte sociale en période de restructuration chez Chauffeau réside dans la divergence d’opinion au sein du groupe menacé quant aux stratégies financières appropriées est révélé, au moment du commentaire de l’affaire du calendrier, par les expressions affectives, émotionnelles (à cette évocation des mois plus tard, l’un des partenaires très engagé s’est trouvé au bord des larmes, s’exclamant « dès qu’il s’agit d’argent tout s’écroule ! »), et non par une analyse rationnelle des stratégies d’acteurs. C’est le récit qui révèle (récits des acteurs concernés) et qu’il s’agit pour les chercheurs de restituer sans l’édulcorer. Une sorte d’exigence de qualité réflexive s’exerce dans le travail de mise en récit, intégrant certains éléments ici et là, en rejetant d’autres. La capacité à décider quoi garder et quoi omettre est en lien avec la perception de cohérence de l’ensemble : à nouveau ici il s’agit de la perception esthétique de sa recherche par chercheur, en résonnance avec celles des acteurs, et de leurs interprétations croisées et négociées, explicitement ou non. À ce stade il est possible de co-écrire le texte avec les participants, de leur soumettre en tout cas la mise en cohérence en train de s’écrire : si elle est erronée, les acteurs le sauront et l’exprimeront, ils pourront contribuer à sa reconstruction. Sans cette interaction, la phase d’écriture demande au chercheur de se « représenter » en et à lui-même toutes les parties impliquées, et de se faire le porte-voix dialogique et polyphonique de leur multiplicité, tout en suivant le fil de leur cohérence. Le « texte » peut déborder les catégories habituelles (il peut s’affranchir du discursif exclusif) et devient une sorte de performance affective et critique (« critically affective performance texts », Linstead 2018).

26La méthode suivie dans cette phase est hypothético-abductive, les hypothèses apparaissant par abduction (Lorino, 2007), et narrative, l’écriture devant posséder des qualités littéraires pour pouvoir refléter la cohérence esthétique des phénomènes. L’objectif est de mener une exploration interdisciplinaire des récits possibles reliant les éléments qualitatifs conservés, de les confronter sans les mettre en concurrence et, de la même manière que les acteurs et les éléments esthétiques observés coexistent avec cohérence au sein du phénomène observé, de faire coexister les récits dans une sorte de fiction. La fiction produite par la mise en récit des « données » se double de l’ambition de cette fiction à refléter la réalité du phénomène, non pas sa réalité factuelle, mais son essence esthétique : le récit de recherche effectue une sorte de simulation du réel, par laquelle le lecteur en s’y immergeant devrait avoir une expérience proche de celle du phénomène décrit – de la même façon que le présent texte prétend vous faire éprouver la réalité du processus de recherche par l’approche esthétique. Il s’opère à cette phase une sorte de « fictionalisation du réel », la mise en esthétique narrative du phénomène en écho à sa dimension esthétique vécue. Cette fictionalisation du réel constitue l’espèce de modélisation propre à ce type de recherche – de la même manière, un roman de Balzac « modélise » la vie petite-bourgeoise de son époque en la fictionnalisant.

L’appel à la réflexivité collective

27Un chercheur adoptant une approche esthétique de l’organisation, c’est-à-dire un chercheur s’intéressant aux formes matérielles, sensorielles, qui médiatisent la mise en place ou le fonctionnement de l’organisation pour en acquérir une compréhension plus complète, se trouve, nous l’avons vu, inévitablement confronté à ses propres perceptions. La méthode esthétique demande ainsi une grande capacité de réflexivité portant sur l’expérience sensible du chercheur lui-même, qui influe inévitablement et co-construit sa perception et son interprétation des formes symboliques médiatisant le fonctionnement organisationnel. Sans certitude définitive quant à ces interprétations, il est difficile de « terminer » une telle recherche. La mise en réflexivité dépasse la personne du chercheur impliqué, elle s’instille par la diffusion et la dissémination de la recherche et met en réflexion lecteurs, acteurs et chercheurs dans une conversation sensible, comme une œuvre littéraire qui prend vie dans les interprétations mouvantes de ses lecteurs successifs. C’est la dernière phase du processus.

28▪ Phase 5. Point (de) « final ». La conclusion de ce type de recherche, selon Barone et Eisner, n’est jamais « finale ». Le travail de cohérence esthétique est entamée, mais il ne se clôt pas sur lui-même : forme ouverte, il s’adresse au lecteur, aux autres chercheurs, aux participants à l’enquête, s’il s’agit d’une enquête-intervention située. Leurs interprétations ultérieures poursuivront la conversation entamée. L’émergence du sens de l’action, de ses leviers et de ses freins, enseignements éventuellement duplicables et généralisables, est une compréhension holiste et incomplète du phénomène étudié. Elle s’atteint par l’attention aux expressions esthétiques et symboliques reliées de près ou de loin au phénomène en question et l’exploration appuyée sur les propres perceptions et interprétations du chercheur, à condition qu’il se soit engagé lui-même comme acteur dans le dispositif. Cet engagement peut prendre diverses formes. Dans le cas Chauffeau les chercheurs avaient avec le photographe et les acteurs un rôle d’accompagnateurs dans le deuil de l’action et de son échec, un rôle non pas décidé à l’avance mais qui émergea des interactions affectives et du travail commun d’enactment et se matérialisa entre autres par l’enquête menée après-coup, par une exposition entre art et analyse puis par la publication d’un texte.

29Au-delà de cette phase et de la difficulté à la rendre « conclusive », l’appel à la réflexivité est constant dans les méthodes « art-based », précisément parce qu’elles sont basées sur l’art. C’est ce point que je vais développer.

La dimension d’art dans les méthodes « art-based » : un appel à la réflexivité

30L’approche esthétique des organisations, on l’a vu, suppose de s’attacher à toutes les formes de médiation qui expriment, mettent en discussion, transmettent ou questionnent les présupposés et le fonctionnement de l’organisation de manière non explicite. Au-delà de leur signification fonctionnelle et apparente (répartir les tâches, communiquer une information, discuter une stratégie), un sens implicite est communiqué par leur mise en forme (la vidéo du président, le panneau de petites annonces, le planning dans le couloir, la tenue vestimentaire, le design des bureaux, le rythme des conversations) et par la manière dont elles sont perçues, reçues, interprétée et transformées par les membres. La principale difficulté de ce type de recherche consiste dans le repérage non orienté, le plus ouvert possible, des formes esthétiques actives autour du phénomène étudié. L’apparition des méthodes dites « art-based » est directement liée à cette difficulté : l’appui sur des interventions ou des processus créatifs ou artistiques permet d’alléger cette partie de la recherche (Mc Niff, 1992), par exemple on proposera aux membres de créer des poèmes au sujet de leur activité. En effet, le processus de création dans ses phases initiales se caractérise par une grande ouverture, exploratoire de multiples possibilités. Mettre les participants en présence de processus de création, qu’ils les appliquent eux-mêmes ou qu’ils en soient les récepteurs, revient à leur proposer de s’exprimer avec polysémie, en dehors de toute grille de lecture prédéfinie et monologique. Le processus créatif pourra par conséquent jouer le rôle de réceptacle esthétique, qu’ils pourront charger de significations implicites, sous la condition que le processus proposé permette d’activer des mécanismes de projection, de métaphorisation, de détournement, d’illustration. Par exemple François le photographe engagé chez Chauffeau a mis son medium et sa technique au service des envies des travailleurs (poser dans l’environnement de leur choix, imaginer des productions photographiques, commenter les images, décider de leur circulation…), ce qui leur a permis de s’approprier le dispositif de création et de le charger de sens, implicite, quant à leur expérience vécue dans l’organisation. C’est l’intérêt de passer par des outils et des processus artistiques : ils donnent un cadre ouvert (celui de la création) qui permet de se libérer du cadre contraint (rationnel et fonctionnel) de l’organisation. Ce passage à plus d’ouverture demande au chercheur de faire lui-même preuve « d’art » dans sa pratique. Comme l’artiste qui travaille ses techniques sans s’y asservir, et les interroge autant sinon plus qu’il n’interroge le sens de ses œuvres (Taylor, 2013), le chercheur en esthétique des organisations réfléchit sa méthode avant tout. Deux points en particulier font appel à sa réflexivité :

  • Premier point : L’expression symbolisée et médiée par des formes esthétiques (artefacts organisationnels spatiaux, formalismes, documents graphiques, visuels, narrations, blagues, dessins, films, saynètes, chansons, costumes, performances, nouvelles, poèmes, photos…) code le sens qui n’est délivré que de manière implicite. Un décodage est nécessaire pour une lecture éclairée. À ce stade le chercheur peut s’aider des techniques de lecture et des théories d’interprétations esthétiques, mais il peut aussi, et il le doit, se fier à son propre sentiment de réception du sens, en tant que lui-même acteur impliqué dans le phénomène (ne serait-ce que par son intervention). Ses manières d’interpréter les observations, dans une démarche sensible intégrant perceptions, émotions, formes médiatrices et symbolisantes, participent de la méthode. En effet, la communication et la compréhension du sens organisationnel passent en grande partie par l’implicite, le non-discursif et le symbolique, comme par exemple la métaphore (Nissley et al. 2004 ; Le Theule et Fronda, 2002). Les acteurs de l’organisation – et le chercheur en tant que membre momentané – sont naturellement experts à recevoir, percevoir, interpréter et décoder ce sens caché, sans pour autant l’expliciter : c’est bien ce fonctionnement implicite de l’organisation qu’il s’agit de détecter et comprendre par une approche à ce stade inévitablement et explicitement réflexive. Qu’ont-ils perçu, qu’ont-ils compris, à quoi cela renvoie ? sont les questions à poser au sujet de chaque membre, et que le chercheur doit se poser lui-même : qu’ai-je perçu, qu’ai-je compris, à quoi cela me renvoie ? La traduction de l’implicite en exprimé sera inévitablement amputée, tronquée, fausse, mais aussi complexe, riche et juste plutôt que vraie. Le détour par cette traduction coûte en temps et en investissement intellectuel. Mais le gain en signifiant implicite est immense, comparé à la difficulté d’accéder à la perception esthétique de l’expérience par des moyens d’expression explicites : questionnaires, entretiens, observation (Taylor, 2002).
  • Second point lié à l’introduction de processus de création destiné à recueillir l’expression symbolique : lorsqu’un dispositif d’ordre artistique ou esthétique est introduit dans le processus de collecte des données, d’hypothèses ou d’analyse, le sens émergent peut ne pas être directement rattaché au phénomène étudié, mais au dispositif de création lui-même. La réflexivité ici concerne le dispositif d’enquête lui-même, qui recueille (aussi) l’expression de son propre effet. Loin de la « neutralité » (supposée) des méthodes classiques, la méthode esthétique s’inclut dans l’observé, se réfléchit dans ce qu’elle étudie. Plongés dans un dispositif d’intervention artistique, les participants expriment (aussi), sous des formes symboliques, affectives, esthétiques, leur perception-interprétation du sens de l’expérimentation proposée par le chercheur. Ce n’est qu’indirectement que ce sens émergent pourra renvoyer à un phénomène organisationnel. C’est en particulier le cas lorsque le dispositif de création proposé fonctionne comme une « simulation » de situations, explicitement ou non connectée au réel de l’organisation. Le travail de la recherche comporte alors une phase de « traduction », qui consiste à interpréter les réactions des participants comme l’expression de leur appréciation de la justesse de la simulation. On est loin ici des simulations « scientifiques » basées sur des modélisations contrôlées et paramétrées du réel sur des bases par exemple statistiques. Dans l’approche esthétique le dispositif d’intervention constitue une situation-simulation actionnable et affective du réel (telle qu’un simulateur de vol). Les réactions des participants s’adressent alors à la capacité plus ou moins grande du dispositif à renvoyer au réel qu’il simule. Elles ne permettent pas de prévoir leurs attitudes « en situation », mais permettent de comprendre quelle est la logique qui les oriente, par analogie avec la logique qui les dirige lors de la simulation (voir l’encadré). Il est donc nécessaire d’opérer une translation de sens, depuis l’expression du sens perçu de l’expérimentation vers le sens vécu de la situation organisationnelle correspondante. Comme ci-dessus, ce travail de traduction et de transposition coûte en temps et en mobilisation intellectuelle et demande la mise en œuvre d’une grande réflexivité de la part du chercheur, sur soi, ses méthodes, ses enjeux ; mais le gain en accès à l’implicite vécu (et inaccessible par les approches classiques) est considérable.

Quel degré d’art pour les méthodes « art-based » ?

31L’approche esthétique et l’usage de méthodes « art-based » ne coïncident pas nécessairement avec le passage par l’art au sens propre (une perception sensible de l’organisation, par exemple le dégoût des odeurs dans un atelier, n’est pas nécessairement artistique), même si l’art constitue une mise en œuvre et une activation de l’esthétique. Un éventail de méthodes s’offre au chercheur qui choisit l’approche esthétique, graduées selon la dose d’« art » mise en œuvre, leur degré de mise en forme esthétique ou artistique. Le degré d’art des méthodes « art-based » peut être hiérarchisé en niveaux, selon la qualité de plus en plus artistique et de plus en plus explicite des moyens de recueil, d’expression et d’analyse employés.

  1. Méthodes qui étudient ce que des formes esthétiques existantes dans l’organisation (arts appliqués : logo, design, communication, architecture…) disent sur l’organisation.
  2. Méthodes qui étudient les expressions esthétiques émises par les acteurs de l’organisation de manière régulière (vie « privée » des acteurs dans l’organisation, interactions sensibles, productions annexes, parasites, parallèles…).
  3. Méthodes qui étudient les expressions esthétiques émises par les acteurs de l’organisation lors de circonstances exceptionnelles provoquées (intervention extérieure, initiative managériale, circonstances, événements…).
  4. Méthodes qui étudient les expressions artistiques au sujet d’organisations (études d’œuvres) (Le Lay, 2016 ; Debenedetti et al., 2017).
  5. Méthodes qui étudient les arts (production, organisations, institutions) dans le but d’en tirer des modèles pour une gestion différente (Parker, 2011 ; Koivunen and Wennes, 2011).
  6. Méthodes qui se dotent de cadres de production esthétiques formels organisés par le chercheur : les méthodes dites « de créativité » s’inscrivent ici (méthode des post-it, brainstorming, jeux de rôle, théâtre-forum, ateliers d’écriture et de scénarios…). Elles peuvent s’étendre à des pratiques plus artistiques : création de bandes dessinées, de pièces de théâtre, d’expressions plastiques, littéraire… La frontière est progressive entre action créative (destinée au recueil d’expression) et expression esthétique.
  7. Méthodes qui se dotent de cadres de production esthétiques formels organisés par des artistes, en collaboration ou non avec le chercheur, avec participation ou non des membres de l’organisation à la conception ou la production des œuvres, dans le but de recueillir les expressions des membres et de les faire circuler pour les discuter en tant que capital social du groupe étudié. Ces méthodes peuvent s’étendre à l’usage de cadres ou de grilles d’analyse à bases artistiques ou esthétiques. La représentation visuelle ou visualisation des données est un domaine en développement qui exploite la capacité de l’esthétique à donner une lecture autre des données) (Keremane et McKay, 2011 ; Hill et Lloyd, 2015).
  8. Méthodes de recherches-actions avec interventions artistiques dans l’organisation pour la transformer ou questionner son management (Abrir, 2015 ; Ibos et al., 2017 ; Reinhold, 2017).

32Toutes ces méthodes suivent les phases exposées plus haut. Elles s’appuient soit sur la dimension « œuvre », le résultat de l’art, soit sur sa dimension process (le terme « work of art » renvoie aux deux aspects : d’un côté artwork (œuvre), de l’autre le travail de l’art (« workart » selon Meisiek et Barry, 2010). Les effets diffèrent selon qu’ils sont dûs respectivement à l’appui sur le résultat ou sur le process (Taylor et Ladkin, 2009 ; Mairesse, 2016). Lorsque l’artiste intervient, des questions non explorées apparaissent, en lien avec les écarts de postures chercheur-artiste, consultant-artiste, artiste-manager.

33La place manque pour détailler les différentes catégories, que je liste ici à titre d’ouverture et de cartographie empirique des diverses manières possibles de mener une recherche « art-based ». Le tableau 6.2 donne en particulier les implications respectives du chercheur et de l’artiste, en lien avec la finalité, de chaque type de méthode.

Tableau 6.2. Les différentes méthodes « art-based » et leurs finalités

Degré d’art croissantImplication du chercheurImplication de l’artisteFinalité
Études des formes esthétiques de l’organisationMobilisation théorique transdisciplinaireExpert éventuelÉtoffer la compréhension des facteurs organisationnels
Études d’expression esthétique naturelle usuelleEmpathique « member-tobe » (démarche ethnographique)Expert éventuelComprendre l’expérience vécue et son lien au sens
Études d’expression esthétique naturelle exceptionnelleExplorer l’hétérogénéité d’acteursExpert éventuelComprendre l’expérience vécue des acteurs et son lien à l’action
Études d’œuvresMobiliser les théories sur l’art adaptéesObservéCompréhension « par procuration », intégrant les représentations culturelles
Études d’institutions artistiquesFaire le pont entre des mondes disjointsObservéTransfert-transposition de pratiques. Modélisations
Étude par production esthétique provoquéeConcevoir, choisir des outils et cadres d’expression esthétique « créative »(éventuellement, inspirateur)Recueil d’expressions complexes
Étude par production artistique provoquéeCo-concevoir avec l’artiste les cadres de production artistiqueExpert participant à la communauté d’enquêteursCirculation et discussion du capital social et culturel
Recherche-action par intervention artistiqueCo-élaborer avec l’artiste la posture éthique, scientifique et politiqueMembre actif de la communauté de chercheursTransformer l’organisation
Diffusion et amplificationCo-laborer avec l’artiste en tant que pair pour formuler ses résultatsCo-producteur actif des résultats, de leur mise en forme et de leur disséminationDissémination esthétique de la recherche

Tableau 6.2. Les différentes méthodes « art-based » et leurs finalités

34Je terminerai ce panorama rapide par la dernière catégorie, la moins explorée de la recherche « art-based » : la restitution esthétique de la recherche (Jermier, 1985 dans Taylor, 2002 ; Taylor, 2000 ; Linstead, 2018). Négligée par la grande majorité des chercheurs, problématique par rapport aux critères et cadres institutionnels de la recherche, l’esthétique « artiste » de la restitution et de la dissémination des résultats de la recherché gagnerait à être valorisée (Bobadilla et al., 2017). D’une part au plan conceptuel : pourquoi maintenir une forme analytique, logico-déductive et monologique d’expression de la connaissance, pour des recherches qui portent sur l’approche esthétique, holistique et polyphonique des organisations ? Il est paradoxal de ne pas s’appuyer sur la même richesse d’expression au moment de la restitution qu’au moment de l’enquête, de ne pas mettre la subjectivité et la réflexivité de l’auteur au cœur même de son écriture (Moriceau, 2017). D’autre part, la puissance et l’impact de la dissémination de la recherche (qu’elle porte sur la dimension esthétique ou non) gagnerait à s’inspirer du modèle des arts qui n’existent que dans la mesure où ils sont reçus par un public, leur impact se mesurant à l’ampleur de leur audience cumulée dans le temps (ces critères sont discutables et discutés, mais constituent dans la pratique un étalon de valeur adopté de façon très générale, par les artistes, le public ou les diffuseurs et producteurs). Pourquoi ne pas faire un effort pour utiliser consciemment le matériau esthétique, dans le but non pas seulement de plaire, mais de produire un déplacement chez le lecteur, ce qui lui permettra de « toucher du doigt » des phénomènes remettant en question les perceptions et les compréhensions établies ? (« An effort to consciously use material aesthetically in order not simply to delight but to produce a disequilibrium in the reader or viewer, that is to enable someone to “get a feel” for a set of phenomena that calls into question previously held perceptions and understandings » (Barone et Eisner, 2011, p. 51).

Pour conclure

35Reconnaissons à la recherche fondée sur des méthodes « art-based » une rigueur méthodologique issue des principes de l’approche esthétique, ainsi qu’un enrichissement de notre compréhension des phénomènes organisationnels.

36Les trois catégories d’apports annoncés (exposition accrue aux données, mise en mouvement, réflexivité) se sont précisées :

  • S’exposer aux données : la recherche en sciences sociales cultive deux principales métaphores, celle du mineur et celle du jardinier. Ou bien le terrain est une mine d’où extraire les pépites de sens (mais le terrain est aussi trompeur, piégé, « miné »). Le chercheur travaille au pic, à la dynamite, il exploite la bonne veine et raffine le minerai brut. Sa relation aux données est de l’ordre de la trouvaille, de la découverte et de la capitalisation. Ou bien le terrain se travaille comme un terreau, en vue de la récolte des bien mal nommées « données », qui loin d’être données doivent être produites plutôt qu’extirpées. Les méthodes « basées sur l’art » sont de la deuxième espèce. Les éléments d’où émergera le sens n’existent qu’en germe, enfouis, latents. Le travail du chercheur consiste à leur donner les moyens de déployer leur épaisseur et leurs richesses. Le chercheur qui s’expose aux données s’implique dans leur production, entretient avec leur lente apparition un rapport étroit, personnel, et reconnaît qu’il en est responsable, comme le jardinier répond de sa récolte – tout en dépendant entièrement et humblement du bon vouloir de son terrain qu’il ne fait que cultiver. Comprendre commence par cultiver.
  • Mise en mouvement. Ce qui affecte, ce qui émeut, c’est ce qui ébranle, ce qui met en branle, en route vers d’autres rives de compréhension. La mobilisation des affects, des ressentis, l’épaisseur expérientielle et émotionnelle des phénomènes, caractérisent les méthodes « art-based », qui justement font place à l’expression, aux affinités, aux associations. Le chercheur s’en trouvera « affecté », mis en mouvement vers d’autres hypothèses, d’autres points de vue, inattendus. Le mouvement existe d’abord à l’intérieur de la recherche : les observations et les concepts s’influencent mutuellement, évoluent et se transforment. L’exposition aux données expose la recherche à se modifier en fonction des données, et le chercheur en s’exposant aux méthodes art-based s’expose à penser autrement – que ce qu’il croyait savoir penser. Se mettre à réfléchir sur ce qu’on ne sait pas encore penser est la mise en mouvement de la compréhension que peuvent provoquer les méthodes basées sur l’art.
  • Appel à la réflexivité. Au-delà de la réflexivité demandée au chercheur, le dispositif de recherche par l’approche esthétique met en réflexivité le phénomène étudié. Réalité organisationnelle et dispositif de recherche se réfléchissent mutuellement, sans jeu de mots : ils se miroitent et se pensent l’un l’autre. Par cette circulation de réflexions et de correspondances entre expression, perceptions, faits et interprétations, se construit une pensée partagée, partageable, commune, de ce qui nous tient ensemble, ou non. Par des jeux de recueil, de traduction, d’expression et d’interprétations confrontés et interdépendants, c’est finalement une compréhension par réflexivité collective, commune, qui se met en place.

Rigueur de posture

37Ces résultats s’atteignent concrètement par de multiples méthodes pratiques, que je n’ai pas tenté de dénombrer ou de cataloguer, toutes cependant fondées sur la conviction que d’autres formes de connaissances et de compréhension des phénomènes organisationnels sont possibles sur la base de la prise en compte de l’expression et du ressenti des acteurs, médiés par des formes symbolisantes. Le chercheur adoptant ce cadre conceptuel change de posture. D’abord il définit une « esthétique » organisationnelle, loin des simples effets ou des subjectivités indiscutables, comme le lieu où se construisent, se négocient et se matérialisent les représentations partagées ou confrontées au sein des organisations, composantes essentielles des phénomènes dans leur complexité. Ensuite il se donne comme observables les formes médiatrices de ces représentations constituantes des phénomènes organisationnels, sans les assujettir à des présupposés abstraits. Enfin il s’expose à ses données de manière réflexive, ce qui participe de la nature « esthétique » de sa recherche : puisqu’il s’agit de repérer des représentations partagées, médiées par des formes esthétiques, son implication dans le partage et le portage est une partie intégrante de la recherche.

38La rigueur méthodologique dite « art-based » consistera à garder en tête trois principes :

39

  • d’abord toute construction participante, sociale et organisationnelle est le lieu d’une esthétique ;
  • ensuite, enquêter sur cette esthétique organisationnelle passe par l’étude de la médiation des processus de co-construction par des formes symbolisantes et les relations qui s’y attachent (incluant aussi les relations de désengagement, de déconstruction) ;
  • enfin, la propre implication du chercheur dans le double mouvement de construction et de dégagement, de prise et de déprise, par lequel les membres sont liés entre eux, à l’organisation et aux représentations qui les animent, est la garantie de qualité de la recherche.

40Alors vous serez en mesure de mettre au point vos propres méthodes basées sur l’art – et de pratiquer l’art de la recherche en esthétique des organisations.


Annexe

Une thèse de recherche en gestion « art-based » : Le partage de la parole comme expérience sensible, esthétique et politique

41Afin d’expérimenter les situations de débat et de partage de la parole dans les groupes, un dispositif entre performance, immersion esthétique et technique de communication disruptive est proposé à des groupes d’une douzaine de participants. Conçu par cinq artistes dont l’auteur, le dispositif se présente comme une sorte d’installation sur table, comportant divers éléments fabriqués par les artistes. Il offre la possibilité de discussions basées sur le principe « on choisit qui on écoute, on ne choisit pas à qui on parle », et met en scène la performance avec une projection vidéo d’extraits des conversations anonymisées, et la présence forte des dizaines de mètres de câbles connectant les participants entre eux et à une « pieuvre » centrale. La recherche porte sur l’étude émotionnelle, gestuelle, phénoménologique du déroulement des séances, des interactions entre les participants et des logiques de sens qui sous-tendent leurs actions. De très nombreuses données filmées, enregistrées et photographiées sont accumulées, produisant un effet d’indécision, de flou et de « brume » inconfortable. L’objet de la recherche reste indéterminé, jusqu’à ce que deux séances en particulier retiennent mon attention, parmi des dizaines d’autres qui se déroulent « bien ». Elles me mèneront à m’interroger sur ce qui m’a motivé à entreprendre cette étude et plus profondément à interroger les représentations partagées autour de la question de la démocratie de parole dans les organisations. Durant l’une des deux séances qui m’arrêtent net, les participants ne mènent pas comme à l’habitude et comme le dispositif y incite, des dialogues deux à deux qui s’entrecroisent. Ils ne cherchent pas l’attention d’un participant précisément, mais s’évertuent à capter l’attention de tous les auditeurs sans s’adresser à aucun d’eux précisément, en parlant à la cantonade et en exprimant une grande frustration. Dans l’autre cas retenu, la séance se déroule « bien », mais est suivie peu après par un conflit explosif entre les participants, qui se conclura par l’explosion de leur collectif, la séance étant désignée par plusieurs comme catalyseur. L’objet de la recherche se dessine : quels déplacements inconfortables, introduits par l’intervention (artistico-communicationnelle) perturbent les participants au point de susciter cette attitude ? Le travail d’analyse et d’enquête de la phase deux commence alors, croisant de multiples sources (entretiens complémentaires, données secondaires, convocation de divers champs théoriques, sérendipité, émotions propres de l’auteur et ses associations personnelles…). Le point de départ est clair : l’attitude des participants ne fera sens par rapport à leur comportement réel dans un débat concret que dans la mesure où j’aurais compris ce qu’ils expriment implicitement par leurs réactions sensibles (car ils n’intellectualisent pas, ou sous des formes tellement absurdes qu’elles n’ont pas de valeur explicative). Ces réactions révèlent (en la masquant, dans le vrai sens du mot ré-véler : revoiler) leur interprétation et leur perception de ce que doivent être les règles du débat par rapport aux règles proposées. Ils décident, pour certains en tout cas, de ne s’adresser à personne, de parler à la cantonade (speak to the walls) afin de déployer la seule stratégie vraiment payante selon eux : parler jusqu’à voir ses mots s’inscrire sur l’écran de contrôle. Ils éprouvent ce faisant un malaise (« je deviens fou, c’est incohérent ce débat ») et m’agressent à la fin. Mon propre malaise devant la critique et le contournement de l’objectif de l’expérience (se parler directement en toute confiance) m’alerte sur le fait qu’il se joue ici bien plus qu’un recueil de données. J’entre dans la phase trois, où j’analyse les couches sous-jacentes, par leurs confrontations émergentes sous les formes plastiques, comportementales, affectives, et esthétiques, observées. Si les participants et moi-même sommes autant impliqués affectivement, au point d’adopter des comportements absurdes, c’est que ces absurdités font sens. Elles manifestent la divergence entre nous quant à la question du sens de l’échange de paroles en public : pour eux le sens réside dans la possibilité de hiérarchiser clairement les interlocuteurs et les voix, les plus haut placés détenant la parole que les moins bien placés se doivent d’écouter, alors que le dispositif proposé, en ne permettant que des dialogues deux à deux, veut faire de l’égalité de places et de paroles le sens fondamental du débat. C’est en faisant le récit de ces séances que s’élaborera (phase quatre) le filigrane des hypothèses de ma recherche. Ce fut une étape difficile : comment restituer quelle extrême difficulté j’ai rencontré à « simplement » faire le récit de ces deux séances, probablement tant l’affectif, le sensible et l’esthétique au sens de politique étaient en jeu ? Ma recherche portera finalement sur la théorisation des différentes logiques de sens actives dans les situations de partage de la parole, théorisation émergente induite (ou plutôt « abduite (abducted) ») par le réseau de faits sensibles manifestés autour et au sujet des expérimentations. La confrontation, ici un affrontement, des perceptions et des sentiments en situation permet d’accéder à une couche de sens sinon difficile à atteindre et masqué par les « explications » premières, qu’elles soient culturelles, liées aux habitudes des groupes en présence, ou « scientifiques », liées au « savoir » sur ce qu’est un débat. Dans cet exemple, la méthode expérimentale « art-based » consiste, en une sorte de breaching, à immerger les participants dans une expérience d’ordre esthétique et artistique (certaines de ces expérimentations ont lieu dans des contextes d’exposition d’art, en tant que performances participatives). La phase cinq, de conversation incessante et de réflexivité approfondie, est ici-même en cours…

42Je ne prétends pas que l’approche esthétique, ici réalisée par la mise en place d’une expérimentation d’ordre artistique (performance et mise en scène) et par des méthodes sensibles d’analyses de la perception et des logiques interprétatives des acteurs, soit la seule à même de révéler le sens et les logiques cachées des comportements et phénomènes organisationnels. Mais il est certain que se priver de cette dimension permettant une compréhension holistique de l’expérience des acteurs, où sens, perceptions, interprétations et émotions sont inextricablement liés, rendrait l’analyse beaucoup plus difficile à mener et à justifier.

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