Notes
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[1]
Reprise de la comédie (1861) d’Émile Augier à la Comédie-Française, que Vever désigne habituellement par le pluriel « les Français ».
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[2]
Surnom familier attribué par la presse populaire à Félix Faure, président de la République, en raison de ses prétendues aspirations monarchiques.
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[3]
Loïe Fuller (1862-1928), danseuse américaine dont les danses serpentines multicolores illuminées à l’électricité faisaient rage aux Folies-Bergère et dans d’autres music-halls.
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[4]
Mathilde Salle (1867-1934) et Augustine Gallay, danseuses du ballet de l’Opéra de Paris.
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[5]
Philippe Crozier (1857-1913) et Armand Mollard (1862-1930), respectivement directeur et directeur adjoint du protocole au ministère des Affaires étrangères.
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[6]
Bijoutier parisien.
-
[7]
Paul Cornille, cousin germain de Thérèse Vever, l’épouse de Paul Vever. Négociant en soieries, velours et tissus d’ameublement, à partir de 1890 il dirige avec son frère Georges la maison Cornille Frères située 21, boulevard Montmartre et 12, rue Richelieu.
-
[8]
Maurice Trouiller (né en 1858), beau-frère de Thérèse Vever. Négociant en tissus et coton pour la maison David, Trouiller et Adhémar, il est propriétaire d’une usine de tissage mécanique de coton à Saint-Quentin (Aisne) dont le siège parisien se trouve 27 et 29, rue du Sentier.
-
[9]
Paul Ligier, vice-président de la Chambre syndicale de la bijouterie d’imitation.
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[10]
Ernest Cardeilhac (1851-1904), orfèvre et gérant de la maison Cardeilhac.
-
[11]
Georges Écalle (né en 1846), bijoutier-joaillier se spécialisant en horlogerie, vice-président de la BJO ; Luc Gauthier (1846-1932), lapidaire ; Léon Coulon (1845-1926), joaillier-orfèvre ; Maurice Poussielgue-Rusand (1861-1933), orfèvre se spécialisant dans les objets liturgiques, gérant de la maison Poussielgue-Rusand ; Gustave Sandoz (1867-1943), bijoutier-horloger, gérant de la maison Sandoz.
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[12]
Théodore-Joseph Le Cœur (1860-1904), entrepreneur en charpentes, ingénieur des arts et manufactures ; Eugène Ternisien (1852-1923), tapissier décorateur gérant une maison familiale sur la place Vendôme.
-
[13]
Il est question ici d’Henri Beraldi.
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[14]
Charles César Denise (né en 1843), chef d’atelier de la maison Vever.
-
[15]
En vue du mariage de Maurice Sébastien, négociant en bois de sciage pour la maison Sébastien Frères, et de Suzanne Darche, fille d’Édouard-Lambert Darche, cogérant d’une maison de bijouterie-joaillerie, et d’Aimée Berthe Harleux, membre d’une famille d’orfèvres prestigieux, les Fray-Harleux.
-
[16]
Antoine-Emmanuel Roy (1842-1898), ancien commandant d’un régiment d’infanterie qui, en 1870, fit partie de l’armée du Rhin lors de la campagne de Metz.
-
[17]
Marie-Louise Crousy (née Houdard en 1849), vraisemblablement la sœur de Charles Houdard.
-
[18]
Bodier et Plessis, agents comptables de la maison Vever.
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[19]
Charles Houdard (1874-1965), peintre-graveur influencé par le japonisme.
-
[20]
Dans la célèbre pièce d’Edmond Rostand (1868-1918), Coquelin aîné (1848-1909) interprète le rôle de Cyrano, son fils Jean, dit Coquelin cadet (1865-1944), celui de Ragueneau, et Maria Legault (1858-1905) celui de Roxane.
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[21]
Il s’agit de Fernand Champetier de Ribes-Christofle (1861-1919), d’Henri Bouilhet et de son fils André.
-
[22]
Antoinette Freppel, née Wendling (1820-1898), cousine d’Henri Vever, et Georges Morlot, oncle de Jeanne Vever.
-
[23]
Banquier parisien, Charles Valadon, frère de l’architecte Alphonse Valadon (1839-1921), est le mari d’une des cousines germaines de Jeanne Vever, Amélie Écorcheville. Il est propriétaire d’un domaine à Mériel.
-
[24]
La boutique du marchand d’éventails Voisin (Ch. Richard, succ.) se situe 19, rue de la Paix, et la pharmacie Béral au 14 de cette même rue.
-
[25]
Eugène Linzeler fils (1834-1898) et Frédéric Linzeler (né en 1836) dirigent, avec leurs deux frères cadets et Ernest Linzeler (né en1863), lui-même fils d’Eugène Linzeler fils, une maison familiale de bijouterie-orfèvrerie 15, boulevard de la Madeleine. En 1918, Suzanne, la petite-fille d’Eugène Linzeler fils, épousera Pierre Vever, l’un des fils de Paul Vever.
-
[26]
Bijoutier parisien.
-
[27]
À l’angle de la rue de Rivoli et de la rue de Castiglione, en face des Tuileries, l’Hôtel Continental fut construit sur le site de l’ancien ministère des Finances, incendié en 1871.
-
[28]
Vraisemblablement une robe de la célèbre maison de couture fondée par Charles Frederick Worth.
-
[29]
À la suite de l’acquittement du commandant Ferdinand Walsin Esterhazy (1847-1923) par un conseil de guerre sous le deuxième ministère de Jules Méline et à la veille de la publication de « J’accuse…! », Vever dénigre les articles qu’Émile Zola (1840-1902) écrit pour Le Figaro depuis novembre 1897 et qui témoignent de son engagement croissant en faveur des dreyfusards.
-
[30]
Pour ce dîner de célébration, Vever réunit, outre son frère, des amis fréquentant les milieux variés qu’il côtoie. Ainsi, on y trouve des japonisants (Gillot, Kœchlin, Migeon, Houdard), des connaissances professionnelles (le fabricant de dentelles Adrien Warée) et des artistes : le peintre Georges Callot, le sculpteur et professeur à l’École nationale de bijouterie Camille Lefèvre (1853-1933) et le dessinateur « ardent et fécond » (Bf, p. 448) Gabriel Joly. S’y trouvent, enfin, des amis personnels dont Pierre de Brotonne (1852-1912), polytechnicien de la même promotion que Paul Vever et fonctionnaire au ministère des Finances.
-
[31]
Auguste Donatis (1818-1898), sous-directeur de la compagnie d’assurances La Providence-Incendie, dont la collection d’art des maîtres de l’École de Barbizon est vendue en 1897.
-
[32]
Arnold Eversteyn et Richard Howard Tripp, marchands d’art dont la galerie est 8, rue Saint-Georges.
-
[33]
Kanō Motonobu (1476-1559), peintre japonais.
-
[34]
Signés par A. Rambaud, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, des arrêtés ministériels du 19 février et du 8 mars 1898 font part de l’acquisition par le Louvre d’« une peinture japonaise représentant un paysage xvie siècle (2 500 frs) » et d’« une peinture japonaise (2 500 frs) », les deux étant destinées au département des Objets d’art du Moyen Âge, de la Renaissance et des Temps modernes. Série M6, archives des Musées nationaux, AN.
-
[35]
Les concerts du conservatoire de Paris eurent lieu, en 1898, à l’Opéra de Paris, y compris celui des Béatitudes, oratorio composé par César Franck (1822-1890) pour chœur, orchestre (dirigé par Paul Taffanel [1844-1908]) et solistes, dont Jean-François Delmas (1861-1933) et Jean Bartet (1862-1943). Parmi les musiciens, Georges Gillet (1854-1920), virtuose du hautbois.
-
[36]
Narcisse-Victor Guesnier (1817-1901), négociant à Paris où il réside 18, rue de Rivoli et propriétaire d’un domaine familial à Vesly (Eure) ; Eugène Plum (1847-1908), avocat à la cour d’appel de Paris.
-
[37]
Marie-Madeleine Gaccon (née en 1877), cousine de Jeanne Vever, et Joseph-Pierre Beaugeon (né en 1870).
-
[38]
Élisabeth Écorcheville, cousine germaine de Jeanne Vever, a épousé en 1878 Ernest Fouquier.
-
[39]
Louis Poulin (1862-1924), vicaire à l’église Sainte-Clotilde de 1889 à 1905.
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[40]
Restaurant situé 34-38, boulevard Bonne-Nouvelle, à côté du Gymnase-Dramatique.
-
[41]
Cousin de Jeanne Vever, Paul Monthiers (1832-1919) est polytechnicien et ingénieur civil des Mines.
-
[42]
Adaptation dramatique de l’œuvre d’Henri Murger, Scènes de la vie de bohème (1851), avec Maurice de Féraudy (1859-1932) et Albert Lambert (1865-1941), tous deux sociétaires de la Comédie-Française.
-
[43]
Charles Harleux (1861-1941), fabricant d’orfèvrerie pour la maison Fray-Harleux.
-
[44]
Félix Desprès, orfèvre-bijoutier.
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[45]
Louis Aucoc (dit Aucoc aîné) (1829-1914), bijoutier-orfèvre.
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[46]
Orfèvre, gérant de la maison Hénin & Cie, 77, rue des Archives.
-
[47]
Alphonse Falco, président de la Chambre syndicale des négociants en diamants.
-
[48]
Alfred Mascuraud (1848-1926), industriel travaillant dans la bijouterie d’imitation et de fantaisie.
-
[49]
Vraisemblablement Boucheron, l’un des principaux concurrents de la maison Vever.
-
[50]
En 1879-1880, Charles Gillot confia à son ami Eugène Grasset la création de meubles pour sa maison du 79, rue Madame, susceptibles de s’harmoniser avec ses importantes collections d’objets d’art des époques médiévale et Renaissance.
-
[51]
Marie Gillot (1861-1941).
-
[52]
Ogata Kenzan (1663-1742), peintre et céramiste japonais de l’époque d’Edo, frère d’Ogata Kōrin.
-
[53]
Jane Hading (1859-1941), vedette du Gymnase-Dramatique et de la Comédie-Française, connue pour ses rôles de coquettes, et Suzanne Reichenberg (1853-1924), sociétaire de la Comédie-Française qui joue souvent des ingénues.
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[54]
Restaurant situé 2, boulevard Poissonnière.
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[55]
Il s’agit vraisemblablement du peintre japonais Eitoku Kanō (1543-1590).
-
[56]
Société bibliophilique fondée en 1889 par Octave Uzanne (1851-1931). Participent à ce dîner le bijoutier-joaillier Paul Soufflot (né en 1848), le prince Roland Bonaparte (1858-1924), l’illustrateur Albert Robida (1848-1926), les avocats Émile Collet et Eugène Rodrigues (1853-1928) et le bibliographe Jules Brivois (1832-1920).
-
[57]
Lors de la guerre franco-prussienne, Henri Didon (1849-1900) fut aumônier militaire auprès de l’armée française à Metz. Prêtre dominicain et prédicateur de talent, notamment auprès d’un public mondain, il contribue avec son ami Pierre de Coubertin au développement de l’éducation sportive en France comme vecteur de sa « régénération » après la défaite de 1870.
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[58]
André-Eugène Jacquot (Metz 1817-1903), polytechnicien, inspecteur général des Mines de 1ère classe.
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[59]
Marie-Anne Lenormand (1772-1843), nécromancienne fameuse qui aurait prédit la chute de Napoléon Ier.
-
[60]
Jean-Martin Charcot (1825-1893), neurologue et professeur de pathologie anatomique, célèbre pour ses recherches sur l’hypnose comme traitement de l’hystérie.
-
[61]
Louise-Marie-Charlotte Isaac (c. 1824-1898), mère du graveur et collectionneur d’objets d’art japonais, Prosper-Alphonse Isaac (1858-1924).
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[62]
Ces hommes incluent les membres suivants de la BJO, tous engagés comme Vever dans les préparatifs de l’Exposition universelle de 1900, à Paris : Charles Martial Bernard (1855-1925), Georges Boin (1849-1911), Rufin Chaveton, Alphonse Debain (né en 1851), Ernest Durand-Leriche, Gustave Froidefon, Émile Froment-Meurice (1837-1913), Lucien-Amédée Gaillard (1861-1942), Léon Gariod, Alfred Hersant, Eugène-Charles Labouriau (né en 1835), Éloi-Alfred Langoulant (1851-1907), Jules Languedocq, Edmond-Augustin Lefebvre (né en 1855), Eugène-François Lefebvre fils (1848-1907), Jules Marest, Oscar Massin (1829-1913), Georges Murat (1851-1918), Paget, Pelletier, Louis-Georges Radius (1841-1931), Alfred Robin, Edmond Tétard (1860-1901) et Georges Vaubourzeix (né en 1860).
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[63]
N’étant pas encore associé à son père dans la direction de la maison Vever lors de l’Exposition universelle de 1878, Vever doit se contenter de garder la vitrine, comme il le note le 19 mai 1878 dans le cahier qu’il rédige cette année-là : « La vitrine se complète un peu, foule pas chic. Paul me remplace 2h l’après-midi, j’en profite pour faire un tour », Cahier (1878), HV.
-
[64]
Émile-Henry Fauré-Lepage (1840-1929), descendant d’une dynastie de fabricants d’armes de luxe, fournisseurs brevetés de plusieurs cours européennes tenant boutique 8, rue de Richelieu.
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[65]
Membre d’une famille de grands agriculteurs de Saint-Nom-la-Bretèche, commune mitoyenne de Villepreux (Yvelines).
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[66]
L’exposition annuelle de peinture et de sculpture du Cercle artistique et littéraire, dont les galeries se situent 7, rue Volney. « Répétition générale » pour les grands salons artistiques, l’exposition du Cercle Volney fut associée à un art plutôt conventionnel, académique, dont les tableaux de Benjamin-Constant (1845-1902), de Jules Lefebvre (1836-1931), d’Albert Gosselin (1862-1931) et de William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) témoignaient.
-
[67]
Victor Laloux (1850-1937), architecte parisien.
-
[68]
Acte nécessaire à la constitution de son dossier de Légion d’honneur.
-
[69]
En 1871, les incendies de l’hôtel de ville de Paris et du Palais de justice entraînèrent la disparition de la plus grande partie de l’état civil parisien antérieur à 1860 ; une reconstitution incomplète en fut réalisée après 1871. Les archives de la ville furent installées dans les années 1880 quai Henri IV, dans un bâtiment adapté, en fonction jusqu’en 1990.
-
[70]
Exposition de seize lithographies produites entre 1897 et 1899 par Henri Rivière, dont l’œuvre fut fortement marquée par l’influence du japonisme. L’imprimeur Eugène Verneau publia ces images.
-
[71]
Damascène Morgand (1840-1898) et son successeur Édouard Rahir (1862-1924), libraires fréquentés surtout par une clientèle de bibliophiles ; leur librairie se situe 55, passage des Panoramas.
-
[72]
Jules Péan (1830-1898), chirurgien français célèbre pour les avancées dont il fut responsable dans les domaines de la chirurgie gynécologique et de l’asepsie, ainsi que pour son perfectionnement de l’hémostase.
-
[73]
Félix Taillade (1827-1898), acteur français jouant à la Comédie-Française, au théâtre de l’Ambigu et au théâtre de l’Odéon.
-
[74]
Jules Augry (1860-1952), directeur de l’atelier de l’imprimerie de la galerie Georges Petit.
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[75]
Angelo Mariani (1863-1914), chimiste et inventeur d’une boisson tonique à base d’extrait de feuilles de coca, dont de nombreuses personnalités de l’époque vantèrent les bienfaits dans une série d’onze « albums Mariani ».
-
[76]
Jean-Charles Cazin (1841-1901), peintre, sculpteur et céramiste.
-
[77]
Médecin et psychiatre, professeur au Val-de-Grâce, Charles Burlureaux (1851-1927) est l’auteur d’ouvrages sur la médecine militaire, sur le traitement de la tuberculose et sur la paralysie.
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[78]
La Lyre et la Harpe (1879), oratorio pour solistes, chœur et orchestre sur un poème de Victor Hugo.
-
[79]
Situé 12, boulevard des Capucines, en face de la rue de la Paix.
-
[80]
Maison de pompes funèbres fondée en 1820 par Henri de Borniol.
-
[81]
Neveux de Mme Georges Morlot.
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[82]
Portrait (1891) grandeur nature, par Raphaël Collin, de l’épouse de Paul Blondeau (mort en 1926), collectionneur d’objets d’art d’Extrême-Orient et habitué des Dîners japonais organisés par Siegfried Bing.
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[83]
Le procès en diffamation lancé contre Émile Zola à la suite de la publication de « J’accuse…! » dans L’Aurore le 13 janvier 1898 commence le 7 février devant la cour d’assises de la Seine.
-
[84]
Raoul de Boisdeffre (1839-1919), Jean-Baptiste Billot (1828-1907) et Auguste Mercier (1833-1921), généraux et hommes politiques, tous visés par Émile Zola dans « J’accuse…! » pour avoir aidé à étouffer la vérité dans l’affaire Dreyfus.
-
[85]
Peut-être Jean-Paul Hébert (1859-1935), époux d’Alice Monthiers-Dehaynin, cousine de Jeanne Vever.
-
[86]
Peut-être la voyante et graphologue Marthe Desbarolles, qui prend le nom d’Adolphe Desbarolles (1801-1886), chiromancien et graphologue célèbre dont l’ouvrage, Les Mystères de la main : révélations complètes (1879), connaît de nombreuses éditions.
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[87]
Fondé en 1835 et situé 15, rue de l’École-de-Médecine, le musée Dupuytren se consacre à l’anatomie pathologique. Pièces osseuses, bocaux contenant des fœtus malformés et d’autres « monstruosités » s’y étalent sous le regard des visiteurs curieux.
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[88]
Jérôme Pichon (1812-1896), président de la Société des bibliophiles françois, regroupant surtout des collectionneurs de livres anciens.
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[89]
Maurice Demaison (1863-1939), avocat à la cour d’appel et rédacteur au Journal des débats politiques et littéraires et aux revues Art et décoration, Les Arts et La Revue de l’art ancien et moderne, auxquelles il consacre des articles sur les arts décoratifs.
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[90]
Peut-être Haritsu (Ritsuō) Ogawa (1663-1747), peintre, sculpteur, céramiste et laqueur japonais.
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[91]
Située 219, rue Saint-Honoré, la librairie Techener se spécialise en livres pour bibliophiles.
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[92]
Élément clé du Carnaval de Paris, à partir de 1870 l’ancienne coutume carnavalesque du cortège du Bœuf-Gras souffre de problèmes politico-financiers. Le cortège reprendra en 1900.
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[93]
Marguerite et Louis Detrois, enfants de Marie Detrois (1858-entre 1887 et 1892), cousine germaine d’Henri Vever.
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[94]
« Souviens-toi, homme, que tu es poussière, et que tu redeviendras poussière. » (Genèse, III, 19)
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[95]
« Car la miséricorde est auprès de l’Éternel, et la rédemption est auprès de lui en abondance. » (Psaume 130)
-
[96]
Zola reçoit la peine maximale à la suite de son procès. Cependant, comme le prévoit Vever, ce verdict sera cassé pour vice de forme et un deuxième procès Zola sera entamé en avril 1898.
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[97]
Dans un discours à la Chambre des députés à la suite du verdict, le président du Conseil, Jules Méline, déclare qu’il n’y a « ni procès Zola, ni procès Esterhazy, ni procès Dreyfus », tout en ajoutant l’injonction que reprend Vever ici : « il faut que cela cesse ».
-
[98]
Henri Rochefort (1831-1913), polémiste et homme politique qui propage ses positions antidreyfusardes et antisémites par L’Intransigeant, son journal fondé en 1880.
-
[99]
Le 17 février 1898, allant du Havre à New York, le paquebot La Champagne dérive dans l’Atlantique nord pendant cinq jours à la suite d’un accident, avant qu’un autre navire ne le prenne en remorque jusqu’à Halifax, pour être réparé.
-
[100]
François-Gustave Paquy (Lorry-lès-Metz [Moselle] 1853-1927), médecin-major à l’hôpital militaire d’Amélie-les-Bains (Pyrénées-Orientales).
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[101]
Suites pour orchestre (1882) de Jules Massenet (1849-1912).
-
[102]
Surnom de René Vever.
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[103]
Le premier achat de la Société des amis du Louvre, effectué par l’intermédiaire du marchand d’art Henri Haro (1855-1911), est La Vierge et l’Enfant (vers 1464), considéré comme un chef-d’œuvre de l’École italienne du xve siècle. Initialement attribué à Piero della Francesca, ce tableau, dont l’entrée triomphale dans les collections du Louvre aura un retentissement international, sera attribué par la suite à un autre peintre florentin moins connu à l’époque de Vever, Alesso Baldovinetti.
-
[104]
Charles-Marie Tanneguy Duchâtel (1803-1867), homme politique et collectionneur.
-
[105]
Louis-Charles de la Trémoille (1838-1911), historien et collectionneur.
-
[106]
Collectionneurs de note, pour la plupart membres de la Société des amis du Louvre : Camille Groult ; Paul Brenot (mort en 1902) ; Georges Lutz (1835-1901) ; Gustave-Louis Dreyfus ; Albert Kaempfen (1826-1907), directeur des Musées nationaux ; Charles Mannheim (1833-1910), administrateur de l’Union centrale des arts décoratifs.
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[107]
Selon Le Figaro, la belle-fille du général Jules Lewal (1823-1908) « avait dû, sans doute, se pencher, impatiente de voir son mari rentrer auprès d’elle, et la barre d’appui, trop basse, lui ayant fait perdre l’équilibre, elle s’était brisé le crâne sur le rebord du trottoir » ; André Nède, « Une mort tragique », 27 février 1898, 1.
-
[108]
Guillaume-Ernest Cresson (1824-1902), avocat à la cour d’appel de Paris de 1846 à 1899.
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[109]
Charles Jean Tristan de Montholon (1843-1899), ambassadeur de la France en Belgique entre 1894 et 1897. Sont également présents à ce banquet Victor Lourties (1844-1922), ancien ministre du Commerce, de l’Industrie et des Postes et Télégraphes, et le diplomate belge Auguste d’Anethan (1829-1906).
-
[110]
Surnom donné par Vever à son ami le peintre Georges Callot.
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[111]
Restaurant 18, place Gaillon.
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[112]
Née Anne Victorine Savigny (1845-1916), cette fameuse voyante compte parmi ses clients la comédienne italienne Eleonora Duse (1858-1924) et Alexandre Dumas père (1802-1870), considéré par certains comme le père de Mme de Thèbes. L’almanach qu’elle faisait publier chaque année à Noël annonce ses prophéties.
-
[113]
Bains turco-romains situés, depuis 1875, 18, rue Neuve-des-Mathurins.
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[114]
Société fondée en 1859 par des bijoutiers, joailliers et orfèvres parisiens tenant boutique dans le Marais, sous la direction d’Eugène Gilbert, qui a pour but de développer des techniques industrielles pour récupérer des métaux précieux à partir des déchets de fabrication dits « cendres ».
-
[115]
L’exposition du Cercle de l’union artistique (dit l’Épatant) se vante de la participation de nombreux peintres exposant également aux salons officiels, comme Aimé Morot (Nancy 1850-1913) ; Benjamin-Constant, portraitiste du ministre des Affaires étrangères, Gabriel Hanoteaux (1853-1944) ; Léon Bonnat (1833-1922), portraitiste de la chanteuse Rose Caron (1858-1930) ; Pascal Dagnan-Bouveret (1852-1929) et Jean-Léon Gérôme (1824-1904), dont le Léda est acquis par l’architecte Édouard Corroyer (1835-1904), lui-même élève d’Eugène Viollet-le-Duc et membre de l’Union centrale des arts décoratifs.
-
[116]
Charles-Albert Dehaynin (1841-1908), conseiller municipal de Paris, administrateur de la Compagnie des chemins de fer du Nord et président de la Compagnie des chemins de fer de l’Est algérien.
-
[117]
Edmond Becker (1871-1971), dont l’agrafe de ceinture en argent fondu et ciselé, intitulée Chant sacré, chant profane, sera reproduite par la suite par la maison Puiforcat & Tabouret. Sur ce concours, voir Vever, « Boucles de ceinture », Art et décoration, t. 3, janvier-juin 1898, p. 156-160.
-
[118]
Georges Le Turcq (1859-1940), dessinateur et fabricant de bijoux Art nouveau.
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[119]
La septième vente de la vaste collection d’Alfred Beurdeley (1847-1919), ébéniste d’art et collectionneur, inclut, entre autres objets, des meubles des époques Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.
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[120]
Cousin d’Henri Vever, Léon Wendling (Saverne [Bas-Rhin] 1846-1920) est conseiller à la cour d’appel de Paris.
-
[121]
Fondée en 1881 par la sculptrice Hélène Bertaux (1825-1909) pour promouvoir la création artistique par les femmes françaises et militer pour leur entrée à l’École supérieure des beaux-arts, l’Union des femmes peintres et sculpteurs organise un salon artistique annuel.
-
[122]
Ce tableau de Louis Français est vendu pour 3 525 frs, prix beaucoup plus important que celui proposé par Vever ; « Mouvement des arts : vente Français », Chronique des arts et de la curiosité : supplément à la Gazette des beaux-arts (1897), p. 103.
-
[123]
La galerie Durand-Ruel est la première à exposer tableaux, dessins et gravures de Georges d’Espagnat (1870-1950) en 1898, l’année où ce peintre effectue un voyage au Maroc.
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[124]
Situé à l’angle de la rue Royale et de la place de la Madeleine, ce restaurant est un lieu de rendez-vous mondain.
-
[125]
La compagnie américaine de photographie de luxe, 16, rue Duphot.
-
[126]
Gaston-Alexandre Camentron (1862-1919), marchand d’art et collectionneur de peintres impressionnistes, tenant boutique 43, rue Laffitte.
-
[127]
P. Desbois, dont la librairie, 15, rue Laffitte, sert surtout une clientèle de bibliophiles.
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[128]
Peut-être le peintre Pierre-Adolphe Huas (1838-1900).
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[129]
Vraisemblablement le peintre finlandais Albert Gustaf Edelfelt (1854-1905).
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[130]
Pierre Marie Albert Chenot (né à Metz en 1853), avoué à la cour d’appel de Paris.
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[131]
Photographes recherchés spécialisés en photos-cartes de visite et tenant leur atelier dans un hôtel privé 62, rue Caumartin.
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[132]
Probablement Femmes jouant au jeu du renard (vers 1800-1805), paravent à huit volets non signé attribué à Hokusai ou à son école. En 1922, Vever fera don de ce paravent au musée Guimet.
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[133]
Les collectionneurs et promoteurs, aux États-Unis, de l’art japonais, Ernest Fenollossa (1853-1908) et W.H. Ketcham, ont publié, en 1896, The Masters of Ukioye: A Complete Historical Description of Japanese Paintings and Color Prints of the Genre School.
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[134]
Peut-être le peintre Ker-Xavier Roussel (1867-1944), membre des Nabis, qui en 1894 produit pour Bing le dessin pour un vitrail fabriqué par Louis Comfort Tiffany.
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[135]
Baron Artur Pavlovich Morenheim (1842-1906), ambassadeur de Russie à Paris de 1884 à 1898.
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[136]
Théodule-Augustin Ribot (1823-1891), peintre réaliste.
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[137]
Gustave Boulanger (1824-1888), peintre orientaliste.
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[138]
Ami personnel de Camille Pissarro et d’Alfred Sisley, le chirurgien-dentiste Georges Viau soigne ce dernier lorsqu’il est atteint du cancer de la gorge qui l’emportera. Viau possédait également une collection importante de tableaux d’Honoré Daumier (1808-1879).
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[139]
Armand Guillaumin (1841-1927), peintre et lithographe lié aux impressionnistes.
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[140]
Georges Viau acquiert L’Inondation à Moret-sur-Loing (1888) lors de la vente Vever.
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[141]
Édouard Nadaud (1862-1928), violoniste et compositeur, professeur au conservatoire de Paris.
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[142]
Chanteurs d’opéra, dont le ténor Emmanuel Lafarge (1862-1911). Numa Auguez (1847-1903) est également professeur au Conservatoire national de musique.
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[143]
Le bijoutier Émile Olive (1852 -1902), avec son associé Georges Fonsèque, collabore avec Vever lors de l’Exposition universelle de 1889, à Paris. La boutique de la maison Fonsèque et Olive est 85, rue de Richelieu.
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[144]
Vraisemblablement Pierre-Marcellin Lortic (1822-1892), relieur-doreur servant surtout une clientèle de bibliophiles d’art.
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[145]
La Femme au masque, tableau célèbre d’Henri Gervex (1852-1929) représentant une jeune modèle nue portant un masque domino qui cache son identité.
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[146]
Exposition du peintre et dessinateur Louis Anquetin (1861-1932), dont certaines œuvres sont inspirées par les estampes ukiyo-e, dans les galeries du marchand d’art et éditeur d’estampes Charles Hessele, 13, rue Laffitte.
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[147]
Joseph Faller (Metz 1834-1914), chanoine de Mars-la-Tour (Meurthe-et-Moselle) de 1875 à 1914 et créateur, à l’aide de souscriptions et d’objets-souvenirs donnés par des familles de victimes de la guerre de 1870, d’un musée militaire mémorial consacré à la guerre franco-prussienne, inauguré en août 1902.
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[148]
Adolphe Willette (1857-1926), peintre, lithographe et dessinateur, connu pour ses caricatures dans la presse.
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[149]
Clément & Cie, importante manufacture de bicyclettes fondée par Adolphe Clément en 1877, dont la boutique parisienne se trouvait 31, rue du Quatre-Septembre.
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[150]
La mairie du IIe arrondissement est 8, rue de la Banque.
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[151]
Pierre Plauszewski, photographe et dessinateur de la flore ornementale.
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[152]
Germain Desbazeille, bijoutier et médailliste, gérant de la maison familiale fondée en 1881 par son père Louis.
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[153]
À sa mort, Beardsley avait vingt-cinq ans et non vingt-quatre, comme le signale Vever.
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[154]
Antoine-François Marmontel (1816-1898), pianiste et compositeur, professeur au conservatoire de Paris.
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[155]
Gustave Loiseau (1865-1935), peintre qui expose avec les impressionnistes.
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[156]
Paul Bellanger-Adhémar (1868-1948), peintre paysagiste, élève de Jules Lefebvre et de Fernand Cormon.
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[157]
Odon Charles Adam Philibert Guéneau de Mussy (1849-1931), collectionneur d’objets d’art japonais.
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[158]
Édouard Piette (1827-1906), archéologue spécialiste de la préhistoire.
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[159]
Jean-Joseph Carriès (1855-1894), potier et sculpteur dont le travail en grès émaillé était influencé par sa découverte de la céramique japonaise à l’Exposition universelle de 1878, à Paris.
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[160]
Probablement la Galerie d’anatomie comparée et de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle, ouverte en 1898.
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[161]
La société Jean Boussod, Manzi, Joyant & Cie, éditeurs de revues et de reproductions d’œuvres d’art, se spécialise en de nouveaux procédés de photogravure, comme la photo-aquatinte, dont beaucoup sont perfectionnés par Michel Manzi. Degas donne son accord à cette société pour la publication d’un album de reproductions de ses dessins, à 1 000 frs l’exemplaire.
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[162]
Le premier numéro de la Revue illustrée de l’Exposition universelle. Organe de l’Exposition de 1900 et de toutes les expositions (dir. O. Lartigue) paraît le 25 janvier 1898.
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[163]
Les Mois, douze compositions d’Eugène Grasset, gravées sur bois et imprimées en chromotypographie, que Vever fait relier par Charles Meunier, relieur de choix pour les bibliophiles d’art.
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[164]
Née Cornélia (Nélie) Jacquemart (1841-1912), peintre-portraitiste et, avec son mari, le banquier et homme politique Édouard André, collectionneur célèbre.
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[165]
Julia Bartet (1854-1941), Eugène Silvain (1851-1930) et Raphaël Duflos (1858-1946), sociétaires de la Comédie-Française.
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[166]
Émile Zurlinden vient de succéder à Félix-Gustave Saussier (1828-1905) comme gouverneur général de Paris ; le 5 septembre 1898, il deviendra ministre de la Guerre.
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[167]
Le 2 avril, la Cour de cassation annule le verdict dans le procès Zola du 7 au 23 février 1898.
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[168]
Malgré le fait que le peintre-illustrateur Daniel Vierge (1851-1904) n’appartienne ni au courant de l’Art nouveau ni à celui du japonisme, Bing l’inclut dans l’une des fréquentes expositions qu’il consacre aux illustrateurs et graveurs.
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[169]
Vraisemblablement Jean-Pierre Hélin, vicaire de la paroisse Saint-Eugène à Paris.
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[170]
Gaston Allain, avoué au tribunal de première instance, dont le cabinet est 12, rue Godot-de-Mauroy.
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[171]
Exposition annuelle de la Société des pastellistes, aux galeries de Georges Petit. Des peintres proches du symbolisme, comme Albert Besnard et René Ménard (1861-1930), ainsi que le peintre naturaliste Léon Lhermitte, y exposent leurs œuvres lors de ce rendez-vous mondain.
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[172]
Roger Ballu (dit Roger-Ballu), critique d’art et homme politique.
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[173]
Vraisemblablement un ancien condisciple d’Henri Vever au collège Saint-Clément de Metz.
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[174]
Le Stabat Mater et les Laudes à la Vierge (Laudi alla Vergine Maria) de Guiseppi Verdi (1813-1901) furent chantés par la soprano finlandaise Aïno Ackté (1876-1944), ainsi que par Louise Grandjean (1870-1934), Meyrianne Héglon et Marie Delna (1875-1932).
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[175]
Jean-Louis Forain (1852-1931), peintre-graveur, illustrateur et caricaturiste.
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[176]
Frédéric Labadie-Lagrave (1844-1917), médecin des hôpitaux à Paris.
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[177]
Marie-Prosper-Adolphe de Bonfils (1841-1912), curé des paroisses de Saint-Roch avant d’être nommé, en 1898, évêque du Mans.
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[178]
Le 8 avril, le conseil de guerre décide de se porter partie civile contre Zola et Alexandre Perrenx, gérant de L’Aurore. Par ailleurs, le conseil exprime son souhait que le ministre de la Guerre porte plainte auprès du Grand Chancelier de la Légion d’honneur pour que Zola soit radié de l’ordre.
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[179]
Ferdinand Delastre et Alphonse Béguin, cultivateurs, et Gustave Pollet, rentier, sont membres du conseil municipal de Noyers.
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[180]
Eugène Labiche (1815-1888), dramaturge français.
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[181]
Surnom de Marguerite Vever.
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[182]
Charles-Henri-Edgar Foullon (1847-1899), notaire à Gisors, époux de Marie-Léontine Levasseur, cousine de Jeanne Vever.
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[183]
Le mariage d’Henri Danet (né en 1874), avocat à la cour d’appel, et de Marie Engrand (née en 1877), belle-sœur d’André Bouilhet, réunit deux familles issues du milieu de la haute magistrature, puisque le père du marié, Albert Danet, est lui aussi avocat à la cour d’appel, et celui de la mariée, Jules-Eugène Engrand, avoué au tribunal civil de la Seine.
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[184]
Marie-Louise Bouilhet (1867-1945), mariée le 18 mai 1898 à Maurice Biffe (1864-1940), président des Ciments français.
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[185]
La Société des aquarellistes français a été fondée en 1879, en partie à l’initiative du peintre-illustrateur Louis Leloir (1843-1884). L’exposition de 1898 a lieu dans la galerie des Champs-Élysées, au 72 de cette avenue.
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[186]
Jules-Ferdinand Jacquemart (1837-1880), membre fondateur de la Société des aquarellistes français.
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[187]
Le 25 avril 1898, les États-Unis déclarent la guerre à l’Espagne à la suite de la destruction du navire de guerre USS Maine dans la rade de La Havane.
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[188]
M. Badin : scène de la vie de bureau (1897), saynète en un acte de Georges Courteline (1858-1929).
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[189]
Marie-Anne Grumbach, née Ulmann (Durmenach [Haut-Rhin], 1831-1898).
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[190]
Hugo Heermann (1844-1935), violoniste allemand.
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[191]
L’épouse d’Eugène Plum est née, en 1858, Marie-Juliette Bourgeois.
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[192]
Deux des premiers enregistrements phonographiques par la société Pathé Frères. L’un d’entre eux présente des discours prononcés par le président de la République Félix Faure et l’empereur Nicolas II, le 26 août 1897, à bord du cuirassé le Pothuau en rade à Cronstadt, étape importante dans le rapprochement franco-russe.
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[193]
Vraisemblablement des actionnaires de la Banque Valadon, dont le directeur, Charles Valadon, est un cousin par alliance de Jeanne Vever.
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[194]
Daniel Dupuis (1849-1899), graveur-médailleur, peintre et sculpteur, créateur pour la Monnaie de Paris des pièces de centimes en bronze.
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[195]
Drame en vers (1898) de Jean Richepin (1849-1926), avec les acteurs Julia Bartet, Mounet-Sully (1841-1916), Paul Mounet (1847-1922), Louis Leloir dit Leloir (1860-1909) et Gustave Worms (1836-1910).
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[196]
Henri Bournique, ingénieur et sous-directeur des papeteries Darblay à Corbeil-Essonnes (Essonne), neveu d’Antoinette Freppel, et Charles Morel, petit-neveu de cette dernière.
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[197]
Frits Thaulow (1847-1906), peintre et graveur norvégien.
-
[198]
Paul Gasnault (1828-1898), conservateur au musée des Arts décoratifs de 1878 à sa mort et collectionneur de céramiques et de verreries.
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[199]
Exposition, au Salon du Figaro, de 150 dessins et aquarelles satiriques de Forain parus dans ce journal, au sujet de la vie politique sous les présidences de Sadi Carnot, de Jean Casimir-Périer et de Félix Faure.
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[200]
Cantatrice célèbre, Emma Calvé (1858-1942) interprète dans cette pièce lyrique de Massenet le rôle de Fanny Legrand que Massenet a choisi pour elle.
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[201]
Peut-être le peintre Hilaire Larramet (1863-1934).
-
[202]
En 1898 et 1899, les salons annuels de la Société nationale des beaux-arts et de la Société des artistes français ont lieu ensemble, du 1er mai au 20 juin, dans la galerie des Machines.
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[203]
Léon Barillot (1844-1929), peintre-graveur paysagiste et animalier.
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[204]
Grand-duc Paul Alexandrovich (1860-1919), fils de l’empereur Alexandre II de Russie et général de l’armée impériale russe.
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[205]
Puvis de Chavannes aborde la vie de sainte Geneviève dans une série de toiles datant de 1874-1878 et de 1893-1898.
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[206]
Le portrait de la célèbre comédienne Gabrielle Réjane (1856-1920) par Besnard côtoie les tableaux des peintres Édouard Detaille (1848-1912) et Armand Berton (1854-1927), tous deux fréquents contributeurs aux salons officiels.
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[207]
Restaurateur célèbre dont l’établissement portant son nom se trouve 38, boulevard des Italiens.
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[208]
Caroline Otéro (née Augustina Otéro Iglesias), dite la Belle Otéro (1868-1965), chanteuse, danseuse et courtisane célèbre.
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[209]
Natalina ou Lina Cavalieri, dite La Cavalieri, (1874-1944), chanteuse italienne de café-concert.
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[210]
Paul Escudier (1858-1931) et Max Vincent (1860-1926), conseillers municipaux de Paris.
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[211]
Berthe de Montalant, dite Berthe Auguez de Montalant (1865-1937), soprano d’origine américaine, chante souvent lors des soirées mondaines ou de bienfaisance.
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[212]
Ernest-Louis Lavenu (1856-1912), dit Vaunel, comique français associé avec des cafés-concerts parisiens.
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[213]
Ce n’est qu’au début de septembre 1898 qu’est ouvert ce « plus coquet des restaurants parisiens, le joli temple de la gastronomie », construit par l’architecte Alfred Ballu ; « Échos », Le Figaro, 1er septembre 1898, 1.
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[214]
Le 1er mai, la flotte de la marine américaine décime la flotte espagnole dans la baie de Manille, subissant des pertes minimales.
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[215]
Comédie (1892) d’Henri Lavedan (1859-1940) avec les comédiens Jeanne Granier (1852-1939), Albert Brasseur (1862-1932) et Alfred Dieudonné, dit Dieudonné (1834-1922).
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[216]
Jean Marquet de Vasselot (1871-1946) devient attaché libre au musée de Versailles en 1896, après avoir soutenu une thèse à l’École du Louvre, intitulée Essai sur les influences orientales dans la sculpture et l’enluminure françaises au xie siècle.
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[217]
Le 4 mai 1897, les locaux du Bazar de la charité, organisation caritative fondée en 1885, sont incendiés, faisant 129 victimes dont de nombreuses personnalités du Tout-Paris.
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[218]
Reprise de la comédie (1888) d’Henri Meilhac (1831-1897) avec les comédiens Réjane, Georges Noblet (1854-1932), Félix Huguenet (1858-1926) et Félix Galipaux (1860-1931).
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[219]
Née Anna-Blanche-Augustine de Saint-Denis à Saint-Denis-le-Ferment (Eure), « propriétaire demeurant à Lalande-en-Son (Oise) » ; le couple divorce le 15 mars 1899. Acte de mariage, 24 mai 1898, n° 324, mairie de Noyers.
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[220]
Les élections législatives de mai 1898 maintiennent au pouvoir Louis Passy, républicain modéré de centre-droite, au détriment du banquier Charles-Joseph Loriot (1850-1930), d’Ernest Thorel (1842-1906), fabricant de vannerie, maire de Louviers et député de l’Eure (1889-1898), de Camille Fouquet (1841-1912), vice-président de la Société libre d’agriculture de l’Eure, et du médecin Louis-Édouard Isambard (1845-1904).
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[221]
Ferdinand Delâtre et Arthur Chaumont, conseillers municipaux de Noyers.
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[222]
Modeste Leroy (1855-1934), député de l’Eure (1893-1919) ; Jacques Olry (1833-1901), député de l’Eure (1889-1893) ; Claude-François Grosfillay, médecin à Nonancourt.
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[223]
Mariage de Camille Suzanne Huet (1875-1959), fille de Charles-Edmond Huet (1827-1906), ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et directeur honoraire des Travaux de Paris, et d’André Jobert (1872-1962), lieutenant au 3e régiment de hussards.
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[224]
Henri Limbourg (Nancy 1834-1921), ancien préfet de la Seine-Maritime, avocat du duc d’Aumale.
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[225]
Robert d’Orléans, duc de Chartres (1840-1910), petit-fils du roi Louis-Philippe d’Orléans.
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[226]
Comédie (1896) d’Eugène Brieux (1858-1932), avec Charles Prudhon (ou Prud’hon) (1848-1930), Jules Truffier (1846-1943) et Louise Lara (1876-1952).
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[227]
Comédie (1889) de Georges de Porto-Riche (1849-1930).
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[228]
Ces notes servirent à Vever dans sa rédaction d’un article, « Les bijoux aux salons de 1898 », Art et décoration, t. 3, janvier-juin 1898, p. 169-178.
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[229]
Salomon Hayum Goldschmidt (1814-1898), financier.
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[230]
Fils d’un ciseleur-modeleur célèbre pour sa virtuosité en matière d’orfèvrerie, Paul Richard travaille avec de nombreux bijoutiers-joailliers et orfèvres dont Vever.
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[231]
Georges Auger, bijoutier français, gérant la maison Auger fondée en 1862.
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[232]
Opéra (1849) de Giacomo Meyerbeer sur un livret d’Eugène Scribe, chanté par Marie Delna, Albert Alvarez (1861-1933) et Rosa Bosman (1857-1930).
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[233]
Le 15 septembre 1878, Henri Vever a assisté à une représentation du même opéra chanté par Rosine Bloch (1844-1891) et Pierre-François Villaret (1830-1906). Il note dans son cahier pour cette année-là : « Le soir Le Prophète pas extraordinaire pour remplacer la représentation manquée. Quoique ce soit chanté par Bloch, Villaret […] Auguez etc. je n’y ai pas autant de plaisir que d’habitude parce que l’orchestre ne va pas en mesure, les patineurs se flanquent par terre & je m’ennuie sans savoir trop pourquoi. […] Je passe une bonne partie de la soirée sur la scène causant avec ces demoiselles, de Brotonne est scandalisé de ce que je manque le trio bouffe. À la fin nous assistons à l’embrasement général, vu des coulisses. » Cahier (1878), HV.
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[234]
L’architecte, décorateur et céramiste Georges Hoentschel (1855-1915) dirige la maison Leys, important atelier de décoration parisien marqué par l’Art nouveau, 3, place de la Madeleine.
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[235]
Michel-Alfred Gerder (Metz 1826-1904), militaire français qui prit part au blocus de Metz en août 1870, ainsi qu’à la bataille de Gravelotte.
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[236]
Les courses de bicyclette à longue durée, dont le Bordeaux-Paris inauguré en 1891, se multiplient à la fin du xixe siècle, servant de publicité pour les fabricants de bicyclette. En 1898, Gaston Rivierre (1862-1942), l’un des premiers coureurs cyclistes en compétition, remporte le Bordeaux-Paris pour la troisième fois.
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[237]
Paul Renouard (1845-1924), peintre, graveur et illustrateur pour la presse parisienne.
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[238]
Étudiante d’Eugène Grasset, Louise-Marcelle Gillot (1884-1958) deviendra, comme son père, mécène et collectionneuse d’art.
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[239]
Avec l’avocat Edmond Picard, l’industriel et collectionneur Auguste Pellerin (1853-1929) avait proposé d’acheter la statue notoire. Consterné par la controverse déclenchée par sa statue, Rodin décide finalement de ne pas la vendre et de la garder dans son atelier à Meudon.
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[240]
Nabeshima Naohiro (1846-1921), ancien ambassadeur à la Cour de Saint-James, et Morishige Hosokawa (1868-1914), membre en 1893 de la Chambre des pairs de la Diète du Japon.
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[241]
Camille (née Moitessier), vicomtesse Olivier de Bondy (1850-1934), dont la collection inclut Les Tours de cartes de Chardin.
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[242]
Alix née de Choiseul-Gouffier (1832-1915), vicomtesse Frédéric de Janzé, dont l’hôtel se situe 12, rue de Marigny.
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[243]
Célèbres forains et dompteurs de fauves. François Bidel (1839-1909) dirige une ménagerie 33, rue de Clichy. Membre d’une lignée de dompteurs, Adrien Pezon (1871-1920) reprend la direction de la ménagerie familiale à la mort de son père Baptiste, en 1897.
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[244]
Lutteurs gréco-romains renommés, les deux frères Marseille font partie d’une troupe ambulante.
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[245]
André Dumoret (né en 1859), bijoutier, frère aîné de Thérèse (Dumoret) Vever.
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[246]
Charles Jean Félix Pozzo di Borgo (1858-1902), historien, député de la Corse entre 1898 et 1902.
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[247]
Conseiller municipal de Noyers et jardinier de profession.
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[248]
Charles-Gaspard-Louis Saski (1850-1913), militaire et diplomate, neveu de Léon Thibault.
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[249]
Maurice Jozon (né en 1862), notaire à Corbeil (Essonne), neveu de Léon Thibault.
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[250]
Gustave-Alphonse Recullet, notaire à Beauvais, cousin de Mme Léon Thibault.
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[251]
La Cigale chez les fourmis (1875), comédie d’Ernest Legouvé et d’Eugène Labiche ; Le Monde où l’on s’ennuie (1881), comédie d’Édouard Pailleron.
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[252]
Madeleine Brohan (1833-1900), Blanche Pierson (1842-1909), Marie-Rose-Eugénie Müller, dite Mlle Müller (1865-1956), Jeanne Bertiny (1872-1940), sociétaires de la Comédie-Française.
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[253]
Vraisemblablement Jean-Paul Andler (né à Strasbourg en 1867) ou bien son père Philippe Andler (né à Rittershoffen [Bas-Rhin], en 1832), également pharmacien.
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[254]
Armand Rosenthal (1855-1898), rédacteur au Figaro sous le pseudonyme de Jacques Saint-Cère.
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[255]
Louis Régnier (1865-1923), historien et archéologue de la région d’Évreux.
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[256]
Paul Lamaury, photographe et libraire à Gisors (Eure).
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[257]
À Henri Brisson (1835-1912), membre du parti radical qui prit position en faveur d’Alfred Dreyfus à l’apogée de l’affaire, Vever préférait nettement Paul Deschanel (1855-1922), républicain progressiste réputé pour avoir nourri des sentiments antidreyfusards en privé.
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[258]
Henri Floury (1862-1961), éditeur-libraire dont la boutique, 1, boulevard des Capucines, sert pricipalement une clientèle de bibliophiles.
-
[259]
Ishikawa Toyonobu (1711-1785), peintre japonais dont Vever possède plusieurs estampes, y compris Femme sortant du bain.
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[260]
Exposition rétrospective de l’œuvre des « trois Vernet » – Claude-Joseph (1714-1789), son fils Antoine-Charles-Horace (connu comme Carle) (1758-1836) et le fils de ce dernier, Horace (1789-1863) – dans le but de leur élever un monument.
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[261]
Le financier Alphonse de Rothschild (1827-1905), membre du Jockey Club, élève des chevaux pur-sang.
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[262]
Charles Schefer (1820-1898), historien-géographe, membre de l’Institut de France et administrateur de l’École des langues orientales vivantes, dont la collection inclut des faïences et des tapis persans, des bronzes et porcelaines de la Chine et du Japon.
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[263]
Michel de Tysckiewicz (1828-1897), célèbre égyptologue polonais, fondateur d’un musée privé à Rome.
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[264]
Félix-Bienaimé Feuardent (1819-1907), antiquaire et numismate.
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[265]
Le dicton « S’il pleut à la Saint-Médard [le 8 juin], il pleut quarante jours plus tard » est parfois suivi de « Mais vient le bon Saint-Barnabé qui peut encore tout raccommoder » ; la Saint-Barnabé se fête le 11 juin.
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[266]
Karl Kœpping (1848-1914), peintre, graveur et verrier allemand associé au mouvement du Jugendstil.
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[267]
Alexander Reid (1854-1928), marchand d’art écossais, gérant d’une galerie, La Société des beaux-arts, qu’il ouvre à Glasgow en 1889. Lors de la vente Vever, une nature morte de François Bonvin (1817-1887) est adjugée à 500 frs, deux tableaux de Jongkind (Le Fiacre et Le Coup de l’étrier) à 720 et 520 frs. Vraisemblablement, c’est Le Fiacre qui est vendu à Alexander Reid, selon l’indication au crayon dans l’exemplaire du catalogue de la vente Vever appartenant à Patrick Vever.
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[268]
Aimée Desclée (1836-1874), comédienne française interprête de plusieurs rôles, y compris dans La Princesse Georges (1872), créés pour elle par Alexandre Dumas fils. En 1895, la maison d’édition Calmann-Lévy publie les Lettres de Aimée Desclée à Fanfan.
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[269]
Achille Jean Lapra (vers 1832-1898), docteur en médecine.
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[270]
Mariage de Joseph-Jules Ducros (1853-1901), chef d’escadron au 11e régiment d’artillerie, et de Maria Josefa Fernanda Batanero de Montenegro.
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[271]
Créé en 1895 au sein de l’Union centrale des arts décoratifs pour promouvoir le travail des femmes dans le domaine des arts décoratifs à une époque où les professions artistiques ne s’ouvraient que lentement aux femmes, le Comité des dames organise des expositions annuelles ; celle de 1898 compte 179 exposantes.
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[272]
À la suite de la mort de Gustave Moreau, le mécène Charles Hayem (1839-1902) fait don au Musée national du Luxembourg d’une dizaine d’œuvres de ce peintre, y compris L’Apparition (1875-1876).
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[273]
Course organisée par L’Écho de Paris ; Pierre Lafitte, « Notre fête sportive », L’Écho de Paris, 1er juin 1898, p. 1.
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[274]
À son retour d’un voyage en Égypte et en Nubie en 1862, de Tysckiewicz fait don au Louvre de 196 pièces d’antiquités.
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[275]
Maurice Rivière (né en 1859), vicaire à la Madeleine avant d’être nommé curé de la paroisse Saint-Antoine (1898-1906).
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[276]
À la suite d’une insurrection des troupes révolutionnaires dirigées par Emilio Aguinaldo et soutenue par les États-Unis, les Philippines proclament leur indépendance de l’Espagne le 12 juin 1898.
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[277]
Lors de la vente, en mai 1898, de la collection constituant le musée privé de l’industriel belge Édouard Kums (1811-1891), à Anvers, le Louvre achète un tableau de Goya, La Femme à l’éventail, pour 29 000 frs, avant une grande hausse des prix de l’œuvre de ce peintre.
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[278]
Gaston Béthune (1857-1897), peintre paysagiste dont les œuvres sont exposées au Salon officiel de 1876 à sa mort.
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[279]
Georges et James Leverson, marchands de diamants anglais, gérants de la maison Pittar, Leverson & Cie à Londres.
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[280]
Madeleine Lemaire (1845-1928), peintre française et personnalité mondaine tenant un salon fréquenté par Marcel Proust, Reynaldo Hahn et Robert de Montesquiou.
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[281]
Beau-père de Paul Vever, Jean Alexis Hippolyte Dumoret (1830-1899) possède une maison à Meudon (Hauts-de-Seine).
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[282]
T. J. (Thomas James) Cobden-Sanderson (1840-1912), figure de proue du mouvement Arts and Crafts en Angleterre et fondateur en 1893 de la Doves Press.
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[283]
Confiseur dont la boutique se situe 10, rue Daunou.
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[284]
Après que la deuxième pandémie de choléra eut atteint la France en 1831, la voirie fut transférée de Montfaucon à la forêt de Bondy, à quinze kilomètres à l’est de Paris, provoquant de fréquentes plaintes au sujet de fortes odeurs émanant du dépotoir de Bondy et de l’usine Malézieux, surtout en temps de chaleur, ainsi que des craintes de contamination du canal de l’Ourcq.
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[285]
Don en 1886 du duc d’Aumale à l’Institut de France, le domaine de Chantilly et le musée Condé ouvrirent leurs portes au public le 17 avril 1898.
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[286]
Autrement dit Restaurant des Départs, 25, rue de Dunkerque, en face de la gare du Nord.
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[287]
Georges Duplessis (1834-1899), conservateur du cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale (1885-1899) ; Mme Clinchant, épouse du général Justin Clinchant (1820-1881), commandant d’une brigade lors des combats autour de Metz en 1870.
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[288]
Président du conseil de guerre qui, du 6 au 10 octobre 1873, juge le maréchal Bazaine à la suite de sa capitulation, le duc d’Aumale avait demandé, sans succès, aux autorités allemandes la permission de visiter les champs de bataille entourant Metz.
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[289]
Alexandre-Gabriel Descamps (1803-1860), peintre-graveur et dessinateur.
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[290]
Georges Gardet (1863-1939), sculpteur favorisant des thèmes animaliers.
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[291]
La maison Froment-Meurice produisait de nombreuses pièces d’orfèvrerie pour le duc d’Aumale, de même que pour des membres d’autres cours européennes.
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[292]
À part le Corot, les trois autres tableaux en question sont : La Mare de Théodore Rousseau, Venise de Félix Ziem (1821-1911) et Le Pâturage de Rosa Bonheur (1822-1899). Louis-Ernest Segond paie 7 400 frs pour les tableaux de Corot, Rousseau et Ziem.
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[293]
Léon Tabourier (mort en 1898), industriel dont la collection inclut, outre des tableaux et des objets d’art, des tapisseries, sculptures et bronzes d’Antoine-Louis Barye.
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[294]
Adolphe Beugniet (1821-1893), marchand d’art parisien.
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[295]
Paul Détrimont (1856-1943), marchand d’art parisien dont la galerie se trouve 27, rue Laffitte.
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[296]
Importateurs d’objets d’art de la Chine et du Japon depuis leurs magasins de Hong-Kong et de Yokohama, les frères Pohl tiennent une boutique 25, rue d’Enghien.
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[297]
Émile Godet (1845-1920), notaire parisien exerçant entre 1875 et 1902 ; son étude est 49, rue des Petites-Écuries.
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[298]
Alexis Hagron (1845-1909), secrétaire général de la présidence de la République en 1897.
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[299]
Georges Le Saché (né en 1849), bijoutier-joaillier français descendant d’une famille d’artistes peintres et graveurs. Ayant travaillé pour les maisons Falize et Baucheron & Guillain dont il dirigeait les activités avant de reprendre la maison sous le nom de Le Saché et Cie (1881), Le Saché est prisé à la fois comme dessinateur et fabricant d’œuvres dans un style se rapprochant de l’Art nouveau.
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[300]
Souhaitant enrichir son musée de collections japonaises et, plus généralement, extrême-orientales, von Seidlitz fréquente des collectionneurs et des marchands parisiens d’estampes japonaises dont Vever et Hayashi.
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[301]
À partir de 1898, le collectionneur et diplomate russe Alexander Basilewski (1829-1899) loue un appartement dans la maison de rapport appartenant à Vever, 40, rue Vignon. L’immense collection d’objets d’art appartenant à Basilewski a été achetée en 1884 par l’empereur Alexandre II pour un prix de 6 000 000 frs.
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[302]
Le peintre orientaliste converti à l’islam, Étienne Dinet (1861-1929), illustre en 1898 ce livre pour bibliophiles, Antar. Poème héroïque arabe des temps antéislamiques d’après la traduction de M. Devic, publié par H. Piazza.
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[303]
Alexandre Charpentier (1856-1909), sculpteur et ébéniste.
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[304]
Peut-être l’auteur dramatique et collectionneur François de Curel (Metz 1854-1928).
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[305]
Drame (1849) d’Eugène Scribe et d’Ernest Legouvé.
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[306]
Wanda de Boncza (1872-1902), sociétaire de la Comédie-Française.
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[307]
Le 24 juin 1894, le président de la République Sadi Carnot est poignardé par un anarchiste italien, Sante Geronimo Caserio, et meurt le lendemain.
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[308]
Le premier Marathon de Paris, gagné par l’Anglais Leonard Hurst (1871-1937), a lieu le 19 juillet 1896, année des premiers Jeux olympiques modernes. Le Français François Champion remporte la course en 1898 parmi cinquante-neuf coureurs. En 1899, Albert Charbonnel sort vainqueur.
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[309]
Le 28 juin 1898, Henri Brisson devient président du Conseil des ministres remplaçant Jules Méline démissionnaire le 15 juin.
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[310]
Jean-Baptiste Faure (1830-1914), chanteur lyrique de l’Opéra de Paris et collectionneur de peintres impressionnistes.
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[311]
M. Rochonvollet, dit Vollet, peintre et dessinateur industriel, professeur à l’École de la Chambre syndicale de la BJO.
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[312]
Les critiques d’art Octave Mirbeau (1848-1917) et Arsène Alexandre (1859-1937) sont tous deux des champions précoces de Rodin et font de la défense de son Balzac une cause célèbre.
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[313]
Dans « Les bijoux aux salons de 1898 », op. cit., Vever écrit : « [Q]uelle est la femme, si élégante soit-elle, qui puisse facilement retenir ses cheveux avec un des peignes dont voici une vitrine pleine ? » (p. 171-172).
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[314]
Victor Wendling, né à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin) en 1858, docteur en médecine à Raon-l’Étape (Vosges), neveu d’Antoinette Freppel.
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[315]
Chapelle de Notre-Dame du Chêne, près de Dangu (Eure), située dans le bois du Cornillon, ancien site druidique.
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[316]
Le 3 juillet 1898, la flotte dirigée par l’amiral espagnol Pascual Cervera y Topete (1839-1909) est détruite par la flotte américaine au cours de la bataille de Santiago de Cuba.
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[317]
Le 4 juillet, le paquebot français La Bourgogne entre en collision au large d’Halifax, dans un brouillard épais, avec le voilier anglais Cromartyshire. Les canots de sauvetage sont détruits dans le choc de la collision et le paquebot coule, faisant plus de 500 morts, y compris le capitaine.
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[318]
Cornélius Herz (1845-1898), médecin et homme d’affaires franco-américain, inculpé de corruption en 1892 avec Jacques de Reinach pour avoir offert des pots-de-vin aux députés en vue d’obtenir leur soutien pour la construction du canal de Panama.
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[319]
Issu d’une famille originaire du Vexin normand, Désiré-Philippe Hénon (1835-1898), négociant parisien en tissus habitant 6, rue de Cambacérès, est propriétaire du château de Lattainville (Oise).
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[320]
Constant Molle, ouvrier agricole chez Henri Vever, reçoît une médaille d’honneur pour ses « plus de trente ans de services dans le même établissement ». Ministère de l’Agriculture, Bulletin, vol. 17 (Paris, Imprimerie nationale, 1898), p. 1202, 1204.
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[321]
La Bibliothèque nationale de France détient plusieurs morceaux pour piano de Gustave Blaise, notamment Pavane du Régent (Paris, Gounin-Ghidone, [1895]), portant une dédicace « à mademoiselle Marguerite Vever » et Gavotte de l’Infante (Paris, Gounin-Ghidone, [1895]), dédicacée « à mesdemoiselles Gabrielle et Suzanne Vever ».
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[322]
Rite annuel en l’honneur de saint Clair (845-884), martyre chrétien du ixe siècle et saint patron de cinq communes en Normandie.
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[323]
Léon Mignan (1837-1930), propriétaire-cultivateur à Guerny (Eure).
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[324]
Émile Rouget, propriétaire-cultivateur à Chauvincourt (Eure).
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[325]
L’hôtel La Licorne, dont la construction remonte à 1610, est tenu par M. Lieubray, descendant d’une ancienne famille de la région, les du Mesnil-Lieubray.
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[326]
Charles Sedelmeyer (1837-1925), marchand d’art et collectionneur autrichien, achète et restaure le château en 1893, y installant un théâtre et de somptueux jardins ornés de statues italiennes.
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[327]
Pour éviter la peine d’un an de prison suivant sa condamnation pour diffamation, Émile Zola s’enfuit à Londres le 19 juillet 1898.
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[328]
Le 16 juillet 1898 à Santiago de Cuba, les troupes espagnoles sous le commandement du général José Toral y Vázquez capitulent face aux forces américaines.
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[329]
Une visite à l’ancienne abbaye du Trésor (diocèse de Rouen), Rouen, A. Lestringant, 1897.
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[330]
Pierre Legrand, rentier, président de la Société d’horticulture de Vernon (Eure).
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[331]
Durant la guerre franco-prussienne, la commune de Neufchâtel-en-Bray (Seine-Maritime) fut occupée par des troupes prussiennes pendant un mois. En 1897, un comité du Souvenir est fondé et un monument aux morts érigé à la mémoire des habitants de Neufchâtel morts pendant les combats.
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[332]
Gustave Bourgeois (1831-1905), maire de Saint-Denis-le-Ferment (Eure).
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[333]
Le comte Pozzo de Borgo avait assuré la dotation à l’école des Sœurs de Dangu promise par son précédent propriétaire, Frédéric de Lagrange. Celui-ci avait fait venir ces religieuses à Dangu en vue de l’éducation des enfants dans ce village d’environ sept cents habitants.
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[334]
Vraisemblablement, Louise Eugénie Auzoux, couturière née à Dangu en 1883.
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[335]
Vraisemblablement le château de la Roche-Guyon (Val-d’Oise), devenu possession de la famille de la Rochefoucauld au milieu du xviie siècle.
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[336]
Né en 1815, Otto von Bismarck, chancelier de l’Empire allemand (1871-1890), meurt le 30 juillet 1898 à Friedrichsruh (Allemagne).
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[337]
Café-concert ouvert en 1857, situé 1-3, avenue Gabriel, à l’entrée des Champs-Élysées.
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[338]
Plébins (né Simon Deplébins, 1861-1909), Eugénie Fougère (née en 1865), Eugène Raiter et Sulbac (né Alfred Sulzbach, 1860-1927), chanteurs de cafés-concerts parisiens.
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[339]
Édouard Deransart (mort en 1905), compositeur, chef d’orchestre au bal Valentino et aux Ambassadeurs.
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[340]
Malgré ces conseils, aucun article d’André Bouilhet ni d’Oscar Massin ne paraîtra dans Art et décoration.
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[341]
Peut-être la maison Pinaud, située depuis 1897 18, place Vendôme.
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[342]
Situé derrière le café-concert l’Alcazar d’été et servant une cuisine simple, le bouillon Riche attire de nombreux Parisiens et touristes en été.
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[343]
Inauguré en 1894, le Théâtre Marigny, situé dans les jardins des Champs-Élysées, accueille des opérettes, des revues et d’autres spectacles. Son architecture originale, œuvre de Charles Garnier, a été entièrement refaite par l’architecte Édouard Niermans.
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[344]
Ballet de Georges Feydeau et du compositeur Francis Thomé (1850-1909).
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[345]
Famille de jongleurs-équilibristes.
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[346]
À partir de 1897, de nombreux films de l’American Mutoscope and Biograph Co., concurrent de Thomas Edison, ont été projetés dans des salles parisiennes. La première d’entre elles est le Casino de Paris, dont les directeurs, Louis Borney et Armand Desprez, sont également directeurs du Théâtre Marigny. Le court métrage Conway Castle est produit en 1898 par la British Mutoscope and Biograph Co., une filiale de la la compagnie américaine du même nom.
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[347]
Ancienne propriété, en fait située à Bougival (Yvelines), de Gérard Michel de la Jonchère, trésorier général de l’extraordinaire des guerres sous Louis XV.
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[348]
« La lune tiède luit sur la nocturne danse/Et Pan, ralentissant ou pressant la cadence/Rit de voir son haleine animer les roseaux. » José-Maria de Hérédia (1842-1905), « Nymphée », Les Trophées (1893).
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[349]
Il s’agirait de Léon Lefebure (Wintzenheim [Haut-Rhin], 1838-1911), journaliste et ancien député du Haut-Rhin (1869-1870), propriétaire du château de Ronfeugerai (Orne).
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[350]
Fondée en 1888 par les sœurs Sainte-Marie de la Famille, la Clinique Blomet, servant surtout des femmes, est l’une des premières cliniques chirurgicales à Paris.
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[351]
Inauguré en 1842, le pont de Suresnes relie l’ouest de Paris (notamment, le bois de Boulogne) et sa banlieue limitrophe ; il est élargi entre 1897 et 1901.
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[352]
La principauté de Salm-Salm (1751-1753) a été constituée à partir de l’ancienne seigneurie de Salm-en-Vosges.
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[353]
Frère cadet de Louis Aucoc fils, André Aucoc (1856-1911) commencera à diriger la maison familiale de bijouterie-orfèvrerie vers 1900.
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[354]
Victor-Louis de Marcé (né en 1864), auditeur à la Cour des comptes.
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[355]
Lucien Roy (1850-1941), l’architecte de la section française lors de l’Exposition universelle de 1900, à Paris.
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[356]
Un traité de paix préliminaire est signé le 12 août 1898 entre l’Espagne et les États-Unis.
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[357]
Ouvert en 1893, le funiculaire de Bellevue relie le quai des bateaux à vapeur sur la Seine aux hauteurs de Meudon, permettant aux Parisiens d’atteindre la forêt de Meudon pour y faire des promenades à pied ou à bicyclette.
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[358]
En 1899, le pavillon de Bellevue deviendra propriété de la Compagnie internationale des grands hôtels, qui y héberge, dans des conditions luxueuses, des voyageurs de la Compagnie internationale des wagons-lits dont elle est la filiale.
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[359]
Le terme populaire désigne un fiacre de louage, en bois, conduit par un chauffeur.
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[360]
Une importante collection de moulages faisait partie du musée de Sculpture comparée qui a ouvert ses portes en 1879 dans le palais du Trocadéro. L’initiative de cette collection était due en partie à l’architecte Eugène Viollet-le-Duc qui voulait mettre en valeur le patrimoine national du Moyen Âge.
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[361]
Édouard Lockroy (1838-1913), ministre de la Marine du 1er novembre 1895 au 29 avril 1896 et du 28 juin 1898 au 21 juin 1899.
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[362]
Toast du 26 août 1897 prononcé par l’empereur Nicolas II de Russie à bord du Pothuau en rade de Cronstadt, scellant l’alliance entre la France et la Russie.
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[363]
Le paquebot La Touraine de la Compagnie générale transatlantique est entré en service en 1891 en faisant la ligne Le Havre-New York. Basé au Havre, le remorqueur Le Titan entra en service en 1894.
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[364]
L’Africaine (1865), opéra de Giacomo Meyerbeer sur un livret d’Eugène Scribe ; Faust (1859), opéra de Charles Gounod sur un livret de Jules Barbier et de Michel Carré.
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[365]
Auguste Desgenetais (1865-1906), directeur de la maison Desgenetais frères, dont les usines de filature et de tissage du coton, employant 800 ouvriers, se situent à Bolbec et à Lillebonne (Seine-Maritime).
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[366]
Charles Vacquerie (1817-1843), gendre de Victor Hugo, qui, avec son épouse Léopoldine, se noya dans un accident de canot le 4 septembre 1843.
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[367]
Jusqu’aux années 1960, le mascaret, phénomène naturel produit par des courants de marée faisant monter brusquement la Seine de façon spectaculaire, attire des touristes à Caudebec-en-Caux (Seine-Maritime).
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[368]
Vendue comme bien national durant la Révolution, l’abbaye de Saint-Wandrille de Fontenelle ne connaît aucune vie religieuse suivie jusqu’en février 1894, moment où, accomplissant le vœu du cardinal Léon-Benoît-Charles Thomas (1826-1894), archevêque de Rouen, une petite communauté monastique reprend possession de l’abbaye.
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[369]
Le terme désigne un colporteur ou un petit mercier ambulant.
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[370]
Opéra (1831) de Giacomo Meyerbeer sur un livret d’Eugène Scribe et de Germain Delavigne.
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[371]
En 1853, Aimé-Honoré Lepel-Cointet, agent de change parisien, achète les ruines de l’abbaye de Jumièges, qu’il aménage par la suite.
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[372]
Restaurant de choix pour les visiteurs des Salons des Champs-Élysées et du Champ de Mars, avec pavillon et jardins datant du xviiie siècle.
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[373]
Maurice-Félix (1879-1939) Le Besnerais, futur ingénieur maritime, et René-Victor (1882-1930) Le Besnerais, futur ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, sont tous deux polytechniciens.
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[374]
Guillermo de Osma y Scull (1853-1922), diplomate et archéologue espagnol né à La Havane, également collectionneur des arts décoratifs islamiques.
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[375]
Le manifeste du paquebot La Touraine, au départ du Havre le 24 avril 1893, fait mention d’Olga Fratini, une Italienne d’une vingtaine d’années. Voir The Statue of Liberty – Ellis Island Foundation Inc. (http://www.libertyellisfoundation.org/passenger-details/czoxMjoiMTAzMzYwMTYwMzE1Ijs=/czo5OiJwYXNzZW5nZXIiOw==) (consulté le 13 juin 2014).
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[376]
Depuis 1883, Passy siégeait au conseil général de l’Eure, représentant le canton de Gisors.
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[377]
Eugene Glaenzer (1857-1923), directeur de la branche new-yorkaise de la galerie Goupil & Cie, puis marchand d’art à son propre compte à New York.
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[378]
Adolfo Passigli, représentant du Touring Club d’Italie à Paris.
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[379]
Adrien Leclerc, président du tribunal mixte de Tunisie.
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[380]
André Frey, dessinateur de bijoux.
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[381]
Utagawa Toyokuni (1769-1825), maître d’estampes ukiyo-e.
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[382]
Jenny Passama (née en 1860), cantatrice.
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[383]
Francisque Sarcey (1827-1899), critique dramatique et journaliste.
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[384]
Situé 1, boulevard des Capucines, le café Napolitain, rendez-vous mondain, est célébre pour ses glaces et sorbets.
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[385]
Entré dans la maison Goupil et Cie en 1882, Michel Manzi dirige et dynamise l’atelier d’impression photographique de cette maison située à Asnières (Hauts-de-Seine). Doté d’un excellent sens des affaires, Manzi, avec Jean Boussod et Maurice Joyant, commença à diriger la maison d’édition associée avec Boussod, Valadon et Cie (successeur de Goupil et Cie), devenue en 1900 Manzi, Joyant & Cie.
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[386]
Reprenant les paroles prononcées lors du toast du 26 août 1897 en compagnie de Félix Faure, l’empereur Nicolas II de Russie propose le désarmement général au nom de « l’équité et [du] droit ».
-
[387]
Guillaume II (1859-1941), empereur allemand et roi de Prusse entre 1888 et 1918.
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[388]
Cousin d’Henri Vever, Georges Hirn (Saverne [Bas-Rhin], 1844-1922), aumônier des religieuses du pensionnat Jeanne-d’Arc à Belfort, dut quitter ce territoire en 1870. Combattant lors de la guerre franco-prussienne, il devient par la suite professeur au collège libre de Colmar-Lachapelle et, de 1895 à 1903, aumônier des sœurs de Ribeauvillé à Belfort.
-
[389]
Dans un article rédigé par Gaston Calmette sous le titre « L’Affaire Dreyfus : un coup de théâtre », Le Figaro publie la note citée textuellement par Vever en une du numéro du 31 août, au sujet de l’aveu sensationnel d’Hubert-Joseph Henry (1846-1898).
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[390]
Opéra (1877) de Camille Saint-Saëns sur un livret de Ferdinand Lemaire, chanté par Jean Bartet et par Hector Dupeyron (1861-1911).
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[391]
Ballet (1870) choréographié par Arthur Saint-Léon avec musique de Léo Delibes sur un livret de Charles Nuttier, dansé par Julia Subra (1866-1908) et Pepa Invernizzi.
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[392]
Georges Colleuille (1839-1902), régisseur de la scène de l’Opéra de Paris (1868-1901).
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[393]
Ballet (1876) choréographié par Louis Mérante avec musique de Léo Delibes sur un livret de Jules Barbier et de Jacques de Reinach.
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[394]
Léontine Beaugrand (1842-1925) et Edmond Cornet, danseurs du ballet de l’Opéra de Paris.
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[395]
Kose Kanaoka (802 ? -897 ?), peintre japonais.
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[396]
Henri-Eugène Landoy, ciseleur-dessinateur.
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[397]
Charles-Auguste Marion, cultivateur à Chauvincourt (Eure).
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[398]
Auguste Buchotte (1896-1899), maire de Gisors (Eure).
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[399]
Après l’acceptation par Henri Brisson, président du Conseil des ministres, de la demande en révision du premier procès d’Alfred Dreyfus, Godefroy Cavaignac (1853-1905), opposé à cette politique, démissionne du gouvernement.
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[400]
Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823) est également l’auteur d’un portrait (1822) de Mme Antoine Passy, née Péan de Saint-Gilles, mère de Louis Passy.
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[401]
Élisabeth de Wittelsbach (née en 1837), épouse de l’empereur François-Joseph Ier et reine de Hongrie, fut assassinée le 10 septembre 1898 par l’anarchiste italien Luigi Lucheni.
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[402]
Danse de salon, introduite dans des stations balnéaires et des salons à Paris vers 1894.
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[403]
Gaston-Hilaire Monthiers (né en 1859), frère aîné de Jeanne (Monthiers) Vever.
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[404]
Soldat au 150e régiment d’infanterie, Gaston-Henri Monthiers (1883-1914) mourra le 21 septembre 1914 de blessures graves, durant la retraite de la bataille de Charleroi. Voir http://www.memorialgenweb.org/memorial3/html/fr/complementter.php?table=bp&id=112802&largeur=1366&hauteur=768 (consulté le 4 juillet 2016).
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[405]
Après avoir appartenu à l’homme politique belge Jules Van Praet (1806-1887), Le Déjeuner (1852) d’Ernest Meissonier fut acquis par Vever qui l’acheta lors de sa vente pour 72 000 frs.
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[406]
Hostile à toute perspective de révision, Zurlinden est remplacé par le général Jules Chanoine (1835-1915). Le 29 octobre, la Cour de cassation déclare recevable la demande en révision, reçue trois jours auparavant.
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[407]
Vraisemblablement un plan datant de l’an XIII de la Première République, c’est-à-dire entre le 23 septembre 1804 et le 22 septembre 1805.
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[408]
Accusé d’avoir produit de faux documents pour inculper le commandant Esterhazy lors de son procès en janvier 1898, le colonel Picquart fut envoyé par le tribunal correctionnel à la prison de la Santé, puis à la prison militaire du Cherche-Midi.
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[409]
Le 21 septembre, Philippe d’Orléans (1869-1926), prétendant au trône de France, exhorte les Français par un manifeste à ne pas permettre aux dreyfusards de « détruire » l’armée et la France « sous prétexte d’innocenter l’homme que les tribunaux militaires ont condamné comme traître ».
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[410]
Paul Coquand (1849-1929), artiste-peintre proche des impressionnistes et, depuis 1888, maire de Fourges (Eure).
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[411]
Bijoutier, fils du bijoutier Gustave Baugrand.
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[412]
Georges Bourgoin, sous-préfet de l’Eure aux Andelys.
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[413]
Victor Milliard (1844-1921), ministre de la Justice et des Cultes (2 décembre 1897-27 juin 1898) et, depuis 1890, sénateur de l’Eure.
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[414]
Vers du poème « Nymphée », Les Trophées (1893).
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[415]
Beaux-frères d’Eugène Plum.
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[416]
Quotidien antisémite fondé en 1892 par Édouard Drumont.
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[417]
Gabriel Séailles (1852-1922), historien de la philosophie occupant la chaire d’histoire de la philosophie à la Sorbonne de 1898 jusqu’en 1913.
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[418]
Léon Daudet (1867-1942), écrivain et journaliste.
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[419]
Eugène Jamais (Metz, 1831-1911), chef de bataillon durant le siège de Paris en 1870, avant de faire campagne en Tunisie et au Tonkin.
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[420]
Maurice Renaud (1861-1933), Albert Vaguet (1865-1943), Lucienne Bréval (1869-1935), chanteurs de l’Opéra de Paris.
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[421]
La Société de panification nouvelle se situe 33, avenue de l’Opéra.
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[422]
Restaurant à service automatique 15, boulevard des Italiens.
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[423]
Cette façade Art nouveau, incorporant des matériaux nouveaux comme les grès métallisés et le fer forgé et privilégiant le thème de l’orchidée, est l’œuvre d’Édouard Niermans. Elle ornait le café-concert situé au 27, boulevard Poissonnière, ouvert en 1894 et acheté en 1897 par les frères Émile et Vincent Isola, propriétaires de plusieurs salles de spectacle à Paris.
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[424]
Comédie de Pierre Berton et de Charles Simon, dont la première a lieu, le 12 mai 1898, au théâtre du Vaudeville.
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[425]
Louise de Hesse-Cassel (1817-1898), reine du Danemark de 1863 à sa mort.
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[426]
Marie Laurent (1825-1904), actrice, fondatrice en 1880 de l’orphelinat des Arts, organisme caritatif qui secourt les orphelins des artistes morts dans la pauvreté. De nombreux artistes comme Gustave Moreau et Édouard Manet lui ont fait don de leurs œuvres pour soutenir les activités de l’orphelinat.
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[427]
Jeanne Poilpot (née en 1854), bienfaitrice de l’orphelinat des Arts et femme du peintre Théophile Poilpot.
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[428]
Cécile Hermance Bérangère Mismaque (c. 1846-1899), rentière, professeur de Marguerite Vever.
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[429]
L’usine parisienne de la maison Christofle se trouvait, depuis 1842, 56, rue de Bondy ; celle de Saint-Denis fut ouverte en 1875.
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[430]
Pièce de Casimir Delavigne (1793-1843) avec le comédien Charles Prudhon ou Prud’hon (1848-1930).
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[431]
Vraisemblablement le Cours de philosophie élémentaire (1843) de Clément Gourju, destiné à l’usage des collégiens et qui connut de nombreuses rééditions.
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[432]
En 1897-1898, l’architecte Édouard Niermans agrandit et modernise le hall de la brasserie du 16, boulevard des Italiens, fondée par Fernand Pousset, avec peintures de Georges Clairin (1843-1919) et vitrail au plafond du maître-verrier G. Hubert.
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[433]
Sōami (Shinsō Nakao, 1472-1525), peintre paysagiste japonais.
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[434]
Première chambre syndicale du bâtiment parisien de par ses effectifs, les terrassiers furent au centre d’une grève générale qui risqua de devenir grève générale interprofessionnelle dans un Paris en chantier en vue de l’Exposition universelle. La semaine du 8 au 14 octobre marqua l’apogée de la grève, avec environ 40 000 ouvriers cessant le travail.
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[435]
Il s’agit peut-être de Pierre de Brotonne.
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[436]
Jeanne Forain (1865-1954), peintre et sculpteur.
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[437]
Maurice Volny (né en 1857) et Julien Desjardins (1861-1936), sociétaires de la Comédie-Française.
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[438]
Alfred Foulon (1845-1922), secrétaire général des Chemins de fer de l’Ouest et maire de Sartrouville (Yvelines), surnommé « Foulon-Ouest ».
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[439]
Alphonse Fouquet (1828-1911), fondateur en 1860 de la maison Fouquet et auteur d’Histoire de ma vie industrielle, Paris, 1899.
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[440]
Georges-Simon-Charles Margo (né à Faulquemont [Moselle], en 1876).
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[441]
La maison de tailleurs écossais Cheviot-House, se situe 38, avenue de l’Opéra dans le même immeuble que la Manufacture royale de porcelaine de Copenhague.
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[442]
Un permis de construction pour surélévation du bâtiment situé 19, rue de la Paix, dans lequel Émile Poutard est indiqué comme propriétaire, avait déjà été accordé le 14 mars 1894. « Paris, 1876-1939 : les permis de construire » (http://parisenconstruction.blogspot.com/2010/01/lettre-p-de-rue-pache-rue-pastourelle.html) (consulté le 15 juin 2014).
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[443]
Émile-Philippe Scaillet (1846-1911).
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[444]
Adolphe Aderer (1855-1923), co-auteur avec Armand Ephraïm de la comédie 1807 dont la première a lieu le 12 octobre 1898, au Gymnase-Dramatique.
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[445]
L’actrice Mathilde Dinelli est décédée à trente-cinq ans, à son domicile 40, rue Vignon, en octobre 1893.
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[446]
Publié en deux volumes par l’éditeur de John Ruskin, George Allen (1832-1907), A Japanese Collection (1898) de Tomkinson contient de nombreuses images d’ivoires, de textiles, de sabres, de laques, de céramiques et d’autres objets d’art appartenant à ce collectionneur.
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[447]
Auguste Toulmouche (1829-1890) et Jean-Georges Vibert ou Jehan Georges Vibert (1840-1902), peintres académiques.
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[448]
Album d’illustrations d’Albert Guillaume (1873-1942) parues dans la presse satirique, concernant le service militaire.
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[449]
Situé 15, rue Blanche, ce théâtre a été inauguré en 1891 sous la direction de Lugné-Poe.
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[450]
Drame (1896) de Virgile Josz et de Louis Dumur.
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[451]
Abel Deval (1863-1938), acteur et directeur du théâtre de l’Athénée de 1899 à 1914.
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[452]
Peut-être Charles Walther (1855-1935), chirurgien des Hôpitaux de Paris et membre de l’Académie de médecine.
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[453]
Restaurant à prix fixe 14, rue Royale.
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[454]
Léon Contant (1846-1933), beau-frère d’André Bouilhet, directeur du magasin Christofle situé au 9, rue Royale.
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[455]
Vraisemblablement Jules-Antoine Albert Millet (1832-1898), rentier, dont un frère est parent par alliance de Jeanne Vever.
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[456]
Eugène Rouher (1814-1888), ministre de l’Intérieur sous le Second Empire ; Nicolas Changarnier (1793-1877), général français qui participa à la défense de Metz en 1870 ; François Certain de Canrobert (1809-1895), maréchal français, fait prisonnier à Metz avec le maréchal Bazaine au moment de sa reddition.
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[457]
L’étude d’Albert-Henri Yver (1839-1907) se trouve 10, rue de Châteaudun.
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[458]
Vever sert de mandataire à Victor Wendling lors du partage des biens de sa tante, Antoinette Freppel. Ces biens comprennent du mobilier, de l’argenterie, des fourrures et des rentes. Minutier central des notaires de Paris, MC/ET/XVII/1503, acte n° 300, 16 décembre 1898, AN.
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[459]
Jules Maciet (1856-1911), collectionneur français.
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[460]
François Thiébault-Sisson (1856-1936), critique d’art au Temps, directeur d’Art et décoration dont Puvis de Chavannes fait partie du comité de direction.
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[461]
Cette première exposition rétrospective de l’œuvre de Rembrandt a lieu en septembre-octobre 1898 au musée Stedelijk.
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[462]
Dans une période critique suivant les démissions du président du conseil et du ministre de la Guerre, et à l’apogée des violences parisiennes liées avec l’Affaire, des émeutes éclatent au moment de la rentrée de la Chambre des députés.
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[463]
Début novembre 1898, les forces françaises sont obligées de quitter le poste militaire de Fachoda sur le Nil sous la pression anglaise, renonçant ainsi aux ambitions coloniales dans cette région.
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[464]
Paul Roblin (1853 ? -1908), marchand d’estampes tenant boutique 65, rue Saint-Lazare, est l’expert de la vente de la collection d’estampes de Mme Paul Casimir-Périer.
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[465]
René Foy, bijoutier Art nouveau.
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[466]
Félicien Rops (1833-1898), peintre-graveur belge.
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[467]
Ce tableau (c. 1890-1905) de Jean-Jacques Henner (1829-1905) était détenu par Alexandre Bernheim (1839-1915), gérant de la galerie située 8, rue Laffitte.
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[468]
Émile Drouelle (né en 1846), négociant en diamants, perles fines et nacre, dont le commerce se trouve 7, rue Drouot.
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[469]
Plusieurs bronzes par Henri-Michel Chapu (1833-1891), d’après les statues de Jeanne d’Arc, sont produits par la fonderie ouverte en 1838 par Ferdinand Barbedienne (1818-1892).
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[470]
É. Colin & Cie, Susse Frères, fonderie parisienne.
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[471]
Eugène Laurent (1832-1898), sculpteur.
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[472]
Type de bijou porté autour du cou.
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[473]
Henri Téterger (né en 1862), bijoutier, gérant de la maison familiale Henri Téterger Fils, fondée par son père Hippolyte.
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[474]
Jules Chadel (1870-1941), dessinateur de bijoux, entre 1897 et 1904, pour Georges Le Turcq et ensuite pour la maison Vever, graveur et relieur marqué par le japonisme. Entre 1913 et les années 1920, Chadel concevra, pour Vever, une centaine de décors de reliures.
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[475]
Version française du chœur des Chasseurs de l’opéra allemand de Carl Maria von Weber sur un livret de Friedrich Kind, Die Freischütz (1821).
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[476]
Lucien Alavoine (né en 1849), décorateur d’intérieurs de luxe.
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[477]
Jean-Pierre Henri Rémon (1858-1930), tapissier décorateur français, gérant une maison 17, rue Caumartin.
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[478]
Jeanne Marcy (née en 1865), cantatrice d’origine belge.
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[479]
Le procès en révision commencera devant le conseil de guerre réuni à Rennes à partir du 7 août 1899.
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[480]
Marguerite Picard, Jean Noté (1859-1922), Marius Chambon (1864-1945), chanteurs d’opéra.
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[481]
Marie Solacroup née Hébert (1857-1933), épouse d’Émile Solacroup (1850-1927), ingénieur des Ponts et Chaussées. Le frère de Marie Solacroup, Jean-Paul Hébert, était l’époux d’Alice Monthiers-Dehaynin, cousine de Jeanne Vever.
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[482]
Située 17, rue de la Paix, la maison Camille Marchais se spécialise en fleurs artificielles et plumes pour chapeaux et robes de bal.
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[483]
Menelik II (1844-1913), empereur d’Éthiopie (1889-1913).
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[484]
Marthe Palfrène (1867-1898) dont le mari Gaston, employé de commerce, est originaire de Pont-Audemer (Eure).
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[485]
Portrait (1832) de Louis-François Bertin par Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867).
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[486]
André-Georges-Salvator Brethiot (1857-1898).
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[487]
Henri Harleux (né en 1869), ingénieur centralien de formation, frère de Charles Harleux.
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[488]
En 1900, la maison Pinet remplacera la maison de mode féminine Dieulafait au 1, boulevard de la Madeleine.
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[489]
Les salons d’exposition de la maison d’orfèvrerie-bijouterie Boin-Taburet, Henry Frères et Cie se trouvent 7, rue de la Paix.
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[490]
La maison de joaillerie Lacloche Frères s’installera au 15, rue de la Paix, en 1901.
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[491]
Louis Magdelaine, médecin français, auteur d’une thèse (1897) sur les souffles cardio-pulmonaires.
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[492]
Félix-Gabriel Dehaynin (1815-1898), propriétaire, père de Charles-Albert Dehaynin.
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[493]
Pierre-Adrien Dalpayrat (1844-1910) et son associée Adèle Lesbros, céramistes français.
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[494]
Paul Chevallier est le commissaire-priseur de la vente Vever en février 1897.
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[495]
Atelier de céramique fondé dans les années 1890, se fiant aux formules scientifiques afin de rivaliser en qualité avec la céramique produite dans des ateliers privés.
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[496]
Peut-être Louis-Eugène-Isidore Le Châtelier (1853-1924), dont le frère, Frédéric-Alfred (1855-1929), militaire de carrière qui s’était épris des cultures de l’Islam lors de ses missions en Afrique, est parmi les fondateurs de l’atelier de Glatigny.
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[497]
La boutique de l’éditeur Desgodets se trouvait 10, rue du Vieux-Colombier.
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[498]
Robert Desaint de Marthille (Dieuze [Meurthe], 1853-1905) va être promu lieutenant-colonel de tirailleurs algériens.
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[499]
James Ensor (1860-1949), peintre expressionniste belge dont l’exposition fut accompagnée d’un livre publié par la revue d’avant-garde La Plume (James Ensor, peintre et graveur [Paris, Librairie de la société anonyme « La Plume », 1899]).
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[500]
Vraisemblablement le portrait-affiche de Sarah Bernhardt (1844-1923) dans La Princesse lointaine, reproduit dans La Plume en 1897.
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[501]
Marie-Louise Leleu (née Margot), propriétaire.
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[502]
Théodore Deck (Guebwiller [Haut-Rhin], 1823-1891), céramiste.
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[503]
Mlle Deresse, directrice de l’École professionnelle et commerciale, 11, rue Vieille-du-Temple.
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[504]
Selon les règles de 1875 concernant le Sénat, les collèges électoraux dans chaque département se composent, outre les députés, des conseillers généraux et des conseillers d’arrondissement, d’un délégué du conseil municipal par commune.
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[505]
Rémy Morel, maire (mort en 1902) d’Authevernes (Eure).
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[506]
Henri Ducy (1846-1930).
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[507]
Il le restera jusqu’en 1906.
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[508]
Achille Devéria (1800-1857), peintre portraitiste et lithographe.
-
[509]
L’hôtel de ville d’Évreux a été reconstruit entre 1891 et 1895 grâce au legs, en 1874, d’Olivier Delhomme (1794-1874), notaire et maire-adjoint.
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[510]
Restaurant situé 17, rue du Havre, face à la gare Saint-Lazare.
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[511]
Émile Driant (1855-1916), militaire de carrière installé en Tunisie jusqu’à son retour en France en 1898.
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[512]
Exposition d’eaux-fortes par le peintre-graveur Théophile Chauvel (1855-1916) d’après Corot et d’autres peintres, dans les locaux de la branche parisienne de la galerie londonienne Arthur Tooth & Sons.
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[513]
Jules Desbois (1851-1935), sculpteur et graveur-médailleur.
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[514]
Félix Aubert (1866-1940), peintre et dessinateur de textiles, de papiers peints et de dentelles portant l’empreinte de l’Art nouveau. Avec le bijoutier, ébéniste et sculpteur Jean Dampt (1854-1945), Aubert fait partie du groupe « les Cinq », devenu par la suite « l’Art dans Tout ».
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[515]
Étienne Moreau-Nélaton (1859-1927), peintre, céramiste et collectionneur.
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[516]
L’architecte et décorateur Charles Plumet (1861-1928) collabore à cette pièce avec le décorateur Anthony (Tony) Selmersheim.
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[517]
Louis Ange Le Roux de Bretagne (1836-1915) avait fait construire un couvent au 127, avenue de Villiers, où s’est établie, en 1897, une congrégation franciscaine.
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[518]
Édouard Laferrière (1813-1901), gouverneur-général de l’Algérie (1898-1901).
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[519]
Frédéric de Vernon (1858-1912), sculpteur et médailliste.
11er janvier. Voilà ce qu’on peut appeler bien commencer l’année ! Pour mes étrennes, je viens d’être décoré !…
2Cela fait toujours plaisir, et d’autant plus, dans le cas particulier, que je ne pensais pas que ça irait aussi vite – Il est bien certain qu’en allant à l’Exposition de Bruxelles, je m’attendais à quelque chose, mais ce qui m’étonne c’est qu’il y a à peine un mois que l’on parle de cette promotion. Aucoc s’en est beaucoup occupé, il me donnait des annonces formelles de réussite, mais sait-on jamais comment les choses tourneront ? Ma mésaventure de Chicago est là pour me le rappeler. Et puis il y a un tel nombre de candidats, c’est effrayant. Dans la visite que nous avons faite à Berger ces jours derniers, il nous a dit que pour 80 croix il y avait 700 propositions ou demandes. C’est inouï ! Napoléon Ier avait bien raison de dire que pour une faveur qu’il accordait il faisait un ingrat et 99 mécontents – Il avait raison, sauf pour l’ingrat car je suis très reconnaissant à ceux qui ont bien voulu s’occuper de moi : le commissaire général Maurice Monthiers (qui vient d’être promu Commandeur), le rapporteur G. Berger, Krantz mon ancien commissaire gal de Chicago, Aucoc notre Président de jury et de Chambre syndicale, Louis Passy mon député – Krantz a été spécialement aimable. L’autre jour, nous étions aux Français (Les Effrontés) [1], il était dans la baignoire d’avant-scène, en famille, et il est venu exprès au foyer pendant l’entracte pour me dire qu’il avait parlé au ministre (Boucher), que celui-ci était très bien disposé en ma faveur, etc. etc. C’est très gentil et cela m’a fait plaisir –
3Si je récapitule un peu comment les choses se sont passées, ce n’est guère que le 18 décembre, à la soirée de gala de l’Opéra organisée par les Comités de 1900, qu’on en a sérieusement parlé – c’est Bouilhet, c’est Masure, c’est Duchanoy qui m’ont abordé dans les couloirs en me disant : eh bien, ça marche cette décoration, mais ne perdez pas une minute, occupez-vous-en, voyez Berger, voyez les grosses légumes etc…
4Et moi qui ne connais personne d’influent et qui ai en horreur les moindres démarches !… Ce ne sont pas les « grosses légumes » qui manquaient pourtant ce soir-là à l’Opéra, on les coudoyait, on leur écrasait les pieds !
5Depuis Félisque [2], très digne très présidentiel, très décoratif, jusque et y compris Ancelot le dévorant ; il y avait cohue de personnalités : Mme Faure, les ministres : Méline, Boucher, Lebon retour du Sénégal, Barthou, Rambaud, etc. La salle est splendide, même décor que pour les bals, mais les loges garnies de grandes gerbes de fleurs, bondées de toilettes, scintillantes de diamants – un orchestre à la place de l’amphithéâtre, des chœurs aux galeries, un orchestre au fond de la scène dont le décor représente l’Exposition de 1900 – Comme clou annoncé, les danses lumineuses, qui consistent à allumer alternativement et en suivant les notes, le rythme, d’une valse ou d’un air de danse, des milliers de lampes électriques de couleurs variées, formant des rosaces ou des soleils, pendant que rangées au fond de la scène sur une partie surélevée, ces demoiselles du ballet, au grand complet, prennent des poses gracieuses, montrent leur souplesse et ondulent leurs torses éclairés par des flots de lumière changeante – Ce n’est pas mal assurément, mais combien loin de ce qu’on avait annoncé ! Je préfère le genre Loïe Fuller [3] – foyer du public, une sélection de ces Demoiselles (Salle, Gallay etc.) [4] dansent des menuets, des gavottes, etc. La musique de la Garde Républicaine est installée dans l’avant-foyer, et de superbes municipaux en culottes blanches sont installés sur chacune des marches du grand escalier. Ces « cariatides vivantes » selon le vieux cliché officiel, font très bon effet. Sur le palier de l’escalier les ministres, Mr A. Picard, Dervillé, etc. (Ancelot aussi) attendant le Président – Présentez armes ! Le voilà, précédé du Protocole en personne – Crozier, Mollard [5] – tout chamarrés de broderie de décorations de cordons, Crozier sanglé dans son uniforme (il doit avoir un corset) ressemble à ces élégants scarabées dorés et musqués – on salue très sympathiquement Félix Faure que l’on applaudit lorsqu’il paraît sur le bord de sa loge.
6Donc c’est à cette soirée du 18 qu’on a parlé décoration et le décret a été signé le 31 – Jamais on n’avait vu les choses marcher aussi rapidement – Bravo Mr Boucher (et merci).
7Dès le 31 G. Berger m’a envoyé un petit bleu que j’ai reçu le soir, après dîner, au magasin où nous attendions mélancoliquement les clients retardataires qui auraient oublié d’acheter des étrennes – Il n’en est pas venu – mais je me consolais en savourant in petto les « félicitations bien sincères au nouveau Chevalier » de Berger – Masure aussi m’avait téléphoné et Bouilhet télégraphié pour m’annoncer la bonne nouvelle, mais je faisais toujours le mort, sachant par expérience que tant que la chose n’est pas officielle il faut être très prudent – Après Chicago j’avais de Krantz et de Monthiers les assurances les plus formelles, ils me l’avaient dit et répété, même en présence de tiers (ce qui me gênait beaucoup). C’était même tellement sûr pour eux que Monthiers nous invita à dîner pour la veille du jour où le décret devait paraître à l’Officiel, et on devait être une quinzaine de nouveaux promus s’étant connus à Chicago – C’était charmant – mais voilà qu’au moment où j’entre dans le salon, la bouche en cœur et l’air parfaitement heureux, Monthiers se précipite sur moi, m’entraîne brusquement dans un petit salon et, levant les bras au ciel selon son habitude, l’œil effaré derrière un pince-nez, il s’écrie : Ah ! mon cher ami… je suis désolé… qu’est-ce que vous avez donc fait ?… on vous a rayé de la liste en conseil des ministres aujourd’hui, je n’y comprends rien ! etc. etc. – ce fut un aimable coup de massue et un apéritif peu excitant –
8Ma femme était à côté de lui pendant le dîner, il voulut lui expliquer la chose, mais elle n’y comprenait rien, croyant à une mauvaise plaisanterie. Ce n’est que le soir chez nous (enfin seuls !) que je lui racontai le détail de cette mésaventure – Aussi depuis ai-je souvent songé qu’il y a quelquefois loin de la coupe aux lèvres, et qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir occis.
9Donc, malgré les avis officieux je suis resté coi. Le 1er janvier nous avons dîné chez maman et je n’ai pas soufflé mot, mais j’ai insisté pour qu’elle vienne déjeuner avec nous demain matin, qui est un dimanche, et je pense que l’Officiel tant attendu paraîtra enfin – nuit un peu agitée – impatience.
102 janvier. Il fait un temps superbe, je vais le matin avec Marguerite jusqu’à l’atelier pour choisir des albums japonais dans lesquels elle veut prendre des modèles de dessin, nous rencontrons Henri Depresle [6] – souhaits, poignées de main. En rentrant à la maison, je trouve la carte de Mr Passy que j’ai manqué, hélas, de quelques minutes, ainsi qu’une lettre du ministre à lui adressée, l’informant officiellement de ma nomination – puis c’est Aucoc en personne qui vient m’embrasser – joie, transports, allégresse – nous courons chez maman, au sortir de la messe, pour lui annoncer la bonne nouvelle et la ramener déjeuner avec nous – La pauvre chère femme est sur sa chaise longue, toujours souriante lorsqu’elle nous voit entrer, son bonheur est bien grand d’apprendre cet heureux événement, – elle est fière d’avoir ses deux fils décorés et son regard attendri, ses baisers si affectueux, sont la meilleure et la suprême récompense que je puisse désirer – Rien au monde ne m’est plus agréable, plus doux que de te faire plaisir, chère maman ! J’en éprouve un bien-être indicible, un réconfort abondant même pour les plus petites choses – Ah ! ce n’est pas difficile de bien aimer sa mère !
11Nous fêtons donc dans la plus étroite intimité ce beau jour, je n’en parle même pas à Thérèse, Paul seul étant dans la confidence – Nous dînons chez lui ce soir avec les P. Cornille [7], les Richard, Orléans, Lefeure & – Au moment de se mettre à table, arrive le garçon de bureau du ministère qui me remet le pli officiel définitif – Les journaux du soir publient du reste la liste et c’est alors un concert de félicitations, un enchevêtrement de poignées de mains – Maurice Trouiller [8] et sa femme viennent de suite à la maison, ainsi que Paul Cornille, me presser sur leur cœur – maman me retire mon ruban tricolore et le remplace par un ruban rouge – attendrissement, embrassades, etc. – dîner gai, toasts.
12Enfin seuls, Jeanne déclare être contente « parce que voilà enfin une affaire terminée, on en est débarrassé, on n’en entendra plus parler » – ça a été le vrai cri du cœur –
133 janvier. Voici enfin l’Officiel = Aucoc, Officier ; Lalique, Vever, Ligier [9], Chevaliers – Ce pauvre Cardeilhac [10] est resté sur le carreau. Cela me peine car c’est un très sympathique confrère, de relations sûres et agréables et nous comptions tous sur sa nomination. La liste des proposés était copieuse, il y avait certainement Écalle, Gauthier lapidaire, Coulon, André Bouilhet, et très probablement Poussielgue et Sandoz [11] – ce dernier proposé en dehors du Syndicat – Ce sera pour 1900 –
14Je descends au magasin avec ma boutonnière rougissante ces messieurs me font un accueil cordial dont je suis touché – Télégrammes et cartes de félicitations abondent, j’en ai reçu plus de 300 en quelques jours, et encore l’Officiel, qui mentionnait tous mes prénoms les avait placés dans l’ordre légal, Jean Baptiste en tête, de sorte que les autres journaux ont reproduit mon nom flanqué du susdit Jean Baptiste, de sorte que bien des personnes qui ne me connaissent que sous le vocable d’Henri sont très perplexes et s’informent adroitement (?) pour savoir si c’est bien moi.
15Quelle bizarrerie que ces états de services publiés par l’Officiel : bijoutier-joaillier à Paris – Capitaine de l’armée territoriale – Décoré de la médaille d’argent pour acte de courage – A collaboré à la création de l’école professionnelle de la bijouterie-joaillerie – Commissaire-rapporteur à l’Exposition de Chicago – Grand prix à l’Exposition de Bruxelles 1897. Or, je ne suis plus capitaine, ayant démissionné, et qu’est-ce que ce titre viendrait faire ici puisque c’est comme commerçant que je suis décoré, et puis on a omis que j’avais été Président du jury à Bordeaux en 95, c’eût été logique. Dans la même promotion, Monthiers est Commandeur, Ancelot, Aucoc, Officiers ; Duchanoy, Le Cœur, Ternisien, Chevaliers [12].
16J’ai commencé hier mes visites de remerciements, Berger, Monthiers, Aucoc, Passy, Krantz. Je ne trouve que ce dernier, fumant sa pipette de bois, qui me reçoit d’une façon charmante, comme dans la chanson, et déclare qu’en me recommandant au ministre il n’a fait qu’enfoncer une porte ouverte.
17Dans la journée beaucoup d’amis, de clients, viennent me serrer la main. L’un d’eux, Mr Henri Ber…ldi [13], grand bibliophile, en voyant ma boutonnière s’écrie d’un air pincé : tiens maintenant tous mes fournisseurs sont décorés : mon épicier, mon marchand de cirage… etc. (on n’est pas plus gracieux !). J’avais bien envie de lui répondre que je m’étonnais de lui voir conserver à la boutonnière un ruban si mal porté. Mais j’ai mis un bœuf sur ma langue et me suis contenté de lui dire que c’est qu’il s’adressait sans doute aux premières maisons de France – C’est égal, j’avais bien envie de… Ça se retrouvera peut-être, mais vraiment ce n’était pas le jour de se fâcher –
18Chez Jeanne, beaucoup de visites aussi, des félicitations naïves, des « il la méritait tant ! » etc. – Nous dînons chez nous, toute la famille réunie.
194 janvier. Toujours grande affluence de cartes et de lettres, et d’amis, de confrères venant me serrer la main – J’invite ces messieurs du magasin, et le chef d’atelier Mr Denise [14] à dîner pour jeudi, afin d’arroser mon ruban – L’après-midi, lunch de contrat [15] chez les Darche – Beaucoup de monde, jolies toilettes, exposition de cadeaux très bien organisée – le jeune Sébastien très aimable, Madame Massin (qui a fait le mariage) en grandissime toilette, l’air affairé, semble présider – Parmi les cadeaux, le portrait du couple, celui du piano, une superbe garniture de cheminée bronze genre ancien – notre petite pendule en biscuit de Sèvres, les deux amours musiciens de Paul, le grand cache-pot avec socle de maman, etc. – Buffet, chaleur, félicitations –
205 janvier. La journée se passe à écrire des cartes et des lettres de remerciements – Le conseil municipal de Noyers, les pompiers, m’ont envoyé leurs félicitations.
216 janvier. Je vais enterrer mon ancien colonel Roy [16], du 24e Territorial, il est mort en quelques jours et il avait eu l’amabilité de venir me voir il y a une quinzaine à peine, pour me remercier de mon catalogue illustré que je lui avais envoyé en février – c’était un brave homme, un peu méticuleux peut-être, mais brave homme.
22Le soir je reçois ces messieurs à dîner, toutes voiles dehors – Ils me font la très grande surprise d’envoyer une magnifique corbeille de fleurs, garnie de rubans, avec une petite croix de la Légion d’honneur piquée artistiquement dans un large nœud qui domine le tout – je suis véritablement et sincèrement très touché de leur manifestation de sympathie très spontanée, et ne sais comment les remercier – Mme Crousy-Houdard [17] avait apporté ces jours-ci, sitôt la nouvelle connue, une vieille bouteille de vin blanc mollement couchée dans un panier d’osier comme une personne précieuse, et entourée d’un petit ruban de moire rouge – Traduction : c’est pour arroser le ruban – L’idée était charmante et bien d’une femme sentimentale telle qu’elle est – Aussi étais-je heureux de la recevoir avec ces M Mmes pour lui témoigner ma sympathie réelle et lui montrer que je la considérais bien connue de la maison – Dîner très réussi – devant chaque convive (maman, Paul, Thérèse, Gaboriau, Bodier, Plessis [18], Garnier, Denise, Marguerite, Mme Crousy, Jeanne et moi) j’avais placé un petit vase japonais avec 2 roses de Nice, et chacun a emporté son petit vase en souvenir de cette soirée – La table était très jolie garnie ainsi de fleurs, et bien éclairée – Menus gravés par Ch. Houdard [19] : Velouté – Truite saumonée – filet aux grosses truffes – Perdreaux rôtis, etc. –
237 janvier. Le soir, à Cyrano de Bergerac [20], de Rostand – à la Porte St Martin – Salle comble, toilettes étourdissantes, soirée très intéressante, Coquelin avec son nez immense est très amusant. Les vers de Rostand sont superbes, les décors les costumes aussi, mais nous avons une légère déception pour ce qui concerne la pièce en elle-même. On en avait tant parlé et en des termes tellement élogieux que « la réaction étant égale et contraire à l’action », cela nous paraît au-dessous de ce que nous attendions – Beaucoup de verve cependant, une énergie et une virtuosité extraordinaires de la part de Coquelin – son fils n’est que suffisant et les autres sont médiocres. Mme Legault est bien mauvaise, inconsciemment mauvaise ! C’est dommage d’entendre de si beaux vers dans la bouche d’une pareille dinde – au foyer tous les Bouilhet Champetier de Ribes-Christofle [21] & – félicitations – shake hands –
248 janvier. Je vais voir la cousine Freppel et Mr Morlot* [22] parce que je ne pourrai pas le faire demain dimanche – Ce sont les deux personnes que j’ai informées de suite, après maman, de ma décoration – La bonne cousine en avait les larmes aux yeux, elle ne cessait de m’embrasser de me dire sa grande satisfaction. Elle est si affectueuse et si bonne. Chez l’oncle Morlot, toujours si malade si affaibli, il dormait et on l’a réveillé pour la circonstance – il pleurait il me serrait les mains ! Comme il a maigri, le pauvre homme, c’est un vrai squelette –
259 janvier. À la chasse chez Ch. Valadon [23] à Mériel. Temps gris mais bon. On déjeune cordialement avant de commencer la battue. Le bois est ravissant avec son tapis de feuilles mortes humides, une légère brume qui opalise les fonds, les gris et les roux des arbres – Pauvres lapins, ils sont si gentils et si doux c’est un véritable assassinat que de les tirer – Chaque fois que je vise je me dis : mon Dieu pourvu que je le tue raide ! J’ai horreur de les voir souffrir, se débattre, sursauter même pendant quelques secondes, sans pousser ni cri ni plainte – L’homme est un vrai barbare – Et cependant j’éprouve un vrai plaisir à chasser ! C’est bizarre et inexplicable – Au tableau 68 lapins et un chevreuil tué par Mr A. Valadon – pauvre chevreuil il était si joli, courant à travers le bois !
26En retournant à la gare, vue admirable sur l’Oise, Auvers etc. – les dernières lueurs du soleil couchant mettent des teintes idéales sur tout le paysage – Quel coup d’œil !…
2710 janvier. Ce matin à 11h ½ explosion de gaz chez Richard (Voisin) [24] l’éventailliste notre voisin – j’étais au-dessus de sa boutique, dans la chambre de Margte, lorsque l’explosion a eu lieu : un bruit sourd, suivi immédiatement du bruit assourdissant causé par le fracas des glaces de devantures qui étaient projetées dans la rue – je me précipite à la fenêtre les débris de glaces et les éventails sont jusqu’au milieu de la chaussée – Je suis instantanément en bas Mr Richard sort les cheveux brûlés la face rouge et bouffie, muet de saisissement – c’est une accumulation de gaz dans les W.C. qui a causé le mal – dégâts matériels couverts par une assurance – Lui, va chez Béral. se faire panser – Ce ne sera rien heureusement – Plessis va prévenir sa femme qui arrive tout à l’heure par le train.
2811 janvier. Mariage de Suzanne Darche avec Mr Sébastien à St Augustin brillante assistance – la mariée est beaucoup mieux qu’on ne l’aurait cru – Marguerite, un peu enrhumée, ne vient pas à l’église afin de se ménager pour le soir – Beaucoup de monde de connaissance : Placet, Linzeler [25], Davenne [26], etc. etc. On va féliciter les mariés rue de la Bienfaisance.
29Le soir, dîner au Continental [27], 160 ou 170 couverts – La table en fer à cheval : au centre du petit côté, les jeunes mariés entourés des demoiselles et garçons d’honneur ; un grand côté est occupé par la famille Darche et leurs amis, l’autre par la famille Sébastien – on se trouve ainsi chacun en pays de connaissance. Je suis entre Mme Linzeler et Mme Lecoq, mère. Menu habituel de ces sortes d’agapes – jolies toilettes – Marguerite, qui pour la première fois va dans le monde, est ravie. Elle était un peu émue en entrant avant le dîner, mais elle a repris son assurance ; je la voyais de loin à table, bavarder, rire, s’animer avec son jeune voisin de la façon la plus naturelle du monde. Les cousines Gabrielle et Suzanne sont plus guindées, plus raides – Affaire d’éducation sans doute et de tempérament – Au dessert, toast en vers par un aimable ecclésiastique – un peu long ce toast – un député Mr … porte aussi à la santé des jeunes époux et termine son speech en leur disant : faites de beaux enfants – Après le dîner, on danse, Marguerite rayonne dans sa robe neuve pourtant bien simple, mais à son âge, une robe neuve c’est tout dire. Elle danse un peu trop raide, c’est vrai qu’elle n’a que 15 ans et que c’est un peu l’âge ingrat ; puis elle est intimidée, troublée de se voir invitée par de grands jeunes gens, voire même par des messieurs, des pères de famille un peu mûrs – mais la joie brille dans ses yeux, elle s’anime, elle s’en donne de tout cœur, avec l’abandon du plaisir et de la jeunesse – Vraiment elle est très gentille, grande, fraîche, gaie, bien naturelle… Enfin c’est ma fille ! et je la considère avec des yeux de père !… et suis fier de son succès, 12 danseurs.
30Je danse avec les cousines, qui elles aussi sont bien contentes, Gabrielle est très bien. Les mariés s’éclipsent vers minuit ½ et nous rentrons vers 2h – mais ces demoiselles, malgré leur fatigue, auraient bien voulu rester encore. Jeanne avait aussi une robe neuve, sorte de tulle à gros pois en chenille noire, inégaux de dimension, sur un transparent en soie rose qui laissait lui-même transparaître des reflets blancs des dessous – c’était joli – Fred [28] fecit. Quant à moi, je produis pour la 1ère fois dans le monde mon ruban rouge – Félicitations, salamalecs, congratulations, poignées de mains, etc.
3112 janvier. Quand finira donc cette affaire Dreyfus-Esterhazy [29] !… On n’entend pas parler d’autre chose, à toute heure, en tous lieux ! Cela devient exaspérant – les journaux s’envoient injures sur injures, Zola vomit des matières fécales ; c’est à qui surenchérira l’un sur l’autre. Quel écœurement ! Voilà une campagne bien menée – mais cette agitation cet énervement comment finiront-ils ? On commence par crier « Vive l’armée » devant le cercle militaire et on finira peut-être par crier Vive… quoi ? la sociale ? Je ne suis pas plus partisan de dire « à bas les Juifs » que à bas les capitalistes… et on y viendra peut-être ?
32Triste époque, vilaine affaire dont les dessous ne seront peut-être connus que dans cinquante ans – Méline est un honnête homme ; s’il ne dit rien, s’il ne donne pas les explications qu’on lui demande, c’est qu’il ne peut pas les donner, pour des raisons majeures sans doute – Pourquoi ne pas le croire sur parole, pourquoi douter des juges et de la justice !…
3313 janvier. Les lettres de félicitations continuent à arriver – on se demande toujours pourquoi ce prénom de Jean Baptiste. Le Vexin a fait un article très (trop) élogieux qui me vaut un surcroît de cartes apostillées.
34Le soir je réunis à table mes amis [30] pour arroser mon nouveau ruban : Warée, Gillot, Kœchlin, Migeon, Callot, de Brotonne, C. Lefèvre, Le Besnerais, de Beffort, Grumbach, Joly, Paul, Ch. Houdard – Rien que des hommes – Il n’y a que Jeanne et Marguerite en fait de dames – Les menus sont les jolies crevettes à moustaches de Ch. Houdard – J’ai placé sur la table, comme la semaine dernière, un joli petit vase japonais devant chaque convive, la table se trouve ainsi garnie de fleurs – et chacun emporte son vase en partant, comme souvenir de cette réunion. Dîner très gai, très animé, bruyant. Beaucoup de cordialité – on fume comme des volcans, puis discussions particulières sur l’Art, sur la Musique etc. On décroche les eaux-fortes de Rembrandt, de Dürer, etc., on regarde quelques livres du xvie et on s’aperçoit tout d’un coup qu’il est plus de minuit ! Le Besnerais, de Beffort et Grumbach, les trois mousquetaires, les trois amis du Régiment avaient envoyé un très beau bouquet de roses et lilas à Jeanne – Soirée très réussie.
3514 janvier. On enterre ce matin Mr Donatis [31], un brave homme qui était sous-directeur de la « Providence » depuis un temps immémorial – Je crois qu’il était resté 60 ans au service de la Compagnie – Il est mort à plus de 80 ans, et sans aucun doute, du chagrin d’être mis à la retraite depuis quelques mois – Je me souviens encore de l’accueil aimable que ce bon vieillard me fit quelques jours avant son départ de la Cie. Grand collectionneur de tableaux, il les avait dans son cabinet et les murs en étaient littéralement couverts depuis le plafond jusqu’au plancher – Il y avait là de superbes Corot, des Daubigny, Diaz, Rousseau etc. Quelques Detaille et d’autres artistes secondaires que j’aimais moins. C’est à l’occasion du catalogue illustré de ma vente qu’il voulait me parler – N’ayant pas chez lui la place nécessaire pour loger tous ses tableaux, il avait voulu les donner au Louvre moyennant une rente viagère de 20 000 frs – L’État n’avait pu accepter cette combinaison et c’est bien regrettable car on aurait eu là des œuvres de premier ordre pour 20 000 frs – Le brave Mr Donatis avait même légué ses tableaux au Louvre, car il pensait mourir à son poste, mais sa santé l’obligeant à la retraite, devant le refus du Louvre de servir une rente (cela avait duré 2 ou 3 ans !) il avait modifié ses dispositions testamentaires – Il voulait faire une vente et c’est pour cela et pour son catalogue qu’il me consultait – Il a fait un catalogue, moins dispendieux que le mien, qu’il a distribué à ses amis, catalogue de souvenir de sa collection, car il l’a vendue en bloc (à Arnold et Tripp je crois) [32].
36À propos du Louvre, ces jours-ci Migeon est venu me trouver au sujet des six kakémonos de premier ordre que j’ai achetés à Bing l’année dernière, et voici comment ; Bing, éprouvé par la lourdeur des affaires en général, et par celle de l’Art nouveau en particulier, s’était défait discrètement de quelques belles pièces de sa collection particulièrement (j’en ai acquis et Kœchlin aussi). Il avait une série de kakémonos hors ligne, et Migeon était très désireux d’en faire entrer quelques-uns des plus beaux au Louvre, car ce sont des pièces qu’il est très difficile de rencontrer. Il vient donc me sonder à ce sujet, et nous tombâmes d’accord pour décider que lui, en sa qualité de Conservateur, agirait sur Bing pour l’amener à céder au Louvre les six plus rares pièces et au meilleur prix possible – Je serais là pour avancer les fonds qui ne pourraient m’être remboursés que dans un an, parce que les crédits alloués pour 1897 étaient déjà épuisés – Bref, les peintures japonaises furent choisies, on les soumit au Conservatoire du Louvre qui les déclara admirables et l’affaire fut conclue, après de longs débats, pour 15 000 frs – Seulement, comme le Louvre ne voulut pas prendre d’engagement ferme, je conservais les kakés, puisque je les avais payés, et il était convenu que je les tenais pendant un an à la disposition du musée qui les achèterait au Conservatoire en janvier –
37Or cette séance vient d’avoir lieu, on a revu les six peintures Motonobou [sic] [33]… et sait-on la proposition bizarre qu’on vient de me faire ? prendre le grand paysage de Motonobou et l’homme au crapaud de […] !… les deux meilleurs, pour 2 500 frs l’un c’est-à-dire le prix moyen ! [34] Bing voulait 5 000 frs du seul homme au crapaud, le prix d’ensemble a été obtenu avec une peine inouïe et parce que c’était pour le Louvre !… quels gens sont donc nos conservateurs ? ils sont bouchés à l’émeri !… Migeon en était tout honteux. Mon premier mouvement a été d’envoyer tout promener et de garder ces admirables peintures, ce qui m’eût fait le plus grand plaisir – Ou bien encore j’aurais compris que l’on fasse, d’accord avec moi, une répartition des prix selon l’importance des objets et que l’on choisisse ensuite – Bref je demandai à réfléchir quelques jours et le résultat de mes méditations fut qu’il valait mieux m’effacer complètement et imposer silence à mes sentiments personnels pour que le Louvre pût profiter de la chose – Je consens donc à laisser ces deux pièces pour 5 000 frs… C’est un vrai sacrifice je le fais pour les vrais amateurs passionnés d’art, présents et futurs – J’ai donc écrit à Molinier la lettre suivante, d’après l’inspiration de Migeon :
388 janvier
39Cher Monsieur, Migeon m’a apporté la réponse du comité à la présentation que vous avez bien voulu lui faire. Lorsqu’il y a six mois, des circonstances exceptionnelles obligeaient Mr Bing à se séparer de quelques-unes des plus belles pièces de sa collection, vous avez très justement saisi l’opportunité de l’occasion et l’affaire a été enlevée en 48 heures à des conditions bien avantageuses pour le Louvre – Vous m’avez alors trouvé tous deux prêts à rendre service au musée, et j’ai acheté ces six admirables kakémonos pour les empêcher de prendre le chemin de l’Amérique ou même peut-être de retourner au Japon. Mon sentiment n’a pas varié, et (bien qu’à ce prix, je ne regretterais nullement que l’affaire ne me restât totalement à mon compte – au contraire). C’est uniquement pour rendre service au Louvre, que j’accepte aujourd’hui, sans la commenter, la combinaison que le comité a dû prendre – Nous ne sommes encore qu’un tout petit nombre à Paris à connaître les formes les plus hautes de l’admirable Art Japonais, et nous sommes heureux de voir le Musée du Louvre manifester nettement et obstinément son intention de former, alors qu’il en est temps encore, une série de vieilles peintures japonaises qu’il sera seul des musées d’Europe à posséder – Veuillez agréer, cher Mr, l’express. de mes sentiments bien sympathiques HV
40Mr Molinier m’a répondu : Paris 13 janvier 98
41Mr, je serais allé moi-même vous adresser mille remerciements pour la façon si aimable dont vous voulez bien nous traiter, Migeon et moi, si je pouvais mettre le nez dehors. Mais depuis 13 jours déjà je suis condamné à l’immobilité absolue par un malheureux épanchement au genou gauche. Migeon m’a raconté ce qui s’est passé au Comité des Musées et la résistance que j’avais trouvée pour prendre un engagement ferme. Puisque vous voulez bien passer, en faveur du Louvre, par-dessus ces conditions déplorables, laissez-moi très cordialement vous remercier du bel exemple que vous donnez. Notre collection japonaise vous doit déjà beaucoup ; vous aurez doublement contribué à la fonder définitivement en nous aidant à y faire entrer des morceaux que nous n’aurions pas osé nous flatter de jamais posséder.
42Merci encore une fois, Monsieur, et veuillez agréer l’expression de mes sentiments cordiaux et dévoués. É. Molinier
4315 janvier. Ce soir, dîner des Amis de l’Art Japonais, au café Cardinal pour la 1ère fois – le dîner est bon, mais nous sommes peu nombreux : Gillot, Manzi, Haghiwara [sic], Blondeau, Gauthier, Gautruche, Lévy-Dhurmer, Morot, et moi. Je crois que c’est tout – Conversation assez animée comme d’habitude – c’est toujours intéressant. Gillot apporte deux très beaux netzkés et une admirable boîte de laque du xiiie qui passe presque inaperçue. Il y a vraiment peu de véritables amateurs !…
4416 janvier. C’est aujourd’hui dimanche ! J’en profite pour faire une petite promenade à bicyclette, la première de l’année. Il fait du brouillard et froid, à peine 1° au-dessus de zéro. Malgré cela c’est bien agréable. Le bois n’a pas beaucoup de promeneurs mais c’est si joli et si imprévu ce brouillard. Je suis la Seine presque jusqu’au point du jour, et reviens (31k. 200). Cela fait du bien –
45L’après-midi, au Conservatoire ou plus exactement, à l’Opéra [35], avec Marguerite – La dernière fois, c’était la Symphonie avec chœur de Beethoven qui était le morceau de résistance. Aujourd’hui on nous sert Les Béatitudes de César Franck. C’est bien, mais un peu monotone. Delmas est parfait, et Bartet a une voix tonitruante. Taffanel se démène vraiment trop pour conduire son orchestre, on dirait un serpent coupé en deux qui cherche à réunir ses tronçons – Mr Gillet a eu succès bien mérité dans le solo de hautbois de la Symphonie en ut de Haydn. En sortant, j’ai juste le temps d’aller souhaiter la fête à l’excellente cousine Freppel et d’aller prendre des nouvelles de Mr Morlot, avenue Henri Martin. Le pauvre homme est toujours dans un bien triste état. Pourra-t-il jamais se remettre ??
46Le soir, dîner chez les Guesnier, avec les Plum [36]. On tire les Rois. Marguerite est reine avec le petit Plum, qui porte très gentiment un toast à la santé de la reine.
4717 janvier. Mariage de Madeleine Gaccon avec Mr Beaugeon [37] – à Ste Clotilde. Nous arrivons les premiers et sommes seuls, perdus tous les trois dans cette grande église vide. Les Fouquier [38] viennent peu après et se tordent en nous voyant ainsi seuls. Peu à peu les « personnes du cortège » font leur entrée, nous emboîtons le pas. Il ne fait pas chaud en habit – Allocution de l’abbé Poulin [39] qui fait l’historique du mariage, presque depuis Adam – Sacristie – Lunch – je rentre à pied avec Marguerite. Elle est grande et gentille. Les hommes commencent à la regarder. Je crois qu’elle s’en aperçoit, qu’elle le sent. Hélas, dans quelques années ma pauvre grande fille aura un mari, des enfants, tout le train et tous les soucis d’un ménage !… Le soir, dîner chez Marguery [40], dans la grotte, Paul Monthiers [41] a arboré le grand pavois ! Sa croix de commandeur du Nichan lui pend presque jusqu’au nombril, il a à la boutonnière le mérite agricole ruban et croix petit modèle, et plus bas les grandes palmes académiques avec un large ruban violet. Il est épatant, et se prend au sérieux – Au dessert il porte un toast aux jeunes époux et au mari « actuel » au lieu de dire nouveau ! On se tord – Ensuite on danse au piano. Marguerite s’en donne à cœur joie – je suis à côté d’une grosse dame (Doré) qui a un nombre incalculable d’enfants et qui me raconte des histoires interminables. La mariée très blonde très gentille s’esquive vers minuit – Ils vont faire leur voyage de noces au Continental.
4818 janvier. Le soir aux Français, jour d’abonnement, La Vie de Bohème [42] avec de Féraudy, Albert Lambert, etc. – Ça a un peu vieilli – Beaucoup de toilettes dans la salle – les André Bouilhet etc.
4919 janvier. Dîner chez les Plum – grand décolletage – invités genre magistrature sauf les braves Guesnier – heureusement qu’on s’en va de bonne heure – Toujours cette affaire Dreyfus, Esterhazy, Zola qui défraye toutes les conversations !
5020 janvier. Encore chez Marguery – Banquet offert par la Corporation à Mr Louis Aucoc à l’occasion de sa rosette d’officier – Nous sommes 65 ou 68. Dans la grande salle gothique – Ch. Harleux [43] et Desprès [44] pour voisins très agréables. Dans 8 jours ce sera mon tour d’être fêté – puis il faudra rendre la politesse. Ce serait charmant s’il ne fallait pas prononcer q.q. paroles bien senties au dessert, cela me flanque le trac. Aucoc est à la place d’honneur, son vieux père [45], encore très vert et très jeune d’aspect – que Boucheron appelle le frère aîné de Aucoc – Discours de Mr E. Marret ancien Président de la Chbre syndle, rappelant la carrière du président actuel – Discours de Mr Hénin [46] le doyen des Vice-Présidents actuels – Discours de Mr Falco [47], président des Diamants – de Mr Mascuraud [48], Président de l’imitation, et enfin de Mr Rebeillard qui, venant après tant d’autres pour célébrer les vertus de Mr Aucoc, ne sait plus quoi dire et raconte très gentiment l’histoire de ce marchand de parapluies qui ayant une voix de stentor attirait toute la clientèle dans les rues où il passait en clamant « chand’ d’parapluies ». Il était suivi par un pauvre petit marchand qui n’avait qu’un organe très insuffisant pour crier et qui se contentait de dire après chaque exclamation de son confrère « et moi aussi ! ». Mr Rebeillard dit qu’après les orateurs qui ont pris successivement la parole il n’a plus qu’à ajouter « et moi aussi ». Je viens porter un toast… etc. on a beaucoup ri. Au cigare, je reçois des quantités de félicitations on continue à me plaisanter beaucoup sur mon prénom inédit, et on m’appelle tout le temps Jean Baptiste. Soirée très gaie.
5121 janvier. Singulière affaire, et combien délicate, que celle de Mr le Bon de l’E. Il voulait une bague rubis de 5 000 environ et, en fidèle client, nous l’avait demandée. Mais tout ce qu’il voyait de ce prix ne lui plaisait pas, c’était trop petit, pas assez beau etc. Il fallait donc augmenter la somme ; et puis, le beau rubis est chose rare, lorsqu’on veut des bagues de 15 000, le choix se fait moins nombreux – Voulant faire son éducation à ce sujet il courut les principaux magasins et trouve chez B…on [49] deux bagues à son goût : grandes, belles, avantageuses – Nous voilà donc en concurrence, et il voulait que j’aille voir chez B. les bagues en question – C’était impossible naturellement, puisqu’il est d’usage qu’on ne doit pas regarder les vitrines des confrères – mais je m’arrangeais pour avoir, à la maison, ces deux bagues pendant q.q. heures, sans que B. puisse soupçonner pour qui c’était – Mon agent secret, fin diplomate, les avait demandées pour un client particulier, et il s’y est si bien pris qu’on les lui a confiées – La comparaison avec ce que nous avions étant à notre avantage, je n’hésitais pas à faire venir le client en hâte et à lui montrer triomphalement les bagues de B. et les miennes – Il hésita, balança, etc. – Enlever l’affaire fut une question de chaude éloquence commerciale et c’était terminé à 18 000 – mais le plus beau, c’est que le client était tellement persuadé que je faisais une affaire nulle, qu’il me donna 500 frs en sus du prix que je voulais – c’est très chic.
5222 janvier
5323 janvier. Le matin, à la messe que l’on célèbre chaque année pour nos anciens camarades de Metz décédés – à la chapelle de la rue de Sèvres – Nous sommes peu nombreux, une dizaine environ – les fidèles se font rares – Dr P. Michaux – Saglio – de St Chamant – les Mounier – Paul – moi – et q.q. autres. Ensuite petite promenade à bicyclette au bois (25k). Il y a un jeune homme d’une rare adresse – Il soulève sa roue d’avant, étant en marche, et continue à pédaler sur la roue arrière, à l’instar des écuyers de haute école qui font tenir leur monture sur leurs pattes de derrière pendant que celles de devant battent l’air, plus ou moins en mesure.
54L’après-midi, chez Gillot – Callot, Lefèvre, Joly, Ch. Houdard, Paul et moi – Nous nous extasions à chaque pas devant les admirables pièces de cette magnifique collection – C’est certainement sinon la plus nombreuse, mais la plus belle qu’on puisse voir. Toutes les séries y sont représentées par quantité de pièces de choix : les laques, la poterie, les bronzes, les peintures etc. etc. Et tout cela est arrangé avec un goût exquis – Les meubles de Grasset [50], les tapis d’orient, la disposition générale est parfaite. Il semble que lorsque Gillot place un objet nouveau dans une vitrine, il agisse comme un peintre qui poserait une touche sur sa toile – C’est d’une harmonie complète et d’un raffinement exquis – Et quel homme aimable et simple !… Madame Gillot [51] vient vers 3 h ½ nous offrir une tasse de thé – Quel bon après-midi nous passons, mais après trois heures d’admiration nous sommes fatigués tous, d’autant plus que la séance s’est terminée par la si belle série de dessins de Kenzan [52], le frère de Kōrin, et que les dernières exclamations admiratives ont été épuisées complètement – Paul dit que c’est beau jusqu’à l’exaspération – c’est vrai.
55On demandait à Jane Hading [53] qu’elles étaient les trois femmes les plus « rosses » de Paris – Elle répondit : la première, c’est moi, et les deux autres c’est Reichenberg.
56Ensuite chez Morlot comme tous les dimanches –
57Le soir dîner de St Clément, chez Notta [54] – des rangs des anciens s’éclaircissent, nous ne sommes pas vingt ! – suis entre Michaux et Lepoire – Notre Président de […] est absent, indisposé – de Morlaincourt, Larivière, Saglio, l’abbé Mounier, l’autre Mounier, les deux Desforges, de St Chamant etc. – on cause du passé – on boit à mon ruban.
5824 janvier. Ce matin, rue Vézelay, chez Bing qui m’a convoqué ayant reçu du Japon quelques beaux kakémonos et paravents. Ils sont, en effet, très intéressants – Un Kōrin admirable deux échassiers largement peints en blanc, or, et rose d’une simplicité d’une liberté de dessin admirable – Dès que je l’aperçois je reçois le coup de foudre et me dis, in petto, c’est pour moi ! – Un autre kaké de Matabei (3 000) 3 personnages accroupis, très beau, intéressant, mais ne m’emballe pas – un charmant Hokusaï 2 oiseaux s’échappant de dessous une large feuille – etc. – […] Un très grand kaké de […] représentant une courtisane grandeur nature. Il est dans un état de conservation parfait, on le croirait peint d’hier. Mais il me laisse froid malgré ses qualités. Ce serait un beau panneau décoratif pour un musée. Bing en demande 6 000 frs. Quelques beaux paravents, dont un à fond d’or éteint, par Yetokou [55] (fin du xvie), sur lequel sont dessinés des cerfs et biches auprès d’une cascade, sous des arbres aux feuilles roussies. C’est un superbe décor (3 000 frs). C’est une pièce qui me tente, mais il faut être raisonnable… je n’emporte donc que le Kōrin épatant pour 2 500 frs – Impossible d’obtenir la moindre diminution de prix – La collection de Bing est encore bien belle et surtout parfaitement arrangée, il y a cette statue en bronze, extraordinaire, d’une attitude si imprévue si étrange qui nous produisit à tous tant d’effet certains soirs il y a quelques années – nous voulions tous l’acheter à l’insu les uns des autres, et c’était comique de nous voir prendre Bing à part dans un coin de son salon et lui dire : n’est-ce pas, ne la vendez pas sans me prévenir – Il prétendait, depuis, en avoir refusé plus de cent mille francs – ce serait à vérifier… Enfin la statue est toujours là, la tête inclinée sur sa main, rêveuse et faisant rêver ! – mais que de vides dans les vitrines et dans toutes les séries – Ce doit être bien dur pour un homme comme Bing que d’être obligé de se séparer de ses plus belles pièces – Les affaires sont dures et l’« Art nouveau » est dans le marasme et lui mange beaucoup d’argent. Pauvre homme, je le plains sincèrement, et on a été trop souvent injuste pour lui (il a un superbe bol plat Coréen – 2 000 – tout rapiécé). Migeon qui était au courant de l’arrivage des kakémonos et qui, les ayant vus hier, m’avait écrit un mot pressant à leur sujet, vient pour connaître le résultat de ma visite. Il me félicite très chaudement d’avoir pris le Kōrin, la seule chose qui me fut indispensable, dit-il –
59Le soir, dîner de liquidation de la Société des Bibliophiles Contemporains [56] – Hri Beraldi préside – Uzanne, Soufflot, Pce Roland Bonaparte, Robida, Rodrigues, Collet, Brivois, un américain Mr… etc. nous ne sommes que 17. Au dessert, Rodrigues, Président de la Société des 100 Bibliophiles dont je fais partie, porte un toast à ma décoration nouvelle. C’est très aimable – le Pce Roland me demande ma carte.
6025 janvier. Journée triste et grise moralement, malgré un léger soleil d’hiver qui est comme un triste sourire. La bête me travaille depuis quelques jours, cela me rend fou… je crains parfois de perdre pied, malgré toute ma volonté. J’ai beau prendre l’air, me fatiguer, travailler, lire, écrire, penser aux choses les plus sérieuses, c’est une véritable et très pénible obsession. La « femme » est toujours là, c’est une hantise, une poursuite atroce ! Je me débats pendant des heures, des jours entiers jusqu’à ce que la crise passe. Mais c’est bien dur, bien pénible, il semble que ce soient des accès de rage amoureuse pendant lesquelles je voudrais embrasser, caresser toutes les femmes. Ah ! pourquoi avons-nous un sexe !.. pourquoi souffrir ainsi. Je suis comme un caniche blanc qui veut aller se rouler sur un tas d’ordures… Et je ne veux pas céder, je ne céderai pas. Je voudrais avoir cent ans pour être délivré de ces assauts de la chair, de l’animal qui est en moi. Fringales terribles pendant lesquelles, souvent, je n’ose sortir de crainte d’aller, bien malgré moi, m’échouer dans quelque mauvais lieu poussé par une force irrésistible – non, non, je ne céderai pas, l’esprit doit dominer la bête, et ma volonté doit la soumettre – Impossible même de prier, d’élever mon âme vers le ciel, dans ces tristes occasions, tellement je suis pris ! On se sent, dans de certaines circonstances, le courage de mourir sur le champ de bataille, pour son pays, pour l’honneur, et ce serait là une action qui paraîtrait qui serait assurément héroïque et belle – mais être chaque jour en lutte avec soi-même, faire par devoir ce qui semble contraire à la nature, se dominer, étouffer les révoltes du cœur et du sens, je crois que c’est beaucoup plus dur et souvent je désire mourir pour être délivré de ces liens méprisables – Peut-être que si j’étais musulman ?… ou simplement célibataire ?… ou..
61Je suis allé ce matin pour voir le P. Didon [57], que je ne connais pas, pour lui demander conseil, comme à un médecin – Il n’est pas à Paris !.. Je voudrais connaître le nénuphar moral qui apaise le cœur – (je ne dis pas les sens, ni l’âme, mais bien le cœur affectif, le sens qui vous porte à embrasser, à caresser, à dire un débordement de paroles tendres, plutôt que le sens génésique, érotique). La prière est certes un grand calmant, un secours efficace, mais qui n’agit pas dans les grands accès… hélas !…
62Et dire qu’il suffit d’une continence un peu prolongée pour produire cet effet – Ah ! quand aurai-je cent ans !… Pourquoi être continuellement assoiffé d’idéal, pourquoi ne pas avoir une soupape de sûreté qui fasse baisser la pression du sang et des sentiments…
63Une des choses qui ont le plus contribué à me soutenir dans la vie c’est la devise que j’ai vu écrite dans le cabinet du Général Jacquot [58], à côté de la photographie de mon père : « Travailler comme si l’on devait vivre toujours – Vivre comme si l’on devait mourir demain. »
6426 janvier. Je viens d’aller consulter la pythonisse !.. Bien que je sois très sceptique pour ses oracles – Sur la vive recommandation de personnes dignes de foi, je me suis risqué dans l’antre. C’est une voyante de 55 ans élève, non de Mlle Lenormand [59], mais de Charcot [60] – Je n’en crois rien et, après tout, ça m’est bien égal. Elle s’endort elle-même en faisant miroiter un petit miroir en verre rouge – Vraiment c’est assez curieux – elle a vu des diamants, des perles, une boutique non loin du Boulevard et m’a donné des renseignements assez précis pour que mon scepticisme en soit un peu ébranlé – Elle m’annonce que je quitterai les affaires avant la fin de l’année, tout en m’occupant encore de la maison (ce serait une sorte de cession). Je changerai de domicile. Je voyagerai outre-mer – Amérique – un décès dans la famille d’une dame âgée, qui surprendra, et me peinera beaucoup – Un autre décès d’un monsieur – (pas moi) – Les cheveux de ma femme grisonneront – ma fille se mariera jeune, à 16 ou 19 ans, elle entrera dans une famille très gaie. Je vivrai vieux et mourrai sans grande maladie ni grande douleur, comme est morte une de mes parentes âgées – Je serai bientôt volé, deux objets importants au magasin probablement – ce sera dans 6 semaines ou dans 6 mois – on découvrira le vol et le voleur qui n’en est pas à ses débuts – Il y a aussi quelque chose de fâcheux concernant Maria (une montre ou horloge, une brûlure, un décès dans sa famille qui l’obligera à retourner dans son pays ?) – faire attention à un accident de voiture – on apprendra très prochainement un mariage – mon frère aura beaucoup d’enfants (je t’crois). Les affaires vont par soubresauts jusqu’au Grand Prix et seront ensuite très calmes. Je perdrai de l’argent sur des valeurs minières, cette perte sera causée par une guerre, ou insurrection, ou invasion dans le pays minier – Perte ou difficultés dans une rentrée d’argent prêté. Il sera curieux de voir si quelqu’une de ses prédictions se réalise, et puis, j’y retournerai dans quelque temps pour voir si elle dit encore la même chose.
65Chez la cousine Freppel – ses domestiques sont revenus à l’improviste, malgré elle, s’imposer avec leur enfant – La pauvre cousine est affolée, elle nous a envoyé hier soir un télégramme : Venez l’un ou l’autre ce soir – J’y cours et la rassure – on les mettra à la porte, et s’il le faut ira chez le commissaire de police – Aujourd’hui j’y retourne plusieurs fois, les choses s’arrangent à l’amiable et le déménagement se fait tout doucement –
6627 janvier. Ce matin, à l’enterrement de la mère d’Isaac [61] Ste Clotilde – beaucoup de monde, très sympathique –
67Le soir, chez Marguery – c’est le banquet que m’offrent les membres de la Corporation avec lesquels je suis en relations amicales [62] :
68[Vever insère ici un diagramme indiquant les noms des convives y compris ceux qui se sont excusés pour cause de deuil ou de voyage].
69C’est cet excellent Félix Desprès qui a organisé cette petite fête en l’honneur de ma décoration. On me fait un accueil très cordial et tous me témoignent beaucoup de sympathie. Je suis à la droite de Aucoc, qui préside – puis à ma droite Boucheron Boin Labouriau etc. Paul est à la gauche du Président, puis Massin Radius etc. En face, au centre Hénin le plus ancien Vice-Président ; à sa droite, Mascuraud, Soufflot – à sa gauche Chaveton, Langoulant, etc. Excellent dîner : Huîtres de Zélande – Potage Bisque et oxtail, hors-d’œuvre, crevette beurre harengs Russes – sole maréchale – Râbles de chevreuil Grand Veneur – Poulardes truffées Rossini – Sorbets fine champagne – Bécasses et perdreaux – Salade – Pâté de foie gras de Strasbourg – asperges sauces crème – glace sucrée – gaufres – fromages, fruits, dessert – Vins : Chablis Moutonne 1884 – Médoc en Carafes – Château Morin 1885 – Beaune Hospice Bourgogne 1881 – Champagne Moët – Café – Liqueurs – Cigares – Au champagne, Aucoc se lève et porte un toast, rappelant mes services, les expositions successives depuis 1878 où j’étais gardien de la vitrine [63], jusqu’à présent. La surprise causée à tous par notre belle exposition de 1889 notre succès à Moscou à Chicago et enfin à Bruxelles – Il en dit longuement… cela me paraît interminable, je sens mon cœur qui bat, ou plutôt je l’entends – Puis c’est à mon tour de répondre, je suis horriblement ému – Je remercie, je suis confus des paroles trop élogieuses du Président – je suis bien heureux très flatté de voir autour de moi les maîtres, les sommités de la Corporation – c’est un bien grand honneur c’est une grande joie – J’associe mon frère au toast au succès à la récompense qui m’est décernée – je continue à parler sans savoir, sans voir, la voix tremblante d’émotion, la main chancelante en tenant ma coupe de champagne et quand je m’arrête tous se sont levés tendant leurs verres, applaudissant etc. Ça a été très chaud – Ensuite Boucheron prend la parole, il parle de papa qui fut un Président si droit si entêté dans la ligne droite, il me remercie d’avoir fait un don (1 000 frs) à la société la Fraternelle dont il est le Président – Marest riposte à son tour et me remercie aussi d’avoir donné la même somme (les étrennes que j’ai reçues de maman) à l’Orphelinat de la Bijouterie – je suis confus je voudrais disparaître sous la table – Puis Mascuraud qui nous couvre de fleurs Paul et moi, puis Boin… enfin je ne sais plus où j’en suis. Il est temps que ça finisse on se lève de table, on allume d’excellents cigares et la soirée se passe jusqu’à minuit en causant très amicalement avec tous ces bons amis, les uns après les autres, en alternant les conversations avec des toasts particuliers au curaçao (on monte une scie à Desprès qui aime beaucoup ce curaçao) on fume on s’anime, et enfin on part – Temps magnifique, soirée étoilée pour rentrer – Je donne rendez-vous à tout le monde pour le 14 février.
7028 janvier. Grâce à l’entremise de Mr Fauré (-Lepage) [64] j’ai des places pour la série du mardi à la Comédie-Française (Balcon 87-89). J’espère que Jeanne va être contente car elle paraissait beaucoup le désirer et c’est pourquoi je suis si heureux d’avoir réussi dans mes démarches – Malheureusement ces places ne sont qu’une rétrocession d’un abonné, pour cette année seulement – le but sera de devenir titulaire. Je pense qu’il ne faut pas désespérer et qu’avec des protestations on y arrivera.
71Je vais à Belleville, faire des recommandations au concierge de la rue Julien-Lacroix au sujet d’un locataire qui se plaint.
7229 janvier. Le cousin de Mr Plessis, Mr A. Flé [65], m’ayant invité à faire la fermeture de la chasse aujourd’hui, je pars pour Villepreux les Clayes – La campagne est magnifique, couverte de gelée blanche et frileusement enveloppée d’un léger brouillard. Nous déjeunons en arrivant et allons retrouver à 11h Mr Nagelmackers, directeur de la Cie des Wagons-Lits, et ses invités, total 10 fusils – on commence par une battue en plaine sur les terres de Mr Flé – on se poste au pied du talus du chemin de fer, le dos au soleil, il fait très bon – Il y a à peu près 30 rabatteurs avec de grandes blouses blanches sur lesquelles sont appliquées de gros numéros en toile rouge – Ils tiennent de grands drapeaux mi-partie blanc et rouge, qu’ils agitent en poussant quelques « hourvaris » pour faire lever le gibier. Ils sont assistés de 4 gardes en uniforme. Nous entendons, voilées par le brouillard léger, les compagnies de perdreaux qui « rappellent », nous commençons à en apercevoir quelques-uns. Puis ils se rapprochent et, les rabatteurs se rapprochant, les pauvres perdrix tombent sous nos plombs – 14 victimes – nous allons ensuite dans les bois de Mr Nagelmackers – (Nagel tout court pour la conversation courante). On immole force lapins – un chevreuil passe et est manqué – on le porte dans un carré de bois où le faisan pullule – C’est à peine si on a le temps de recharger son fusil. J’en abats 7 en quelques minutes, sans compter les lapins qui courent de tous côtés – Au total 150 pièces : 14 perdreaux – 8 lièvres 28 faisans et 100 lapins (99) – on rentre vers 5 heures les jambes un peu fatiguées – Dîner chez Mr Flé – MrMme Plessis, Mr Cathelain, des parents etc. – Les chiens viennent faire leur visite pendant le dîner : le vieux Pirame et Mirza, très jolie chienne, qui vient d’avoir des petits ces jours-ci dont on veut bien me promettre un. Cette bête est fine et intelligente elle a des yeux qui parlent, des yeux de « monde » comme le dit un petit garçon qui est là – Retour à Paris par un brouillard intense – Le petit chien qu’on me garde s’appellera Cyrano –
7330 janvier. J’ai dormi trop tard pour faire de la bicyclette ce matin du reste il fait froid, il vente, il y a beaucoup de brouillard. Après déjeuner, nous allons à l’Exposition du Cercle Volney [66] avec Jeanne et Marguerite – Il n’y a rien de bien transcendant : de beaux portraits de Benjamin-Constant, un Jules Lefebvre froid et impeccable comme toujours, un Bouguereau de parfumeur – un bon paysage de Gosselin & – Ensuite à l’Expost de Français, à l’École des Bx Arts – Beaucoup de choses très intéressantes : d’admirables dessins et aquarelles, des tableaux rappelant certains Corot anciens. Toujours beaucoup de conscience et un dessin irréprochable – Je préfère les études et les petites toiles aux grandes tartines dans lesquelles les détails sont beaucoup trop nombreux et trop marqués – Mais quelle existence de travail pour produire tout cela – Ce brave père Français je me souviens l’avoir vu à l’Exposition centennale de 1889 en extase devant les Corot, se parlant tout haut à lui-même : « c’est admirable !.. c’est prodigieux… quelles merveilles !.. » etc. allant d’un tableau à un autre, s’écriant : « quel chef-d’œuvre !… j’ai vu faire celui-ci…et celui-là…et cet autre ». Je suis resté une heure à le suivre, à le contempler, admirant ce beau vieillard qui, plein de talents, et malgré son grand âge admirait longuement les œuvres de ses amis disparus. La dernière fois que le vis, c’était à l’exposition de ma vente à la Galerie Petit, il y a juste un an – il était très vieilli et s’arrêtait longuement devant les tableaux, soutenu par son domestique – Il semblait ne pouvoir s’arracher à la contemplation des œuvres de ses amis Corot Rousseau Daubigny etc. – et c’étaient toujours les mêmes cris d’admiration ! C’était un brave homme.
74Nous allons ensuite à pied chez Mr Morlot, en suivant les quais, les Invalides etc. Il fait beau et bon, il y a foule dehors – on regarde les chalands qui déposent sur les quais des amoncellements de pierres meulières pour le Pont Alexandre III. Les grues à vapeur travaillent avec activité, les badauds suivent des yeux le mouvement de la caisse qui se vide automatiquement – on démolit la Cour des Comptes et la Caserne Quai d’Orsay – J’espère que notre ami Laloux [67] va nous faire une Gare d’Orléans qui sera une merveille – De loin on aperçoit ce qui reste du Palais de l’Industrie : le fronton, les grandes statues – puis les échafaudages, comme des tours carrées, pour la construction des nouveaux palais – L’esplanade des Invalides est éventrée. Il y a une excavation énorme en face le nouveau pont – ce sera aussi une gare – Le soir dîner chez maman.
7531 janvier. Je vais à la mairie pour mon extrait de naissance que demande la Chancellerie [68] – On me renvoie quai Henri IV aux archives de la Seine parce que dans les mairies ils n’ont les registres de l’État Civil qu’après 1860 [69] – Au quai Henri IV, on me renvoie au Palais de Justice 104 marches à monter, me dit en souriant l’employé… Enfin, ça y est. En passant, entré à la Morgue. Il y a là quelques macchabées qui n’ont pas très bonne mine – ils ont vraiment l’air d’avoir froid.
76Je vais revoir les admirables estampes de Henri Rivière, éditées par Verneau, qui sont exposées en ce moment au théâtre Antoine – Sous les titre de Les Aspects de la nature [70], les douze compositions sont très réussies, principalement le Soir d’été – Le Ruisseau – l’Île – La baie – Le Bois l’hiver – Le Crépuscule, et Le Coucher de soleil – format 64 × 90 prix 10 frs – c’est pour rien – 20 frs encadrés – Je ne puis résister au plaisir d’écrire un mot à Rivière pour lui exprimer mon enthousiasme. C’est, à mon avis, ce qu’il a fait de mieux jusqu’à présent.
771er février. Ce matin enterrement du libraire Morgand [71], un connaisseur et un brave homme – Voilà près d’un an qu’il se sentait mourir (maladie de cœur) il a réglé tranquillement toutes ses affaires, a cédé cet été sa maison à son employé Rahir, d’une intelligence rare, a fait lui-même sa lettre de faire-part et est parti pour un monde meilleur. L’église St Vincent de Paul était pleine de monde – tous les bibliophiles et les libraires – belle musique. À la même heure on enterrait à la Madeleine Péan [72], le maréchal des chirurgiens. Mort lui aussi en pleine connaissance, d’une pneumonie – j’avais eu, hélas, l’occasion de le connaître puisque c’est lui qui opéra mon pauvre père !… c’était un colosse, l’air grave, un peu pontife, l’air commun. Il aimait les honoraires copieux.
78On a aussi enterré l’acteur Taillade [73] –
79L’après-midi je reçois la visite de Mr le curé de Dangu qui me félicite de ma croix – je lui remets les 2 400 frs de la quête de Marguerite.
80C’est aujourd’hui l’anniversaire de ma vente de tableaux chez Georges Petit. Quel souvenir !… J’étais nerveux alors et il y avait de quoi !… Les deux mois qui ont précédé cette vente ont été employés à la confection du catalogue, et quel catalogue !… Reproductions en photogravures retouchées à l’eau-forte – j’allais tous les jours chez Petit pour surveiller tout cela – Le papier choisi fut le plus beau qu’on put trouver, les caractères d’impression furent neufs, le tirage très soigné – Mr Augry [74], le directeur de l’imprimerie Petit, se multiplia – Tirage à [Vever laisse un vide dans le texte] exemplaires dont [Vever laisse un vide dans le texte] sur chine, avec les gravures.
81Je fis imprimer, en rouge, en tête de chaque exemplaire, les noms des amis et connaissances – cette attention fut très goûtée – malgré cela q.q. envois sont restés sans réponse –
82Ce catalogue a coûté près de 35 000 frs !… les exemplaires faisaient prime, on a été jusqu’à offrir 100 frs pour un exemplaire ordinaire, et il n’en a pas été vendu un seul. 188 numéros dont 118 peintures 17 pastels 14 aquarelles 28 dessins 11 sculptures – Le total des deux jours de vente a produit près d’un million.
83Trois jours d’exposition et quelle foule ! et quelles élégances on s’écrasait – Tout le monde en parlait dans Paris, il y avait des articles dans tous les journaux – Je voulais garder l’anonymat jusqu’au bout, et la vente ne désignait que la Collect HV – mais peu à peu l’incognito a été percé. C’est inouï ce que j’ai eu de visites et de demandes de catalogues – Le duc d’Aumale, Félix Faure, le Tsar Nicolas II ont eu chacun un exemplaire sur Japon avec double suite des gravures, imprimé spécialement pour eux – Il y a eu encore quelques exemplaires sur Japon pour de très rares privilégiés : Chauchard, G. Petit, Paul, l’oncle Morlot, moi-même, l’excellent Mariani [75].
84Toutes les notabilités, toutes les intelligences de Paris ont été à l’exposition qui était vraiment très belle : 3 Cazin [76], 14 Corot Degas Claude Monet Renoir Lebourg Sisley Puvis de Chavannes Meissonier etc. voir le catalogue.
852 février. Hier soir, nous avons dîné chez les Fouquier, avec Jules, les Valadon, Mme Fouché, etc. très gentilles les demoiselles Fouché. Il fait une chaleur atroce dans l’appartement. On cause musique ; au fumoir Jules Écorcheville nous montre quelques vieux livres de musique très intéressants.
86Nous avons de mauvaises nouvelles de Mr Morlot… il a une congestion pulmonaire, le Dr Burlureaux [77] ne dissimule pas ses inquiétudes.. J’y cours, il est fiévreux mais respire facilement. il faut attendre quelques jours pour être fixé !…
87Ce soir dîner chez André Bouilhet.. Son appartement est très gentiment [sic] ; la salle à manger blanche, portes en glaces à petits carreaux – des fleurs jetées sur la table, surtout en biscuit de Sèvres (groupe) posés sur des glaces, jolies assiettes L. XV tout blanc cristallerie de bon goût – Après le dîner, André me fait voir la chambre à coucher, petite mais charmante – Grand lit bas en bois sculpté naturel, portes en glaces à petits carreaux avec un œil de bœuf ovale au-dessus – Tout blanc avec panneaux en moire jaune – très joli.
88Au cigare, Mascart, Masure, etc. on en raconte de plus ou moins fortes (chicot = reste de dent) etc.
89Dans la journée, Haghiwara est venu au magasin donner la commande de deux corbeilles de mariage, de 50 000 frs chacune, pour deux jeunes princes japonais qui se marieront dans q.q. mois. La commande a été passée sur des photographies et des dessins que nous avons confiés à Hayashi au moment de son départ pour le Japon. On nous donne toutes les explications nécessaires, la grosseur des poignets, du cou etc. Ces Japonaises doivent être bien petites et bien mignonnes – Cette commande me suggère l’idée d’aller en faire la livraison moi-même au Japon ?… Depuis deux ans, Hayashi nous a envoyé pas mal de clients japonais, et des personnages importants : le marquis Itō, Président du conseil, le Prince Tokugawa, etc. etc. Il y a évidemment là quelque chose à faire, des relations à créer, des affaires à tenter – Et lorsque la Cour aura commencé à porter des diamants, les hautes classes suivront l’exemple – on ne veut que du diamant ; pas de perles ni de pierres en couleur – Il me serait facile d’aller à Tokio avec un choix de jolis bijoux, faire peut-être une petite exposition chez Hayashi, lancer la chose par les journaux du pays, inviter les gros personnages avec lesquels Hayashi est du reste en relations (c’est un homme universel), me faire présenter à la Cour avec mes joyaux, etc. J’ai la conviction que cela amènerait des affaires importantes sinon immédiates, mais prochaines – Et puis, à la veille de l’Exposition de 1900, le moment me paraît des plus favorables cela nous créerait une clientèle nouvelle, et, par le temps qui court ce n’est pas à dédaigner – Les nombreux Japonais qui viendront en 1900 connaîtraient déjà la maison, et, avec Hayashi comme rabatteur ça devrait très bien marcher – Cette idée me trotte dans la tête, me hante, je la tourne et la retourne en tous sens et elle ne me paraît pas du tout déraisonnable. Me voilà tout enflammé à l’idée d’un pareil voyage, ce serait là une occasion vraiment unique et avec un but utile.
903, 4, 5 février. Nous sommes très inquiets de l’état de santé de Mr Morlot, sa congestion pulmonaire fait des progrès – j’y vais tous les jours, plusieurs fois – le Dr Burlureaux ne dissimule pas ses appréhensions… j’y passe la nuit du 5 – Pauvre brave homme, il m’aperçoit vers 3h du matin à son chevet, et s’écrie : ah bien, si Henri est ici à cette heure-ci, je n’ai plus qu’à plier bagage !… Je le rassure de mon mieux en lui expliquant ma présence par la nécessité de soulager le service des personnes qui passent la nuit auprès de lui – Que c’est donc triste de voir quelqu’un comme lui, énergique, luttant contre la mort, et de se dire qu’il n’en restera plus rien dans quelques jours !…
916 février. Au Conservatoire (Opéra) avec Marguerite – Concert très ordinaire – seule, la musique de St Saëns (La Lyre et la Harpe) [78] m’a intéressé – Et puis, malgré moi, je pense à Mr Morlot…
927-8 février. Toujours chez Mr Morlot, avenue Henri Martin ; il n’y a plus d’illusion à se faire – les injections de quinine sont impuissantes, la maigreur du mourant est effrayante je n’ai jamais rien vu de semblable, c’est pire qu’un squelette, c’est plus maigre que nature – Les bras sont gros comme des verres de lampe, et les jambes à l’avenant… il conserve toute sa lucidité d’esprit et parle encore de temps en temps –
939 février. Mr Morlot est mort ce soir à 9h moins 10.
94Un Carme est venu ce matin le réconcilier avec Dieu – il lui a dit : aimez-vous Dieu ? – oui – répétez après moi : Mon Dieu je vous demande pardon, mon Dieu je vous aime – Et le pauvre Mr Morlot répétait distinctement et lui a fait faire le signe de la croix – Un peu après il était plus calme, moins farouche moins agité – Ses yeux fiévreux et enfoncés n’avaient plus la même expression méchante ; il a appelé encore Mme Morlot « mon petit chien chéri » en lui serrant la main, comme aux meilleurs jours – L’après-midi, le Carme est revenu et lui a donné l’extrême onction – Petit à petit il s’est affaibli, mais en ayant des quintes atroces, des gargouillements d’homme qui se noie épouvantables… Après chaque quinte la respiration s’arrêtait pendant 8 à 10 secondes… puis pendant 12 à 15 secondes… nous sommes restés jusqu’à près de 7h près de lui à le regarder se débattre, impuissants, angoissés !.. nous dînions chez maman il fallait absolument y aller – et lorsque nous sommes revenus à 9h il venait de mourir à l’instant – Le pauvre homme est bien délivré de ses peines depuis 18 mois qu’il souffrait !… C’est un véritable soulagement.
9510 février. Télégrammes, lettres, cartes, il faut prévenir les amis, il faut décommander les réunions les dîners… triste journée – Le mort est calme sur son lit, affreusement pâle, un chapelet noué autour des mains – on est étonné de le voir si tranquille, de ne plus entendre cet horrible râle, ces quintes désespérées… Déclaration à la mairie, faire-part – adresses etc. – Le soir à 8h mise en bière – Quel cruel spectacle. Quelle minute douloureuse que celle où on jette le dernier regard sur cette figure pâle, où l’on grave pour la dernière fois dans la pensée les traits de celui qu’on recouvre d’un suaire…
9611 février. Je reste à la maison pour remettre un peu à jour mon arriéré de cette semaine – Hier matin séance à la Chbre Syndle réunion du comité de 1900 – on nomme les sous-commissions : de l’Expn contemporaine, de l’Expn centennale rétrospective, de l’Expn du Travail – Je fais partie des 2 premières, et suis Président de la seconde, avec Roger-Milès comme secrétaire – C’est moi qui l’ai demandé mais il écrit vraiment d’une façon bien illisible pour un secrétaire !…
97Ai écrit une longue lettre à Hayashi…
98C’est ce soir le Bal de la Corporation, au Grand Hôtel [79]. Le placement des billets a été plus difficile que d’habitude. C’est Paul qui est le Président de ce Bal – il s’en occupe beaucoup et se donne bien du mal – nous ne pourrons y assister, naturellement – nous devions aussi aller au Bal des Bouilhet, et à celui de l’Hôtel de Ville – ce sera pour une autre année.
9912 février. Enterrement Morlot – nous sommes avenue Hnri Martin dès 8h – le service a lieu à St Honoré d’Eylau à 9h (2e classe église 4e classe Borniol) [80] beaucoup de fleurs, de couronnes, on ne se croirait pas en hiver – il fait beau, mais le brouillard fait son apparition et devient intense le soleil ne semble plus qu’un gros pain à cacheter. Service à l’église très bien, poignées de main, condoléances etc. Nous partons ensuite dans les carrosses de deuil par la Gare St Lazare, escortant le cercueil placé dans un fourgon – plombage du wagon – Déjeuner rue de la Paix avec Mme Morlot, Mme Gille, Mrs et Mmes Paul et Léon Monchot [81] – après déjeuner nous avons une petite alerte parce qu’en voulant entrer au salon, il est plein d’une fumée très épaisse qui fait croire à un incendie. C’est la trappe de la cheminée qui s’est fermée toute seule – on aère et il n’en reste plus que l’odeur – Nous partons pour Vernon où a lieu l’inhumation – Il fait un temps merveilleux le brouillard n’obscurcit que Paris et cesse aux fortifications. À la gare de Vernon, la société de secours mutuels attend avec la bannière – on se rend à l’Église à pied avec les chantres, le clergé etc. La cérémonie religieuse est bien province – de maigres tentures sur lesquelles se détachent des écussons à attributs enfantins : une urne, des larmes, une ancre, une couronne d’immortelles (la bouée de sauvetage, comme dit Garnier) etc. Les chantres sont ridicules – on nous a fait entrer (les messieurs de la famille) dans les stalles du chœur et nous avons juste devant nous un petit jeune organiste à l’air candide et niais qui joue de l’harmonium, flanqué de deux chantres énergiques qui ont l’air de vieux grognards – L’un d’eux, celui qui est de mon côté, a une paire de moustaches en fil de fer, longue de 15 centimètres et en forme de faucille ou de défense de morse. Elles sont accrochées sur sa lèvre supérieure, la pointe en bas, menaçantes, et s’agitent pendant qu’il chante – Ses sourcils broussailleux son air farouche s’accommodent mal du surplis et du bonnet de prêtre. Son compagnon n’est pas moins grotesque – Et à la fin de la cérémonie, ils se mettent à chanter tellement faux c’est une telle cacophonie qu’un vicaire accourt vers l’harmonium pour le faire cesser… malgré la tristesse de la cérémonie on a positivement envie de rire – On se reprend, en route pour le cimetière, sur la route fraîchement empierrée où le pied tourne, dans les ornières dont le fond est en glace malgré le bon soleil. À chaque fenêtre à chaque porte les curieux se montrent, admirant les fleurs du corbillard, les belles couronnes qui viennent de Paris. Au cimetière, défilé de tous les braves gens qui sont venus jusqu’à la dernière demeure – poignées de mains, etc. – on voit des redingotes de coupe ancienne, des « hauts de forme » antédiluviens – nous rentrons à temps pour le train qui nous amène dîner à Paris –
Fig. 12. Réunion des familles Monthiers et Morlot Au 1er rang : Marguerite et Jeanne Vever (à gauche) et Mme Morlot, tante de Jeanne Vever (à droite) Au 2e rang : Jean-Hilaire Monthiers, père de Jeanne Vever (au centre)
Fig. 12. Réunion des familles Monthiers et Morlot Au 1er rang : Marguerite et Jeanne Vever (à gauche) et Mme Morlot, tante de Jeanne Vever (à droite) Au 2e rang : Jean-Hilaire Monthiers, père de Jeanne Vever (au centre)
10013 février. À Neuilly, chez Mr Blondeau qui me demande depuis si longtemps d’aller le voir. Il est très bien installé, petit hôtel avec grand atelier garni de tapisseries, encombré de bibelots – Un beau portrait [82] de Mme Blondeau par R. Collin, des études du même Raphaël qui est son ami – Un peu de tout sur les meubles dans les vitrines, du japonais, de l’italien, du grec – C’est un peu bric à brac et les choses transcendantes sont rares – Il me faut cependant tout admirer, et le propriétaire ayant l’oreille un peu dure je finis par presque m’enrouer. Salon, cabinet de toilette salle de bains, on me fait faire très aimablement la visite complète – En sortant, je rencontre l’ami de Beffort qui me présente sa femme que je ne connaissais pas – Retour en tram, il fait beau et doux – Visite à la cousine Freppel qui est toujours dans ses ennuis de domestiques – Le soir, dîner chez maman avec Mme Morlot que je reconduis ensuite avenue Henri Martin –
10114 février. Ce procès Zola ne finira donc pas bientôt [83] ? C’est assommant, c’est énervant. On ne parle que de cela, on discute, on s’agace ! Et les affaires sont complètement arrêtées – Si ça continue encore quelque temps, on finira par se cogner dans la rue. Quelle triste chose que ce procès et tous ces incidents d’audience ! Comme s’il n’y a pas plus de raisons de croire à la parole des Boisdeffre, Billot, Mercier [84] et autres généraux qu’aux vénimeuses insinuations des Juifs et de ce méprisable Zola !…
102Le matin, chez Aucoc, qui me fait signer le procès-verbal de ma réception dans l’Ordre, bien qu’il ne doive me donner ma croix et l’accolade qu’à mon dîner du 12 mars, remis à cette date par le deuil Morlot.
103Je retourne à l’Expn Français qui me fait un effet encore plus satisfaisant que la 1re fois – Quel travail énorme et consciencieux !.. C’est renversant.
10415 février. Reichenberg, la petite doyenne, apporte au magasin une bague qu’elle désire échanger. Dès la première inspection cette bague ne sort pas de chez nous, l’écrin ne ressemble en rien aux nôtres ; seule, la griffe est authentique. Elle a été décollée d’un de nos écrins. C’est un vrai vol que de mettre ainsi notre nom sur des bijoux achetés au coin du quai… Les clients ont vraiment parfois du toupet. Nous exprimons à Mlle Reichenberg tous nos respects. Paul Hébert [85] vient me demander de lui faire un dessin de boucle de ceinture avec iris – Voilà qui me plaît et qui m’intéressera à chercher –
10516 février. Je retourne encore à l’Exposition Français, avec Paul. Nous trouvons, ensemble, que c’est un homme épatant tout de même et qui n’a pas été apprécié comme il le méritait. Il fait un temps splendide, une température délicieuse, une véritable journée de printemps – Passant par hasard devant chez la pythonisse, j’y entre et me fais raconter des histoires pour mes cent sous. Je lui demande de me dire comment je m’appelle et après quelques tâtonnements, elle finit par dire qu’elle voit des V, et que ça finit en R – Elle dit Veber – C’est très curieux – Elle me parle d’un grand voyage que j’entreprendrai prochainement au-delà des mers, plus loin que le Caire, et qui me sera très profitable – Je partirai avec un Mr qui s’appelle Charles qui est décoré et blond, a de la barbe un peu grisonnante (Gillot ?). Ce compagnon de voyage restera en route plus longtemps que moi – C’est d’ici q.q. mois – ma femme n’y viendra pas – j’irai aussi en Amérique (tout de même si mon voyage au Japon a lieu ce serait drôle). Elle me reparle d’un vol commis par quelqu’un de la maison, il y aura une bague, j’aurai des ennuis avec mon personnel – Je céderai ou j’agrandirai ma maison au retour du voyage – Ma fille se mariera jeune, elle aura plusieurs prétendants dont un très brun, presque mulâtre – (oh ! là là) (voir 26 janvier) Je ferai des affaires importantes à l’étranger, une surtout au retour de mon voyage –
10617 février. Temps délicieux au bois ce matin à bicyclette, et cependant pénurie de promeneurs – c’est à peine si j’ai rencontré une dizaine de bécasses – Et pourtant les lilas commencent à montrer des bourgeons entr’ouverts de petites pousses vertes, encore bien timides, mais qui ont déjà forme de feuilles.
107Après déjeuner je retourne à l’Exposition du Cercle Volney qui me fait une impression bien terne.
108À l’enterrement du père de Clary (Thomas) mort à 84 ans (N.D. de Lorette).
109Je travaille toute la journée à entrer les marchandises c’est une fameuse corvée, et abrutissante… mais je pense tout de même pendant ce temps à mon voyage possible au Japon !…. J’en dis un mot à Migeon qui bondit de joie et voudrait bien qu’il se réalise (et venir avec moi). J’en parlerai à Gillot, qui serait le compagnon de mes rêves, afin qu’il y songe si l’éventualité se produirait mais… hélas – il y a loin de la coupe aux lèvres (qui sait ?).
11018 février. Continuation de l’entrée et de la sortie des marchandises je serai content d’en voir la fin. Jeanne a perdu son porte-monnaie hirondelle hier dans l’omnibus en revenant de Passy, et j’ai appris le mariage de Mr Davenne – sont-ce les prédictions de l’oracle qui se réalisent ? Cela me donne envie d’en consulter un autre et je vais chez une élève de Desbarolles [86]… Je questionne sur mon voyage projeté – aura-t-il lieu ? quand ? réussira-t-il ? – L’examen attentif des lignes de ma main dit que je ferai un très long voyage, qu’il sera sur le point de se faire, mais sera retardé – il se fera cependant, certainement, mais probablement l’année prochaine. Le point de départ des réponses étant que j’ai 43 ans voici les dates essentielles de ce qui doit se passer, très résumées : de 44 à 45 ans, de la prudence, ne pas me livrer, ne pas prendre d’engagements importants, attendre, de façon à rester libre pour 45 ans – à 45 ans, je ferai un effort considérable qui réussira (1900 ?) – à 46 ans, être prudent sous le rapport affectif, ne pas me laisser emballer – à 47, nouvel effort couronné de succès – 45 et 47 sont deux années à effort et succès – à 49, grand résultat très satisfaisant – Entre 49 et 50 affection tendre dont je serai très heureux – je puis m’y laisser aller – à 52 c’est l’année de crise – crise morale ou physique (découragement ?) dont je triompherai à 54, augmentation matérielle, heureux résultats – à 57 nouveau départ de mon activité, de nouvelles affaires heureuses viennent se greffer sur ce qui existera à cette époque – C’est le point culminant de 57 à 62 ans – il y aura là des choses d’utilité générale très importantes et très heureuses pour moi – à 62 ans, changement de vie, et à 66, événement heureux, rayonnement de ma vie – Je vivrai vieux et sans infirmités, pas de mort violente, je jouirai d’une verte vieillesse au moins jusqu’à 82 ans – Et voilà !
111Les questions cœur et affection me paraissent bien fausses et incompréhensibles puisque je suis un époux d’une fidélité irréprochable – c’est peut-être au point de vue de l’amitié ??
112Beaucoup de choses très exactes sur mon caractère et mes goûts.
113Ce qu’il y a de curieux c’est l’annonce d’une crise à 52 ans – c’est précisément l’année (1906) où se termine à la fois le bail et l’association avec Paul – Puis changement de vie à 62 ans ! J’espérais pourtant me retirer des affaires avant cette date (1916) !!
114Enfin je dois faire un grand voyage… nous verrons bien.
115J’irai consulter d’autres oracles pour corroborer… c’est très amusant.
116J’entre, en passant, au Musée Dupuytren [87], ce n’est pas très ragoûtant.
11719 février. Ce matin je vais porter mon livret militaire au 4e Bureau du Recrutement, Poste Caserne n° 1, porte de Charenton – C’est loin très loin.! C’est une simple formalité qui consiste à passer son livret par un guichet pratiqué dans un mur épais, blanchi à la chaux, et on vous le rend avec la bienheureuse mention : en cas de mobilisation générale, le titulaire du présent livret devra rester dans ses foyers – Vive la Classe !…
118Enfin c’est fini, le métier militaire, et je l’ai pourtant bien aimé, étant né très cocardier. Mais depuis que j’avais rendu mes galons de capitaine pour ceux de caporal de 2e classe, j’avais moins le feu sacré. J’ai espéré pendant si longtemps faire campagne et rentrer à Metz !….. Avec les années les idées changent. Metz redeviendra Française, mais le verrai-je jamais cet événement tant souhaité ?…
119En passant 13 av. de la République, je monte chez Mme Bailly la grande spécialiste pour le marc de café. Intérieur modeste très propre – Elle, grande, fortement charpentée, 60 ans au moins de noir vêtue, la figure impassible vous fait asseoir en face d’elle, de l’autre côté d’une petite table. Une cafetière en fer blanc, à filtre, et une pile d’assiettes blanches sur cette table – Elle verse un peu de café au travers du filtre posé sur une assiette, et tapote pour faire descendre le liquide – Elle fait souffler sur le café répandu sur l’assiette, en disant de penser à q.q. chose. Puis, égouttage de l’assiette sur laquelle reste un dépôt de marc qui trace des figures de toutes formes.
120C’est la 1ère fois que j’assiste à cette fumisterie bizarre et je ne puis m’empêcher de rire et de dire que je n’y crois pas du tout – Mais elle ne s’occupe pas de mes plaisanteries – Elle me parle d’un grand voyage que je dois entreprendre en mars ou mai, longue traversée de 36 ou 38 jours – je ne partirai pas seul mais avec un monsieur – durée du voyage 3 mois de séjour et environ 5 mois en tout – Heureux résultats du voyage bonne santé, affaires – Je continue à ne pas y croire et en fais part à la sybille qui recommence son expérience sur une autre assiette et me montre les mêmes signes – Donc je dois absolument faire un long voyage, et avec un compagnon – c’est la troisième fois que des oracles différents me l’annoncent – la suite nous prouvera si c’est la vérité.
121Je dois aussi avoir des difficultés pour des rentrées d’argent prêté – Un monsieur brun, dont le nom est B ou F, viendra pour m’emprunter ou me faire signer quelque chose. Je devrai résister et me méfier. Il y aura prochainement le décès d’une dame âgée autour de moi, une personne qui ne me touche pas de très près – (pas ma mère par conséquent) – Enfin c’est cocasse. Il faudra maintenant que j’aille consulter une tireuse de cartes, pour avoir la série complète…
122Suis allé rue des Bons-Enfants, à la salle Sylvestre, voir les livres du Baron Jérôme Pichon [88] qu’on est en train de vendre – il y a plusieurs nos concernant la bijouterie et l’orfèvrerie qui m’intéressent – mais hélas ! Voici le Rapport de Falize, voici l’ouvrage de Mr de Lasteyrie sur l’orfèvrerie et bien d’autres, avec de belles dédicaces des envois d’auteur (X). Le Bon Pichon, qui s’occupait pourtant beaucoup de ce qui avait trait à l’orfèvrerie, ne les a même pas feuilletés… les pages ne sont pas coupées !…
123(X) dédicace de Falize : à Mr le Bon Pichon, Cette étude sur l’orfèvrerie d’aujourd’hui avec l’espoir qu’elle retrouvera son ancienne splendeur – son dévoué et reconnaissant L. Falize.
12420 février. Temps maussade, à l’atelier où je range quelques japonneries le matin, et où je repeins une vieille étude des bords de l’Epte – Un peu de piano à 4 mains avec Marguerite, en rentrant, pour la préparer à la Symphonie Pastorale de dimanche prochain.
125Le soir, dîner chez Paul – les enfants s’amusent beaucoup d’avoir des bonnets en papier qu’on leur a donnés en se mettant à table, en l’honneur du Dimanche gras.
12621 février. Déjeuner chez Migeon, ou plutôt chez sa mère, 92, rue de Fontenay à Vincennes – Convives : Gillot, Kœchlin, Demaison [89]. Grande et belle installation qu’on envierait à Paris. On cause art, bibelots, voyage… je parle de mes projets à Gillot qui s’enflamme de suite et se déclare prêt à partir si ce n’est pas avant q.q. mois – Nous emmènerons nos femmes, Mme Gillot ne demandera pas mieux et quant à Mme Vever, nous la convaincrons (je ne demande que cela !…). Kœchlin aussi veut en être ; Gillot sera le photographe et Kœchlin le littérateur de l’expédition – moi, je ferai des croquis, et nous publierons un volume épatant… et nous voilà emballés tous là-dessus ! Mais il faut arriver au Japon pour la saison des fleurs, en mars ou avril, et tout préparer, tout organiser d’avance – Gillot connaît là-bas quelqu’un qui nous ouvrira toutes les portes, qui nous facilitera tout. Ce sera charmant ce sera parfait. Il faut que nous partions fin juillet ou commencement d’août, en commençant par l’Amérique, pour arriver au Japon le 1er septembre ou alors, et ce serait mieux, quitter Paris en janvier 99 par l’Égypte, l’Inde, Java, et être au Japon au printemps et de retour à Paris pour juin – ce serait l’idéal !!…
127Nous examinons les bibelots de Migeon – Il a peu de choses mais plusieurs très intéressantes, de jolies boîtes à pharmacie dont une carrée longue de Ritsuō [90] hors ligne – Quelques bons bronzes, un peu de céramique. Un tableau de Carrière intéressant – délicat, mais tout de même un peu trop vaporeux.
128En rentrant à Paris, je trouve les livres de la vente Pichon que j’avais chargé Techener [91] de m’acheter. Il y en a pour 175 frs ce n’est pas cher.
129Le soir, dîner à la maison, les enfants ont encore des coiffures et bonnets en papier à cause du Lundi gras, et s’en amusent beaucoup.
13022 février. Mardi-Gras – temps triste, froid, pluvieux – giboulées temps à grippe – Du reste cette année il n’y a pas de cortège du Bœuf-Gras [92]. Le déficit des années précédentes a refroidi le zèle des organisateurs. Et puis on s’occupe plus de l’interminable affaire Zola que de lancer des serpentins. Heureusement que dans deux jours ce sera fini, et j’espère bien qu’on salira Émile – si j’étais juré il aurait un bon petit maximum – on ferme à 3 heures – L’après-midi je vais, avec Jeanne, faire une petite visite au Louvre – rien que l’École Française – C’est beau ! très beau, mais… il me semble que les Poussin que les Claude même ont noirci ? Est-ce mauvaise disposition de ma part ou le mauvais temps ??…
131À peine rentrés rue de la Paix, une dégringolade de grêle disperse les enragés qui se battent à coups de confettis… les chars du Moulin Rouge sont trempés, et les déesses gelées !
132Dîner chez maman avec les enfants costumés : René impayable en zouave, Pierre en lieutenant de hussard – André en chasseur à cheval – Dînent également les enfants Detrois, et Mme Detrois mère.[…] [93]. Thérèse part à fond de train dans une démonstration sur l’éducation des enfants – sujet inépuisable qui lui est familier mais que nous commençons vraiment à connaître par cœur !…
13323 février. Mercredi des Cendres – « memento quia pulvis es, et in pulverem reverteris [94] » – ma méditation sur la mort est bientôt faite, j’y suis familiarisé et loin de redouter la dernière heure, je la considérerai comme une délivrance – Je suis prêt à partir pour le grand voyage quand on voudra – J’ai confiance en la miséricorde de Dieu en qui je crois – je crois aussi à l’immortalité de l’âme et à une vie meilleure. Le corps est une gêne perpétuelle, un asservissement, une entrave. Quand on en sera débarrassé quelle liberté n’aura-t-on pas ? – Et puis même s’il n’y a rien au-delà, tant pis : Fais ce que dois sur terre, et dors ensuite, dors dans le calme et dans l’oubli éternel ! Mais Dieu ne nous a pas créés pour rien ? Nous n’avons pas demandé à venir au monde – s’il nous a tiré du néant, je m’en rapporte à lui pour ce que nous deviendrons plus tard. Et ce ne pourra pas être pire qu’ici-bas. Et je crois même que les pires criminels, les pires gredins parviendront à se racheter par un moyen quelconque « quia apud Dominum misericordia et copiosa apud eum redemptio [95] ». Dieu ne peut pas être méchant, il ne peut être que Juste – si nous sommes sur la terre c’est malgré nous, et si quelqu’un commet une faute, même grave, il ne me paraît guère admissible qu’on doive l’expier par un châtiment éternel. Cela ne répond pas du tout à l’idée que je me fais de Dieu –
13424 février. Zola a été condamné hier soir à un an de prison et 3 000 frs d’amende [96]. Enfin !… Tout le monde paraît enchanté de ce verdict. Mais cela fera-t-il reprendre les affaires qui sont si mornes depuis quelque temps ? Et un nouveau procès ne s’engagera-t-il pas soit par suite d’une cassation ou par suite d’un nouveau procès Esterhazy-Mathieu Dreyfus ? On en a assez, il est temps que ça finisse. À force de voir tous les jours des sergents de ville et des cuirassiers dans les rues, les étrangers ont le trac et restent chez eux. Espérons que tout cela est bien fini et que la famille Dreyfus va nous laisser tranquilles – Méline vient de remporter aujourd’hui un succès à la tribune puisqu’on a voté l’affichage de son discours, et qu’on lui avait mis des bâtons dans les roues [97]. Cet homme-là me plaît.
13525 février. Le hasard me fait passer devant une tireuse de cartes de bas étage mais dont la science est paraît-il lumineuse.
136J’y entre – taudis peu appétissant – Elle m’annonce, elle aussi, un grand voyage au-delà des mers avec réussite et accointances avec un grand personnage très important dont l’influence et la protection me seront très favorables – Je gagnerai beaucoup d’argent – me méfier d’une femme brune… (je n’en connais qu’une en tout… la mienne !) ne pas prêter d’argent en ce moment – me méfier d’un vol (même prédiction que les autres) qui aura lieu d’ici 15 jours ou 3 semaines – J’apprendrai l’emprisonnement d’un ami (Zola ? Rochefort [98] ? un employé ?!!). Je vivrai très vieux et aurai une agréable vieillesse – Ainsi soit-il –
137On est sans nouvelles de La Champagne [99] qui a emporté ma lettre pour Hayashi le 12 courant… de sorte que par précaution je recopie entièrement cette fameuse lettre – Voilà un retard bien contrariant pour moi, mais qui doit l’être encore bien plus pour les malheureux passagers – Espérons que ce n’est qu’un accident de machine.
13826 février. Réveil à 5 heures… Jeanne prenant le train de 6h10 pour Noyers – je vais l’accompagner à la gare et profite de la circonstance pour faire un tour à bicyclette. Il fait noire nuit, les étoiles brillent, et, presque tout d’un coup, le ciel pâlit, et le jour paraît – J’assiste au lever du soleil au lac St James – c’est ravissant, les oiseaux chantent de tous côtés, il y a surtout un tout petit roitelet qui s’égosille et s’évertue à faire des gammes des arpèges des trilles !… je vais à Billancourt, au Bas-Meudon, etc. – mais le ciel se couvre, la pluie commence à tomber très fine et très serrée – Je pédale ferme pour rentrer rapidement, il fait un froid de loup et les flaques d’eau sont gelées – La pluie tombe dru – j’ai une onglée de tous les diables, et rentre mouillé comme une éponge – Dans ces conditions-là une promenade matinale manque de charmes et je ne suis pas surpris de n’avoir rencontré aucun « pédard » en route –
139Je passe ma journée à faire des dessins d’iris pour la boucle Paul Hébert. Quel dommage que ce ne soit pas encore la saison des iris !… C’est assommant de dessiner d’après des documents non vivants.
140L’excellent Paquy [100] vient nous dire bonjour, retour d’Amélie-les-Bains qu’il quitte définitivement. Il prend sa retraite à Nancy et abandonne la médecine – C’est un bon garçon –
141Trois délégués de la société amicale de la Bijouterie Joaillerie Orfèvrerie Horlogerie (B.J.O.H.) sont venus m’offrir la présidence de la société en remplacement de Mr Ducros qui se retire. Malgré leur aimable insistance, malgré l’assurance que je n’aurais rien à faire, que je serais assisté d’un Vice Président qui s’occuperait activement de tout, j’ai décliné cet honneur – Je n’ai pas le temps ni les talents nécessaires pour être Président de la B.J.O.H., même au point de vue sportif. Mais, au fond, j’ai été flatté autant que surpris de la démarche.
142Rochefort doit sortir de Ste Pélagie aujourd’hui, après y avoir « purgé » ses cinq jours de clou. Il y est entré en triomphateur, dimanche à 5h – Un régiment de Cuirassiers, des Municipaux à pied et à cheval, des bataillons d’agents ; le Préfet de Police en personne et des milliers de curieux – Rien n’a manqué à cette solennité. On n’eût pas fait davantage pour un souverain – C’est absurde – Et il a passé tranquillement ses 5 jours à recevoir des amis, à écrire ses articles de journaux, à roucouler avec sa jeune femme n° 2 ou 3 etc. Les journaux sont remplis de ses faits et gestes, L’Illustration d’hier le montre sous toutes ses faces : au lit, à table, écrivant, etc. Au lieu de considérer la prison comme infamante il remercie Méline de l’y avoir fait conduire…
14327 février. Le matin je dessine quelques roses de Noël rapportées de Noyers. L’après-midi, concert à l’Opéra – La Symphonie Pastorale ; Roméo et Juliette de Berlioz, un splendide chœur de Bach, et les Scènes alsaciennes [101] de Massenet. Jeanne et Marguerite vont aux deux orchestres et je grimpe dans la loge d’aveugle (n° 7, délicieuse) avec Suzanne et Dédé [102] qui y vient pour la 1ère fois et auquel je donne toutes les explications nécessaires. L’exécution de la Pastorale est une pure merveille on ne peut rien imaginer de plus nuancé, de plus fondu, de plus parfait. C’est à en pleurer !… Le Berlioz que j’avais entendu à l’ancienne salle, il y a quelques années, m’a plu beaucoup cette fois-ci la reine Mab a été jouée à la perfection (et l’orage de la Pastorale donc !.. inouï). Bref, excellent concert et très beau programme – Petite promenade avant d’aller dîner chez maman – nous mesurons le bassin des Tuileries que l’on prétend avoir un hectare – c’est un octogone de 25m de côté = un peu plus de 12 ares.
14428 février. La Société des Amis du Louvre, de fondation récente et dont je fais partie, vient d’acquérir pour 130 000 frs une Madone de Piero della Francesca [103], provenant du Cte Duchâtel [104] et en dernier lieu du duc de La Trémoille [105]. La société a contribué pour 30 000 frs dans cet achat – pour un début, ce n’est pas mal – on était donc convoqué au Louvre aujourd’hui lundi pour avoir la première vue de ce fameux tableau, placé sur un chevalet dans la galerie de 6 mètres –
145Il est bien, mais je le trouve un peu mou, un peu veule. C’est une acquisition intéressante, mais combien j’eusse préféré pour cette somme 2 ou 3 Corot !… Le voisinage des beaux primitifs des Botticelli, des Lippi, des Ghirlandaio lui fait un peu de tort… Rencontré beaucoup d’amis, de connaissances (je ne dis pas connoisseurs !) d’amateurs : Haro, par l’intermédiaire de qui l’achat a été fait et qui veut me prouver que ce n’est de Baldovinetti – qu’est-ce que cela peut me faire ? C’est un bon ou un mauvais tableau – Migeon, Kaechlin, Gillot, Groult, Camondo, Rouart, Brenot, Lutz, Dreyfus, Kaempfen, Mannheim [106] etc. etc. – Molinier est en train de faire son cours dans la galerie d’Apollon nous nous y arrêtons quelques instants – ce Louvre paraît colossal avec ses immenses galeries vides de public – Seuls les gardiens frottent les parquets, sans s’occuper des chefs-d’œuvre qui les entourent et qui du reste en ont vu bien d’autres ! Migeon nous fait voir, à Gillot et à moi, les acquisitions nouvelles, faites ou proposées, qui sont dans son cabinet et dans celui de Molinier – des poteries, des plats arabes, des bronzes etc. mais je suis stupéfait des gros prix qu’il indique… Gillot prétend que dans 15 ou 20 ans le bibelot japonais aura atteint ces prix-là !…
146Au magasin, je termine une affaire de 30 000 frs […]
147La Champagne est arrivée à Halifax – c’était bien un accident de machine qui avait occasionné son retard de 8 jours –
148La belle-fille du Général Lewal [107], l’ancien ministre de la Guerre, qui s’était mariée il y a quinze jours et dont nous avions fourni la corbeille, s’est tuée net en tombant du 3e étage dans la rue – Son mari rentrait quelques instants après et l’a remontée tout seul chez lui – c’est épouvantable !
149Les petites voitures dans les rues sont pleines de magnifiques fleurs de Nice : lilas, violettes, mimosa, anémones, crocus, etc., on se croirait au printemps !
1501er mars. À la Madeleine, enterrement de Mlle Bureau morte à 18 ans !.. pauvres parents. Beaucoup de monde, des avocats en quantité (maître Cresson [108] ex-bâtonnier de l’ordre était le grand-père de la défunte).
151Le soir, banquet à l’Hôtel Continental, offert par les Exposants de Bruxelles à MMrs Montholon [109], ministre de France à Bruxelles (nommé depuis ambassadeur à Berne), et Mr Maurice Monthiers, commissaire gal de l’Expsn, tous deux nommés Commandeurs de la Légion d’honneur. Beaucoup de monde, beaucoup de connaissances : Aucoc, Mascuraud, Cardeilhac, tous les Bouilhet-Christofle-de Ribes, Warée, les Rémond, etc. etc., Mr Boucher, ministre du Commerce, Lebon idem des Colonies, Lourties, ancien ministre, Bon d’Anethan représentant le Roi Léopold, &&, tout le haut gratin du commerce, de l’industrie… Repas officiel assez gargotte, menu de Mucha peu en situation, toast, Marseillaise-Brabançonne (musique du 112e) discours, réponses, etc. – toutes ces fêtes se ressemblent –
1522 mars. Chez le juge de Paix !… pour désaccord dans le règlement d’un […] de fumiste… je fais une longue station dans la salle d’attente et y reste plus de quatre heures avant de voir venir mon tour !… c’est long et miasmeux… heureusement que j’ai pour me tenir compagnie un livre sur le Japon !… Enfin mon affaire se termine par conciliation.
153On a apporté aujourd’hui à la maison un diamant extraordinaire, tel que nous n’en avons jamais vu – une pierre rouge, vive, très belle, pesant environ 2 carats – Mais quel prix insensé, ridicule : on demande 200 000 frs c’est fou. On se trompe sûrement d’un zéro. Je ne sais si on trouverait amateur même à 10 000 – C’est égal, cent mille francs le carat, c’est raide.
154On vient de me donner des preuves de l’innocence de Dreyfus : puisqu’il était « coupé », il n’était pas coupable.
155Dîner habituel chez maman.
1563 mars. On me livre ce matin un lot de 4 bouquins achetés pour moi à la vente du Bon Jérôme Pichon. Quatre livres d’heures incomplets vendus en lot pour un prix très modeste (105 frs !). Il y en a de Godard 1515, de Kerver 1533, de Plantin 1573, mais surtout un de Nicolas Du Chemin 1570 qui est très rare et très intéressant. Les encadrements sont tout à fait dans le genre de Jean Goujon, et je m’attendais à payer cette acquisition beaucoup plus cher, bien que les volumes soient incomplets, ce qui m’est égal puisque ce ne sont pour moi que des documents. Le cher maître [110] les a vus tantôt et s’est délecté.
157Séance à la Chbre Syndle pour l’Expn de 1900 – peu de membres présents, mais en revanche l’ami Masure qui représente l’administration – Je fais une proposition qui obtient le plus vif succès : faire un pavillon spécial pour les joailliers les orfèvres etc. – nous serions bien chez nous au point de vue du gardiennage, des risques de toute sorte, et nous ferions notre installation à notre goût, avec l’éclairage qui nous conviendrait, etc. – à l’unanimité on vote oui – Mais je crois qu’on n’obtiendra pas de l’administration ! Hélas !
158Le soir dîner avec de Beffort, Grumbach, Le Besnerais (les trois mousquetaires) chez Drouant [111] – Petite réunion toujours très cordiale – on cause de tout excepté de politique – de Zola et de Dreyfus dont il semble qu’on soit enfin débarrassé – on demande comment on peut écrire le nombre six avec trois noms propres : c’est bien simple = Méphisto fait l’S – O fait l’I – Faure fait l’X –
1594 mars. Temps affreux, neige, grêle, froid, 3° au-dessus de zéro… du vent. Les rues sont en sorbet. Il faut cependant aller encore à la Chbre Syndicale pour la Société d’Encouragement – je fais q.q. croquis de Mr Froment-Meurice et de Mr Marret père pendant la séance – Toujours temps épouvantable toute la journée – j’en profite pour aller chez Mme de Thèbes [112] la célèbre chiromancienne de l’avenue Wagram 29. Ici c’est plus confortable que chez les autres, mais aussi c’est plus cher (20x) – Bibelots, tableaux, portraits d’hommes célèbres : Dumas, Coquelin, La Duse etc. etc. – La main en plâtre de Dumas est placée en évidence –
160Elle me dit des choses très intéressantes et exactes sur mon caractère, ma vie passée etc. Elle me prédit un changement notable et avantageux dans mon existence pour dans 2 ans, puis un autre changement également très avantageux dans cinq ans (cela correspondrait à 1900 et à 1903) – Elle me dit que j’ai eu des changements de situation à 27 et à 36 ans (ce qui correspond à mon mariage et à 1889) que j’ai fait deux grands voyages (Amérique-Russie) et que j’en ferai un grand très prochainement (elle aussi ! décidément je commence à y croire), que je n’ai pas assez de confiance en moi, que j’ai la main d’un laborieux, d’un actif (moi je dirais plutôt d’un agité), d’un volontaire – Beaucoup de sensibilité pas de sensiblerie – Trop de cœur – me méfier de mon cœur au point de vue affection à 48 ans, il y aurait à craindre une liaison (gare) avec une femme très intelligente et plutôt en vue, en évidence 5 ans de liaison ! – et très artiste – Dans cinq ans changement de position correspondant à une montée en grade – Je vivrai jusqu’à 72 ans au moins – bonne vieillesse sans maladie longue, sans accidents d’ici là – mais je ferai sûrement un grand voyage bientôt – Et puis il y a un procès sérieux en perspective – Est-ce procès d’intérêt, divorce ? ou q.q. chose dans ce genre, elle me conseille d’y faire bien attention – main d’artiste très épris de la forme, collectionneur. Né sous les auspices de Jupiter – j’aurai plus tard des rhumatismes faire attention aux palpitations de cœur – attention aussi à une chute, à un accident au genou (serait-ce une pelle à venir, ou une passée ? celle de Noyers qui me démolit le genou ?).
161Tout cela est assez curieux – lorsque j’aurai complété ma tournée je confronterai toutes ces consultations pour voir celles qui concordent entre elles et je dresserai un tableau, pour voir ce qui adviendra – Au Hammam [113], je pèse 77k100 après massage !…
1625 mars. Même temps aigre, même neige qu’hier – les clients sont rares ! journée triste –
163Achetons un très beau lot de brillants pour près de 50 000 frs – Le soir conférence rue des Francs-Bourgeois, à la Société des cendres [114], sur les propriétés des différents métaux, leur densité, leurs alliages – etc. – C’est Mr Gilbert qui prend la parole, très bien, d’une façon très intelligible et intelligente, mais la conférence est vraiment trop courte (¾ d’heure) et aussi un peu trop savante pour les élèves de notre école syndicale – Il explique, au sujet de la malléabilité de l’or, qu’avec un centimètre cube on peut faire un fil d’or de 3 000 mètres –
1646 mars. Beau temps, froid – le matin à la Chbre Syndicale un petit coup d’œil sur le concours de dessinateurs en train et qu’on doit juger mercredi – Ils ont à faire une boucle de ceinture et sont 44 concurrents dont 9 demoiselles installés dans les différents locaux de la chambre – c’est très intéressant, ils travaillent tous avec ardeur – nous verrons cela mercredi –
165L’après-midi à l’Exposition du Cercle Boissy d’Anglas dit l’Épatant [115]. Quelques bonnes choses : portrait de Mr Dehaynin [116] par Aimé Morot, de Mr Hanoteaux par Benjamin-Constant (bien noir ce portrait), de Rose Caron par Bonnat (hum ! hum ! pas fameux), d’une bretonne par Dagnan-Bouveret, etc. – Une Léda extraordinaire par Gérôme, dans l’eau à mi-jambe aux étangs de Ville d’Avray sans doute, tendant le bras au cygne qui s’avance escorté d’une bande d’amours – C’est enfantin, et d’une couleur atroce – Voilà le fruit du travail d’un membre de l’Institut ! d’un professeur à l’École des Bx Arts – Ce pauvre tableau a été acheté par Mr É. Corroyer l’architecte que nous connaissons tous – Je le plains !
166Nous allons ensuite (Jeanne, Margot) au Louvre pour nous rincer l’œil et voir la fameuse Vierge de Piero della Francesca récemment acquise – Elle n’est vraiment pas mal, quoique toujours un peu molle – Beaucoup de monde et des appréciations bizarres – L’un admire le « magnifique paysage », l’autre « l’air ambiant ». Le gardien dit : les Amis du Louvre ont donné 30 000 frs et nous avons fait le reste (admirable !) – Promenade générale dans les salles, puis chez Mme Morlot av. Hri Martin, et retour à pied – Dîner chez nous avec les Paul, maman, Mme Morlot –
167Quel est le comble de la patience pour un jardinier ? planter des culs de bouteille et attendre qu’ils repoussent du goulot !…
1687 mars. Encore chez une tireuse de cartes !.. je ne fais plus que cela ! C’est Mme Lenormand – Il y a foule et, pour ne pas attendre, je vais faire un tour – lorsque je reviens je suis introduit par faveur avant mon tour (les messieurs n’aiment pas attendre). Les cartes m’annoncent toujours un voyage pour cette année – changement de situation avantageux, réussite dans mes affaires, j’aurai toujours du pain sur la planche ; je mourrai sans accident ni maladie, d’une mort naturelle – Deuil prochain dans la famille d’une dame âgée, qui surprendra – héritage (maman ? Mme Morlot ??) autre mort d’une jeune fille ou femme non mariée, dont je serai très attristé – Vol ou abus de confiance qui me contrariera beaucoup et dont je connaîtrai l’auteur (ceci est toujours la même prédiction). Je serai trompé par signature, j’aurai une très grande affection et une liaison d’ici 18 mois avec une dame mariée qui m’aimera beaucoup (ça, ça m’étonnerait !), j’aurai un procès, très certainement (voilà encore une prédiction qui se répète) il y a un homme de 35 ans environ qui veut me nuire – j’aurai beaucoup de contrariétés dans mes projets mais je réussirai, il y aura triomphe personnel – Puis déplacement sérieux dans quelques années ; changement de situation – je m’intéresserai beaucoup à un jeune garçon – je viendrai en aide à plusieurs personnes autour de moi, dont une que j’ai perdu de vue depuis longtemps et qui pourrait être un ancien militaire – Il y a aussi un militaire qui m’aime beaucoup et me veut beaucoup de bien – Il y a « avancement » dans ma position – on me proposera prochainement une association (ou participation), qu’il faudra refuser, ce serait très mauvais – Persévérer dans mes idées et dans ce que j’entreprends ; avoir moins d’indécision, ne pas m’occuper des empêchements et des tiraillements qui peuvent se produire autour de moi.
169En résumé : changement avantageux de situation – Vol, ou abus de confiance – Voyage certain – procès – mort dans la famille – liaison – réussite dans mes projets – déplacement dans quelques années.
170(J’y retournerai pour faire une séance d’hypnotisme).
171J’oubliais : j’apprendrai prochainement une nouvelle qui me fera beaucoup de plaisir – je me mettrai en colère et me disputerai avec quelqu’un de mon entourage (un homme, un employé ? et peut-être au sujet de l’abus de confiance).
172Ce soir Haghiwara m’envoie un mot m’annonçant que son frère Hayashi vient de lui apprendre par télégramme qu’il est nommé commissaire général du Japon pour 1900 – Voilà une bonne décision – c’est la première fois que le Japon sera représenté par un commissaire général, et Hayashi est tout à fait l’homme qui convient pour cette importante fonction. Tous ses amis et tous les amis de l’art japonais s’en réjouiront avec lui.
1738 mars. De la neige ! de la vraie neige toute blanche, dans la rue, sur les toits, partout – Voilà une surprise pour notre réveil. Et il ne fait pas chaud. Mais quelques heures après la rue est comme un sorbet boueux, on jette du sel, on patauge, quel gâchis ! Très peu de monde au magasin, et je couve une grippe : migraine et coryza !
1749 mars. Ce matin, à la Chbre Syndicale, jugement du concours de dessinateurs : une boucle ou agrafe de corsage en métal à l’exclusion de pierre. Concours très intéressant, 44 concurrents dont 14 femmes y ont pris part – Jury : MMrs Corroyer, Colin, Boucheron, Massin, Boin, Lalique, L. Aucoc, Gauthier, Mal, Hri Vever – on procède par élimination – Le 1er prix (200 frs) est décerné à l’unanimité à Mr Becker [117], le sculpteur sur bois que j’ai vu au travail dimanche dernier. Il a fait 7 projets, tous très bien mais dont 2 ou 3 surtout sont très remarquables – le 2e prix (100 frs) Mr Landoy un des deux adhérents de la Chbre qui ont pris part au concours – le 3e prix (50 f) Mr Chardon un élève de notre école (travaille chez Le Turcq [118]). Puis pour encourager et récompenser on a ajouté 5 mentions dont deux à des femmes.
175J’écris à Hayashi à Tokio pour le féliciter de sa nomination de commissaire général –
17610 mars. Grand calme au magasin, temps gris à tous les points de vue. À l’Hôtel Drouot, expsn des anciens meubles (bois sculptés de Beurdeley [119]) il y a de très belles choses, j’y rencontre pas mal de monde de connaissance. Dîner chez maman, avec les Léon Wendling [120] qui parlent tout le temps de leur maison de campagne achetée l’année dernière à Épône, dont ils sont ravis, et qu’ils organisent eux-mêmes avec amour – Léon a posé lui-même les tentures, tracé les allées, fait abattre ou planter les arbres, etc. – C’est un plaisir de l’entendre raconter ses exploits avec animation et conviction.
17711 mars. Avons terminé l’achat d’un bon lot de bts mélangés à 240 frs […] c’est une bonne acquisition – Vu l’Expn des Femmes peintres [121] chez Georges Petit – C’est bien faible et peu intéressant !
17812 mars. Au Cercle Volney, Expn de dessins, aquarelles etc. Il y a beaucoup de choses insignifiantes, de bonnes eaux-fortes en couleur de l’ami Ch. Houdard – à l’Hôtel Drouot expn de l’atelier Français, je revois là de jolis dessins des études bien intéressantes et quelques-unes des œuvres exposées aux Bx Arts et qui m’avaient bien plu. Donné commission à Haro, 1 200 frs pour le n° 32, Fin d’hiver à Plombières [122] – mon offre est faible mais je souhaite avoir ce joli petit tableau, si vrai, si consciencieux.
179Expn chez Durand-Ruel de peintures de Georges d’Espagnat [123]. Trop de couleur, et de couleurs, pour mon goût, trop de tempérament – Vu en même temps quelques beaux Monet un effet de neige à Vétheuil admirable, et d’autres – quelques Manet plus curieux que vraiment beaux (à mon avis) : l’Exécution de Maximilien où les soldats semblent tirer à bout portant, et qui est un tableau qui manque de dramatique – J’aime cependant Les Champs-Élysées sous Napoléon III, qui sont curieux et bien peints ; et surtout la vue de son jardin avec un banc, plein de lumière et d’air – ça c’est un vrai morceau de peinture –
180Le soir, chez Durand [124] place de la Madeleine, je reçois les confrères qui avaient l’amabilité de m’offrir un banquet pour ma décoration, en janvier – J’ai un peu d’émotion, malgré l’affabilité de mes invités, et je voudrais que ce soit fini avant même que ce soit commencé – L’élaboration du menu a été assez laborieuse ainsi que la discussion du prix (25 frs). Quant au placement, Paul a été un chef du Protocole parfait –
Menu : Dîner du 12 mars – (chez Durand)
Huîtres d’Ostende (½ douz. par personne)
Potages : Crème de la Meuse (lisez Bisque) – Consommé Princesse
Hors-d’œuvre à la Française (radis, beurre, anchois, céleris)
Saumon de la Loire Victoria (une pièce superbe)
Salmis de bécasse à l’ancienne (très bon, avec champignons &…)
Selle de Chezelles à la Parisienne (agneau avec fonds d’artichauts, etc.)
Poularde de Houdan truffée (4 belles poulardes flanquées de grosses truffes)
Terrine de Foie gras Voiron (pas assez froid, glacé)
Salade de saison (c’était de la laitue)
Petits pois nouveaux de Clamart au beurre d’Isigny (ils étaient nouveaux en effet ; j’aurais voulu des asperges mais en raison des dernières gelées et de la neige, c’était 30 frs la botte)
Glace Trocadéro – très bonne –
Petits fours, gaufrettes, desserts (fromages, fruits etc.)
Vins = Graves, Médoc, Ch. Margaux, Pommard (bon) champagne
Café – liqueurs –
182Dès 7h ¼ les convives arrivent, Jacta et Pelletier s’étant excusés au dernier moment, nous sommes 37 à table – on sert à 8h – La salle est très bien arrangée, électricité – fleurs et candélabres sur la table qui est disposée en fer à cheval à cause du nombre d’invités (on ne tient que 34 en ligne droite.) Le buste de Henri IV sur la cheminée, semble présider l’assemblée.
183[Vever insère ici un diagramme montrant la disposition de la table et des convives].
Fig. 13. Plan de table exécuté par Henri Vever pour le banquet offert à ses confrères le 12 mars 1898
Fig. 13. Plan de table exécuté par Henri Vever pour le banquet offert à ses confrères le 12 mars 1898
184Le service a été très bien fait, et le dîner était bon. Au dessert, Aucoc me décoche un petit speech et, prononçant la formule réglementaire « au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous fais chevalier de la Légion d’honneur », il me donne l’accolade et m’accroche la croix pendant que tout le monde applaudit – J’ai balbutié quelques paroles de remerciements, disant combien j’étais heureux et honoré que notre Président Aucoc eût bien voulu me servir de parrain, etc. – puis on est passé prendre le café, fumer, causer, etc. On a encore taquiné Desprès au sujet du curaçao qu’il aime beaucoup, et la soirée s’est terminée très gaiment très amicalement. Les derniers sont partis après minuit. Voilà une bonne corvée de finie (coût : 1 028,50).
18513 mars. Temps magnifique – nous allons déjeuner chez Mme Morlot avenue Hri Martin – Il fait un soleil superbe, l’appartement est très gai, le déjeuner excellent : Timbale Bontoux bien garnie, filet de bœuf aux pommes de terre rôties, salade, etc. Nous faisons ensuite une longue promenade au Bois de Boulogne, autour du lac, dans l’île, regardant les canards et les oies japonaises, etc. Il fait délicieux, l’hiver semble bien fini et bien loin, cette première journée de printemps est exquise et fait oublier la bise et la neige de la semaine dernière. Nous rentrons à pied, un peu las. Beaucoup de monde dehors, et des cyclistes des deux sexes – (le beau sexe est bien laid le dimanche à bécasse !) – Le soir, dîner chez maman qui est bien enrhumée et fatiguée.
18614 mars. Séance de photographie chez Sartony [125] rue Duphot qui fait ma tête à l’œil pour l’album de la Légion d’honneur ! Je paye mon dîner chez Durand – L’après-midi je dessine la jolie rose que Mr Massin m’a donnée samedi et qui s’est ouverte d’une façon très généreuse –
187Le soir, maman reçoit le jeune ménage Sébastien, on doit être 14, mais Mme Fray était subitement indisposée, on vient chercher Marguerite en bouche-trou pour qu’on ne soit pas treize à table – Elle est ravie, d’autant plus qu’elle ne s’y attendait pas, et que ce sont les menus Japonais qu’elles a dessinés cet été à Noyers qui figureront sur la table.
18815 mars. Toujours temps gris et pluvieux ! J’espérais cependant faire ce matin une petite promenade à bicyclette : impossible. Je me contente, pour passer le temps, de dessiner encore ma rose d’hier sous d’autres faces. Quel plaisir que de dessiner ainsi, il n’en est pas de plus grand. La peinture en première ligne, la musique ensuite, voilà mes plus grands bonheurs –
18916 mars. Encore du mauvais temps, pas de bicyclette, et pourtant je voudrais prendre un peu l’air. Je vais chez la cousine Freppel, chez Camentron [126], chez Bing, à l’Hôtel Drouot et Durand-Ruel, chez Desbois [127] libraire, et rentre à la maison. Kœchlin, Mr Huas [128], Mr Massin, Mme Le Roy, etc. viennent me voir. Le soir, déchiffrage à 4 mains avec Jeanne de l’ouverture des Maîtres Chanteurs – C’est dur ! mais combien passionnant !
19017 mars. Vu ce matin chez Chaîne rue Caumartin l’exposn très intéressante des tableaux de Albert [129], un Scandinave plein de talent dont les paysages très colorés très puissants rappellent tantôt Cl. Monet tantôt Lebourg ou Sisley. C’est très bien et je suis surpris autant que charmé. Si je ne m’étais promis de ne plus rien acheter (ou à peu près) je me laisserais tenter, d’autant plus que pour 4 ou 500 frs on peut avoir quelque chose de satisfaisant.
191On ferme le magasin à midi puisque c’est aujourd’hui la Mi-Carême – Nous allons sur le Boulevard, Jeanne, Marguerite, Marcel Houdard, et moi, voir passer le cortège des Étudiants et la Reine des Blanchisseuses – Temps couvert mais beau et doux, foule énorme. Le grand refuge de la place de l’Opéra est garni par une estrade à quatre faces, couverte de monde, dont la cavalcade fait le tour – Cette année le cortège est mesquin, c’est trop papier peint et oripeaux… mais on s’amuse tout de même à lancer des serpentins dont les arbres sont couverts comme s’ils avaient des cheveux multicolores. On se bat à coups de confetti, avec ardeur, avec acharnement – Marguerite y va de tout cœur – Et quelle joie lorsqu’on rencontre quelqu’un de connaissance : Chenot [130], Haghiwara, Linzeler fils, etc. – On l’ensevelit sous des amas de confetti – Nous ne quittons guère le trottoir juste devant le Nain Jaune où nous nous ravitaillons à tout instant – (Nous avons dû lancer chacun de 10 à 15 kilogs. de confetti !). Ce sont des batailles, des poursuites, des embuscades – c’est très amusant – le boulevard est bientôt couvert d’une épaisse couche de petits ronds de papier qui atteint en beaucoup d’endroits dix centimètres. Nous rentrons éreintés, courbaturés, le bras droit et l’épaule démanchés ! et quel nettoyage en rentrant ! Quelles ablutions il faut faire. Ces maudits confettis se faufilent, pénètrent partout jusque sur la peau et dans les endroits les plus intimes et secrets – Il faut se changer des pieds à la tête et se lessiver à fond – J’en retrouve dans mon porte-monnaie, entre les lames de mon canif, dans tous les coins et recoins de mes vêtements et de mon individu…
192Les Paul et les Houdard dînent – rien de saillant –
19318 mars. Ce matin rue Caumartin chez Cautin et Berger [131] photographes qui m’ont offert une séance gratuite à cause de ma décoration de Bruxelles – C’est dans un hôtel tout neuf, très art moderne, gentiment arrangé, que l’Artiste me reçoit, très empressé – Il se donne beaucoup de mal et opère avec conviction. J’espère que ses efforts seront couronnés de succès et que l’excellence des épreuves qu’il m’enverra lui amèneront beaucoup de clients, car il le mérite, il se donne vraiment bien du mal et cherche à faire des poses moins banales moins figées, moins « ne bougeons plus » que ses confrères habituels –
194Après déjeuner, Bing vient à l’atelier pour voir mon grand paravent de Hokusaï [132] qu’il ne connaît pas – Il en est surpris – l’examine attentivement, très longuement (pendant plus d’une heure) s’assoit par terre pour mieux le voir à la japonaise – Enfin il l’admire beaucoup et je crois très sincèrement. Il n’a jamais rien vu d’équivalent (Hayashi et Gillot m’avaient déjà dit la même chose) c’est incontestablement de Hokusaï et de l’époque entre 1800 et 1810 (Fenollossa de qui je le tiens, par Ketcham [133], le place en 1805) – C’est certainement une des plus belles et des plus intéressantes peintures Japonaises qui existent. Bing regarde avec avidité mes gardes de sabres, il reviendra les examiner à loisir. Il emporte mon Bain de Kiyonaga soi-disant pour comparer avec un dessin qu’il possède, et doit me le renvoyer demain – Je n’ai pas pu lui refuser cette complaisance, mais je ne suis pas dupe du motif, et je crois qu’il veut tout simplement calquer la planche de droite parce qu’il ne possède que celle de gauche (Roussel [134] me l’avait déjà demandé pour Bing en me disant que c’était pour faire cette petite opération) – Enfin… qu’importe. Dieu seul est grand –
195Mr Demaison est venu avec sa fiancée Mlle Pichenot.et a (enfin !) décidé un croissant avec herbe des champs en joaillerie – cette affaire était en train depuis le mois de décembre…
196Le cher maître (Callot) vient dîner au hasard de la fourchette – on cause peinture, dessin etc. Il devient de plus en plus misanthrope, le pauvre ami. On lui raconte que Mme Le Roy, étant en visite chez Mme Morlot, la consolait de son mieux en lui disant : mais croyez-moi, ma chère, pour nous autres femmes le veuvage c’est notre bâton de maréchal !
19719 mars. La femme de Mr Garnier est malade depuis deux jours d’une congestion pulmonaire – Espérons que ce ne sera pas grave ! À ma visite quotidienne chez maman, je l’ai trouvée ce matin fatiguée et un peu triste – Il faut qu’elle se ménage, la pauvre chère femme, mais comment lui faire entendre raison ?
198À l’Hôtel Drouot, Expn du Bon de Morenheim [135] (Vive la Russie !) dont on a beaucoup parlé d’avance. Quelle déception !… Il n’y a rien de séduisant, de vieux tableaux anciens avec de fausses attributions, des meubles et des bibelots comme on en voit chez les bric à brac de la rue Lafayette ou de la rue de Châteaudun – C’est piteux – Rencontré Haro qui me dit que la vente Français a très bien marché – La petite étude que je voulais pour 1 200 frs a fait 3 800 – Et le reste à l’avenant – Rencontré Gillot qui m’entraîne chez Madame Langweil où je ne suis jamais allé – Elle a de beaux bibelots et pas cher, mais j’arrive après Gillot et Rouart qui ont écrémé ce matin dans l’arrivage – Cependant je trouve encore un beau bronze ancien, brûle parfums pour 350 et une très belle chimère bronze pour 200, puis quelques gardes et inrôs dans les prix très doux. En tout pour 850 frs, 10 objets – cela fait une différence avec Bing et Hayashi… je suis sûr que je n’aurais pas eu les mêmes objets à moins de 1 500 frs (merci, Gillot.)
199Nous retournons à l’Hôtel Drouot voir la collectn Seguy : un beau Ribot [136], un grand Diaz que je n’aime pas, des ébauches assez intéressantes de Delacroix, et Le Bain de Gustave Boulanger [137] tableau vieux jeu (1867) très académique très démodé ! Combien se vendra-t-il ? On dirait une chromolithographie.
200J’ai encore le bras tout courbaturé d’avoir lancé des confettis jeudi.
201Le soir en prenant l’air rencontré Mr Viau [138], puis le père Pissaro [sic] et en bavardant, Viau nous annonce qu’il a acheté Le chef-d’œuvre de Daumier… comme il a l’électricité chez lui nous y montons pour contempler le susdit chef-d’œuvre, qui consiste en un tableau d’environ 1m carré représentant le fond du parterre dans un théâtre de banlieue – au premier plan, des spectateurs dans l’ombre, au fond on aperçoit dans la scène une femme éplorée et un gentilhomme qui vient d’occire un rival – Ce doit être quelque scène de la Tour de Nesle – Le « chef-d’œuvre » est très beau mais un peu noir pour mon goût – Nous revoyons avec plaisir les tableaux accrochés aux murs un peu partout, des Monet, des Guillaumin [139], des Sisley dont l’Inondation [140] provenant de ma vente ! Cela me fait tout de même un peu mal au cœur de revoir ainsi un de mes anciens amis. Il y a là de beaux pastels de Degas, etc.
20220 mars. Malgré un ciel très bas, très gris, très menaçant, je risque une petite promenade au bois à bicyclette – Il fait frais et malgré tout il y a des centaines de cyclistes. Dans quinze jours il y en aura des milliers – Les arbres commencent à bourgeonner, et les lilas ont de jeunes pousses vertes – Le 5e ou 6e marronnier à droite en montant avant d’arriver au rond-point des Champs-Élysées a des feuilles, très modestes d’ailleurs – Mais c’est aujourd’hui le printemps – à 2h16, dit mon calendrier – et nous sommes en droit d’exiger bientôt du soleil et des fleurs !
203Après déjeuner, à la Chambre syndicale rue de la Jussienne avec Jeanne et Marguerite pour voir l’expostn des dessins de boucles qui paraît les intéresser – j’en profite pour leur montrer les locaux de l’École, la Salle du Conseil, etc.
204Ensuite nous montons chez maman, Marguerite et moi, et insistons pour qu’elle vienne au concert du Conservatoire. Paul arrive justement avec Gabrielle, pour le même motif, et nos instances réunies la décident, sans trop de peine car aujourd’hui le Père Olivier ne prêche pas à St Roch ! Il fait relâche pour cause d’indisposition. Marguerite accompagne donc sa grand-mère aux fauteuils d’orchestre, tandis que je grimpe à la petite loge 7. Le programme comprend l’ouverture d’Iphigénie en Aulide de Glück – La fameuse messe en ré de Beethoven (solo de violon par Mr Éd. Nadaud [141] – Soli par Mlles Éléonore Blanc, Jenny Passama, MM Lafarge et Auguez [142]) et enfin l’ouverture du Vaisseau Fantôme de Wagner – La messe en ré est le morceau capital, de résistance (c’est le cas de le dire) de la journée – L’exécution demande 1h25. Le programme nous apprend que c’est le 7 mai 1824 que Beethoven en dirigea la 1ère à Vienne – C’est magnifique, et beaucoup moins difficile à avaler que je ne le craignais – on fit une ovation à Taffanel pour avoir mis sur pied et parfaitement dirigé cette œuvre colossale – Maman n’est pas trop fatiguée de sa séance, et puis, une messe c’est toujours pour elle ce qu’il y a de plus beau, elle n’a pas d’effort à faire pour suivre les paroles ; quant à la musique elle a trouvé que c’était tellement beau qu’elle en pleurait presque et que certainement ce ne doit pas être mieux au Paradis.
205En sortant, nous allons faire un tour de Boulevard avec Marguerite dans la foule, ce qui paraît beaucoup l’amuser – Le soir, dîner chez les Ch. Valadon, en famille avec les Fouquier, Jules Écorcheville, et les enfants – Beaucoup de cordialité – Jules nous joue en nous l’expliquant, L’Or du Rhin, le Rheingold de Wagner – C’est admirable et très intéressant – Bonne journée, bonne soirée.
20621 mars. En descendant au magasin, je suis tout surpris de voir un jeune chien très aimable ; c’est Cyrano que Mr Flé a renvoyé parce que la chienne mère est malade et de crainte de contagion on lui enlève ses 3 petits – mais qu’allons-nous en faire dans l’appartement ? Malgré de très grandes démonstrations d’amitié le jeune Cyrano qui n’a pas encore 2 mois arrose fréquemment et copieusement les tapis, quand il ne fait pas pire… mais il est si gentil qu’on l’accueille bien tout de même. Marguerite est dans la jubilation – on le montre aux cousins etc.
207Vu Chenot qui désire acheter une bicyclette et me demande conseil.
208Vu Olive [143], Lortic [144], Marest, etc. Il fait un temps splendide. Bing ne m’a pas renvoyé mon Bain de Kiyonaga, c’est bien ce que je pensais. Je téléphone et il me répond que mon estampe ayant une grosse tache il s’offre pour me l’enlever sans risques – que voilà donc un bon prétexte pour la décadrer, pour la calquer etc… L’avenir m’apprendra sans doute si je me trompe – à dîner, maman Mme Morlot et Mme Gille. Cyrano fait tous les frais de la soirée.
20922 mars. Il fait un soleil superbe, le ciel est sans nuage, il n’y a que 5°, bref un temps idéal pour le vélo – Je me lève en hâte et me voilà parti pour Vaucresson, voir les maisonnettes que Paul a louées hier pour la saison – Les routes sont sèches mais dures et à cuvettes, et la côte de St Cloud me paraît plus raide que certains jours – j’arrive cependant à Vaucresson en 50 minutes (18k300) je visite les lieux les deux minuscules jardins, et reviens le vent au nez, par la côte de Suresnes en ¾ d’heure (17k900) – Cette promenade m’a semblé dure. Est-ce le grand vent ? Le manque d’entraînement ? Nous verrons –
210On emballe Cyrano pour Noyers dans une caisse à claire-voie ce pauvre petit chien pousse des glapissements à fendre l’âme – mais il sera bien soigné et beaucoup plus à son aise à Noyers qu’à Paris –
211À l’Hôtel Drouot rien de transcendant, je revois cependant deux de mes Lebourg, puis une grosse femme au tub de Degas très laide. Combien cela va-t-il vendre ? Et la femme nue au masque, de Gervex [145]. Rue Laffitte, Expn de dessins de Anquetin [146], pastiches de Michel-Ange – Je dessine des iris noirs, les premiers de la saison, ils ressemblent à de grands papillons de nuit – Au Hammam, je ne pèse plus que 76.700 j’espère qu’avec la bicyclette, j’arriverai à 76.
212Le soir, je dessine encore un iris noir, cela m’amuse énormément – En allant coucher nous sommes saisis à la gorge par une très forte odeur de gaz… c’est à la cuisine le tuyau de caoutchouc du petit fourneau s’est détaché et on entend le sifflement du gaz qui s’échappe – Vite, j’ouvre la fenêtre, je ferme le compteur. Heureusement que nous avons l’électricité et heureusement que nous avons veillé un peu plus tard que d’habitude à cause du dessin de l’iris, sans quoi nous ne nous serions pas aperçus de cette fuite qui aurait duré toute la nuit et aurait pu occasionner des accidents (Cyrano aurait été asphyxié !..) et la cuisinière nous aurait fait sauter en allumant son fourneau le matin !…
21323 mars. Le matin, à vélo, chez Mme Vve Appert à Neuilly pour rechercher le cliché photographique de papa en capitaine de Francs-Tireurs de Metz – C’est l’abbé Faller [147], le curé de Mars-la-Tour, qui en demande une épreuve pour son musée historique de la guerre. Je rentre par le bois qui est presque désert car il fait froid (+4 degrés).
214Après déjeuner chez Mme Langweil qui a reçu quelques jolis bronzes, statuettes etc… je me laisse aller à un modeste achat ! À l’Hôtel Drouot, expn des porcelaines de Chine Beurdeley. Je me déclare incompétent – Rue Laffitte, Expn de dessins de Willette [148] qu’on va vendre – c’est très gentil – on est en train de dépouiller les arbres du boulevard de leur chevelure inculte de serpentins – Chez Clément [149], je commande définitivement les deux machines neuves pour Jeanne et Marguerite.
215Chez le commissaire de police, pour l’affaire Vicot qui est en fuite (n° 68632 dossier) ce sera de l’argent perdu – À la mairie de la Banque [150] je vais prendre un extrait de naissance de Marguerite pour son examen – on me le donne sans difficultés et sans rien me demander. J’en fais l’observation qu’il paraît que n’importe qui peut demander l’acte de naissance, de décès ou de mariage pourvu qu’il donne le nom et la date – tout le monde peut ainsi non seulement connaître vos affaires, mais se procurer des papiers qui lui permettent de se faire un faux état civil ! C’est raide. Et le plus curieux de l’affaire c’est qu’il est interdit aux employés de fournir aucun renseignement sur l’état civil – Vu Mlle […] et le photographe Cautin qui m’apporte les épreuves faites par son associé Mr Berger – sur quatre, il y en a trois de très bien – Je le recommanderai autour de moi, mais c’est cher, ou plutôt cela me paraît cher la douzaine 80 frs et 60 frs pour moi –
216Dînons chez les Houdard, dans la plus stricte intimité – Au cigare, les enfants font des projections de leur voyage en Algérie c’est intéressant – Ch. Houdard nous montre la dernière gravure en couleurs qu’il vient de faire : à gauche deux troncs de saules aux branches dépouillées, à droite de l’eau, au fond la plaine – Ce n’est pas mal – je lui fais une critique sévère mais consciencieuse dictée par mon amitié pour lui – Je crois lui rendre service en lui disant sincèrement ce que je pense ; il trouvera toujours bien assez de personnes pour lui dire que c’est bien et lui faire des compliments – Bonne soirée.
21724 mars. La rue est blanche de neige ce matin quand je me lève il est 7h, il fait zéro degrés, et je voulais faire une promenade à vélo !… En présence d’un pareil spectacle, je me recouche bravement – Par ce vilain temps on ne voit personne au magasin – j’en profite pour dessiner encore des iris gris. C’est toujours la même fleur qui me sert de modèle mais elle s’ouvre tous les jours davantage et sait varier ses effets. C’est très amusant et la journée se passe ainsi sans que je m’en aperçoive. – Dîner habituel chez maman, avec Mme Dambrun – c’est la fête de maman, on la lui souhaite : fleurs, plantes etc. les Fray ont envoyé une corbeille magnifique dont l’anse est garnie de violettes de parme doubles, d’azalées, etc. – c’est ravissant mais hélas cela ne dure que 24h – Gabrielle et Suzanne ont fait chacune un petit abat-jour pour flambeaux de jeu – Celui de Gabrielle avec des bleuets et marguerites est très bien. Quant à moi j’exhibe mes portraits que le photographe a apportés hier – C’est curieux d’entendre les avis de chacun et de voir que en définitive sur 6 épreuves on n’en trouvait aucune de bien si on écoutait tout le monde l’un après l’autre. Je plains les peintres de portraits !
21825 mars. Il fait un temps de chien : neige, vent, boue etc. rien à faire dehors : je prépare l’inventaire et si ce n’est pas très divertissant d’entrer et de sortir les marchandises c’est du moins très utile – Vu Mrs Demaison, Gadel, Plauszewski [151], Cogniet pour un rang de perles, Bignon, Desbazeille [152] pour un ouvrage de documents d’art, Aucoc, &. Le soir, à la Chbre Syndicale, Assemblée Gle de la Société d’Encouragement. Froment-Meurice préside très bien, parle très bien, un peu onctueux, mais si aimable et choisissant si bien ses expressions pour ne contrarier personne. Desprès, plein d’une ardeur juvénile, voudrait que l’on fonde une maison de retraite pour les anciens bijoutiers (patrons ou ouvriers) malheureux – mais avec quelles ressources ? La fondation d’un seul lit dans un établissement existant revient à 30 000 frs !!… Vu les jeunes sculpteurs de notre école, très intéressants.
219Rentré avec Massin par un temps exécrable –
22026 mars. Toujours de la neige, de la boue, du sorbet !… quel printemps !.. On annonce de Menton la mort du tout jeune dessinateur anglais Aubrey Beardsley – J’appréciais beaucoup son talent très original très spécial et les livres anglais qu’il a illustrés avaient une saveur très particulière – sa mort me fait de la peine. Et il n’avait pas 24 ans [153] ! Est-ce possible d’être si jeune et si plein de talent, et que tout cela soit fini…
221À l’Hôtel Drouot, Expn Marmontel [154]. De beaux dessins de Millet, des Th. Rousseau dont un, Les Environs de Thiers, est épatant, un beau Corot, etc. puis des œuvres du xviiie – etc. – Chez Durand-Ruel, expn de tableaux de Loiseau [155], genre Pissaro – Sisley, assez intéressants – J’y rencontre Mr Depeaux le grand amateur d’impressionnistes qui m’invite à aller voir sa galerie nouvellement installée, à Rouen – J’irai cet été. Chez Bing, à l’Art nouveau, j’achète quatre charmants petits flacons, en matière dure chinoise, avec montures nouveau style en argent doré – Nous verrons si le public y mord. – je vois aussi mon Bain de Kiyonaga dont Renaudin a enlevé la tache, mais il a voulu en même temps y faire des retouches… je me cabre, et les lui fais retirer illico – mais c’est pour moi une leçon et je ne prêterai jamais une estampe rarissime à laquelle je tiendrai – Vu Mr Bellanger-Adhémar [156] qui m’a rasé avec sa future exposn de tableau.
22227 mars. Le matin, rangements à l’atelier, puis déjeuner chez Kœchlin : Migeon, Molinier, Guéneau de Mussy [157], Piette [158], Haghiwara – on cause de tout, art, musique, peinture, voyages, Corot, collections, Japonisme, littérature etc. Au cigare on se délecte en admirant les beaux spécimens de céramique japonaise qui sont dans la petite vitrine en bois naturel tapissée de fine natte – Kœchlin vient d’acheter un superbe vase de Kenzan pour 150 frs !.. où donc que j’y coure chez Durand-Ruel, qui avait ce seul et unique vase au milieu d’un choix de grès de Carriès [159]. Voilà ce qui peut s’appeler une trouvaille – on regarde aussi beaucoup le portefeuille d’estampes, Mr Guéneau de Mussy est très emballé, très vibrant. Il a une prédilection pour Sharaku – Vu aussi de très beaux échantillons de bronzes arabes, d’une patine admirable –
223Profitant de la proximité je file au Jardin des Plantes mais j’arrive quelques minutes avant la fermeture du Muséum [160] que je ne connais pas encore et n’ai que le temps d’y jeter un coup d’œil rapide. J’y reviendrai, car ces belles et immenses salles invitent à une visite faite posément – Retour en bateau mouche et visite à la cousine Freppel toujours bien impotente mais bien affectueuse ; c’est un grand plaisir pour moi que d’aller l’embrasser – Dîner habituel chez maman.
22428 mars. Ce brave ami de Brotonne vient déjeuner sans façons avec nous – Cet excellent Pierre a toujours son bel appétit, il est toujours aussi aimable, aussi jeune, aussi exubérant. C’est un vrai plaisir de l’avoir comme convive. À l’Hôtel Drouot quelques bons impressionnistes et chez Mme Langweil des cloisonnés de la Chine qui me laissent froid – Chez Clément, je fais livrer les 2 bicyclettes neuves pour Jeanne et Marguerite nos 94.026 et 96.234, poids 15kil – Chez Boussod-Manzi [161] vu le portefeuille des 20 dessins de Degas pour 1 000 frs, c’est raide, malgré toute la perfection des reproductions – Ai envoyé ma photo chez Lartigue pour la revue illustrée de l’Expsn 1900 [162].
225Dîner à la maison avec maman, Mme Morlot, Mme Gille. C’est un peu moins terne que d’habitude.
22629 mars. Je vais faire un tour à Neuilly et au bois pour essayer la bicyclette neuve de Marguerite et la mettre au point – Elle me paraît un peu plus lourde et moins roulante que la mienne mais ça se fera sans doute – Chez Camille Lefèvre qui me montre le modèle en plâtre d’un très beau vase (courge et 4 anses alternées en céleri) qu’il vient de faire pour l’État – Il sera exécuté en porcelaine à Limoges – Je vois encore d’autres projets très intéressants et des croquis et dessins de fleurs et plantes d’après nature tout à fait réussis – C’est un garçon qui travaille beaucoup qui a énormément de talent et qu’on ne connaît pas assez – J’y reste jusqu’à midi puis sitôt après déjeuner, chez Mme Langweil qui me vend de très beaux inrôs pas cher – à l’Hôtel Drouot tableaux variés assez intéressants – Chez Mr Gavotty expertise pour une bague perle tombée dans le feu – la compagnie d’assurance prétend ne rien devoir mais offre cependant une transaction. Vu Meunier le relieur à qui je porte mon exemplaire de mois de Grasset [163] – Vu Ch. Houdard, Kœchlin, etc. Mr Lévy de l’Art et Décoration qui me demande de faire un article dans sa revue sur le concours de boucles de la Chbre Syndicale ; je le renvoie à Boin et à Jacta –
227Le soir aux Français, Denise d’Alexdre Dumas – nous allons pour la 1ère fois à nos fauteuils d’abonnement – balcon 2e rang on n’y est pas mal, mais pas très bien non plus. Et puisque les gens qui bavardent à haute voix dans les loges sont donc insupportables ! Il y a derrière nous Mme Édouard André [164] qui jacasse comme une perruche, c’est assommant. Si elle ne devait pas léguer ses admirables tableaux à l’État, je la chuterais. Bonne représentation : Bartet parfaite, Silvain excellent, Duflos [165] violent. Les autres ne sont que bien.
22830 mars. Ce matin, j’essaie la nouvelle bicyclette de Jeanne, mais il fait un brouillard tellement intense au bois qu’on ne voit pas à 10m devant soi. Et malgré cela il y a des automobiles qui filent à fond de train – Il fait froid et j’abrège ma promenade – Je trouve un soleil radieux aux Champs-Élysées tandis que derrière moi c’est l’opacité complète – À 11h, au Louvre, sur convocation de Migeon pour voir, en place, les deux kakémonos qui viennent de ma collection et que j’ai cédés (hélas) en les revoyant, je le regrette car ils sont véritablement bien beaux et bien rares, il serait impossible d’en retrouver d’analogues et surtout pour le même prix. Vu Kœchlin, Ch. Houdard, Migeon, Brenot, Haghiwara et son frère, Camondo, Portier, Guéneau de Mussy, Bing etc. etc… rentré avec Houdard par un temps merveilleux, ça a l’air d’être le printemps pour de bon – Après déjeuner, chez Haghiwara qui me montre encore de bien belles poteries… je me laisse aller à un achat. Que la nature humaine est donc faible !.. je résiste pendant longtemps et un beau jour, hélas, je succombe… mais aussi quelles jouissances artistiques raffinées, quelles bonnes et saines sensations !…
22931 mars. Bonne petite promenade au bois ce matin, cela dégourdit les jambes et vous ranime pour toute la journée – mais il y a encore bien peu de promeneurs à cette heure matinale et les arbres que les dernières bourrasques de neige ont si désagréablement surpris semblent prudents et ne se risquent plus à sortir leurs jeunes pousses.
230À 1h ½ place Vendôme revue passée par le général Zurlinden [166] qui vient de succéder à Saussier et qui quitte la place Vendôme pour aller aux Invalides – Comment rester chez soi quand on entend la musique et qu’on est à deux pas ! J’y cours comme tout le monde comme toutes les demoiselles et les commis de la rue de la Paix – Je ne vois pas grand-chose de la revue à cause de la foule – Cependant, tout là-bas, faisant face au Ministère de la Justice, le général à cheval en grande tenue les plumes blanches au chapeau, salue d’un geste large chaque drapeau qui défile devant lui. Les casques, les musiques, les trompettes tout cela donne une animation inaccoutumée à cette vieille place Vendôme d’ordinaire si morne. Le public est de bonne humeur comme chaque fois qu’on voit des soldats, les balcons les fenêtres les moindres lucarnes sont bondés de modistes de fleuristes de couturières de lingères la plupart jeunes et jolies. C’est un coup d’œil ravissant qui vaut la peine de se déranger. Ces petites ouvrières parisiennes ont vraiment du chic, il y en a là des milliers, le teint animé par cette belle journée de printemps. Il faut entendre les réflexions de toute sorte qu’on fait dans la foule qui passe une revue d’un nouveau genre – on ne croirait jamais qu’il puisse y avoir autant de monde à chaque étage.
231Marguerite Lainé vient au sujet de son vieux fusil au chiffre de Louis XIV qu’elle voulait vendre tout d’abord 25 000 frs puis 15 000 puis enfin 5 000 – Je n’ai jamais compris qu’on puisse demander un pareil prix pour un objet semblable – Fauré-Lepage consulté aujourd’hui l’estime de 4 à 500 francs – cela me paraît raisonnable, mais allez donc le faire comprendre à des gens qui rêvent ! Ce fusil a cependant été acheté à la ferraille pour 10 ou 20 frs puis Margte Lainé l’a payé 300 frs à la liquidation de son père. Enfin elle le remporte, nous en voilà débarrassés, tant mieux.
232Dîner chez maman.
2331er avril. Le Dr Paul Michaux m’a téléphoné hier soir d’aller à l’Hôpital Broussais ce matin à 9h si je voulais lui voir faire une belle opération – Je suis exact au rendez-vous car on n’a pas souvent l’occasion de voir de semblables choses, et j’arrive là-bas, tout là-bas, rue Didot, avec un peu d’émotion je l’avoue – Après les présentations d’usage il me fait revêtir une grande blouse et un tablier blancs et, accompagné des internes, des élèves et d’autres docteurs, dont un Hollandais, nous pénétrons dans la salle d’opérations – Là, tout est blanc et d’une propreté méticuleuse. La table opératoire au milieu, d’autres petites tables chargées de bassins de cuvettes, des piles de compresses etc. etc. À côté du maître et sous sa main tout un assortiment de pinces de ciseaux de bistouris étalés sur une table spéciale – Tout est prêt – nous sommes quinze personnes vêtues de blanc, plus deux infirmières qui vont et viennent, changent l’eau phéniquée ou sublimée lorsque c’est nécessaire, apportent de nouvelles compresses etc. Le docteur et ses aides les manches retroussées se lavent et se savonnent très longuement les mains et les bras et se les plongent ensuite dans des antiseptiques puissants – on apporte la patiente, une femme de 35 à 40 ans – Il s’agit de lui enlever la vésicule biliaire – La voilà étendue sur cette table, les jambes enveloppées de ouate pour qu’elle n’ait pas froid. On commence à l’anesthésier par le chloroforme et par l’éther – Elle se débat. Elle crie : mes enfants mes pauvres petits enfants je ne les reverrai plus ! – ce cri maternel est déchirant. On la rassure et elle est bientôt terrassée et inerte. Après un soigneux lavage de l’abdomen, Michaux prend son scalpel et lui ouvre le ventre – couche épaisse de graisse jaunâtre, le muscle est mis à découvert, puis coupé à son tour – Voici le foie qui sort à moitié par cette horrible ouverture – Le Docteur plonge sa main dans l’intérieur de la victime pour l’explorer. Il montre la vésicule biliaire, qui contient des calculs. – Il taille, coupe, opère avec un calme absolu, sans se presser sans la moindre agitation ni émotion, et chaque fois ce sont des essuyages avec des compresses antiseptisées, et des pinces hémostatiques qui finissent par être en très grand nombre dans la plaie, il y en a peut-être quarante ou cinquante ! Chaque fois qu’il en retire une ou qu’il s’est servi de ciseaux ou de bistouris il les pose dans un bassin plein d’eau antiseptisée – Il agrandit encore l’ouverture… la malheureuse semble râler sous l’influence du chloroforme – Enfin il détache délicatement la vésicule, nous la montre avec ses calculs, met un gros drain en caoutchouc, replace ensuite le foie et le reste toujours le plus tranquillement du monde, fait les ligatures de chaque veine et enfin recoud le muscle puis la peau… Cette petite cérémonie a duré une heure ! On essuie la sueur du docteur et des aides à chaque instant, pour éviter qu’une goutte ne tombe sur.
234Entracte : on fait le ménage, on change les linges, on apporte de nouveaux instruments, on se lave à fond et, voici une autre malheureuse qu’on amène et que l’on place sur la table – Cette fois-ci il s’agit d’enlever la matrice et un fibrome volumineux. La patiente est à demi endormie, on lui met le masque et elle devient inerte. Mêmes lavages de l’abdomen, le pubis est entièrement rasé pour que les pansements et les lavages soient plus propres – on vide la vessie au moyen d’une sonde puis, on met la tête en bas pour que les intestins ne gênent pas, le ventre est largement ouvert. Voici la tumeur mise au jour – voici les ovaires qu’on lui laissera – le Docteur détache, coupe la tumeur grosse comme la tête et qui fait corps avec la matrice, il coupe jusqu’au col, mais voyant que ce col est lui-même en très mauvais état, il l’enlève aussi – Et ce sont encore des pinces, des compresses, des charcuteries horribles, l’ouverture a peut-être 25 ou 30 centimètres et elle est tiraillée fortement pour être maintenue ouverte. C’est atroce – mais tout cela est fait avec tant de calme, tant de soin, tant de propreté, sans effusion de sang grâce aux pinces, qu’il n’y a aucun dégoût aucun frisson d’horreur. C’est plutôt du respect de l’admiration pour les chirurgiens qui vont avec une pareille certitude droit au mal, et qui vous sauvent une vie infailliblement condamnée – Oui ces malheureuses, non seulement survivront à leurs terribles et si graves opérations, mais elles seront sur pied dans six semaines et iront beaucoup mieux qu’avant – Je m’informerai d’elles, les pauvres, et soulagerai leur misère s’il y a lieu, par l’intermédiaire du bon docteur à qui je remettrai mon obole – Je pars avant que les sutures ne soient terminées, encore tout imprégné des odeurs antiseptiques et chloroformiques.
235J’ai maintenant une idée exacte de ce qui est une grande opération. C’est très intéressant et très beau. Beau au point de vue moral bien entendu (c’est la 15e fois que le Dr P. Michaux fait l’opération de la vésicule biliaire.)
236Envoi de poissons d’avril aux neveux et nièces, des objets sans aucune valeur bien enveloppés, bien ficelés, cachetés, avec des timbres de poste sur les paquets pour dérouter – Marguerite en reçoit aussi – Il faut bien que les enfants s’amusent.
2372 avril. Petite promenade au bois, il fait froid. – Après déjeuner, chez G. Petit, expsn de la vente de Bryas – il y a quelques beaux dessins (un Greuze et un Boucher principalement) mais cela ne méritait pas tant de tam-tam. Je vais en flânant jusque chez Haghiwara, il me montre des netzkés très beaux… je m’enflamme si facilement et c’est si rare de trouver de belles choses ! mais le petit Haghiwara est malin et est dur en affaires et il n’accepte pas mon prix – Nous reverrons cela la semaine prochaine et j’aurai, de plus, le temps de la réflexion. Le soir, dîner japonais : Migeon, Bing, Gillot, Manzi, Ch. Houdard, Gautruche, Mourier, Haghiwara. On est très bien traité au restaurant Cardinal. Discussions artistiques et embrassant tout – L’Exposn de 1900, l’Art nouveau, les amériques, les allemands etc. etc. etc. La valeur des bibelots japonais au cours actuel chez les marchands et au cours à l’Hôtel Drouot (!!) et la hausse certaine qu’ils feront d’ici quelques années en raison du plus grand nombre d’amateurs et de la rareté croissante des bonnes pièces – Comme j’objecte que dans les ventes publiques le bibelot japonais est déprécié et qu’on en retire que le quart de sa valeur (et encore !), Haghiwara riposte que si on envoyait la Vénus de Milo au Japon et qu’on la mette en vente quel prix ferait-elle ? Au cigare, Mourier montre de très beaux netzkés de Nara, Gillot une garde du 13e, très robuste, Manzi une coupe de faïence italienne qui a coûté paraît-il 5 000 frs en vente publique ! À ce taux, je reconnais que le japonais n’est pas cher.
2383 avril. Au bois le matin, les cyclistes affluents, malgré le temps gris ; il y en a partout. Plusieurs ont un brin de rameau bénit à leur machine – Rencontre Félix Faure en voiture aux Champs-Élysées. Déjeuner chez Mme Morlot avec maman, puis promenade pédestre au bois, au pré Catalan – en rentrant je vais à l’atelier donner un petit coup d’œil à mes netzkés pour me bien les remettre en mémoire – Dîner à la maison avec les Paul, Morlot, Gille, maman. Voilà le procès Zola qui vient d’être annulé [167] !… Est-ce que toute cette histoire va recommencer ? non ! assez ! assez de crise assez d’agitation !
2394 avril. Les affaires sont bien calmes ! et cela dure depuis longtemps. Je vais changer de place chez Haghiwara où je fais un choix de netzkés très beaux, mais il est devenu dur en affaires et nous ne concluons rien encore aujourd’hui.
240Dîner à la maison avec maman, Mme Morlot, Mme Gille.
2415 avril. Encore les netzkés – c’est dur, mais enfin je termine mon achat, non sans peine – Vu l’exposn des dessins de Vierge [168] chez Bing, intéressant mais trop illustrateur. Ses dessins n’ajoutent rien à ce qu’on connaît de lui par les reproductions dans les livres. Le soir, dîner du Régiment, de Beffort, Le Besnerais, Grumbach, toujours très cordial […].
2426 avril. Charmant entretien avec l’excellent abbé Hélin [169] qui est un père souffrant et que je trouve changé. Nous causons à cœur ouvert, cela fait du bien et redonne du ton à l’âme. Je passe une journée parfaite. C’est si bon de sentir une sérénité intérieure absolue, un calme complet –
243Dîner habituel chez maman.
244Vu Mr Allain [170] pour l’affaire des lignes de l’Eure, Mme Husson (100 frs remis), envoyé 50f à Michaux pour ses malades.
2457 avril. Suite de la sérénité intérieure – Sensation indéfinissable de joie tranquille, de bonheur recueilli absolument délicieuse. Visite à quelques églises –
246Aux pastellistes le soir [171], beaucoup de monde comme d’habitude : le grand chef de 1900 Mr Picard, Roger Ballu [172], Mr Malle, beaucoup d’artistes etc. Callot a une très belle exposition, cela me fait plaisir : 2 portraits 2 sujets de genre, 1 grand portrait – Il a vendu tout de suite ses 2 sujets à G. Petit, le reste n’étant pas à vendre – Besnard, Ménard, Lhermitte ont une très belle expn.
2478 avril. Changement de décor complet ce matin en allant au bois : sous l’action du bon soleil de ces deux jours passés, tous les bourgeons se sont ouverts, les oiseaux chantent. Ma promenade à bicyclette est exquise, bien-être moral et physique – Collignon [173] de Dijon et sa sœur viennent nous voir avant déjeuner – c’est Vendredi saint : salade de légumes avec filets de hareng saur traditionnel – c’est parfait et nous nous régalons mais quelle soif toute la journée !…
248Le soir, concert spirituel à l’Opéra : L’admirable Symphonie Héroïque merveilleusement exécutée ; puis trois pièces religieuses inédites de Verdi [174] : un Stabat un peu long ; des Laudes à la Vierge pour 4 voix soli chantées d’une façon supérieure par Mlles Ackté, Grandjean, Héglon et Delna. Ce quatuor sans accompagnement d’une fraîcheur exquise a été bissé par acclamation. Le Te Deum qui venait ensuite est un peu long et est plus triste qu’il ne conviendrait pour un Te Deum. Le Concerto en si bémol de Haendel ainsi que le Psaume CL de Franck ont été très appréciés – Beaucoup de monde en toilette, Mme Carnot, Forain [175], Picard, et le cortège habituel des abonnés – La disposition des chœurs a été modifiée : ils sont placés de chaque côté un peu en arrière des instrumentalistes, ce qui est beaucoup plus agréable pour ceux qui comme nous sont au 2e rang.
2499 avril. Maman un peu fatiguée depuis quelque temps fait venir le Dr Labadie-Lagrave [176]. Il lui ordonne Vichy, et de l’air, et du repos – Si elle pouvait avoir 25 ans de moins on ferait une cure spéciale. – Je retourne chez le photographe Berger de la rue Caumartin, il me recommence pour obtenir des épreuves parfaites. À l’enterrement de Mme Morot mère (80 ans).à St Roch. L’abbé Bonfils [177] nommé évêque du Mans est encore à son poste de curé – Voilà qu’on va encore recommencer le procès Zola !… quelle scie ! on demande qu’il soit rayé de la Légion d’honneur [178] – Il y a longtemps que ça devrait être fait – Nous partons pour Noyers ; pourvu que le temps nous soit favorable… et les nuages s’amoncellent. Il a fait trop chaud hier : 20° tout d’un coup, c’est trop. Bing vient de me renvoyer mon Kiyonaga. Il me l’avait emprunté « pour deux heures » voilà 15 jours qu’il l’a gardé !…
250Du 10 au 17 avril. Nous venons de passer les vacances de Pâques à Noyers, le temps a paru court, c’était si bon d’être au calme, à l’air, de sentir ce grand isolement qui repose, de penser à tout autre chose que ce que l’on a l’habitude de faire !…
251Et d’abord, en arrivant, nous sommes salués par des salves d’artillerie tirées en l’honneur de mon ruban rouge que l’on veut fêter ; Delastre et Pollet [179] sont au pied de l’obélisque pour me serrer la main ; puis le dimanche après déjeuner, les pompiers viennent en corps, avec drapeau, clairons, etc., toujours pour le même motif. Et ce sont de nouvelles salves, et c’est le lieutenant Béguin qui me lit son discours et me remet un superbe bouquet… je réponds en quelques mots, puis on sable le champagne. Le « Cher Voisin » Léon Thibault est naturellement venu. Il est toujours là quand on ne le demande pas – Il nous parle, comme d’habitude, de ses relations mirobolantes, des chasses à courre, il nous cite tout l’armorial de France, et je blague en l’appelant vicomte du Bocage. Mais c’est que cela lui irait très bien d’être appelé ainsi, il ne demande pas mieux que de voir continuer la plaisanterie pour la faire prendre ensuite au sérieux. Quel drôle de garçon !
252La végétation est en retard, à peine quelques bourgeons, de rares petites feuilles. C’est beaucoup moins verdoyant qu’à Paris, et il fait beaucoup de vent, presque froid. Néanmoins l’herbe, d’un vert frais, est constellée de coucous, de violettes, de pâquerettes, etc. Le bois est tapissé de pervenches, d’anémones, dans quelques jours ce sera délicieux. Les journées se passent charmantes : je dessine des coucous, des pissenlits, je fais de la bicyclette ; le soir je lis du Labiche [180] au coin du feu, enveloppé dans le paravent qui agaça tant Jeanne l’année dernière quand je l’apportai. Nous allons avec Margot [181] aux Thilliers par un grand vent qui devient exquis quand nous l’avons au dos. De jour en jour la verdure fait des progrès, le mercredi, à Gisors, nous allons voir arriver le train de Paris, et Mr Passy qui commence sa campagne électorale, et le bon Mr Guesnier qui vient dîner le soir avec nous, toujours si gai, si vivant, si gaillard malgré ses 80 ans bien sonnés. Je vais chez Mr Foullon [182] le notaire signer des papiers relatifs à l’eau de la commune, puis chez le percepteur, puis ce sont des « mirlitons » qu’on rapporte de chez Malheux le pâtissier. Les gendarmes viennent faire leur tournée, on boit un petit verre de fine ensemble, on cause des potins du pays – je vais à Montjavoult à bicyclette, le temps est d’une limpidité rare. Le maire me donne la clef de la tour et sa lorgnette ; c’est un vieux brave homme que je trouve en train d’écosser des haricots. Il me montre la Tour Eiffel dans sa lunette on la voit extraordinairement bien, on distingue les croisillons et on suit très bien le mouvement des ascenseurs et il y a 60 kilomètres de distance ! Du haut de la tour, le panorama est merveilleux, la netteté de l’horizon est parfaite et présage sans doute de la pluie – on voit tout le pays à vingt lieues à la ronde. Je distingue nettement les casernes du Mont-Valérien (à la jumelle) – En rentrant à Noyers je fais quelques petits croquis dans la charmante petite vallée de Boury. Le temps est magnifique.
253Les jours succèdent tranquillement aux jours, les matinées sont fraîches et souvent il n’y a que 6° le matin, mais on est vite réchauffé par une petite promenade à bicyclette au château d’Ambleville ou dans la vallée de St Paer ou ailleurs c’est un plaisir de constater graduellement les progrès des feuilles qui poussent ; là où il n’y avait hier qu’un gros bourgeon il y a aujourd’hui un bouquet de feuilles chiffonnées par leur long emprisonnement ; demain ces feuilles seront épanouies et dans quelques jours tout sera transformé. On nous a amené Pouff, de Vernon, il nous fait beaucoup d’amitiés et c’est une véritable société que ce caniche qui nous suit partout. On lui a présenté le jeune Cyrano qui ne demande qu’à jouer et qui est constamment à provoquer Pouff. Celui-ci daigne de temps en temps faire une bonne partie avec ce gamin de chien, mais il semble toujours vouloir garder sa dignité – Il est tondu de frais, et un petit mendiant qu’il a voulu mordre l’autre jour, l’appelait « le chien qui n’a rien sur le dos » – Enfin après avoir vu la nouvelle institutrice, Mlle Auriez, l’adjoint Pollet etc., nous rentrons à Paris au moment où la campagne devient véritablement splendide. Nous avons vu les premières hirondelles le dimanche 17 : on devrait se régler sur ces oiseaux pour les dates de villégiature.
254En arrivant vers Pontoise, nous sommes surpris de voir les arbres très fleuris et très verdoyants, à Paris c’est encore plus avancé ; il y a bien 8 jours de différence avec Noyers – Nous dînons chez maman.
25518 avril. Un petit tour au bois, par un temps délicieux. Quelle transformation en 8 jours ! Les arbres sont couverts de feuilles, les oiseaux s’égosillent, les papillons se montrent ! Je reprends le train-train des affaires courantes, et, ayant eu l’imprudence d’aller chez Mme Langweil, je me laisse tenter par quelques bibelots, heureusement sans grande valeur –
25619 avril. Lévy, l’éditeur de l’Art et Décoration, me demande un petit article pour son journal, au sujet du concours de boucles de la Chbre Syndicale – Comme ni Boin ni Jacta n’ont voulu lui faire, j’accepte. Mais quel pensum. Pour me mettre en train je commence le rangement de mes netzkés, c’est très amusant et très intéressant, mais c’est long et minutieux.
257Les vieux concierges (Dubois) de l’atelier s’en vont, ils vont vivre de leurs rentes à la campagne.
25820 avril. Le matin, à la Chbre Syndicale, on rend les comptes de l’Expn de Bruxelles – on nous rend de l’argent. Bravo ! 35 % de ce que nous avions versé. Après-midi, réception de contrat Danet-Engrand [183]. Escalier garni de plantes, foule d’amis, félicitations, poignées de main & tous les Bouilhet, Christofle, de Ribes &&. André m’annonce le mariage de sa sœur [184] – Passé aux aquarellistes [185] (Champs-Élysées) très belle installation et belle exposition – on revoit avec plaisir la partie rétrospective Louis Leloir, et surtout d’incomparables Jacquemart [186] pleins de lumière qui sont des chefs-d’œuvre – c’est un vrai régal – Mr A. Rouart a eu l’amabilité de me céder un vase en bronze chinois d’une rare élégance qu’il venait d’acheter – il me fait grand plaisir et je lui en suis très sincèrement reconnaissant. Nous dînons chez maman.
25921 avril. On n’entend parler que de la guerre Hispano-Américaine qui est imminente [187]. Ces bons Yankees voudraient s’offrir Cuba. Quels mufles. Ce qu’ils font en ce moment est injuste, lâche, dégoûtant. Toutes les sympathies sont pour l’Espagne – Hayashi a télégraphié hier soir que mon voyage au Japon était inutile. Voilà donc mon beau rêve envolé !… Le voyage autour du monde est remis à une date indéterminée… ce sera plutôt un voyage pour l’autre monde.
260Dîner chez les Massin, 25 couverts. C’est pour rendre le dîner de noce des jeunes Sébastien. Très beau service, fleurs épatantes, au centre de la table une glace entourée d’œillets rouges et de verdure, avec une grande anse en roses jaunes, et, à chaque extrémité une profusion de fleurs, pivoines, branches de cerisiers en fleurs etc. Vers les bouts de la table des gerbes de tulipes multicolores et des brins d’avoine – Sur la nappe des guirlandes de marguerites jaunes et de petites feuilles vertes. C’est ravissant – le centre avait environ 2m de long – Bon dîner, barbue, poularde, canards exquis, asperges magnifiques, œufs de foie gras, etc. Convives : les Darche, les Picard, les Sébastien, Collet, Thomas, etc. Je suis entre Mme Collet et Mme Thomas une femme superbe et sculpturale. Après dîner, musique, chant par Mme Massin, Mme Thomas (Toi qui connais les Hussards de la garde), d’autres dames (La Traviata, Vénus, etc.). Puis, parodie du « Songe d’Athalie » par un Mr Lagrange du Grand-Guignol, ancien apprenti de Mr Massin. Charles Massin (chouchoute) joue ensuite avec Mr Lagrange une petite pièce en un acte de Courteline (?) titre : Mr Badin [188] – très amusant et bien joué – Deux messieurs font ensuite une conférence à deux. C’est un peu long – Enfin nous rentrons tard et contents de notre soirée. Durand-Leriche et d’autres invités étaient venus le soir en cure-dent.
26122 avril. Enterrement de la mère de Grumbach [189], 67 ans – Beaucoup de monde dont une belle série de bons types israélites. Rentré avec Le Besnerais et de Beffort – Le soir je travaille pour l’article sur le concours de boucles demandé par Lévy –
262Migeon est venu à l’atelier et a beaucoup admiré les nouvelles poteries et certains bronzes qu’il ne connaissait pas : les netzkés de Nara plus que les autres.
26323 avril. Mariage Demaison St Pierre de Chaillot – foules, jolies toilettes, musique. Kœchlin vient ensuite à l’atelier avec Mr… du Musée du Louvre – Ils admirent consciencieusement. Dîner chez Mme Morlot on joue ensuite aux portraits –
26424 avril. Magnifique promenade au bois avec Ch. Houdard. Les progrès de la végétation sont extraordinaires ; en q.q. jours tout est transformé. Il y a des milliers de cyclistes et de photographes – L’après-midi au Conservatoire avec Mme Fouquier : Symphonie en ré mineur de Schumann. Le Prince Igor de Borodin – un peu confus et bruyant – Concerto pour violon de Raff et Adagio en mi majeur de Mozart, exécutés par Hugo Heermann [190]. Certes, il joue admirablement bien, mais je n’aime pas les virtuoses en général et celui-ci, avec son masque impassible d’allemand, me paraît manquer de sentiment. C’est un instrument. Le Rouet d’Omphale de St Saëns a été supérieurement exécuté, ainsi que Le Carnaval Romain de Berlioz – on a bissé le beau double chœur Gloria Patri de Palestrina.
265En sortant de l’Opéra, ai été 36 r. des Mathurins.voir comment s’organisait un projet de petites réunions mensuelles et dominicales dont Mr Maria est l’instigateur, destinées à occuper la monotonie des dimanches d’hiver, et composées pour les jeunes filles. Marguerite et nombre de ses amis du Cours y sont – on joue de petites comédies, on fait de la musique, on danse, en famille sans toilettes. C’est une bonne idée. Cela s’appellera les Sans-Talent. La cotisation est insignifiante – Je vais ensuite faire q.q. rangements à l’atelier, puis nous allons dîner chez les excellents Guesnier avec les Plum, Bourgeois [191], Joly, etc. Après dîner, séance de phonographe – Après avoir fait entendre à l’assistance le Père la Victoire, les Toast de Félix Faure et du Tsar à bord du Pothuau [192], et différents morceaux variés, on invite les personnes présentes à venir, à leur tour, impressionner un rouleau et à dire quelques mots ou quelques vers – Mr Bourgeois, comme expérience préparatoire, récite Le loup et l’agneau et l’instrument le répète fort bien. Mais lorsqu’il s’agit du rouleau sur lequel chacun de nous s’est exercé, ce n’est qu’un affreux râlement, un bruit de friture exaspérée, qui met le comble à notre gaieté – Comme expérience c’est parfaitement raté. Mais on s’est bien amusé.
26625 avril. Cette nuit, à 1h 5 [sic] du matin Thérèse a eu une jolie petite fille, bien forte et bien vivante, qui s’appellera Marie-Antoinette. C’est une fille que l’on désirait, tout le monde est content. À midi, mariage Engrand-Danet à St Roch. Foule énorme, on s’écrase pour aller à la sacristie – jolies toilettes – Pendant ce temps, Jeanne va à Neuilly pour assister au mariage du jeune Davenne – Je fais ensuite le portrait de ma nouvelle petite nièce qui est très gentille et qui ressemble énormément à son frère René – Vu Mme Le Roy Malesherbes qui m’a fait une longue visite – maman dîne – acheté q.q. gardes et un beau sabre chez Mme Langweil. Petite promenade au bois le matin.
26726 avril. Gustave Moreau est mort ces jours-ci, c’est une grande perte pour l’Art Français, j’aimais beaucoup ses œuvres. Personne n’a su, comme lui, rendre les richesses orientales, les couleurs de rêve de pierres précieuses, d’émaux et de matières inconnues. Le grand public le connaissait très peu. Il l’appréciera avec le recul du temps – Après-midi, Assemblée Générale des actionnaires Valadon [193] je prends la parole… non sans émotion pour demander une part plus forte pour les actionnaires, etc. On a fait hier une opération à Bodier, on lui a enlevé une sorte de kyste à l’œil – je vais le voir, il va aussi bien que possible – Vu la bonne cousine Freppel toujours clouée chez elle – Vu Lévy qui me demande encore de faire des articles sur la bijouterie au Salon, pour l’Art et Décoration – Daniel Dupuis [194] vient d’être fait officier de la Légion d’honneur, il m’a offert hier par l’entremise de sa femme un exemplaire de la pièce de 10c qu’on vient de frapper et qui sera mise demain en circulation. Elle est bien, surtout le côté face ; cela fait une vraie différence avec l’actuelle – Le soir aux Français, La Martyre [195], de Richepin, très bien jouée par Bartet (exquise), Mounet-Sully, Leloir, Worms, etc. Paul Mounet… C’est un peu sévère mais très intéressant. La mise en scène est parfaitement réussie. Mounet crucifié à la fin est d’un arrangement qui fait beaucoup d’effet.
26827 avril. Chez Haghiwara !.. il a un tout petit lot d’estampes magnifiques il me montre aussi quelques lames de sabre. Les Japonais sont grands amateurs et grands connaisseurs de lames, j’en tiens une en main qui vaut 1 500 frs – On peut couper facilement un homme en deux – Il raconte qu’un jour un seigneur coupa le fusil d’un homme et l’homme lui-même d’un seul coup de sabre. Il arrivait aussi jadis que lorsqu’on achetait un sabre, les seigneurs cherchaient querelle au premier venu et le pourfendaient simplement pour voir si ça coupait bien, pour essayer la lame ! Tout l’armement japonais est actuellement européen, à l’exception du sabre qui est resté national.
269On ne parle que de la guerre de Cuba. Les affaires vont, hélas ! s’en ressentir cruellement – (Déclaration à la mairie de ma nièce).
27028 avril. Déjeuner chez maman avec les Bournique, Morel [196], Freppel etc. Il y a bien longtemps que la cousine Antoinette n’était venue, ni même sortie de chez elle – on l’a montée avec des sangles. J’apporte le portrait encadré de ma jeune nièce, grand succès. Je dessine des iris.
27129 avril. Thaulow [197] est venu hier avec sa femme pour que je lui prête des tableaux pour une exposition à Londres. Je consens pour un seul petit qui représente des grandes branches de marronnier penchées sur une rivière d’eau courante avec des tons d’automne superbes – Il vient le prendre aujourd’hui. Je vais à l’atelier faire quelques rangements, et l’après-midi, à la vente Gasnault [198], où je fais quelques bons achats, par l’intermédiaire de Mme Langweil, notamment une sphère chauffe-mains ou brûle parfums en bronze chinois superbe d’une patine admirable, aussi intéressante qu’un beau bibelot du xiie – je le paie 400. Kœchlin et Gillot en ont bien envie et voudraient que je leur recède. Ils me proposent des échanges superbes. Mais zut. Il fait chaud à l’Hôtel Drouot et c’est dur de rester toute la séance, mais il y a beaucoup de bibelots très bons, dont un grand nombre se vendent peu de chose et il faut être là. Forain avec son visage tout rasé vient jeter un coup d’œil. Il a en ce moment, au Figaro, une exposition hors ligne de ses dessins du « Doux Pays » [199] qui se vendront lundi – Le soir, à l’Op. Com., Sapho avec Mlle Calvé [200] qui chante admirablement : voix chaude colorée, veloutée, juste, bon jeu passionné. C’est une femme très séduisante, et je savoure énormément. Mais la musique de Massenet (rencontré hier) est un peu guimauve. C’était la 36e répétition ; il y avait foule : Larramet [201], A. Picard, etc. etc.
27230 avril. C’est aujourd’hui le Vernissage des deux salons [202], réunis pour la 1ère fois dans l’immense Galerie des Machines. C’est très bien organisé, mais 4 000 tableaux à voir en un jour, c’est trop ! Aussi y allons-nous autant pour voir « le monde » que pour les œuvres exposées – Il y a là des séries de bonnes têtes des deux sexes, artistes, journalistes, modèles, esthètes, etc. et quelles toilettes !… quelle cacophonie de couleurs et de mauvais goût – quelles excentricités. On voit des quantités de peintresses qui étalent leur ruban violet… rencontré Rodin, Rivière, Ch. Houdard, Bouilhet, Mariani, Lumière, Cazin, Barillot [203], etc. Quantité de jolies femmes l’après-midi, mais quelle poussière quelle chaleur, quelle fatigue de se trimballer ainsi pendant des heures. On finit par en avoir mal au cœur.
273L’expostn de Lalique est épatante. Il y a foule en permanence et si on plaçait un phonographe on entendrait la liste complète des expressions admiratives. Je suis enthousiasmé et comme je rencontre Lalique je lui exprime chaleureusement ce que je pense. C’est affolant, disait une dame élégante devant moi – Voilà du vrai bijou d’art comme on n’en a pas vu depuis longtemps. Quel régal quel raffinement. C’est une joie complète que de posséder de tels bijoux – J’en commande un pour ma femme en lui laissant toute liberté pour me faire ce qu’il voudra – Il y a là un bracelet de chauves-souris et étoiles, une chaîne en chèvrefeuille, un collier 3 appliques, chaînes fleuries, cygnes dans l’eau… enfin comment décrire cette fantaisie toujours renouvelée, comment dépeindre avec des mots ces harmonies, ces recherches, cette réussite !… Dans une autre vitrine, une série de peignes, très jolis, très originaux, mais peut-être peu pratiques – ce sont des objets de vitrine se demande-t-on ? En tout cas c’est exquis – Il y a 2 paons, et une petite femme en ivoire dans des guirlandes qui sont adorables – Puis une série d’anémones dont les pétales sont d’opale mate et comme veloutée c’est quelque chose d’indescriptible – La matière employée est bien la transposition, transcription en bijou de ce que la fleur naturelle a de pulpeux de laiteux de transparent – les étamines d’or piquées d’un émail discret complètent chaque fleur. Un grand bijou pour le Gd Duc Paul [204] : tête de femme ivoire chevelure longue très longue repercée en or jaune et parsemée de fleurs de cerisiers en diamants. etc. etc. Impossible de raconter.
274Le Salon de peinture est très bien, mais trop de toiles !… Les Pèlerins d’Emmaüs de Dagnan, La Ste Geneviève de Puvis de Chavannes [205], le portrait de Réjane [206] de Besnard, les Cazin, les Thaulow – à la rigueur le Detaille, quoique… Callot n’a rien d’important – Berton, très bien – je n’aime guère le grand Carrière. Il y a beaucoup de bons paysages. Ce sera à revoir en détail – Je rentre éreinté. Quant au Balzac de Rodin je le trouve complètement raté : c’est insensé, fou !
2751er mai. Anniversaire de la mort de papa… déjà 14 ans ! est-ce possible ? Il me manque autant qu’au premier jour… J’aurais tant besoin et si souvent de ses conseils !
276Déjeuner chez Mme Morlot, avec maman, puis promenade au bois ; il fait lourd, chaud, splendide mais orageux. Quelle merveille que le bois en cette saison, que de monde ! Nous allons dans l’île avec les Besson-Millet – rencontré les Marcé – Dîner à la maison avec les Paul moins Thérèse qui va bien ainsi que la petite Marie-Antoinette.
2772 mai. Promenade au bois – Les Champs-Élysées sont tout fleuris, le lac St James est ravissant. Il faudra que je me lève de très bonne heure pour aller faire de la peinture… Mais voilà la pluie, l’orage… pourvu que les marronniers ne défleurissent pas trop vite !…
278Dîner chez les Paillard [207] 22 couverts, plus onze jeunes gens et jeunes filles dans une pièce à part – Service épatant. Impossible de rêver quelque chose de mieux – Fleurs, orchidées, roses, tulipes, raisins superbes etc. – Menu excellent avec vins extraordinaires – Pendant le dîner les tsiganes nous régalent de leur répertoire et de celui de la belle Otéro [208] et de la Cavalieri [209]. C’est charmant. Convives : les Paillard, les Laferrière, Salomon, Dupont, Escudier et Max Vincent [210].
279Conseillers municipaux, etc. etc. Voici le menu :
Les Zakouski à la Russe | > Grand Madère 1834 |
La Crème Ducale | |
La Truite Saumonée Grand Vizir | |
Les Pommes nouvelles de France | > Château Yqem 1891 |
Le Filet de Bœuf à l’Ambassadrice | > Château Malbat 1888 |
Les suprêmes de Poulets nouveaux Jeannette | >Château Larose 1878 |
La mousse de jambon de Carlsbad […] | > Pol Roger sec |
Les Cremolata Napolitain | |
Les filets de caneton de Rouen à la Rouennaise | >Romanée Conti 1878 |
La salade de Romaine | |
Les Asperges d’Argenteuil sauce ivoire | |
Fantaisie Vénitienne | > Pol Roger sec |
Fromage-Fruits | |
Fraises de Chanzy | > Porto des Tuileries 1830 |
Grande champagne des Tuileries 1800 |
280Tout cela était excellent – On a bu le Porto des Tuileries 1830 dans des verres avec l’N et la couronne de Napoléon III – Ensuite cigares exquis, fine champagne extraordinaire etc. – Puis Auguez, Casanova, Mme Auguez [211] ont chanté tour à tour avec intermèdes par Vaunel [212] l’excellent comique – les demoiselles ont dansé – on est parti à 1h du matin on a beaucoup parlé du palais que Mr Paillard fait construire aux Champs-Élysées, en face le Palais de l’Industrie et qui sera le restaurant le plus chic et le mieux situé de Paris [213] – Il compte ouvrir à la fin du mois… il n’a qu’un bail de 14 ans et dépensera là environ 350 à 400 000 frs. Faudra-t-il en vendre des sauces pour gagner de l’argent !… Tous les frais sont à sa charge et la construction restera la propriété de la Ville.
2813 mai. Ces pauvres Espagnols viennent de se faire battre à Manille [214] ! Leur flotte est détruite… c’est un vrai désastre. Les Américains vont en avoir encore plus d’arrogance !… Pourvu que tout cela ne finisse pas trop mal –
282Gillot vient à l’atelier l’après-midi, puis Paul, et Migeon. Exclamations admiratives… on classe et déclasse les gardes de sabre – c’est très amusant. Vu à l’Hôtel Drouot l’exposition des dessins du xviiie Colln Chennevières – rien de transcendant, si ce n’est un Frago : Ma Chemise brûle ! (a été vendu 16 600 Camondo) – Vu chez Goupil les eaux-fortes de Besnard – Épatants, j’en achète deux – Le cher maître vient dîner. Soirée délicieuse aux Variétés : Le Nouveau Jeu [215], de Lavedan, supérieurement joué par Granier, Brasseur, Dieudonné,.etc. Impossible de mieux jouer. C’est parfait. Il y a longtemps que nous n’avons passé une aussi bonne soirée.
2834 mai. Mr Jean Marquet de Vasselot [216], attaché au Musée de Versailles, vient à l’atelier – nous regardons les poteries, les kakémonos bouddhiques, qu’il admire beaucoup, et des estampes – Anniversaire de l’Incendie du Bazar de la Charité [217] qui bouleversa tout Paris il y a un an !… comme c’est déjà loin. – Dîner chez maman avec Mmes Morlot et Gille – Vu Demaison et sa jeune femme vraiment gentille.
2845 mai. Rangement à l’atelier et visite chez Haghiwara je fais quelques achats de laques, ou plutôt des échanges car je lui rends de mes anciens achats – le soir, avec Jeanne au Vaudeville, Décoré [218] de Meilhac, admirablement joué par Réjane, Noblet, Huguenet, Galipaux etc. – C’est toujours très drôle et très amusant. La salle se tord. Comme lever de rideau, Le Misanthrope et l’Auvergnat de Labiche.
2856 mai. Lévy vient me demander encore, avec insistance, de « faire le salon » de cette année pour ce qui concerne la bijouterie. J’essaierai, mais cela m’embête bien – Nous partons pour Noyers, j’ai besoin d’y être à cause des élections législatives de dimanche ; et puis le Cher Voisin a écrit hier qu’il allait se marier avec une jeune (?) veuve des environs de Gisors qui a une fille de 13 ans – Il va nous donner des détails ce sera amusant – Mais je n’emporte pas ma fidèle bécasse : trop de vent, de bourrasque, de giboulées ; je serai en déficit sur mon nombre de kilomètres de l’année dernière !…
« [F]aire quelque chose de nouveau… »
2869 mai. Nous venons de passer deux bonnes journées à Noyers. La végétation est admirable, c’est la plus belle saison de l’année, les lilas embaument, l’herbe est haute, les arbres sont d’un vert frais et semblent tout neufs, les pommiers en fleurs sont comme des bouquets de mariée ; enfin c’est l’idéal – Malheureusement il y a de fréquentes ondées – Et puis j’y allais pour le conseil municipal et pour les élections législatives, de sorte que j’ai été très occupé – Dès le soir, en arrivant, séance un peu orageuse du conseil. La commune de Dangu nous réclame un abonnement annuel de 100 frs pour part contributive de l’entretien de l’église et du presbytère, elle veut même nous faire un procès – On discute, on proteste, on résiste. J’espère que cela s’arrangera – Le lendemain j’ai passé presque tout mon temps à rédiger le procès-verbal de cette séance, avec des considérants ! Et puis j’affiche le mariage du Cher Voisin avec une jeune veuve de 35 ans Mme Bournizien [219], à Lalande-en-Son. Il ne fait pas chaud, à peine 10°, et malgré cela des milliers de hannetons… les arbres en sont couverts, il ne reste plus de feuilles aux chênes, et, le soir, c’est un bourdonnement incroyable. Cyrano, qui a grandi et qui est très gentil, mange des hannetons, tout vivants – il paraît que les chats en mangent aussi. C’est une vraie désolation, impossible de les détruire. On dit cependant qu’un des meilleurs moyens consiste à placer debout un tonneau vide, sans couvercle, avec une très grande feuille de tôle placée en forme de demi-entonnoir, demi-éventail derrière et une lanterne au centre. Le soir les hannetons se précipitent vers la lumière, se heurtent et tombent étourdis dans le tonneau.
287En faisant un tour de parc nous trouvons encore des collets tendus. C’est enrageant, et j’enfonce ma bécane pour aller prévenir les gendarmes aux Thilliers, car je serais content de pincer ces braconniers endurcis qui deviennent de plus en plus audacieux. Le brigadier viendra faire une embuscade et passer la nuit quand on voudra, mais… c’est demain les élections les gendarmes ont une longue et fatigante tournée à faire, etc. etc… bref ce sera pour une autre fois, lorsque je serai installé à Noyers.
288Le dimanche 8, c’est le jour des élections je suis à mon poste dès le matin [220] ; dès 8h tout est prêt, je préside avec Béguin et André Malheux comme assesseurs, puis vient Delâtre et Chaumont [221] etc. Il ne vient que 13 votants avant midi… je me fais relever de faction pour déjeuner et aller faire un petit tour dans le bois, qui embaume. Il y a pourtant certaines fleurs comme des arums qui sentent bien mauvais : j’en fais un croquis. À 6 heures, fermeture du scrutin, dépouillement. Mr Passy, qui est venu hier faire ses dernières recommandations, obtient 39 voix sur 40 votants. Il y avait un bulletin blanc – je lui écris un mot pour lui annoncer ce beau résultat (46 électeurs inscrits) – Lundi matin avant de partir, reçu le télégramme officiel du préfet que je fais afficher de suite, donnant le résultat pour le département. Mr Passy = 9 166 voix – Loriot 9 394 – Thorel 7 545 – Fouquet 7 946 – Isambard 7 633. Il y a ballottage pour la 2e circonscription d’Évreux, entre MM. Leroy 5 763 – Olry 4 062 – Grosfillay 2 781 [222].
289Nous achetons à la gare de Dangu une truite superbe de 1 200 g qui était très bonne le soir à dîner à la maison (maman, Mme Morlot, Mme Gille) – Je déjeune au galop et vais au mariage Huet [223] à St Thomas d’Aquin, foule énorme et bousculade pour entrer à la sacristie – Le Cher Voisin vient ensuite à la maison avec sa sœur pour choisir une bague de fiançailles, puis je suis occupé par divers clients plus ou moins rasoirs. Le valet de chambre de Mme Morlot a filé avec une femme et en emmenant un des ses enfants ! Voilà un gros ennui. Ma tante partira demain matin pour Vernon, consoler sa cuisinière et aviser.
29010 mai. Chez Mr Limbourg [224], puis au Salon où je prends des notes sur l’exposn Lalique – rencontré Fouquet fils qui me fait les honneurs de sa vitrine – vue le duc de Chartres [225] et sa femme – Décidément le Balzac de Rodin est bien raté. Rochefort l’appelle « la course en sac », c’est assez tapé. Journée nulle au magasin (Paul Monthiers, P. Hébert, Mr Peltier, etc. etc.). Le soir, aux Français, L’Évasion [226] de Brieux, que nous avions déjà vue. C’est très intéressant, et les médecins y reçoivent un coup de patte. Prudhon s’est fait la tête de Charcot, Truffier et Duflos sont excellents, et Coquelin cadet est impayable en vieux berger-rebouteux. Mlle Lara très bien. Le lever de rideau La Chance de Françoise [227] m’a paru bien nul.
29111 mai. Il fait un temps épouvantable j’en profite pour mettre en ordre mes notes sur les Bijoux aux Salons [228], mais c’est bien laborieux ! Je sens mon impuissance et, au moment de commencer mon travail, je suis accablé de découragement. Il me semble que c’est bien au-dessus de mes forces et il faut que je me fasse véritablement violence pour surmonter ce sentiment. Le soir, dîner chez maman, comme d’habitude. J’ai réglé mon compte chez Haghiwara que j’ai trouvé en train de culotter des porte-cigares en « écume de mer » ; il en fait collection et cultive avec amour ce nouveau sport. Il a aussi des têtes de négresse des nymphes parisiennes etc. C’est cocasse.
29212 mai. Continuation de mon travail sur le salon pour l’Art et Décoration. C’est dur ! – Chez G. Petit exposition de tableaux collectn Goldschmidt [229] un beau Corot, un superbe petit Troyon, 2 Rousseau, une tête de jeune femme admirable par Cuyp – Le temps est toujours laid, et le baromètre très bas : pauvre bicyclette ! Elle se repose bien longtemps. – Eu la visite de Mr Krieger, c’est un dessinateur qui a fait beaucoup de gravure et qui présente des croquis pour bijoux, un peu trop excentriques, il ne manque pas de talent mais encore moins de bonne opinion de lui.
29313 mai. Journée de courses multiples : chez Richard huissier pour les difficultés entre les locataires (Lempereur) de la rue Julien-Lacroix ; à l’atelier pour rangements ; chez maman ; chez Richard [230] ciseleur, chez César photographe pour l’agrandissement du portrait de papa en capitaine des Francs-Tireurs ; chez Clément, chez Petit, chez Auger [231] pour le remercier de m’avoir offert la présidence de la fête cycliste de la B.J.O.H., à la mairie pour dégrever mon impôt de bicyclette qui est inscrit à Noyers ; au Bon Marché et au Louvre, etc. etc.
294Le soir, à l’Opéra avec Jeanne, pour les débuts de Mlle Delna, c’est la 2e fois qu’elle chante à l’Op. Très bonne soirée, Le Prophète [232], avec Alvarez, Bosman, etc. les 3 anabaptistes chantent quelquefois faux mais c’est tout de même bien beau. Le 4e acte est admirable et cette soirée me rajeunit de plus de quinze ans ! C’était alors Villaret, Rosine Bloch [233], etc… et quelles charmantes et amicales ballerines il y avait alors… Henriette Stilb, Anat, Rossi, Poulain, Deschamps, Pamélar, Biot, etc… Ce ballet des patineurs est toujours bien et le lever de soleil actuel plus vraisemblable que l’ancien qui montait trop vite dans le ciel.
29514 mai. Je vais prendre Lalique ce matin dès 9h pour aller au Salon mais auparavant je jette un coup d’œil, chez lui, sur ses œuvres. C’est ravissant – mais je vois qu’il a aussi des rossignols, tout comme les camarades, et qu’il n’a pas vendu les objets des années précédentes qui avaient pourtant eu un très grand succès au Salon mais qui étaient trop excentriques. Je n’aime pas beaucoup les meubles qu’il a fait faire chez lui, c’est un peu lourd et on y voit trop la recherche de l’originalité quand même – Son plafond où court une envolée de femmes nues très en haut relief est assez joli – Au Salon nous faisons une visite rapide à toutes les vitrines. Il ne ressort absolument rien d’intéressant de sa conversation, et il me paraît féroce pour les confrères. Je pensais apprendre quelque chose, et je suis revenu bredouille – Il m’explique cependant que ses jolies patines ne sont que superficielles, ce qui, à mon avis, est un défaut sérieux – Dans la journée, avec Ch. Houdard, chez Georges Hoentschel (Leys) [234] il a installé l’ancien vélodrome de la Madeleine en un immense atelier rempli de bibelots de toute sorte meubles anciens, tapisseries, statues, tableaux etc. Il a des choses merveilleuses – un Christ grandeur nature en bois sculpté (de travail Espagnol xve probablement) très saisissant. Grès de Carriès, et grès aussi par lui Hoentschel, intéressants. Il fait un temps atroce. Le soir dîner japonais – Bing, Gillot, Kœchlin, Mourier, Houdard, Haghiwara, Manzi. On cause avec animation – je parle de Lalique que ses bijoux sont plutôt des objets de vitrine et que ses patines ne sont pas solides mais que néanmoins j’ai pour lui la plus grande admiration. On a apporté des netzkés, des inrôs, c’est toujours intéressant et la cuisine est très bonne au café Cardinal.
29615 mai. Chez Callot, vu la copie de mon petit Puvis Doux Pays qui est très bien. À l’enterrement de Mr Anatole Bertrand à N.D. de Lorette, vu Warée, Marcé, Lefebvre, etc. Ai été embrasser ensuite la cousine Freppel très affligée de cette mort. L’après-midi au Salon avec Jeanne et Marguerite – foule énorme, c’est la 1re fois que Marguerite va au Salon. Toujours un attroupement autour du Balzac de Rodin. Beaucoup de monde autour des vitrines de Lalique et pas de réflexions originales : c’est ravissant, ce n’est pas portable, exquis objets de vitrine – idéal – objet de musée etc.
297Dîner chez maman Gal Gerder [235], Mme Dambrun.
298Course Bordeaux-Paris par un temps atroce Rivierre 1er en 20h39 ! (591 kil) [236].
29916 mai. Chambre Sydle jugement du concours de dessin des orfèvres et des joailliers – Résultat très faible !… c’est poncif… est-ce pour arriver à ce triste résultat que nous faisons tant d’efforts dans une voie nouvelle ?… je sais bien que ce ne sont que des jeunes gens, mais ils ont bien des progrès à faire encore.
300Bodier est revenu très bien guéri de son opération, il est même plus joli garçon qu’avant – Nous sommes tous bien contents de le voir ainsi rétabli. Vu Lévy pour mon article, Fontaine, Mme Le Roy de Vernon, Paul Monthiers qui dîne avec nous ainsi que Callot.
30117 mai. Journée très occupée par un tas de menues choses qui coupent les heures en petites tranches et empêchent tout travail de longue haleine. Paul Hébert commande la boucle iris dont je me suis tant occupé, et cela me fait grand plaisir comme encouragement moral ; je vais tâcher de lui faire quelque chose qui lui plaise tout à fait, une véritable pièce d’exposition.
Fig. 14. Charles Gillot
Fig. 14. Charles Gillot
302Nous dînons chez cet excellent Gillot. Son installation me plaît beaucoup : belles tapisseries, beaux bibelots, beaux tableaux, et beaucoup de cordialité. Convives : MMme Groult, Renouard [237] le dessinateur, Kœchlin, Migeon, MMme X (beau-frère de Gillot), Mr Ancelot ?, Mme et Mlle Gillot [238]. Branches d’aubépines en fleurs. De quoi parlerait-on si ce n’est du Balzac de Rodin qui vient d’être vendu aujourd’hui, paraît-il, à Mr Pellerin [239]. On cause de tout, du Salon, de la guerre Hispano-Américaine etc. Puis on monte à la galerie, et c’est un régal pour tout le monde que d’admirer longuement et tranquillement cette merveilleuse collection japonaise qui s’enrichit tous les jours et qui est présentée avec tant de goût.
30318 mai. Il fait froid, un peu de feu ne nuirait pas. Je m’occupe de l’expédition des deux parures pour le Japon commandées par Hayashi pour le marquis Nabeshima et le marquis Hosokawa [240]. Elles sont bien réussies ; Haghiwara vient les voir avec son frère Nagasaki et ils se déclarent très satisfaits. Espérons qu’on le sera aussi au Japon, car j’ai fait tout ce que j’ai pu pour que ce soit beau et que cela nous amènera d’autres affaires. Vu les Odinet, les Bournique, Bignon, P. Monthiers, etc. La petite fille de Paul est souffrante depuis hier, et c’est demain la 1ère Communion d’André, de sorte que Thérèse est désolée. On a consulté séparément deux médecins : l’un a dit : cette petite mange trop elle a un embarras d’estomac supprimez toute nourriture – l’autre a déclaré : cette petite meurt de faim, nourrissez ferme, ne craignez pas de lui en fourrer !… et voilà la science. Chez G. Petit exposition de tapisseries meubles et tableaux anciens. Il y a un charmant petit Chardin, mais n’est-il pas un peu retouché ? Les mains des enfants et les yeux de la fillette du fond sembleraient l’indiquer – c’est la collection de Bondy [241].
30419 mai. Il pleut à torrents, et c’est la 1ère Communion d’André, à la chapelle de la rue de Madrid. Jeanne et Marguerite y vont et je reste à la maison faute de place – L’après-midi, visite de l’hôtel de la Vsse de Janzé [242] rue de Marignan. Prix d’entrée 2 frs au bénéfice des blessés espagnols – Il y a foule mais malgré la réputation cela manque d’intérêt. Trop de portraits et beaucoup avec des attributions qu’il faudrait contrôler. Et puis l’ensemble est sombre et triste. Nous allons ensuite faire un tour à la fête de la place des Invalides. Il y a profusion de manèges de chevaux de bois, bicyclettes, montagnes russes, bateaux, roues, etc. avec des orgues à vapeur plus bruyants les uns que les autres. Et on est secoué là-dessus !… est-ce donc là le dernier mot du plaisir, à voir le public qui se renouvelle constamment sur ces machines trépidantes, roulantes, et bruyantes !… Nous entrons chez Bidel puis chez Pezon [243]. Je ne connaissais ni l’un ni l’autre de ces établissements très importants. Ils se valent à peu près sous le rapport de l’âcre odeur qui vous saisit à la gorge et aussi sous le rapport du « travail » des dompteurs de fauves. Chez Bidel c’est un Américain la poitrine couverte de médailles qui présente de beaux lions, puis la séance se termine par le père Bidel lui-même en tenue de soirée qui cravache ses animaux. Chez Pezon, tout le monde est en deuil de la mort récente du vieux dompteur. C’est un pauvre diable sec et noir qui opère avec des hyènes, des tigres, des lions. C’est mieux que dans la baraque voisine. Puis Pezon fils, en redingote, le bas du pantalon relevé présente le vieux lion Brutus. Mais quelle odeur de ménagerie, on est content de se retrouver au grand air – Quantité de somnabules extra-lucides, d’Hercules, « Marseille » [244] etc. etc. C’est assez amusant. Dans le boniment pour un nain, on dit qu’il est tellement petit qu’il est disparate !
305Le soir, dîner de cérémonie chez Paul. André en pantalon blanc, son brassard au bras, nous distribue des images en souvenir de 1ère Communion. Convives : Les Maurice Trouiller, Mlle Lefeure, André Dumoret [245], maman, nous et tous les Paul – Gabrielle et Suzanne ont fait de jolis menus avec une fleur aquarellée dans l’angle.
30620 mai. Un petit tour au Salon le matin, par un bien vilain temps, pour revoir une dernière fois les bijoux avant d’envoyer mon article à l’Art et Décoration. Je ne change pas d’avis, Lalique est toujours épatant, et les autres bien médiocres. Quant au Balzac de Rodin, il ne me plaît pas plus et cependant je lui trouve une certaine allure, vu d’un certain côté. Callot m’a envoyé la petite copie du Doux Pays de Puvis que je lui ai fait faire – Elle est assez bien réussie.
30721 mai. Mariage de Mlle Bouilhet à l’église St Martin rue des Marais – On s’écrase, comme d’habitude, pour pénétrer dans la sacristie.
308Je pars pour Noyers, tout seul – c’est la première fois que je me trouve seul dans cette grande maison. Il ne fait pas chaud et on supporte très bien le feu le soir – Il y a des milliers de hannetons qui font le soir un ronflement singulier. Je me promène après dîner avec Cyrano qui est très sage et très caressant, il croque les hannetons et les attrape même au vol – La cane est morte le pauvre canard reste veuf. Il y a si longtemps que nous avions cette petite cane au bec (de cane) de travers que cela me fait de la peine.
30922 mai. En sortant de la messe je dis bonjour à Mr le curé de Dangu qui m’apprend que le Cte Pozzo [246] est nommé député de la Corse, que le conseil de fabrique auquel je n’ai pu assister n’a rien eu d’intéressant – Il fait un temps magnifique. Je reçois à déjeuner le percepteur, qui arrive de Gisors à bicyclette pour la réunion du conseil municipal de l’après-midi et l’établissement du budget – Cette réunion est longue et animée. Je parviens à faire retirer cinq centimes extraordinaires, mais non sans difficultés. C’est curieux comment les paysans sont rétifs aux économies lorsqu’il ne s’agit pas de leur bourse personnelle – à 4 heures, on met en adjudication la location des parcelles du clos de Laubel. Toute la population est là. Je fais le crieur le commissaire-priseur etc. C’est très amusant de voir les clignements d’yeux les petits signes en dessous que me font les amateurs pour indiquer qu’ils veulent surenchérir – je fais tant et si bien l’article que la location se trouve doublée. Voilà un beau résultat et je ne regrette pas tout le mal que je me suis donné – Et puis on paiera d’avance ce sera encore un avantage pour la commune.
31023 mai. Grand remue ménage dans Noyers – C’est aujourd’hui le mariage de mon cher voisin Léon Thibault avec une jeune veuve de 35 ans, Mme Vve Bournizien, née Blanche de Saint-Denis – Je passe ma matinée avec l’institutrice à rédiger les actes, non sans peine, car c’est la première fois que cela m’arrive et à elle aussi – Enfin tout est prêt juste pour l’heure – Je vais vite passer mon habit, mon écharpe en sautoir, et le cortège arrive. Voitures de luxe, livrée neuve à Arthur Raffy [247], etc. fleurs à la mairie, c’est « splendide » – On se case tant bien que mal dans la petite salle et la cérémonie se fait sans incidents – Je ne puis faire autrement que d’adresser quelques paroles aux nouveaux époux, et, non sans émotion je leur dis, après le oui sacramentel : « Laissez-moi vous dire, mon cher voisin, tout le plaisir que j’éprouve à célébrer aujourd’hui ce mariage qui se présente sous d’aussi heureux auspices. C’est un événement qui marquera dans ma carrière de maire. Votre famille a toujours été honorée et respectée à Noyers ; votre regretté père a administré cette commune pendant de longues années avec un zèle et un dévouement auquel chacun rend un juste hommage, et qui ont laissé des souvenirs durables. Tout le monde ici vous connaît et vous estime, et dans toute la région vous ne comptez que des sympathies et des amis. Quant à vous, Madame, qui allez habiter notre si modeste et si petit pays, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue. Nous sommes tous heureux de vous voir fixée parmi nous ; c’est une bonne fortune à laquelle nous ne sommes guère habitués. Vous ne trouverez, croyez-le bien, que des visages accueillants, et je suis convaincu que vous vous plairez dans cette charmante propriété du Bocage, qui va abriter votre bonheur, et où tout est si bien préparé pour vous recevoir. Tous nos vœux vous y accompagnent et, comme ils se réaliseront sans aucun doute, vous pouvez être assurée de la félicité la plus parfaite. »
311Pendant ce temps on tirait le canon à la porte de la mairie, ce qui faisait sursauter la mariée – Puis on est allé déjeuner « dans cette charmante propriété du Bocage » que Mr Monthiers appelait le château de l’orgueil – J’étais à la droite de la mariée et à côté de Mme R[…] – Il y avait encore Mr le Cte Saski [248] chef d’escadrons, chevalier de la Légion d’honneur, le grand Durand, MMme Levaigne, Mr Jozon [249], Mr Recullet [250], Mr Notté, etc. en tout 15 couverts – bon déjeuner – puis cigare, promenade sur la route – Chaleur temps orageux – retour à Paris pour dîner à la maison avec maman qui entend avec intérêt le récit de mon séjour à Noyers.
31224 mai. Temps lourd, orages en l’air – Pauvre bicyclette quand en fera-t-on ? Chez Mme Langweil, encore q.q. inrôs !!… je suis donc incorrigible ? – Le soir aux Français, La Cigale chez les fourmis [251] et Le monde où l’on s’ennuie, toujours très amusant et bien joué, quoiqu’on y regrette Reichenberg et Madeleine Brohan – mais Prudhon, Truffier, Blanche Pierson, Müller et Bertiny [252] sont très bien –
31325 mai. Rien de particulier, nous dînons pour la dernière fois chez maman qui part bientôt pour Vichy, pendant que les Paul partiront pour Vaucresson.
31426 mai. Mariage de Léon Thibault dans la chapelle des cathéchismes de St Louis d’Antin, très peu de monde, 25 personnes environ ; il n’a pas envoyé d’invitations – Jeanne et Marguerite sont enchantées de voir la mariée. Leur impression est à peu près conforme à la mienne.
31527 mai. Je signe le bail pour la boutique Julien-Lacroix avec Mr Andler [253], pharmacien – Je fais mes adieux à la cousine Freppel qui va bientôt partir, puis nous partons Marguerite et moi pour Noyers – Jeanne y est depuis hier – Baptême de Marie-Antoinette, sans nous.
31628 mai au 1er juin. À Noyers !… quelle belle saison mais quel dommage qu’il pleuve autant ! Ce ne sont que bourrasques, coups de vent et coups d’arrosoir… je m’occupe de mes administrés, des procès-verbaux du conseil municipal et de la location de biens communaux, etc. – Il fait froid – Révision des chevaux le mardi de la Pentecôte, j’ai refusé de loger les militaires qui font cette opération, et, en excédant mon droit, je les ai rendus grincheux. Mais je leur fais mes excuses et me rattraperai en les recevant de mon mieux l’année prochaine (s’ils viennent). Nous dînons le dimanche chez les Guesnier, c’est la fête à Vesly – chevaux de bois, tir, etc. – le soir, les Bourgeois, Plum, séance de phonographe pas réussie mais qui nous fait bien rire – Ne pouvant guère faire de promenades à cause du mauvais temps, je dessine des fleurs (faux ébénier chevrefeuille), études qui pourront me servir pour des bijoux ou de la décoration – Je fais cependant une petite étude de pommier en fleurs mais une seule et pas fameuse. Nous faisons, avec Margot, une promenade à vélo à Lattainville pour voir un loueur de chevaux – nous rentrons un peu courbaturés à cause des côtes et du manque d’entraînement. Jacques St Cère est mort, son vrai nom était Rosenthal [254]. Je le regrette. Nous rentrons à Paris le 1er par le train du soir – Il fait froid – Toujours beaucoup de hannetons, de cytises en fleurs etc. – Cyrano est très gentil – Le percepteur et le contrôleur ont déjeuné avec nous. Mr Régnier [255] archéologue d’Évreux est venu avec Lamaury [256] photographe pour prendre des vues de Noyers et Nainville il a fait un temps épouvantable.
3172 juin. C’est Mr Deschanel qui est nommé Président de la Chambre et Brisson est resté sur le carreau [257]. Je n’en suis pas fâché. Le n° de mai de l’Art et Décoration vient de paraître avec mon article sur les boucles de ceinture – Le Gal Gerder et maman dînent chez nous – Mr Renoul le brave homme de chez Floury [258] est mort.
3183 juin. Encore chez Mme Langweil !… Je ne résiste pas à quelques petits achats de bibelots délicieux : inrôs et gardes et une admirable estampe de Toyonobu [259]. À l’Exposition des Vernet [260] à l’École des Bx-Arts : c’est Joseph qui triomphe avec ses marines, ses paysages qui rappellent le grand Claude – Carle reste tel qu’on le connaît, spirituel et habile – Horace dégringole dans mon estime et devient très vieux jeu malgré son talent. Mais ça paraît bien démodé – C’est égal, en revoyant tout cela on voit que Napoléon a tenu une vraie place au soleil !
319Vu Grumbach à son bureau + Richard + q.q. affaires au magasin.
3204 juin. Maman part pour Vichy je la conduis et l’installe dans le train. Il y a un monde énorme et c’est à grand peine que nous gardons dans son compartiment une place pour Mme Bournique qu’elle doit prendre en route, à Montargis – Chez Haghiwara des inrôs superbes… Puis-je résister absolument ?… non. L’affaire est dure, mais elle est assez importante !…
321Le Grand Duc Alexis est venu au magasin acheter un collier de chien de 20 000 – On a encore vendu un autre petit collier de 5 000 – si cela pouvait durer ! C’est comme le temps, qui est merveilleux… et c’est demain le Grand Prix ! – Mme Morlot dîne avec nous.
3225 juin. Je me lève de bonne heure pour partir à bicyclette à Vaucresson où nous devons déjeuner. Mais, ô douleur, il pleut à torrents !… je me recouche… et le mauvais temps persistant c’est en chemin de fer que nous partons. Thérèse et les enfants sont contents de nous voir, nous aussi – Ils ne sont pas mal installés, quoique petitement, mais c’est si beau la verdure en ce moment. Nous allons faire une visite aux Richard qui, eux aussi, sont nouvellement installés, dans une maison neuve, avec un jardin neuf qui a de bien jeunes arbres. Mais ce sera charmant dans q.q. années. Beaux iris, pelouses bien peignées. En face, c’est la propriété louée par Warée. C’est un vrai parc – nous allons pour le voir, mais il n’y viendra qu’au 15 juillet – Nous faisons une jolie promenade dans le bois –
323C’est « Le Roi Soleil », appartenant à Rothschild [261], qui a gagné le Grand Prix. Le temps s’est remis fort heureusement pour l’après-midi.
3246 juin. Promenade au bois à bicyclette. Il y a bien longtemps que cela ne m’était arrivé. Il fait très chaud, très lourd, mais que c’est donc beau ! Quelle saison admirable.
325L’après-midi gros orage, pluie extraordinaire mais la température reste très élevée, on cuit, c’est une étuve, 27° à l’ombre et la nuit 20° minimum.
3267 juin. Au bois le matin. Les routes se ressentent le déluge d’hier – rencontré Félix Faure à cheval avec son état-major – il me rend gracieusement mon salut – Il vient de voir la manœuvre à Bagatelle, qui n’est pas terminée lorsque j’y arrive – les fantassins sont chargés par la cavalerie qui les prend en écharpe de deux côtés à la fois – c’est très amusant. Déjeuner chez l’ami Warée, toujours aussi aimable et que j’aime bien.
327À la Chambre Syndicale avec Marest pour rectifier les fiches de la Bibliothèque – l’après-midi à l’Hôtel Drouot, expon de bibelots arabes, chinois, persans, etc. Collection Ch. Schefer [262] – je crois que je m’offrirai quelque chose – rencontré Gillot, Demaison, Kœchlin, etc. il fait une chaleur écrasante – Vu aussi l’exposn de la Colltn Tysckiewicz [263] – antiques épatantes – je donne commission à Feuardent [264] pour des fragments délicieux – Gillot m’entraîne chez Baron le marchand de curiosités qui a de fort belles choses, et que je ne connaissais pas. Il a une belle pièce d’armure de gladiateur, des bibelots du Moyen Âge et de la Renaissance, un Christ superbe, etc. J’achète un petit bas-relief en or repoussé du xvie italien, Hercule et l’Hydre, pour 100 frs. Le soir, il fait très lourd, je propose à Jeanne et à Marguerite une promenade en voiture au bois, qui est vite acceptée. Nous choisissons une bonne voiture à pneus et nous voilà partis. Dès l’Arc de Triomphe, sous la voûte duquel nous voyons briller Vénus, il fait plus frais. Les acacias sont en fleurs ainsi que les sureaux, le bois est délicieux ainsi ce sont des bouffées tièdes et odorantes exquises. Non seulement Vénus, mais Jupiter et Mars brillent d’un vif éclat. Excellente soirée qui nous repose et nous détend et permet de bien dormir ensuite.
3288 juin. Encore une petite promenade à vélo, mais de très bonne heure à cause de la chaleur, il y a beaucoup de monde, mais, hélas, c’est aujourd’hui St Médard et voilà qu’il pleut… nous en aurons pour 40 jours [265] ?…
329À l’atelier à 10h avec MMrs Marquet de Vasselot, Kœpping [266] le graveur allemand, et Ch. Houdard. On regarde les Harunobu. Mais ces messieurs (j’excepte l’ami Houdard) n’ont pas l’air de vibrer beaucoup, ils me font l’effet de faux connaisseurs.
330L’après-midi à l’Hôtel Drouot qui est une vraie fournaise, exposition de tableaux d’un Mr de Glasgow [267], je reconnais une figure de Corot, Femme à l’atelier, une nature morte de Bonvin, un paysage de Corot, un petit Jonkind [sic] qui m’ont appartenu. Dans des salles voisines commencent les ventes Schefer et Tyszkiewicz ; j’achète à cette dernière deux moules de vases antiques charmants et j’essaierai d’en faire une édition, limitée, en argent –
331Nous prenons, avec Gillot, nos dernières dispositions pour la vente Schefer afin de ne pas nous surenchérir réciproquement.
332Au Hammam, foule énorme, plus de cabines, bousculades. Je pèse 76k200, ce qui est un progrès. Le soir je me délecte dans la lecture des « notes » sur le théâtre d’Alex. Dumas fils. C’est parfait, je les relirai plusieurs fois. Quelles belles leçons de morale, si simples, si vraies ; mais ce n’est pas toujours facile de les mettre soi-même en pratique !… Il prétend qu’avec la Volonté on surmonte tous ses mauvais instincts – oui, mais c’est souvent bien dur. C’est égal, cela me fait du bien de lire ce volume. Sa correspondence avec Desclée [268] est admirable des deux côtés.
3339 juin. Enterrement de Mr Lapra [269], le beau-père de Chenot, à St Philippe. Pendant ce temps, Paul va au mariage du Cdt Ducros [270] son camarade de l’X. L’après-midi, courses nombreuses :
334Expn des arts de la femme [271] rue des Bons-Enfants dans l’ancien Hôtel de la Chancellerie d’Orléans, très belles boiseries et dorures. Il y a des objets assez intéressants exposés par les dames de l’Union des Arts Décoratifs – Ensuite chez Mlle Loizillon pour lui recommander Marguerite qui passe son examen, brevet élémentaire, dans 8 jours. Chez Richard Désandré le ciseleur, au Luxembourg, en coup de vent, pour voir les nouvelles aquarelles de Gustave Moreau données par Mr Hayem [272]. Elles sont très bien mais je m’attendais à encore mieux – Au Louvre. magasin pour divers achats, etc. – À l’Hôtel Drouot les ventes Schefer et Tyszkiewicz continuent, il y fait une chaleur abominable.
33510 juin. Malgré un temps très gris, très bas, très menaçant, je pars à bicyclette pour le Bois, où a lieu la course des artistes [273]. Il pleuvote et cela retire énormément d’intérêt. Mais c’est amusant tout de même de voir ces petites actrices en chauffeuses, ou à tandem, ou à vélo. Il y a beaucoup de monde élégant, de la musique militaire, etc., mais on ne commence que vers 10h de sorte que je reviens avant d’avoir vu la parade fleurie. En sortant, je donne ma carte de pesage à Maurice Monthiers – Mais on peut très bien voir sans cartes, en se plaçant près du moulin.
336À l’Hôtel Drouot, Gillot a la théière de Schefer pour 1 360 frs et moi j’ai le porte-bouquet 2 animaux fantastiques pour 1 100 !.. j’ai lâché le canard à 1 300. Dans la salle à côté, à la vente Tyszkiewicz le Louvre achète une statue en basalte noir égyptien pour 26 ou 29 000 frs [274]… et une anse sassanide à peu près dans les mêmes prix – Gillot se désole de ne pas avoir eu certains objets qu’il désirait et qui se sont vendus très cher – Mais nous sommes contents de nos deux objets chinois – L’abbé Rivière [275] est nommé curé de St Antoine, à Paris – Les pauvres Espagnols sont dans de mauvais draps aux Philippines [276] !… Mr Krantz est nommé Vice-Président de la Chambre des Députés. Bravo !
33711 juin. Rangements à l’atelier. Que c’est long ! Il faudrait des mois et encore y arriverai-je ? L’après-midi au Louvre, il y avait longtemps. Vu le nouveau Goya acheté à la vente Kums [277], très beau, puis la nouvelle salle des dessins du xviiie, enfin je fais une promenade générale rapide – Les pauvres statues égyptiennes du rez-de-chaussée doivent bien souffrir d’être ainsi dans une cave froide après avoir été si longtemps au soleil natal, et par cette température lourde, ils suent ! – Vu chez Petit l’expositn de l’aquarelliste Béthune [278] dont il y a peu à dire et celle de Claude Monet : falaises, cathédrales, bords de la Seine. Le même motif se trouve répété jusqu’à 12 et 14 fois sans le plus petit changement de lignes ou de silhouettes, c’est l’effet de la coloration seule qui diffère. Oserais-je me dire à moi-même que je préférais ses œuvres d’il y a dix ans ? Je n’aime pas ses cathédrales et je suis un peu de l’avis de Puvis de Chavannes qui prétend que Monet a choisi la plus vieille pierre de la cathédrale pour peindre dessus. Vu Leverson [279] de Londres qui a de beaux rubis, mais quels prix !… On voit que l’exposition de 1900 approche – Le soir, dîner japonais au café Cardinal : Groult, Gillot, Kœchlin, Mourier, Blondeau, Raphaël Collin, Gautruche etc. – Bing et Manzi manquaient pour la 1ère fois – causerie très animée, Groult raconte toujours des histoires invraisemblables avec des interjections qu’il lance d’une voix vibrante : « effrayant ! » – « adorable » – « chef-d’œuvre ! » Il est très amusant, bien qu’il se répète quelquefois. Mais quelle vigeur, quelle exubérance il a malgré son âge – Il raconte qu’un jour Madeleine Lemaire [280] devant venir le voir il avait préparé, bien en évidence sur un chevalet, une ancienne œuvre de la dite. Lorsqu’au cours de sa visite elle arriva devant l’aquarelle, elle minauda en s’écriant : Ah, comment Monsieur, c’est vous qui avez cela ! Mais il doit y avoir bien longtemps. En effet répondit Groult, qui voulant être encore plus aimable exagérait les choses et voulait avoir été le Christophe Colomb de Lemaire, en effet il y a bien trente ans !… (Quelle gaffe, c’est « effrayant » !) – tête de Mlle Lemaire qui pose pour la jeunesse – Il paraît qu’elle n’a jamais remis les pieds chez lui – Il en raconte encore bien d’autres : Un jour Alexandre Dumas fils, qui était un peu avare, avait un ami à déjeuner, et s’était fait servir une bouteille de bon bordeaux, tandis que l’ami avait une bouteille d’ordinaire. À la fin du repas, Dumas s’aperçoit qu’il avait vidé sa bouteille sans en avoir offert, et s’écrie : En veux-tu ? Je t’ai oublié ! – Merci lui répond l’ami, mais je me suis habitué à l’autre ! (« Effrayant » !…). Il paraît que Dumas n’a rien trouvé à répondre et, ajoutait-il, voilà 17 ans que cela m’est arrivé, j’y ai pensé souvent, et après 17 ans je n’ai pas encore trouvé ce que j’aurais pu répondre (« Effrayant »…). On ferait un volume de toutes ses histoires. Et avec quel jeu de physionomie il les débite !… Au dessert on se passe de main en main les bibelots que certains ont apportés. Ma belle médaille de Syracuse a un grand succès, l’estampage du gobelet de la vente Tyszkiewicz d’hier, aussi et mes inrôs de Kōrin. Je montre aussi un fruit de nâcre (châtaigne d’eau) qui a l’air d’un vrai netzké.
33812 juin. J’enfonce ma bécane de bonne heure et me voilà parti pour le Vésinet pour présider la course de la B.J.O.H. – c.à.d. Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, Horlogerie (ouf !!). Le temps est gris mais j’espère néanmoins que St Barnabé aura bien gagné sa victoire d’hier sur St Médard. Et en effet vers midi, le soleil s’est montré, splendide et chaud, et la journée a été magnifique. Le parc du Vésinet est admirable, les courses ont lieu sur une route, unie comme une piste, qui fait le tour d’un lac. Il y avait 28 tours à faire, soit 30 kilomètres, pour les coureurs de vitesse et pour les routiers – les vétérans, âgés d’au moins 40 ans, n’avaient à parcourir que 10k500 (10 tours). Les premiers ont effectué leur parcours en 44’15”, les routiers en 47’ juste, les vétérans en 24’30”. J’aurais, je crois, gagné la course des vétérans, et j’essaierai probablement l’année prochaine – Pas d’accidents sérieux, quelques pelles avec écorchures – réunion très cordiale et très nombreuse – beaucoup de dames – On a déjeuné dans l’île qui est ravissante, sous une grande tente, 135 couverts – repas plutôt frugal. Je suis au milieu en ma qualité de Président d’Honneur, ayant à ma droite ce brave Félix Desprès, et à ma gauche Émile Auger, Président de la B.J.O.H. puis Hénin, Keller, Auger père, Charles Massin toujours très aimable et très empressé, etc. etc. Au dessert, discours du Président – J’y réponds de mon mieux en q.q. mots, mais je suis bien intimidé, il m’est impossible de parler en public. Tout se passe très bien – Après le cigare, jeux divers tirage de la tombola, course de brouettes pour les dames puis pour les messieurs ; il s’agit d’arriver au but sans faire sauter, ou plutôt sans perdre, les 4 boules de caoutchouc numérotées qui sont dans la brouette et qui correspondent à un numéro de 4 chiffres. Puis course à pied pour les garçons du Vésinet, jeu de ciseaux pour les petites filles etc. Vers 4 heures je pars pour Vaucresson il fait chaud mais le paysage est splendide – je passe la Seine au pont de Bougival et gravis péniblement la côte qui va à la Celle-St Cloud. J’appuie ferme sur les pédales mais je baigne la route de mes sueurs… je triomphe cependant et arrive à Vaucresson – les Paul sont chez les Richard, et je vais les y retrouver – Retour à Paris par Garches, Suresnes. Il y a des cyclistes en foule mais cela devient prodigieux dans la côte de Suresnes et surtout au Pont de Suresnes, et dans le bois, où je me trouve en pleine rentrée de courses. C’est inimaginable la quantité de voitures de toute espèce, de gens qui se bousculent, de cyclistes de tout sexe et de tout plumage… je franchis cependant sans accroc cette foule bariolée. La descente des Champs-Élysées se fait aussi sans encombre et j’arrive rue de la Paix un peu fatigué… mais de fraîches et abondantes ablutions me retapent bientôt. Je dîne bien et je dors encore mieux.
339Il y a 17k600 de Vaucresson (Richard) à la rue de la Paix 19 et il faut 45’ en ne flânant pas en route.
34013 juin. Encore une petite promenade au Bois pour me dérouiller et empêcher la courbature. Quel contraste avec hier ! Il n’y a personne. Je suis rentré à 9h et vais à la Chbre Syndicale pour la Common Bibliothécaire. Cet excellent Marest a terminé le classement et le catalogue. L’après-midi, Paul va à Meudon avec Garnier pour faire l’inventaire de la maison Dumoret [281] qui est louée ; je reste, mais je vais cependant voir l’exposition de reliures anglaises chez Boussod – C’est parfait. J’y retrouve mes Cobden-Sanderson [282] et d’autres très intéressants. Il fait chaud, j’ai une soif terrible et ne puis résister à une bonne orangeade chez Bruschera [283]. Le vent est au beau mais hélas en même temps il apporte les émanations de la forêt de Bondy [284] !…
34114 juin. Un peu de vélo le matin pour se réveiller – mais le temps est gris, il fait un vent très violent et froid, et je suis enrhumé… ça ne va pas très bien – C’est aujourd’hui l’excursion annuelle de la Société d’Archéologie de Pontoise et du Vexin. Elle a lieu, cette fois, à Chantilly [285]. On déjeune à 11h ½ chez Barbotte [286] où je retrouve Élisabeth.et Jules Écorcheville – Train spécial sans arrêt jusqu’à Chantilly, où un break attend les dames pour les conduire au château. Les messieurs s’y rendent à pied. C’est toujours aussi beau, ces larges pièces d’eau avec des carpes énormes, cette forêt magnifique, la statue du connétable l’épée haute, etc. La visite se fait librement chacun circule comme il l’entend – La chapelle, l’escalier, dont je n’aime pas la célèbre rampe et dont je préfère beaucoup les tapisseries. La bibliothèque où nous reçut d’une façon si courtoise le duc d’Aumale peu de mois avant sa mort ! C’était un dimanche et le Prince, à qui j’avais envoyé un catalogue de mes tableaux sur japon et spécialement tiré pour lui (il y en avait un pour lui, un pour Félix Faure, un autre pour notre ami Nicolas II, un pour Chauchard, un pour mon frère, un pour moi), le Prince m’avait remercié par l’intermédiaire de Mr Limbourg et m’avait fait demander s’il me serait agréable d’aller un dimanche à Chantilly. Naturellement j’y allais avec empressement. Mon frère m’y accompagnait. Quelques personnes s’y trouvaient en même temps que nous ; Mr G. Duplessis [287] de la Bibliothèque Natle, Dreyfus, le grand collectionneur, Louis Passy de l’Institut, etc. Mme Clinchant recevait et faisait les présentations. Le duc, très goutteux, avait les doigts atrocement déformés et gonflés comme des saucisses, cela faisait mal à voir. On lui apporte sa petite pipe en bruyère. Mais quelle amabilité, comme il savait trouver un mot pour chacun. Il nous parla de Metz, notre pays (et je le revis en pensée tel qu’il m’était apparu présidant le Conseil de Guerre qui jugeait Bazaine à Versailles [288] – ce fut une rude journée, bien émouvante pour mon cœur de Messin !)… Enfin… Le pauvre Duc était bien vieilli, bien cassé, mais quel œil vivant, quelle belle physionomie française et aimable. Je trouve que le portrait de Benjamin-Constant.n’en donne pas du tout l’impression – Ce dimanche-là nous étions seuls à nous promener dans tout le château (le commandant Berteaux, son officier d’ordonnance, fils de l’ancien ministre de la Guerre, nous avait ouvert toutes les portes). Aujourd’hui c’est un groupe de 180 touristes, choisis pourtant, qui se promène partout, cela m’attriste sans savoir pourquoi – J’admire les merveilles de ce musée Condé, les Descamps [289], l’admirable Delacroix, Les Deux Foscari, qui est un chef-d’œuvre incomparable, le grand Corot etc. etc. Meissonier baisse dans mon estime. Mais quels beaux dessins de Prudhon, de Clouet et quelle série du xvie… on n’a malheureusement pas assez de temps en deux ou trois heures pour bien voir – Les tapisseries de la salle à manger sont superbes, et les chiens de Gardet [290], et tout, tout… Ce Santuario avec les miniatures de Fouquet, les deux Raphaël, et l’admirable panneau de Filippo Lippi est une perle – on ne peut rien rêver de supérieur à ces œuvres de Fouquet… Sur une cheminée, une pendule et deux candélabres en argent avec figures d’enfants en ivoire, par Froment-Meurice [291], c’est bien démodé !… et les meubles de style L. XV exécutés du temps de Louis-Philippe sont aussi bien laids… Mais le Salon aux Singes est charmant, la galerie Condé est intéressante avec ses drapeaux de Rocroi et ses reliques d’autrefois – Vu aussi, en fait de reliques, l’épée du duc, sa croix de chevalier de la Légion d’honneur, sa médaille coloniale, sa croix d’officier, l’aigle du drapeau de son ancien régiment, etc. etc. – Les jambes commencent à me rentrer dans le corps, et la migraine commence à poindre à force de regarder avec trop d’attention et puis, c’est l’heure du départ. Nous regagnons la gare par le champ de courses et les écuries monumentales, immenses, que l’on n’apprécie véritablement que lorsqu’on est à l’intérieur c’est alors qu’on se rend compte de l’immensité des proportions. Justement l’équipage du duc de Chartres rentre au chenil pendant que nous sommes là. Nous y allons. C’est un vrai plaisir que de voir ces cent beaux chiens de St Hubert dont les queues frétillent, qui restent obéissants et bien rangés sur leur lit de camp, fixant sur vous leurs bons yeux de bonnes bêtes qu’ils sont. Je les caresse, et ensuite nous passons dans leur salle à manger où des auges sont préparées avec de la pâtée. À cinq heures précises, ils entrent en aboyant de toutes leurs forces – cela fait un joli tapage, mais sans dépasser les valets de chiens qui les précèdent le fouet levé. Au signal donné – pas avant – ils se précipitent à table et le silence se fait instantanément. Pendant qu’ils ont un morceau dans la bouche ils ne songent plus à aboyer. Tout cela est très bien installé, très proprement, avec de l’eau claire et courante pour boire, pour se baigner etc.
34215 juin. Classé et examiné des rubis, de beaux lots d’émeraudes (qui augmentent de prix !) (2 et 3 000 le karat), acheté une reliure anglaise de Wood chez Goupil, vu des inrôs chez Mme Langweil sans rien acheter. À l’atelier, petit rangement ; chez Lévy, etc.
34316 juin. Chez Héliot 62 rue de Clichy, c’est la première fois que j’y vais, et c’est pour lui régler le montant de mes achats de la vente Schefer dont je l’avais chargé, ainsi que Gillot. Mais en même temps, il me montre de très jolies choses, dont des tabatières chinoises en pierre dure, des ornements de robe en améthyste, des bibelots en cristal de roche, etc. tout cela est si beau, si délicieux de couleur que j’en fais un choix… et je pense que nombre de ces objets pourront être montés avec de l’or et des pierreries et que cela me servira pour notre exposition de 1900… L’après-midi, à l’Hôtel Drouot, quatre tableaux venant de la succession de Mr Segond [292] notaire. Il y a un chef-d’œuvre de Corot, La Cueillette, absolument merveilleux, je pense qu’il fera au moins 50 000 frs – Un Rousseau très beau qui fera 60 000, un Ziem d’une qualité exceptionnelle (20 à 25 000 ?) et enfin un Rosa Bonheur, moutons, que je ne cite que pour mémoire – Nous terminons les achats d’émeraudes, de rubis, etc. de perles et de diamants, ce qui fait pour cette seule journée une centaine de mille francs – Marguerite a tenté aujourd’hui l’épreuve écrite du brevet élémentaire. Insuffisamment préparée elle n’a pas réussi. Mais j’avais tenu à ce qu’elle passe quand même cet examen pour l’obliger à travailler. Du reste ses cousines ont échoué aussi à la première épreuve, c’est une consolation. Elle recommencera, voilà tout.
344Le soir, distribution des prix de la course de la B.J.O.H. au Café de la Terrasse près de la ménagerie. On distribue d’abord les lots de la tombola, de la course de brouettes des dames, etc. puis les vainqueurs des courses qui sont : vitesse 30k : 1er Blaise, en 44’15” ; 2e Pouplier J., Reseker, [Morterielle], Devoux, [Brennus] – P. Pouplier, Lavoipierre, Bellencontre, Deberghe – Les vétérans : 1er Drouard (10k 500 en 24’30”), Chailloux, Roman, Nicola, Cavafian, Tuilliet – Routiers : 1er Carathier (30k en 47’ juste), 2e Carpenthier, Barberolle, Marie, Lévy, Girodias, Barbier, [Wylaille], Lemoine. Il y en a un à qui on a offert une pelle d’honneur, enrubannée, aux applaudissements de l’assistance. Il y avait beaucoup de monde, Desprès, Keller, Valton, etc. Mr É. Auger présidait assisté du Comité – À la fin de la séance, champagne avec les dames des sociétaires, dont Mme Voet, très capiteuse. Elle avait déjà fait sensation dimanche.
34517 juin. À bicyclette en suivant la Seine par le Bois, St Cloud, jusque Billancourt – Il fait superbe mais beaucoup de vent. Rencontré Félix Faure à cheval en redingote et chapeau de soie dès le matin. Je fais une nouvelle tournée chez Héliot pour les tabatières chinoises et chez Portier où j’en trouve encore de très belles. Cela me fait tellement plaisir que j’en ai mal dormi, y ayant pensé toute la nuit.
346Passé une heure au Salon, revu les bijoux sur lesquels mon opinion ne change pas – rencontré Mr et Mme de [F]eure très aimables.
347Été chez Haghiwara qui n’a pas d’objets en pierre dure – rangé et classé q.q. albums japonais – Il va falloir s’occuper de notre vitrine de 1900. J’y pense beaucoup et j’espère y bien travailler cet été et faire quelque chose de nouveau…
34818 juin. Dès le matin chez Portier où je retrouve encore des pierres dures et où je rencontre le brave Migeon – Puis chez Bing, qui n’a rien dans ce genre mais où j’achète un inrô magnifique et deux autres petits bibelots – Gillot vient me prendre l’après-midi, nous restons trois grandes heures à bibeloter à l’atelier, il admire beaucoup les laques. Puis à l’Hôtel Drouot, expon Tabourier [293] moins de bonnes choses que je ne pensais – chez Mme Langweil en passant – Le soir, Callot vient dîner – retour de voyage en Hollande où il vient de passer une quinzaine de jours avec MMme Toussaint il est enchanté – Hals, Rembrandt etc. et les carreaux, le ciel, l’atmosphère.
349On a vendu aujourd’hui les 4 tableaux de M. Segond – Le Corot a atteint 53 000 frs (il avait coûté 1 900 en 9bre 1866 à Beugniet père [294]), le Rousseau a fait 101 000 frs (coûtant 3 200 à Détrimont [295] octbre 1864), le Ziem, 20 000 (2 300 févr. 1865 Beugniet), le Rosa Bonheur 15 900 (je n’en aurais pas donné 1 000 frs).
35019 juin. Je pars plein d’ardeur avec ma bicyclette pour aller « faire » la Vallée de Chevreuse, mais, arrivé à la Gare St Lazare pour prendre le train de Versailles, il y a une telle affluence de cyclistes et une si mauvaise organisation qu’il me faut 13’ de queue avant d’arriver à l’unique employé qui enregistre les bécanes… De sorte que je manque le seul train qui m’eût permis de faire mon excursion dans la matinée et de reprendre un train aux environs de Rambouillet pour aller déjeuner à Vaucresson – Très contrarié je demande le registre des réclamations, et après un bon quart d’heure d’attente, on me demande pour quoi faire, quel genre de réclamation j’ai à faire, etc., et si c’est le registre des plaintes ou des réclamations. Enfin je consigne mes observations, et lorsque je vais pour reprendre un autre train qui me mènera aux environs de Versailles, la même histoire se reproduit et je ne puis partir. J’enfourche alors mon coursier et me voilà parti, au bois, où je vois des grappes de pêcheurs à la ligne sur les berges, dans des bateaux, partout… C’est, je crois, l’ouverture ! Il y a des hommes, des femmes, des enfants, des bonnes ; toutes les classes de la société y sont représentées, la gaule à la main – Montée de la côte de St-Cloud toujours assez dure, puis, Garches, Vaucresson etc. – promenade dans les bois, à l’étang de St-Cucufa très gentil avec beaucoup de nénuphars en fleurs – Il y a des cyclistes, des piétons, des petits employés avec leur famille, qui déjeunent sur l’herbe, des peintres, des étudiantes, etc. Mais quelle côte pour remonter vers Vaucresson !… j’y emploie tous mes muscles et mes poumons et, en appuyant ferme sur les pédales, en me cramponnant au guidon, je triomphe et j’arrive jusqu’en haut – Déjeuner chez les Paul à Vaucresson avec toute la smalah et Mme Delâtre + Suzanne Cornille. Il fait chaud, il fait lourd. Je repars pour Versailles et la fameuse Vallée de Chevreuse qui est charmante mais dont la réputation est peut-être un peu exagérée. Parti par la porte de Buc (à 3h) je contourne complètement la vallée par Bréguet, Orsay, Palaiseau, Chevreuse, Dampierre, et enfin Les Essarts-le-Roi où je reprends le train – Mais j’y arrive éreinté, vanné, à cause du vent violent qui m’empêchait d’avancer. J’avais beau pédaler dur, la résistance du vent était telle que je ne faisais que du 15 ou du 16 kil. à l’heure en y employant toutes mes forces… aussi ne s’en est-il pas fallu de plus d’une minute que je ne manque mon train (encore !…) et sans un emballage désespéré vers la fin, je restais en panne. J’étais certes plus fatigué que lorsque je suis allé au Havre en une journée l’année dernière, et, à peine en wagon, j’ai dormi immédiatement et profondément. C’était exquis. De Montparnasse à la maison, il y a 3k600.
35120 juin. Encore à la recherche de tabatières chinoises en pierre dure j’en retrouve chez Portier ; chez Bing il n’y en a plus mais il m’en montre trois montées délicieusement en flacons avec ornements d’argent doré très « Art nouveau » ; nous les achetons après les avoir examinées à la maison. Je lui achète aussi quelques petits bibelots en laque, pour moi – Le reste de la journée est employé à classer toutes ces tabatières, à voir le parti qu’on en pourra tirer pour le magasin, etc. Jeanne est en plein dans ses malles, elle part demain avec Marguerite pour Noyers.
35221 juin. Cette recherche de tabatières chinoises sera donc éternelle ? Je veux me rendre un compte exact de ce qu’il y en a à Paris et de leur valeur, et je vais encore ce matin dans quatre maisons de gros, qui n’en ont pas – C’est aujourd’hui la confirmation de Dédé dans l’intimité chez les Bons Pères. Nous n’y allons pas. L’après-midi chez Fonsèque, chez Clément, chez Bing, chez Portier, chez Pohl [296], chez Lévy, chez Godet [297] etc. Jeanne et Marguerite partent. Me voilà tout seul ! Ce n’est pas gai, mais je vais bien travailler, bien m’occuper, je viens d’inspecter la rue Royale pour voir s’il n’y avait pas quelque emplacement qui puisse nous convenir, hélas ! c’est très difficile, nous sommes tellement à l’étroit dans notre petite boutique de la rue de la Paix, qu’il n’y a pas moyen de transformer, et je voudrais bien changer, car à force de rester stationnaire on rétrograde… Il y a quelque chose à faire, voici 1900 qui arrive, il n’y a pas une minute à perdre – mais comment ? mais où ! Cette pensée sans cesse retournée me torture et me ronge ! Quel dommage que nous ayions renouvelé le bail au moment de mon mariage ! Nous n’aurions eu alors que l’embarras du choix !
35322 juin. Ce matin, pendant ma petite promenade au bois, je rencontre Félisque à cheval, le stick à la main, accompagné du Général Hagron [298] et d’un officier d’ordonnance. Un valet en livrée suit à distance. Il se dirige vers le champ de manœuvres. Je l’y devance. Les troupiers sont au repos, groupés autour de la musique qui joue et qui chante, et autour des marchands de goutte et de café. Tout à coup on aperçoit à l’extrémité du champ de manœuvres, vers la cascade, le Président qui arrive au petit galop de chasse. Aussitôt le clairon sonne le « garde à vous » et chacun regagne précipitamment sa place, c’est une bousculade pour arriver derrière les faisceaux et un coup d’œil pittoresque et amusant. Le colonel saute en selle, fait mettre la baïonnette au canon, présenter les armes, et les tambours et clairons battent et sonnent « aux champs ». Saluts de l’épée, du drapeau, etc. « Marseillaise » enfin tous les honneurs. C’est très chic et ça a été très vivement et très bien fait. Le Président sourit et, ayant fait mettre les troupes au repos il cause familièrement au colonel, lui demande combien il a d’hommes présents, combien par compagnie, etc… Il fait un temps splendide, les cyclistes des deux sexes sont accourus des quatre points de l’horizon en entendant la musique, le coup d’œil est ravissant. Quel dommage que je n’aie pas ma photo-jumelle. Même cérémonial pour le départ du Président qui s’éloigne au petit galop escorté d’un groupe de cyclistes. Il salue les dames, et disparaît dans une « allée réservée aux cavaliers ».
354C’est aujourd’hui l’été. Déjà !… les jours vont bientôt raccourcir ! À peine si on a su que le printemps était venu. Voilà les lilas qui sont en graines, les fleurs de marronnier qui tombent, les sureaux qui se fanent… la verdure prend une teinte plus foncée. Cela passe trop vite !…
355Le Saché [299] est venu cet après-midi pour causer des bibelots que je veux lui faire faire. Quel bavard ! Il parle de tout à tort et à travers, depuis les Égyptiens les Chinois les Grecs les Indiens, que sais-je encore !… et avec une belle assurance ! J’avais bien envie de lui demander ce qu’il pensait des bijoux de Lalique, c’eût été amusant, mais je n’ai pas osé. Le soir, j’admire, du refuge de l’Opéra, un magnifique coucher de soleil au bout de la rue Auber. Le ciel est comme une splendide étoffe tissée d’or… c’est merveilleux et chacun s’arrête un instant. C’est l’heure à laquelle les petites ouvrières de la rue de la Paix trottent rapidement pour rentrer chez elles. Il y en a de délicieuses, et je m’aperçois avec plaisir que je puis les regarder d’une façon absolument calme. Voilà un progrès, la matière se dompte, et je puis enfin considérer une jolie fille comme si c’était une jolie fleur. Mais que de combats avec moi-même pour obtenir ce résultat ! La satisfaction morale que j’en éprouve me récompense de mes longues luttes.
35623 juin. Encore une petite promenade au bois, mais courte, car je veux rentrer pour 9 heures. Il faut que je me débarasse de ce qui me reste à faire avant de partir en vacances. Mr Kœpping m’a écrit pour que je lui montre encore mes estampes japonaises, puis, tantôt c’est Mr Seidlitz [300] qui m’a fait la même demande. Je leur exprime tous mes regrets mais je ne puis disposer d’une heure avant mon départ – Migeon vient cependant et nous allons à l’atelier voir rapidement les inrôs dont Gillot lui a parlé. Il les admire beaucoup, et m’en montre un à lui qui est merveilleux, ce sont des personnages dont l’un est occupé à nettoyer l’oreille de l’autre pendant que le troisième, les bras levés, dans une pose étonnante, s’esclaffe. Je termine aujourd’hui l’affaire des tabatières chinoises avec Mr Portier. Paul est parti pour Moret enterrer le père Falize, 87 ans – J’ai passé toute ma soirée d’hier à écrire des baux pour Mr Basilewski [301] et pour Belleville. C’est assommant d’être propriétaire, ou plutôt époux d’une femme propriétaire… Ai acheté chez Floury un beau livre illustré par Dinet : Antar [302]. Je vois en même temps le dernier numéro de Dekorative Kunst que m’avait du reste montré après déjeuner un dessinateur, ami de Migeon, Mr Charpentier [303], qui travaille pour Bing et lui fait des meubles Art nouveau. Voilà une revue allemande qui va avoir une édition française dans quelques mois ! C’est effrayant… Autrefois c’était la France qui donnait le ton en Art, et maintenant ?… existe-t-il en France une revue quelconque qui paraisse en langue étrangère ? Voilà le moment de le pousser, ce fameux cri d’alarme dont on parle si souvent. Prenons garde, et chauffons dur pour 1900. Le moment est opportun, psychologique, et l’évolution se fait très rapidement. On ne veut plus du Louis XV, le public commence à s’intéresser aux formules nouvelles, attention, regardons attentivement ce qui va arriver. Jamais le moment n’aura été aussi favorable ni aussi intéressant. Cela va tellement vite qu’il y a des objets qui paraissent démodés au bout de six mois. Enfin ! Les orfèvres si retardataires vont donc être obligés (malgré eux cela va sans dire) de changer leurs vieux modèles ! Ils doivent s’en arracher les cheveux de désespoir ! Mais qu’est-ce qu’ils vont donc pouvoir nous montrer ? Ouvrons l’œil en 1900. Celui qui verra clair pourra écrire une jolie histoire de l’évolution artistique rapide opérée en quelques années, mais préparée depuis longtemps, il est vrai. Ça a été bien dur, bien lourd, bien long à mettre en mouvement, mais c’est comme une pierre qui roule sur une pente et dont la vitesse s’accélérant toujours devient incroyable – Il en sortira, je crois, quelque chose de bon – Attendons 1900 –
35724 juin. Journée terne, la journée se passe à classer des pierres, etc. Mr de Curel [304] toujours gai, aimable, vient le matin pour examiner son compte. Voilà un homme qui ne se doute pas de la reconnaissance que nous avons pour lui ! Il nous a bien aidé pour nos affaires et a contribué puissamment à notre éclatant succès de 1889 et par suite de Moscou et de Chicago. Quel brave homme ! C’est dommage qu’il ait la toquade des tableaux à présent. Adieu les bijoux ! Il parle de faire une vente de ses pierreries l’année prochaine… mais nous, c’est une fausse alerte, il n’en est rien. Le pauvre homme a les mains absolument déformées par la goutte, il ne peut plus monter à cheval – Le voilà parti pour jusqu’à la fin de l’année. Que Dieu le protège – Je signe le bail Andler pour la petite boutique de Belleville. Vu Grumbach – Vu Mr von Seidlitz de Dresde – Joly – etc. Mr Landois, dessinateur à qui nous achetons un dessin de peigne (30 frs) pour l’encourager à revenir. Le soir au Théâtre-Français, Adrienne Lecouvreur [305], avec de Féraudy, Bartet, Wanda de Boncza [306] qui a des bijoux superbes dont un collier de chien ornements joaillerie sur velours avec une grosse émeraude très beau – Mme Crousy et sa sœur sont dans une petite loge, je vais les voir pendant les entractes – La pièce ne m’intéresse pas beaucoup, elle me paraît prodigieusement vieillie, démodée, et puis je n’aime pas du tout ces vieux trucs de cassette de poudre de succession, de lettre substituée, de bracelet perdu, etc. Il y en a vraiment trop. Naturellement Bartet est charmante, mais la pièce m’a assommé et agacé avec toutes ses ficelles trop apparentes.
35825 juin. Je vais faire une estimation chez Mr T. qui a de gros intérêts en Espagne. Il a une rivière très importante et des bijoux intéressants qu’il va me confier pour les réaliser – Je plains les pauvres Espagnols ! Chez Haghiwara, je lui rends des inrôs et je prends quelques livres.
359Départ pour Noyers. Il fait bien mauvais temps, anniversaire assassinat Carnot [307].
36026 juin. Pluie, vent, ondées, grains, déluges etc. quelle journée pour être à la campagne !! À peine si on peut faire quelques petites promenades dans le parc pendant les éclaircies. Cyrano est toujours très gentil – Déchiffrage à 4 mains avec Marguerite.
36127 juin. Rentré à Paris – Toujours du mauvais temps ! – Maman est revenue de Vichy, un peu fatiguée, mais ayant bonne mine. Mr Bournique nous télégraphie que Mme Freppel est très mal… pauvre femme, cela me fait beaucoup de peine, je l’aime beaucoup.
362Beaucoup à faire au magasin pour toutes sortes de petites choses énervantes : lettres, dessins, clients rasoirs &. C’était hier la course dite de marathon [308]. Itinéraire : Paris-Versailles, Marly, St Germain, Le Pont de Conflans = 40 kil que le 1er, Champion de son nom, a parcouru en 2h 30’10” (record), malgré le mauvais temps. Voilà une belle performance !… Hurst est arrivé 2e à 2’ de distance. Charbonnel a été de Paris à Versailles en 59’ (record) 16k800 et le trajet est très dur à cause des côtes, et il pleuvait !…
363Nous n’avons toujours pas de ministère… je regretterai Méline, et je serais navré que ce soit Brisson [309].
36428 juin. Journée bien remplie : à 7h Mr Bournique venant de Vichy passe au magasin pour me parler de la cousine Freppel qui ne va pas, elle a une nouvelle congestion, et à 78 ans, c’est grave. Nous envisageons l’éventualité du décès, la rédaction des lettres de faire-part, le service etc. Je vais ensuite chez Léon Wendling pour le même motif et nous examinons ensemble la même question – Puis chez l’aimable Mr Limbourg, pour affaires, puis enfin une courte et dernière visite au Salon, où je trouve Faure [310] de l’Opéra (le divin, l’exquis, l’incomparable !) qui est, avec son fils, devant la vitrine de Lalique, et qui ne semble pas le goûter énormément – C’est la fête de Paul, je la lui souhaite en déjeunant – puis, dès 1h c’est Lévy, de l’Art et Décoration, qui vient pour me parler de mon tirage à part, puis je vais chez Mme Langweil qui m’a téléphoné à plusieurs reprises, pour me montrer des laques qui fort heureusement me laissent froid. Et puis, j’ai pris de bonnes résolutions, je veux calmer mes achats – Ensuite visite à l’Hôtel Drouot, 4 merveilleuses tapisseries d’Audran, scènes de comédie, j’y trouve Mrs Beurdeley et Rahir en train d’admirer. Puis, chez Lévy qui me montre un concours de dessins de cachets dont les plus intéressants sont de Vollet [311] – puis à la maison où j’écris quelques lettres et m’occupe de quelques clients, ensuite à Belleville pour affaires de locataires, d’enseignes de panonceaux etc., et rue Julien-Lacroix pour recommander au concierge de veiller au terme, etc. puis chez Me Richard, huissier, puis au magasin où j’écris encore des lettres pressées, etc. je dîne chez maman, et, le soir, chez Floury, puis après avoir envoyé des télégrammes à Mr Gadel mon architecte et à Mme Morel pour la rassurer sur l’état de Mme Freppel qui est meilleur, je reçois à 9h mon locataire de Belleville, Bardin, et nous discutons son futur bail jusqu’à 10h½… Après quelques rangements, je vais me coucher.
36529 juin. Encore une journée bien remplie par les courses qui précèdent les départs. Il y a tant de choses à faire qu’il me semble que jamais ça ne sera fini. Et cependant je voudrais bien partir demain, je suis fatigué, la campagne me détendra, et puis le baromètre remonte, vive la bicyclette et la peinture ! Je vais travailler ferme, faire des dessins de plantes, de fleurs, d’herbes, et tâcher d’en tirer quelque chose pour l’Exposition de 1900. Husson vient vers midi toujours aussi malheureux, aussi navré, aussi désolé. Je le retiens à déjeuner presque de force, car il s’en défend, le pauvre, sans doute par excès de timidité et d’amour-propre. Nous causons amicalement, cela paraît lui faire du bien, c’est un tout petit rayon de réconfort dans sa si lamentable existence. Il est lamentablement triste, toujours malade avec des enfants nombreux et malades, gagnant à peine de quoi vivre au jour le jour, vêtu de mes vieux vêtements hors d’usage… il a acheté une chemise ce matin pour pouvoir venir me voir – Il me raconte pour la centième fois ses infortunes rendues plus cruelles encore par l’inconduite de sa femme qui, de plus, se livre à la boisson. C’est atroce – Pour varier un peu la conversation nous parlons du Balzac de Rodin, il travaille chez Rodin et a assisté à la genèse de l’œuvre. D’abord, de nombreuses maquettes, des recherches très laborieuses, des efforts qui semblaient d’un homme épuisé. Il paraît que pendant ce temps Mme Rodin lisait à haute voix des œuvres de Balzac pour inspirer son auguste époux (sans calembour) puis il fit d’après nature une étude d’un modèle italien nu, paysan de la campagne romaine superbe – cette étude, très poussée, était demi-nature – Puis il habilla cette étude, lui ajouta un bras, pris sur une autre statue qui n’était pas à la même échelle, lui coupa la tête et travailla tant et tant là-dessus qu’il finit sans doute par n’y plus voir clair. J’ai revu au Salon ces jours-ci son Balzac, il ne me plaît décidément pas. Les artistes comme Rodin vivent dans une atmosphère factice, ils s’en rapportent à ce qu’écrivent sur leurs œuvres les critiques comme Mirbeau, Arsène Alexandre [312] et autres, ils se faussent le jugement, et sont isolés petit à petit du monde extérieur par leurs courtisans. Une fois qu’ils en arrivent là ils s’imaginent être dans la vérité et c’est pour eux une qualité primordiale d’être quand même hors le sens commun.
366Paul Monthiers, les Fresnay viennent dans la journée, je fais une tournée de courses, de commissions, d’achats, au Hammam je pèse 67k600 ! (après massage). Je dîne avec maman qui me fait manger mon premier melon de l’année (délicieux !). Le soir je transcris des baux !…
367Pas de nouvelles de la cousine Freppel. C’est bon signe.
36830 juin. Le matin chez Lalique pour différents projets qu’il doit nous faire. Il me remercie de mon article dans Art et Décoration paru ce matin. Il paraît content de ce que je dis de lui mais je crois qu’il en aurait voulu encore plus ! Il me reproche presque mes critiques et d’avoir été trop indulgent pour les autres – et cependant j’y ai mis beaucoup de sucre [313]. Il me montre un projet de flacon pour nous avec dessins de plumes de paon sur du cristal de roche et le bouchon formé par une tête de paon. C’est joli – De belles fleurs dans des vases chez lui : pavots, œillets, lys. J’admire beaucoup son talent – Ensuite à la Chbre Syndicale avec Marest pour examiner les copies de manuscrits que Germain Bapst vient d’offrir généreusement à notre bibliothèque – puis chez Pohl pour voir comment et dans quelles conditions nous pourrions lui commander des boîtes émail cloisonné japonais pour remplacer nos écrins. Il faut huit mois pour la livraison de notre commande. Acheté en passant de la musique pour Marguerite – Je vois qu’il ne me sera possible de partir pour Noyers que demain. Je télégraphie pour en prévenir Jeanne – signé le bail Bardin à Belleville et le bail Basilewski – enfin ! Henri Bournique et Victor Wendling [314] arrivent de Ronfeugerai et nous donnent de meilleures nouvelles de la cousine Freppel. C’est dimanche matin à 4h qu’elle a eu son attaque, elle est tombée de son lit, les domestiques accourus au bruit lui ont prodigué des soins, le docteur est venu de suite mais elle n’a voulu ni sangsues ni sinapismes, enfin pendant 48 heures elle a été entre la vie et la mort, on l’a administrée, et maintenant elle va mieux, elle reconnaît parfaitement son monde mais ne peut prononcer que des mots séparés ; elle a cependant toute sa lucidité d’esprit et se met en colère de ne pouvoir s’exprimer facilement. Elle fait tous les mouvements qu’elle veut mais la main droite est sans force et ne peut saisir ni tenir un objet. Sa main gauche est libre, les jambes aussi, mais elles sont mauvaises. Enfin espérons encore qu’elle se remettra – Je dîne chez maman avec Victor Wendling toujours gai et la figure bien ouverte – c’est un brave garçon – Le soir je termine mes préparatifs de départ et je fais le brouillon de la lettre de commande pour Pohl.
3691er juillet. Derniers préparatifs de départ, coupe de cheveux, visite à l’excellent abbé Hélin, etc. adieux à maman. Je vais donc partir ! Pourvu que le temps ne soit pas trop mauvais pendant ce mois de juillet !…
3702 juillet. Il fait bon à la campagne ! La végétation est superbe. Le temps passe trop vite. Un peu de musique, de lecture, dessins des pavots, du loroglosse qui sent bien mauvais, regarder le soir les vers luisants qui s’allument en même temps que les étoiles et oublier autant que possible la rue de la Paix, voilà comment se passe une journée. Le soir, jardin d’Émile, rencontré Thibault.
3713 juillet. Un peu de dessin (pavots), de [Favorite] à 4 mains avec Marguerite, à Aveny à bicyclette tous les trois, par un temps délicieux quoique venteux – Le soir après dîner, promenade au chêne N.D. [315] et aux bois de pins du comte Pozzo, lever de lune superbe… éclipse totale, très belle très curieuse –
3724 juillet. Temps superbe, dessin […] peinture etc. Le soir promenade à la Bellevue et sur le haut de Vesly – crépuscule de toute beauté, les alouettes chantent encore à 9h du soir – C’est exquis !
3735 juillet. À Vernon à bicyclette avec Marguerite – Jeanne y va par le train – nous trouvons la tante Morlot avec un meilleur moral, elle est avec ses neveux et nièces Léon Monchot, nous déjeunons ensemble puis allons voir les Legrand très aimables, qui nous donnent deux canards blancs pour Noyers pour remplacer les défunts. Pouff nous fait des amitiés nous le ramenons le soir après avoir dîné avec ma tante. Je téléphone à Paul, c’est très commode. La cuisinère de ma tante s’est fortement coupé la main, elle a un valet de chambre qui rappelle Méline.
374Les pauvres Espagnols !… quel désastre à Santiago, je les plains de tout mon cœur, y compris l’amiral Cervera [316] !
3756 juillet. À Gisors à bibi, je téléphone à Lévy pour réclamer mes épreuves, et à Paul – Il fait lourd ! Pouff et Cyrano font bon ménage et jouent ensemble. Les Guesnier viennent dîner avec Mme et Mlles Joly. Tour du parc, réglementaire – après dîner, Mr Guesnier chante. Il est attendrissant avec ses 80 ans.
3767 juillet. Parti pour Paris de bonne heure, à bibi jusque Gisors. Quelle épouvantable catastrophe ! La Bourgogne a été abordée en mer par un voilier anglais [317]. Plus de 600 personnes noyées !… c’est affreux, et les détails sont navrants. À Paris, il y a foule rue Auber aux bureaux de la Cie Transatlantique. On ne parle que de cet événement, et la mort de Cornélius Herz [318], ce filou de haut vol, passe presque inaperçue. Déjeuner chez maman avec Paul et Mr Bertrand – j’ai tant de choses à faire, et en si peu de temps que je ne sais plus où j’en suis. Enfin je reprends tout de même mon train après avoir vu Le Saché Scalier Fray. La boucle iris ciselée pour Paul Hébert, etc. etc. chez Marest pour le catalogue de la Bibliothèque Chbre Syndicale, chez Berville, etc… Rentré de Gisors à bibi ; chaleur –
3778 juillet. À Lattainville avec Jeanne à bicyclette pour voir les chevaux chez Mr Dubois le gérant de Mr Hénon [319] qui vient de mourir regretté de tous ceux qui l’ont connu. C’est assez rare pour être signalé – vu les chiens les chevaux le jardin etc. Ces gens sont très aimables. On attelle pour essayer les chevaux que l’on fait trotter jusqu’à Gisors. Je crois qu’ils iront. On retient aussi le cocher Périer. Je passe l’après-midi à écrire six lettres : à maman, à Paul, à Mr Lévy, à Mr Marest, à Blaise qui nous annonce son arrivée pour lundi, à Mr Passy pour lui demander sa protection pour la médaille d’honneur que j’ai demandée pour Constant Molle [320] et afin de l’avoir si possible pour le 14 juillet.
3789 juillet. Il fait froid, on ne se croirait guère en été. Je dessine de ces petites plantes grasses, sorte de mousse à fleurs jaunes, qui poussent sur les murs. L’après-midi avec Marguerite nous dessinons et aquarellons des coquelicots, puis faisons un peu de Beethoven. Le soir, séance du conseil municipal, pour décider avec quelle pompe aura lieu la fête du 14 juillet ! Les conseillers ont sommeil, les journées sont dures et depuis l’aurore jusqu’à 7 ou 8h du soir il faut faucher, faner, etc. Enfin on décide qu’on dépensera 35 frs dont 10 frs aux pauvres, 6 frs50 de poudre à canon, de l’huile et des lampions et environ 15 frs pour les jeux des garçons et des filles. À 2h distribution solennelle des prix, à 3h revue des pompiers ! Ça va être bien beau !…
37910.11.12.13 juillet. Toujours même train-train, il continue à faire beaucoup de vent et on ne peut pas peindre dehors. Blaise arrive le 11 au soir, il apporte une bicyclette ! bravo ! aussi dès le 12 nous voilà partis tous les quatre pour Aveny, le matin, et Blaise et moi pour Gisors l’après-midi ; ça va très bien – je fais q.q. courses dans Gisors. Jeanne et Margte y viennent en voiture, nous revisitons l’église, etc. Je fais nettoyer, démonter ma bicyclette pendant ce temps je téléphone (mal) à Paul –
380Je dessine encore un peu (des lys), puis il pleut hélas et nous faisons un peu de musique avec cet excellent Blaise [321]. Mme Morlot arrive le 13 à 4h. Le baromètre remonte un peu pourvu qu’il ne fasse pas trop mauvais demain – Nous récoltons des escargots. Hélas je n’aurai pas pour demain la médaille d’honneur que j’ai demandée pour Constant ! Le nouveau ministère se réserve de faire les distributions sans doute à ses amis et partisans.
38114 juillet. Salves d’artillerie dès le matin en l’honneur de la Fête Nationale – Nous filons, Blaise, Margte et moi, à bicyclette dans la jolie vallée de la Lévrière, jusque Hébécourt. Ce trajet est ravissant, c’est un de ceux que j’affectionne, il y a des paysages nouveaux à chaque tournant de route – L’après-midi, grand branle-bas. Les drapeaux sont mis partout, et la distribution des prix a lieu sur la « place du château ». Je la préside en habit, avec mon écharpe de maire en sautoir !… J’ai énormément d’émotion et suis très intimidé lorsqu’il s’agit de dire quelques mots aux enfants ! Je leur vante les bienfaits de l’instruction dont ils goûteront les fruits plus tard. Puis ce sont les enfants qui jouent de petites saynètes : un concours de bébés : Dondinette, trois bonnes sous le même bonnet, etc. des chants, des monologues. Enfin, c’est très réussi et très gentil. La nouvelle institutrice, Mlle Auriez, s’est donné beaucoup de mal pour obtenir ce résultat. Tout le monde est content. La distribution des prix vient ensuite, c’est Mlle Doré qui a le prix d’honneur. Elle avait les rôles les plus importants, aussi que la jeune Reist, dans le programme qu’on vient d’exécuter. Les enfants sont couronnés tous, les uns par leurs parents, les autres par les conseillers municipaux – Jeanne, Marguerite, le ménage Thibault sont au premier rang – Après la distribution, on offre un bouquet et on dit un compliment à l’institutrice pour la remercier de son dévouement. Puis on m’offre deux bouquets à cause de la St Henri. Je remercie tout le monde et je félicite au nom de l’assistance Mlle Auriez – Puis, revue des pompiers, ils manœuvrent bien et je leur adresse aussi mes félicitations. Ensuite, goûter offert aux enfants (brioches et sirop), aux pompiers, aux conseillers et enfin à tout le monde (150 brioches et du vin blanc) – Puis je vais me remettre en veston et les jeux commencent : jeu des chevilles, jeu des ciseaux, jeu des chapeaux – Le soir, retraite aux lanternes, illumination, bal. C’est André Malheux qui tient l’accordéon. Le jeune ménage Thibault passe la soirée à côté de nous. Je suis content lorsque tout est fini.
Fig. 15. Henri Vever, maire de Noyers (Eure), 1896-1904
Fig. 15. Henri Vever, maire de Noyers (Eure), 1896-1904
38215 juillet. Nous partons à 7h ½ (avec Blaise et Marguerite) pour les Andelys. Il fait un temps extraordinairement beau et les routes sont excellentes, nous roulons gaiement. Il nous faut 1h 23 pour arriver à l’église du grand Andely que nous visitons – nous faisons de même ensuite à celle du Petit Andely qui a des vestiges de peintures du xiiie autour de l’abside, très intéressant. La vue des bords de la Seine avec le château Gaillard est toujours bien belle. Après nous être un peu rafraîchis nous revenons en passant par la vieille route, qui est une sorte de ravin très dur à escalader lorsqu’il s’agit de pousser à la main des bicyclettes. Le soleil darde et cuit, nous arrivons ruisselants au sommet de la côte. Mais sitôt remis sur nos selles, il fait excellent à cause de l’air qu’on se fait à soi-même. Nous retournons sur Noyers au train de 20k à l’heure et rentrons pour déjeuner ayant fait 50k500. Un tub exquis termine cette belle matinée.
383L’après-midi, peinture, mais je n’arrive à rien. Il fait très chaud, je ne fais qu’une croûte infecte. Je peste, je rage, je me jure de ne plus toucher à la palette…
38416 juillet. Le matin avec cet excellent Gustave, promenade à nous deux à bicyclette dans le petit vallon de Boury, Vaudancourt, etc. nous montons presque jusqu’au Montjavoult, mais il fait une chaleur extrême (28° à l’ombre) nous allons par Parnes et St Clair nous rafraîchir à Montreuil s/Epte chez le fils de Constant, et rentrons par Aveny. Ce pauvre Gustave a ramassé deux pelles, mais c’est égal, il marche très bien – L’après-midi, chaleur, sieste, peinture – Le soir après dîner nous allons en break à St Clair, il fait un temps exquis, et c’est la fête qu’on appelle dans le pays le « feu de St Clair » [322] cela commence à l’église, et nous y allons, on chante les vêpres à 9h du soir, puis sermon (assez fade) par Mr le doyen de Magny. Il y a énormément de monde, l’église est pleine et illuminée il y a un des curés qui chante en criant comme si on l’égorgeait. Sur la grande place sont installés des chevaux de bois, tirs, boutiques, bal, etc. Il y a beaucoup de monde, et on vient de très loin pour cette fête, nous y rencontrons Mr Mignan [323] de Guerny, Mr Rouget [324] d’Étrépagny, les Thibault, des habitants de Noyers, Mme Gautrin, etc., les Arthur Molle… On se rend vers 10h en procession à l’Ermitage de St Clair, le chemin est illuminé avec des lanternes vénitiennes très nombreuses. C’est d’un très joli effet dans les arbres. À l’Ermitage, foule, illuminations brillantes, bombes. Il y a une source d’eau bénie (ou bénite ?) qui guérit des maux d’yeux, puis, à côté un arbre, un « mai » planté en terre au haut duquel est une couronne de fleurs suspendue horizontalement. Au pied de l’arbre, des fagots des bottes de paille etc. La procession arrive, accompagnée de chants. C’est très joli avec les cierges, les chasubles, les enfants en blanc, les châsses de St Clair et de St Cyrin portées et escortées de lumières – Le cortège tourne autour de l’arbre, puis les prêtres mettent avec des cierges le feu aux fagots dont la flamme s’élève très haut et vient lécher la couronne qui finit par brûler aussi. On bénit le feu et la procession continue à tourner autour. Des gerbes d’étincelles montent bien haut et semblent se confondre avec les étoiles dont le noir firmament est tout plein en ce moment. Lorsque le bûcher arrive à la fin de sa conflagration (ouf !), le cortège va bénir la source voisine, et chacun se précipite pour emporter quelques brandons bénis qui doivent porter bonheur à leurs heureux possesseurs – puis on va à la source prendre une bouteille d’eau pour les yeux. Nous rapportons un brandon mais ne nous étant pas précautionnés de bouteille nous ne pouvons en faire autant pour l’eau – Nous repartons avant que la cérémonie soit terminée car il est déjà tard, et le plus intéressant est fait. La procession doit ensuite rentrer à l’église et il y a une messe qui commence à 11h ½ pour se terminer après minuit. Nous rentrons dans l’air tiède d’une nuit splendidement étoilée, il fait bon, il fait exquis. Cette soirée a été très intéressante, il y a longtemps que j’avais entendu parler du feu de St Clair et le temps nous a favorisés pour la première fois que nous y allions. C’était un tableau curieux de voir cette cérémonie en plein air, cette foule, ces illuminations naïves et très jolies, cette grande flamme etc. Ce sont là sans doute de ces vieilles coutumes comme il y en avait beaucoup autrefois et qui tendent à disparaître.
38517 juillet. À la messe à Dangu, puis tous les quatre, à vélo par les Thilliers, Gamaches etc. L’après-midi, la nouvelle fanfare de Dangu-Noyers vient nous donner une aubade. Ils sont une douzaine jouant faux à qui mieux mieux ! C’est horrible, mais ils sont tellement convaincus… le chef d’orchestre un vieux barbon tout blanc se démène comme un beau (?) diable, et joue de la baguette à tort et à travers. Le répertoire de la fanfare se compose de 3 morceaux : Tabarca, pas redoublé, Invocation, morceau symphonique (oh ! combien !…) et enfin Coq-Hardi, pas redoublé. On exécute les 2 premiers et on vient sabler le champagne dans la salle à manger !… puis arrive le morceau d’adieu – C’était d’un aigre, d’un faux !… Je les ai pourtant invités à rehausser de leur présénce la fête de Noyers ! On va donc encore les voir s’époumoner, devenir cramoisis, souffler comme de vrais sourds sans s’occuper de la mesure ni des notes ! C’est Delastre qui nous vaut cette visite. Et on nous promet la Marseillaise pour la prochaine fois !…
38618 juillet. Excursion à la Forêt de Lyons. Jeanne, Marguerite, Blaise, et moi nous partons tous les quatre dès le matin par un temps splendide et prenons le train de 5h10 à Bernouville, qui nous met à Charleval à 7h¼ – De là, enfourchant nos fidèles bécanes nous remontons la jolie vallée de l’Andelle, par Vascœuil, et, après une petite erreur de parcours dans un charmant vallon vers Ry, nous arrivons au château du Héron, superbe propriété, parc admirablement tenu, les eaux vives de l’Andelle le traversent, fleurs, corbeilles, mosaïculture, bégonias, pièces d’eau etc. C’est très beau. Puis, passant par Morville nous gravissons la longue côte qui mène à La Haye-en-Lyons, et de laquelle on a des vues superbes sur la vallée. Cette côte est longue mais pas trop dure et nous la montons, Margte et moi, sur nos machines – à La Haye on casse une croûte de pain rassis avec une tablette de chocolat et un verre de vin blanc, ce qui nous réconforte, puis nous filons bon train sur la grande route jusqu’à La Feuillie. De là, par St Crépin, Lorleau, nous arrivons à Lyons-la-Forêt à 11h, après avoir traversé de jolies parties de Forêt, et parcouru de beaux sites – Mais Jeanne est un peu fatiguée des 50 kil de sa matinée – Blaise a été très vaillant et, en somme, nous sommes tous contents. Déjeuner chez Lieubray à la Licorne [325], après avoir visité l’église, seule curiosité de l’endroit, qui n’a de mérite que sa situation dans la vallée. Après des ablutions et un repos bien gagné nous repartons à 2h15 par la route des Andelys, pour Mortemer dont nous visitons les ruines de l’ancienne abbaye, de curiosité relative. Nous descendons la petite vallée sur Lisors et de là vers Étrépagny (où nous nous rafraîchissons) et Noyers où nous sommes à 5h15. Le temps nous a favorisés, le vent aussi, car depuis Lisors nous l’avions en plein dos et nous filions avec une rapidité délicieuse (total 82k400).
387C’est la fête de Marguerite, on la lui souhaite à table. Blaise lui donne un charmant petit vase de chez Daum.
388On dîne bien, on dort bien après une pareille saoûlée d’air et de soleil !
38919 juillet. Mme Morlot, Mr et Mme Legrand de Vernon et leur fils viennent passer la journée avec nous, il fait une chaleur lourde accablante, et on se promène mollement dans le parc. Marguerite conduit Mr Legrand en panier en lui faisant faire un tour de parc, elle est ravie. Le soir nous les reconduisons en voiture jusqu’à moitié route. Il fait délicieux.
39020 juillet. Je reçois beaucoup de cartes et de lettres de remerciements et de félicitations à l’occasion de mon article de l’Art et Décoration. Tout le monde me dit penser comme moi… Il pleut fort, on reste à la maison – billard, musique, flemme. Vers 4h le temps se lève, je vais à Gisors en voiture faire q.q. courses et reviens à Dangu prendre maman qui vient passer q.q. jours avec nous. J’espère qu’elle restera longtemps la chère maman et que le repos, le calme le bon air de Noyers lui rendront des forces et de la confiance en ses forces.
39121 juillet. Le matin avec Blaise, promenade à pied au bord de l’Epte de Gisancourt au moulin rouge pour chercher des motifs de peinture et de photographie – mais hélas ! Presque tous les arbres sont coupés ! Quel vandalisme !… des scieries volantes s’installent de place en place, et adieu les beaux sites, les jolis coins intimes. Et nous ne reverrons plus ces ombrages fournis par des arbres de 40 ans !… Je suis désolé ! – Vu en passant à Gisancourt l’installation de Mr Lusson dans les vieux bâtiments de ferme de Mr Mignan. C’était délabré, cela tombait en démence, comme on dit ici, et il en a tiré un excellent parti. C’est charmant et très enviable. Nous rentrons à pied par une chaleur qui nous accable et nous exténue – L’après-midi, en voiture à Ambleville. Le château est charmant (Sedelmeyer [326]), Renaissance, nous visitons le parc, petit mais bien arrangé, eaux vives, etc., nous photographions la visite à l’église, moderne – il y a un tableau de Ribera (?) offert par Mr Sedelmeyer (le châtelain qui a payé le château 30 000 frs seulement, dit-on) et un autre tableau, un Christ laid, donné par l’Empereur en 1869.
392Nous rentrons en suivant la vallée de l’Epte par Montreuil, où nous disons bonjour en passant à Arthur Molle comme d’habitude, puis arrêt à l’Ermitage de St Clair pour le montrer à maman qui est enchantée – retour par Beaujardin où nous achetons une superbe truite de 2 livres ½ toute fraîche. (On y vend les escargots 1 fr le 100).
39322 juillet. Journée passée avec Mr Lamaury pour photographier Noyers sous toutes ses faces. Le grand vent nous gêne beaucoup mais j’espère qu’il y aura néanmoins de bons clichés. Je suis éreinté d’être resté toute la journée debout – Voilà encore Zola qui recommence à faire parler de lui !… Il vient de fuir à l’étranger pour ne pas faire son année de prison [327]. Quel vilain monsieur. Les pauvres Espagnols ont capitulé à Santiago… [328]
39423 juillet. Temps très gris, grand vent. Mr Fray nous annonce que sa femme vient d’être opérée avec succès. Nous en sommes bien contents. Mr Passy député m’écrit que la médaille d’honneur pour Constant vient d’être accordée. Quel dommage que ça n’ait pas été pour le 14 juillet. Nous allons à Montreuil s/Epte pour en informer son fils et lui demander qu’il vienne déjeuner demain à Noyers.
39524 juillet. Je réunis dans le salon tous les domestiques et Arthur, sa femme, et sa petite-fille et après quelques paroles bien senties de remerciement à Constant Molle de ses longs et fidèles services depuis plus de 35 ans, je lui pique la petite médaille à ruban tricolore. Je lui donne 2 vases, Jeanne 100 frs, Marguerite une boîte de rubans de décoration. Il est devenu tout pâle et paraît heureux. Tant mieux si j’ai réussi à lui faire plaisir. C’est rare d’avoir de bons serviteurs qui restent aussi longtemps au service de la même famille et je trouve que c’est une satisfaction que de pouvoir les récompenser et les honorer publiquement.
396L’après-midi, lorsque les domestiques ont fini leur déjeuner, qui a été plus abondant que de coutume et arrosé de champagne, nous partons en break par Authevernes, Fours (où Blaise photographie l’église très pittoresque), Écos et l’abbaye du Trésor. Il ne reste plus grand-chose de cette vieille abbaye dont la construction remonte au temps de St Louis mais nous avions lu la brochure de Mr Régnier [329] et cela nous a intéressés tout de même. La porte d’entrée est encore bien, les vestiges de l’église et surtout le cellier ou réfectoire avec ses voûtes et ses colonnes, puis l’étang, complètement couvert de feuilles et de fleurs de nénuphars (ils disent de nufa). Nous avons parcouru une région très accidentée c’est bien le Vexin bossu, tout différent de la plaine d’Écouis, et d’aspect très varié.
39725 juillet. Il fait un temps atrocement lourd (28°) accablant. On flemmarde presque toute la journée. On tond Pouff, on lave les chiens, etc. Cependant, vers 5h Blaise vient avec moi à Gisors à vélo, faire quelques commissions.
39826 juillet. Lamaury vient acheter la série de photos de Noyers et refaire celles qui n’étaient pas réussies. Cela nous prend toute la journée jusque 4h ½. Puis je propose une petite promenade en vélo. Nous filons jusque Mussegros dont l’étymologie est, paraît-il, muche (cacher) gros, de Louis le Gros qui s’y cacha dit-on en 1119. La route est superbe, nous faisons du 20k à l’heure. Le temps est splendide mais chaud. Nous rentrons, les dames fatiguées, Jeanne grognant contre le train, trop accéléré à son goût. Le soir, les gendarmes viennent faire leur tournée à 9h ½ du soir. Il fait lourd et orageux.
39927 juillet. On ne fait pas grand-chose, démontage astiquage des vélos. Pierre Legrand [330] arrive de Vernon pour dîner.
40028 juillet. Grande promenade à bicyclette, de Gournay à Fleury-la-Forêt Lyons, retour par le gros chêne, Lilly, Bosquentin, Bézu-la-Forêt et la petite vallée jusque Bernouville, puis Noyers (82k300). Nous sommes favorisés par un temps exceptionnel : pas de poussière, pas de soleil, le vent au dos pour revenir. À Gournay, nous visitons l’église (xiie s) puis apercevons l’obélisque fontaine. Vu de belles parties de la forêt de Lyons mais hélas ! le plus bel endroit, qu’on nous avait indiqué et recommandé tout spécialement, vient d’être abattu ! Nous voyons encore des hêtres énormes par terre. L’arrivée à Lyons est magnifique : vallons, mamelons boisés – à Bézu-la-Forêt nous visitons le Château de la Fontaine du Houx à Mr Hébert, entièrement entouré d’eau – triste, humide, vu les appartements, je n’en voudrais pas ! même pas de la chambre de Charles VII ou Charles IX (la gardienne ne sait plus au juste). Nous rentrons à raison de 20k à l’heure.
40129 juillet. Réparation du pneu de Marguerite. Trois trous se découvrent successivement !… et il y en a un quatrième que je réparerai une autre fois ! Temps menaçant, nous allons cependant à Lattainville en break, vu l’église, vu encore l’église de Delincourt – Passé à Gisors – vu la sortie de la distribution des prix et le théâtre (minuscule). Le Cher Voisin m’apprend que son ménage ne marche pas bien (déjà !) et qu’il va peut-être se séparer… incompatibilité d’humeur, différence d’éducation, pas le même monde, etc… nous saurons un jour le vrai motif.
40230 juillet. Lever à 4h pour partir à 4h ½ avec Blaise à bicyclette pour Dieppe. Nous allons d’abord à Gournay, très rondement, sur une route superbe sans poussière, nous y arrivons en 2 heures 10 et malheureusement mon pneu crève en arrivant !… Prenons le train jusque Dieppe, il fait froid – Vu Dieppe, grande rue, Poissonnerie, le Port, Statue de Duquesne, Église St Jacques, etc… Repartons à midi par Arques, très jolie église d’une élégance rare ; nous ne visitons pas les ruines du vieux château que nous regardons de loin – jolie vallée vent au dos, beau temps. Blaise marche très bien – à Neufchâtel c’est le marché – j’avais encore crevé en route au château très remarquable de Mesnières – me suis réparé en route, Église de Neufchâtel assez curieuse du dehors, rues animées par le marché, drapeaux préparatifs pour le service des combattants de 1870 [331] – Encore une crevaison !… Je fais 8k sur ma jante et répare à Forges-les-Eaux – Nous filons toutes pédales pour arriver à temps à Gournay pour le train… 30k à l’heure, côtes !… hélas ! tant d’efforts ne servent de rien, les trains sont changés depuis le 1er juillet et le nôtre part 5’ avant l’heure de mon indicateur… avec un peu de complaisance de la part des employés nous serions partis, car ma machine a été mise au fourgon et Blaise n’était qu’à 200 mètres derrière moi. Je suis donc resté avec lui pendant que ma bicyclette filait sous mes yeux pour Gisors, emportant mon veston mon argent ma montre etc. Obligé d’acheter une veste et un foulard à Gournay pour ne pas attraper froid. Mauvais dîner à l’Hôtel… commis voyageur bavard avec lequel je bavarde aussi de l’Amérique et de la Russie – restons jusque 9h et, à Gisors, rentrons en voiture à 10h ½ à Noyers, 115kil.
40331 juillet. Élections pour 2 conseillers d’arrondissement : Mr Bourgeois [332] et Mr Tournant Lafosse, sortants – Temps admirable – recevons une dépêche cousine Freppel au plus mal !… hélas ! C’était prévu mais cela me fait beaucoup de peine quand on a connu et aimé les gens pendant si longtemps !…
404Je vais à 4h ½ à la distribution des prix de l’École des sœurs au château Pozzo di Borgo [333] – c’est dans une sorte d’orangerie où il fait très chaud. Le public et les enfants sont entassés. Le garde Babylo et sœur Marais font la police. Arrivée du comte, de la comtesse et de leurs enfants, précédés des pompiers de Dangu en uniforme – La fanfare attaque avec aigreur un pas de double !… oh ! mes oreilles… présentation, saluts, le comte me prie de m’asseoir à la droite de la Csse sur l’estrade. Marguerite est à côté de moi, puis les enfants Pozzo – Tous sont très aimables – chœur d’ouverture, saynètes, etc. La partie musicale a une très grande importance et est un peu trop rasoir – c’est un piano (?) et le crin-crin (!!) du chef de musique de Dangu qui accompagnent les pauvres enfants. Il y a cependant Mlle Louise Auzoux [334] qui est charmante à tous les points de vue. Nous partons avant la fin, parce qu’il faut que je sois à ma mairie pour 6h afin de dépouiller le scrutin – Mr Bourgeois obtient 36 voix, et Mr Tournant Lafosse 35 sur 47 inscrits et 36 votants – ils seront évidemment élus, étant conseillers d’arrondissement sortants et sans concurrents – j’envoie au chef-lieu le résultat par la poste, bien que la loi dise qu’il doit être porté par 2 des membres du bureau – mais je n’ai trouvé personne de bonne volonté pour cette corvée, pas même moi.
« [S]’arrêter, c’est reculer ! »
4051er août. On se lève encore de bon matin, à 5h. Les dames partent en break pour Vernon, et je pars avec Blaise à bicyclette pour la même destination, mais en passant par La Roche-Guyon. Il fait un temps idéal, les routes sont bonnes, pas de vent. La vallée de l’Epte est toujours aussi jolie, et j’ai un peu mal au cœur en songeant que je vois tous ces beaux paysages pour la dernière fois, puisque mes vacances finissent aujourd’hui et que je serai à Paris avant le dîner ! L’arrivée en haut de la côte en venant de Gasny est toujours superbe. Blaise admire le panorama qui s’étend de Vétheuil à Bonnières en passant par Mantes. Nous visitons le château de La Roche Foucault [sic] [335]. Quatre tapisseries des Gobelins, merveilleuses, signées Audran 1759, décorent les murs du salon. Très beaux portraits de Nattier, de Greuze, etc. Chambre où a couché Henri IV la veille (?) de la bataille d’Ivry – Table sur laquelle fut signée (hélas !) la révocation de l’édit de Nantes. Grande salle des gardes, fort belle, avec les portraits des ancêtres, dont l’auteur des fameuses maximes. Nous ne pouvons visiter les ruines de l’ancien château, et c’est déjà par exception que nous avons pu visiter dans la matinée, au lieu de l’après-midi. Nous entrons dans l’église, très peinturlurée à l’intérieur, très surchargée. La restauration a dû en être faite il y a 40 ou 50 ans.
406Nous allons sur le pont suspendu pour jouir du coup d’œil sur la Seine, qui est très beau, puis nous allons sur Vernon en suivant la Seine, par […] et Limetz puis Giverny où nous apercevons l’illustre Monet dans son jardin au milieu de toutes ses fleurs. Excellent déjeuner chez Mme Morlot (maman Jeanne, MrMme Monchot […], Blaise, Marguerite et moi). Il fait très chaud dans le jardin et horriblement chaud dans le train – J’apprends en route que Bismarck est mort [336]. Un journal allemand l’a appelé la Belle-Mère de l’Empire – Il avait 83 ans. Si seulement il était mort 30 ans plus tôt !… Peut-être que 1870 eût été moins cruel pour nous ! Peut-être cette guerre n’aurait-elle même jamais eu lieu !… Nous saurons tout cela dans l’autre vie. Et cela ne nous servira de rien car nous aurons alors oublié toutes les misères humaines, la souffrance sera abolie, le mal n’existera plus, tous auront pardonné à tous !…
407Allons, voilà que je divague !… Le soir Blaise dîne avec moi. Nous allons ensuite nous asseoir aux Ambassadeurs [337] où nous bâillons ferme. Il y a pourtant Yvette Guilbert qui est une véritable artiste, et des plus intéressantes, mais son répertoire actuel me plaît moins que celui de ces dernières années. Elle a engraissé et est belle femme, agréable à voir et à entendre. Il y a encore au programme deux athlètes… dont un a une force extraordinaire dans les bras : il soulève son compagnon dans toutes les positions, et c’est impossible à expliquer – Plébins, Fougère, Raiter, Sulbac [338], etc. puis des chanteurs Toulousains à la voix bien timbrée, sans compter l’inévitable monsieur en habit noir qui nous rase avec sa romance. Mais, en général, je trouve que toutes ces chansons sont, non pas lestes car je ne suis pas bégueule, mais sales, et avec trop d’allusions trop soulignées trop ordurières. Cela me déplaît. L’orchestre est toujours conduit par Deransart [339], voilà 25 ans que je le vois ainsi aux Champs-Élysées.
4082 août. Après une journée aussi copieusement remplie que celle d’hier, je suis un peu fatigué. Ch. Houdard vient dès le matin me voir, il est agité, son fils Marcel affronte aujourd’hui les chances du bachot !
409Reçu de mauvaises nouvelles de Ronfeugerai, la cousine Freppel est au plus mal, elle a perdu connaissance depuis samedi…
410Été chez Bing voir quelques broches « Art nouveau » assez intéressantes. Le moment est proche où l’évolution dans l’art industriel sera complète, et ce ne sera pas sans mal, et Bing aura été un de ceux qui auront fait leur possible pour favoriser cette évolution. C’est un homme d’une activité rare, j’admire combien il travaille. Chez Lévy – il me demande de lui indiquer des professionnels pour écrire des articles dans l’Art et Décoration. Je lui signale André Bouilhet pour l’orfèvrerie, et Massin pour la joaillerie [340]. Mr Godet, mon notaire, m’a signalé une boutique que l’on pourrait avoir au coin de la rue des Petits-Champs et de la rue de la Paix (c.à.d. de la place Vendôme) elle est occupée par un parfumeur [341], du même côté que Boucheron. Bail de 15 à 18 ans loyer 17 000 et on demande 125 000 !… pour la cession de l’emplacement. C’est horriblement cher et c’est trop petit. Vraiment ce ne serait pas la peine de changer. Et cependant je sens de plus en plus qu’il est nécessaire, qu’il est indispensable, qu’il est urgent de trouver un emplacement plus grand que celui que nous occupons. Voilà l’exposn de 1900 qui arrive à grands pas, notre local est tout à fait insuffisant pour nos besoins, de plus, il ne répond plus à ce que les confrères moins importants ont pour eux… chaque jour ce sont de nouveaux magasins, soit rue Royale soit ailleurs, qui s’installent somptueusement – s’arrêter, c’est reculer ! et impossible de trouver quelque chose de convenable. Nous serons étouffés avant dix ans si nous ne nous transplantons ailleurs !
411Le soir, Blaise m’emmène dîner aux Champs-Élysées au Bouillon Riche [342] ; c’est agréable d’être en plein air par cette température, aussi y a-t-il foule. C’est très vivant très animé et on y rencontre presque toujours des figures de connaissance – Nous allons ensuite au théâtre Marigny [343] nouvellement transformé, bien installé, genre Folies-Bergère en plus moderne. Nous y arrivons pendant le ballet « La Bulle d’Amour » [344], musique de Thomé assez gentille, costumes frais. Vient ensuite un spectacle coupé, acrobates etc., les 3 sœurs Dunbar dansent le genre anglais l’une se tenant devant deux glaces simulées et les 2 autres reproduisant la danse de la 1ère comme si c’était reflété exactement dans les glaces – ce n’est pas mal – Les Agoust [345] sont étourdissants de jonglerie, d’adresse de vivacité. Rien n’est drôle comme cette scène dans un restaurant parisien où tout est bon pour les jongleurs depuis les assiettes et les tables jusqu’aux lampes à pétrole etc. Le Biographe [346] vient ensuite ; c’est un très grand cinématographe. La vue prise de la plate-forme d’un train en marche (à Conway), l’incendie, et la revue du 14 Juillet sont très réussis.
4123 août. Il paraît que pendant mes vacances nous avons failli être volés. Un individu est venu au magasin sous le nom d’un grand industriel connu, Mr ___ et s’est fait envoyer au nom de ce Mr un choix de bagues de prix. On est allé les porter et Mr ___ était sorti et le domestique proposait de laisser le paquet, ce qui aurait été très naturel en égard à l’honorabilité de Mr ___. Mais l’employé porteur du paquet hésitait, et, ne sachant que décider, téléphona à la maison où on lui dit de revenir sans laisser – Pendant ce temps, le filou (car c’en était un) téléphonait chez Mr ___ pour demander si on n’avait pas apporté un paquet de la maison Vever, que c’était par erreur et qu’il allait passer le prendre. Il se donnait comme un employé de la maison qui aurait commis une erreur et serait venu reprendre le paquet. Le domestique, malheureusement, répondit qu’on était venu, qu’on n’avait rien laissé et qu’on repasserait. C’est dommage car sans cela on aurait pincé l’individu au moment où il serait venu chercher le susdit paquet –
413Mr Bing vient me prendre pour aller dîner à sa campagne, à la Jonchère [347]. Nous y allons par Vaucresson et les propriétés très boisées de la Celle St Cloud, c’est charmant. Sa villa est située à côté de celle de Mr Risler – de la terrasse, on découvre un panorama de toute beauté, qui s’étend des hauteurs de St Cloud jusqu’à St Germain, on a à sa droite les bois de St Cucufa, le Mt Valérien, au centre, La Malmaison, Chatou, Rueil-la-Seine, au fond les hauteurs de Cormeilles, Pontoise etc. Vu à cette heure de soleil couchant et par cette fin de belle journée d’été, le coup d’œil est féérique. Je reste en extase, en silence, savourant la douceur et l’harmonie de ces tonalités si variées de bois de champs de plaines, et cet horizon infini légèrement brumeux et doré. Il y a de quoi rendre rêveur le plus endurci – Les convives sont, en plus de moi, Mr de Radicikez [sic] directeur du Musée de Buda-Pesth, un homme charmant, parlant le français avec une correction et un charme rares, et Mr Colonna, un jeune Canadien qui dessine pour Bing ses bijoux (flacons et broches) Art nouveau – Il y a aussi Mlle Jacobsen l’ancienne gouvernante des Bing qui est très intelligente et très aimable et qui s’occupe beaucoup des affaires de Mr Bing. La conversation ne tarde pas à être intéressante, on parle Art nouveau, tendances nouvelles, exposition de 1900 etc. J’ai la conviction que nous sommes à une époque très rare, j’allais dire unique, pour la production d’œuvres d’art nouvelles. Tout le monde est saturé, dégoûté, écœuré, de voir rabâcher depuis tant d’années les vielles rengaines des styles Louis XV et autres, on commence à n’en plus vouloir, coûte que coûte, on veut réellement du nouveau. On commence à en produire, ce mouvement se dessine avec une rapidité inouïe, surtout depuis deux ou trois ans (Liberty, Lalique, Tiffany, Grasset, Chéret, Gallé, etc. etc…). On verra en 1900 l’ensemble de ce mouvement rénovateur, dans toutes les branches de l’industrie d’art. Enfin on bavarde beaucoup et, à l’heure du cigare, une pleine lune admirable sort des nuages où elle apparaissait et disparaissait alternativement et s’élève au-dessus du Mont Valérien dans un ciel de velours bleu pailleté d’or. Il y a une sérénité admirable et un calme frais dans toute la nature qui me fait monter les larmes aux yeux, mon cœur déborde d’admiration devant un aussi beau spectacle. L’aboiement lointain d’un chien ou le son de troupes de chasse que l’on entend à peine font encore plus ressortir la majesté de ce silence nocturne. Je pense aux beaux sonnets de Hérédia… la lune tiède luit [348]… On resterait là indéfiniment. Quel calme, quelle détente, et comme je comprends le désir de Mr Bing de vouloir acheter ce coin de terre privilégié – on lui loue cette maison, qui a un très beau jardin boisé bois-sacré, pour 1 500 frs… il y vient tous les soirs, rafraîchit son cerveau aux brises du soir, charme son œil de ce spectacle incomparable qui me paraît plus beau que celui de la mer – Le matin, il part de très bonne heure, à 6 heures par exemple, à pied, à travers la campagne et les bois, dans ce ravin qui traverse le parc de la Malmaison et il arrive à Paris ayant repris les forces nécessaires pour son travail quotidien, retrempé par ce contact avec la belle nature. Que ne puis-je en faire autant ! et quelle volupté ce serait pour moi par ces chaudes journées où tout dans la ville est transpiration, poussière, miasmes, fatigue ! C’est bien gentil d’aller à Noyers mais ça ne vaut pas un bon petit coin frais ou tiède bien ombragé, où la vue peut se perdre ainsi dans l’infini d’un paysage toujours changeant selon l’heure et la saison… nous redescendons prosaïquement par ce beau clair de lune, par une route dont la descente rapide nous conduit au tramway. Adieu l’idéal, adieu le rêve dans les étoiles… on prend une correspondance pour « l’Étoile » et c’est fini, on se couche en respirant l’odeur du crottin !…
4144 août. Ce matin je reçois de Mr Bournique un télégramme m’annonçant que la pauvre cousine Freppel est morte hier soir à 9 heures, à Ronfeugerai, chez les Lefebure [349] où elle était en villégiature. Quelle excellente et affectueuse personne ! et quels regrets elle laissera autour d’elle. Mais aussi quels excellents souvenirs dans le cœur de tous ceux qui l’auront connue… Elle avait 78 ans, il faut toujours passer par la porte de l’inconnu, et se consoler en pensant que tout le monde n’atteint pas cet âge-là, ni ne meurt aussi vite, sans traîner, sans souffrir, sans de ces maladies qui font pousser un soupir de soulagement quand le moribond cesse de respirer. On l’enterrera samedi à Paris – Je télégraphie à Jeanne, maman, et à Paul. Vu Léon Wendling, et nous nous concertons pour l’inhumation. Cette bonne cousine, qui était une femme d’ordre autant que de cœur, avait retranscrit tout récemment son livre d’adresses, de sorte que de Borniol n’a eu qu’à copier pour l’envoi des lettres d’invitation. Ce livre était fait si soigneusement, qu’elle avait écrit tout au long en toutes lettres Monsieur et Madame X et elle les répétait pour inscrire les adresses d’été et de villégiature de ses amis. C’était la bonté même elle était reconnaissante des moindres attentions et elle avait une façon à elle de vous embrasser, très affectueuse, très spéciale, très fondante.
415Je vais rue Blomet 136 dans un établissement de sœurs [350], où Mme Fray s’est faite opérer il y a une quinzaine de jours. On lui a complètement enlevé le sein gauche. Elle n’a rien senti et n’a pas du tout souffert depuis. Je la trouve assise dans le jardin, avec son mari, souriante et aimable comme d’habitude, le teint frais (sans le moindre calembour). Ils pensent partir samedi pour Aix, soigner les douleurs de Mr. C’est extraordinaire comme les opérations se font facilement maintenant et comme elles réussissent. Le jardin de l’établissement est plein de convalescents, à qui on a plus ou moins ouvert le ventre, enlevé des tumeurs ou des ovaires. Il y en a qui ont une triste mine mais il n’y a que quelques jours qu’elles sont opérées, paraît-il.
416Le Saché est venu ce matin apporter des projets de bijoux pour 1900… il y en a qui me plaisent et qui répondent bien à ce que je désirais, à ce que je lui avais expliqué. Je suis content et cela me fait passer une journée gaie malgré le chagrin que me cause la mort de la cousine que j’aimais beaucoup…
417Me voilà encore tourmenté par la chair, depuis mon retour à Paris ! C’est insupportable ! à quoi cela tient-il ? Oui, je sais, il y a le veuvage, la continence forcée ; mais n’y a-t-il pas plutôt l’air de Paris ? Ces jolies filles que l’on coudoie, que l’on voit passer toute la journée si fraîches si appétissantes, le teint que la température rend plus rose et cette absence de corsets qui laissent deviner de jeunes seins bien fermes et bien moulés ? le beau soleil, le beau temps etc. Il faut que je me remette à la bicyclette pour rompre un peu mon corps, il faut que je travaille, que je dessine, que je m’occupe – Il le faut. Je suis cependant très convaincu que je résisterais parfaitement à une tentation, même très forte, même provoquée par une charmante femme que j’aurais eu l’occasion de connaître, mais on dit qu’il ne faut pas tenter le diable, et il est plus prudent et plus sage de réprimer ces élans affectueux, ces bouffées, ces rages qui m’empoignent parfois avec une ardeur et une obstination dont je voudrais bien être délivré. Quel soulagement si j’étais débarrassé de tous ces cauchemars, de cette obsession amoureuse !… J’étais cependant bien calme à Noyers ; est-ce que la solitude me conviendrait mieux que la ville ? Est-ce que tout le monde est aussi tracassé, aussi tourmenté que moi sur ce sujet, ou si je suis une exception ? ne puis-je donc avoir un peu de répit et quel est donc ce fatal microbe que j’ai dans le sang et qui m’empoisonne ! comment m’en débarrasser !… Cette lutte continuelle contre moi-même me paraît inexplicable et contre nature. Il me semble que si je me laissais aller à une affection (coupable sans doute ?… hélas !..) mais dont je sens un besoin impérieux moralement et physiquement, il me semble que je serais plus calme, plus tranquille, que mon esprit serait plus en repos et que cette obsession exaspérante cesserait. J’ai besoin d’une bonne saignée de temps en temps. Pourquoi cela est-il défendu par la morale – Je ne veux pas essayer parce que je veux garder ma conscience intacte, et qu’il est plus facile de ne pas commettre une faute que de la réparer (c’est Dumas fils qui a dit cela) mais c’est bien dur, cela me coûte vraiment beaucoup, beaucoup.
418Charles Garnier, l’architecte de l’Opéra, est mort à 73 ans. Il ne les paraissait pas.
4195 août. Ce matin petite promenade à bicyclette pour calmer mes nerfs. Le bois est magnifique, il fait un temps idéal, d’une pureté rare. On travaille au Pont de Suresnes, pour l’élargir de 6m50… cela en vaut la peine [351]. Ces travaux vont durer au moins 18 mois. Mr Gaboriau est venu pour nous emprunter 10 000 frs dont il a besoin pour parfaire la somme nécessaire à l’achat de la maison qu’il habite avec son père rue des Pyrénées. C’est un excellent et honnête garçon et c’est avec plaisir que nous mettons cette somme à sa disposition. Voilà les commis bijoutiers qui deviennent propriétaires maintenant !
420Le Dr Victor Wendling arrive de Raon pour assister à l’enterrement de sa tante, nous en causons longuement ; puis Léon Wendling, le conseiller à la Cour, vient aussi, puis maman. Nous dînons tous ensemble à la maison quel dommage que ce soit une si triste circonstance qui nous réunisse. Maman part se coucher de bonne heure, elle est fatiguée, et nous allons à la gare Montparnasse attendre Henri Bournique et Mme Morel qui arrivent avec le corps. Ils sont éreintés, car ces dernières journées de la pauvre cousine ont été bien dures ; et puis il y a eu ce matin un service à l’église de Ronfeugerai, etc. etc. Malgré cela nous prenons q.q. bocks pour pouvoir causer plus longuement de tout ce qui reste à faire. Léon est exécuteur testamentaire, la chère cousine a laissé à chacun un souvenir : ses bijoux, ses livres, ses meubles, ses bibelots, tout cela est préparé avec beaucoup de soin. Elle m’avait donné avant son départ une Bible venant de la bibliothèque des Princes de Salm-Salm [352] que son mari ou son père avait achetée. Le ménage Paul va hériter de l’Ecce Homo en émail, maman d’une Vie des Saints en 8 ou 12 volumes, d’autres personnes auront un bronze Jeanne d’Arc, car elle avait une admiration très vive pour Jeanne d’Arc, d’autres, un bronze de l’Alsace, etc. etc. – La pauvre femme a eu cinq jours d’agonie, elle avait perdu connaissance dès le début et n’a pas souffert, fort heureusement.
4216 août. Dès le matin je m’occupe de préparer de quoi recevoir à déjeuner les Bournique, Wendling, Morel, etc. – ce n’est pas facile de s’organiser parce que je n’ai que ma femme de ménage et qu’elle ne connaît pas la place de tous les objets qu’il faudrait, linge de table, argenterie etc. Heureusement que Jeanne arrive de Noyers vers 10h et on a le temps de tout arranger. On prend le concierge comme serveur, et on déjeune au galop. Paul revient aussi de Ste Adresse. Service à N.D. de Lorette à midi. Il n’y a pas 50 personnes… et nous partons pour le cimetière de St Mandé en enfilant le Boud Voltaire dans toute sa longueur, la place du Trône, etc. Il fait un soleil torride nous cuisons et suons pendant ce long trajet à pied qui demande tout près de deux heures – Nous ne partons pour Noyers qu’après dîner, à 8h25 pour avoir moins chaud, car il fait très lourd, mais nous étouffons en wagon et arrivons à Gisors avec une demi-heure de retard… il est minuit lorsque nous sommes à Noyers, et le trajet en voiture découverte, par un beau clair de lune, ne nous a nullement rafraîchis.
4227 août. À la grande messe de Dangu, par exception et parce que nous nous étions couchés très tard. Le curé est souffrant, il a une laryngite et s’exprime avec difficulté. Il dit qu’en raison de sa maladie la grande messe deviendra basse messe à partir de l’Évangile, et il exhorte les fidèles à chanter à sa place. Il y a là une vieille bonne femme, la mère Bossu, qui a, dit-on, gagné un gros lot de la Ville de Paris, et qui est enragée pour chanter de toute la force de sa vieille voix aigre et fausse, sans se préoccuper ni du ton ni du rythme. Il est impossible de l’entendre sans perdre son sérieux, et on sait que plus le rire est réprimé plus il menace d’éclater – et c’est en effet ce qui arrive chaque fois que cette vieille mère Bossu entonne d’une voix inénarrable le credo ou le sanctus… maman elle-même, un jour, n’a pas pu résister… et le curé lui a demandé de se taire à plusieurs reprises, mais elle ne veut rien entendre et on ne peut rien imaginer de plus cocasse de plus grotesque dans le faux. La jolie Louise Auzoux est à la messe ainsi que d’autres de ses compagnes qui jouaient la comédie à la Distribon des Prix Dimanche dernier. Les marguilliers sont au banc d’œuvres, et l’enfant de chœur me donne aussi un gros morceau de pain bénit. L’après-midi, temps à ondées, on fait cependant le grand tour du parc avec Pouff et Cyrano, en se mettant à l’abri dans le bois lorsque la pluie est trop forte. Un peu de musique à 4 mains avec Marguerite (Orphée) et voilà la journée bien vite (trop vite) passée. Vu Pollet, Mlle Auriez etc. et le pauvre cheval fourbu (Sublet) qui a été surmené lors du trajet Vernon et retour. Cette pauvre bête fait pitié, il semble en bois, et a toutes les peines du monde pour aller jusqu’à l’abreuvoir qui est sa salle de bains, et dont il se trouve très bien.
Fig. 16. Dangu (Eure), église Saint-Jean-Baptiste
Fig. 16. Dangu (Eure), église Saint-Jean-Baptiste
4238 août. Pluie – rentrée à Paris – Hayashi est de retour du Japon, il a rapporté deux chiens de là-bas – mais il est sorti lorsque je vais pour le voir. Je pioche toute la journée pour tâcher de faire des dessins Art nouveau-Nouveau style. Je suis désespéré de mon impuissance et j’ai cependant une fièvre, un désir ardent, un besoin de produire quelque chose. Il y a des moments où j’ai envie de me cogner la tête contre le mur !…
424Vu Neumann, André Aucoc [353], qui viennent me remercier de ma brochure sur Lalique – Joly, etc. Je travaille encore tard, le soir, pour chercher de nouveaux dessins… je me donne un bon mal de tête et c’est à peu près tout le résultat.
4259 août. Eugène Boudin, le peintre des côtes normandes, est mort. Il avait je crois 73 ans. J’aimais beaucoup son talent, ses tons très fins et il avait une note bien personnelle. Je revois toujours avec plaisir les 15 ou 20 petits pastels que j’ai de lui, qui représentent des couchers de soleil. Jamais on n’a rendu ces effets insaisissables avec plus de vérité, d’harmonie et de sentiment. C’est exquis. On dirait de l’aile de papillon, avec beaucoup d’émotion devant la nature. Je passe ma journée presque complète à la Chambre syndicale avec Marest pour vérifier le catalogue de la Bibliothèque. J’en reviens avec une forte migraine.
426Hayashi en personne est venu me voir, retour du Japon – il est toujours le même, aussi aimable, et, physiquement il ne bouge pas on dirait un bronze immuable et inaltérable. Le nouveau commissaire général du Japon pour l’expn de 1900 a été reçu par l’Empereur avant son départ. Il en est très fier car il paraît que c’est un honneur qui n’est pas banal là-bas. Espérons qu’il va nous faire une belle exposition rétrospective japonaise qui nous permettra de bien juger des choses anciennes et de nous faire une opinion sérieuse, par nous-mêmes, de l’art ancien japonais que nous connaissons peu et mal. Il faudrait voir des spécimens vraiment beaux et importants. Quel est par exemple là-bas l’équivalent d’une Vénus de Milo ou d’un beau Rembrandt, nous n’en savons rien –
427C’est aujourd’hui que Marguerite a seize ans !… Comme le temps passe. Elle va être bientôt bonne à marier et il faudra s’en séparer et la laisser entre les mains d’un gendre qui la rendra peut-être malheureuse et lui croquera sa dot !… Il vaut mieux n’y pas penser, et puis, c’est la loi naturelle. Et il y a encore des honnêtes gens sur la terre – Nous lui avons souhaité ou, pour mieux dire, fêté son anniversaire dimanche à Noyers par anticipation. Je lui ai donné une garniture de boutons en or, fleurs de marguerites sur fond d’émail, pour ses chemisettes et manchettes. Elle était ravie.
42810 août. Passé toute la matinée rue Bourdaloue dans l’appartement de la pauvre cousine Freppel, en compagnie du notaire, du commissaire-priseur, de Léon Wendling exécuteur testamentaire et de Jeanne Bournique que je ramène déjeuner à la maison et avec qui nous causons longuement du passé, de notre enfance de notre jeunesse et des bonnes parties que l’on faisait autrefois dans le salon sous l’œil terrible, mais paternel cependant, de papa Vever. Je retourne encore rue Bourdaloue l’après-midi. Nous rangeons, classons, étiquetons les meubles et bibelots pour pouvoir en faire l’envoi aux personnes à qui ils sont destinés.
429Le soir je cherche à travailler, et je constate une fois de plus mon impuissance ! je n’arrive à rien de satisfaisant et je fais des efforts inouïs sans aucun résultat ! Cela me rend triste et me décourage complètement. Il me semble que je suis un inutile sur cette terre… À quoi sert donc de naître, de vivre, et quel est le but de la vie ? Je m’agite je me démène toute la journée et je n’arrive à rien !… Est-on donc là simplement pour dormir, manger, procréer, rêver et ne rien produire de tangible, d’utile ou simplement de beau ? Faut-il passer l’heure présente à désirer et à attendre l’heure qui va venir ?… je ne réussis en rien – instruction : nulle ; travail : stérile ; arts d’agrément, musique : impossible d’arriver à un résultat même médiocre ; peinture : j’y ai renoncé cette année tellement je trouvais que c’était mauvais ; dessin : je sais à peu près copier quelque chose d’après nature, mais je me casse la tête, je m’énerve, je m’exaspère à vouloir créer quelque chose. Il y a des moments où j’ai envie de pleurer et où je me demande si je ne suis pas un peu fou. Oui, vraiment fou ! Ma vie est absolument vide et inutile et je disparaîtrais que – à part la petite larme obligatoire dans l’entourage très immédiat – personne ne s’en plaindrait pas même moi. Je suis pourtant parmi les favorisés, parmi les privilégiés – je suis décoré ! (pourquoi ? je me le demande, n’ayant rien fait par moi-même) et quand on me voit on se dit voilà un gaillard qui n’est pas à plaindre, qui est heureux, très heureux, qui a de la veine, tout lui sourit, tout lui réussit. Tandis que je m’ennuie comme une vieille croûte de pain derrière un meuble – Suis-je bon à tout et propre à rien ? pour quelle raison ai-je été tiré du néant… ne ferais-je pas mieux d’y retourner plutôt de n’en être jamais sorti ? Mystère insondable. Dans mes jours tristes je rumine tout cela… je me trouve si seul, si abandonné pendant tout l’été dans cette maison vide, dont les locataires eux-mêmes sont absents ! La cour est noire, dès 8 heures il me semble que je suis au fond d’un puits, sans même un domestique dont le visage me soit familier – puisque je n’ai qu’une femme de ménage de passage. Tous mes amis (et j’en ai si peu !) sont absents ou collés à fond dans leurs faux ménages, il fait trop chaud pour aller au théâtre et ils sont presque tous fermés ; j’ai, positivement, bien des jours de lassitude, d’ennui, de découragement. Il me resterait bien, comme distraction, de courir les filles, et ce n’est pas toujours l’envie qui m’en manque, mais je veux me dominer, me vaincre, et remplir fidèlement et conscieusement mon devoir – Ah ! je suis mieux à la campagne, avec toutes les merveilles de la nature constamment sous les yeux, que seul dans Paris où je me donne si facilement la fièvre. Quand je serai retiré des affaires… (mais quand ! Bon Dieu !) je ferai de la peinture toute la journée d’une façon suivie, continue, pour moi, pour moi seul, ce sera bon ou mauvais, je m’en fiche, mais je n’ai jamais éprouvé de plaisir plus grand que celui-là, de satisfaction plus tangible que quand je peins pour de bon, croyant que ce n’est pas trop mal, et espérant toujours faire mieux la fois suivante. Avec cela si je pouvais jouer ou entendre de temps en temps un peu de bonne musique ce serait l’Idéal ! mais atteint-on jamais l’idéal en ce monde ? Bienheureux ceux qui en approchent, ceux qui en aperçoivent un reflet ! Il n’y a que l’Art qui puisse en donner une sensation. Hors de là, c’est le néant absolu – Non, il y a encore la bonté, la bienfaisance, la charité… le Devoir… mais le devoir n’est pas toujours le Bonheur – j’en sais quelque chose – malgré la satisfaction de la conscience car, au fond, il faut faire son devoir par devoir, sans discussion, sans se dire qu’on en sera récompensé par la voix intérieure qui vous dit doucement : c’est bien – il faut agir comme on doit le faire, et pour cela il ne doit y avoir aucune récompense même morale ; le devoir doit devenir une chose naturelle, sans aucun mérite. Il ne s’ensuit pas que parce que ne pas faire son devoir serait mal et repréhensible, faire son devoir doive être récompensé. Ce doit être l’état normal – Il faut se monter l’imagination pour en arriver à se dire à soi-même qu’on a bien fait d’agir honnêtement pour se décerner à soi-même un bon point de sagesse tout simplement parce qu’on n’a pas mal agi !… c’est insensé. L’Art soit qu’on le pratique soit qu’on l’aime donne des satisfactions rafraîchissantes qui ravissent directement l’âme, qui font taire les sens, qui n’ont rien de commun avec le moi terrestre et bestial. Les plus mauvais artistes qui pratiquent leur art avec amour, avec conviction, doivent être les plus heureux des hommes. Je ne suis, peut-être, pas même un mauvais artiste, mais je voudrais ne vivre que dans une atmosphère d’art, en communion perpétuelle avec l’admirable nature devant laquelle rien n’existe, dans la contemplation de laquelle l’âme et l’esprit trouvent toujours une mine inépuisable, un aliment toujours renouvelé pour leur admiration et leur amour – L’art c’est la nature quintessenciée, c’est l’extrait de parfum pour le mouchoir. La mémoire garde l’empreinte indélébile d’une phrase musicale qu’on aura entendue une fois, et pendant toute la vie, si longue soit elle, il vous est loisible d’entendre cette phrase de vous la répéter mentalement et d’en savourer le charme délicieux comme au premier jour et presque avec la même sensation – Voir un beau coin de nature, en plein soleil ou en temps gris, peu importe, on en éprouve toujours un sentiment indéfinissable, on subit malgré soi le charme, le cœur bat plus vite, et, même après cent fois, après mille fois, la sensibilité de la sensation n’est pas émoussée, on éprouve toujours un nouveau plaisir aussi vif aussi sain aussi purifiant. Serait-ce là le but de la vie sur cette terre ? admirer la nature ? aimer passionnément l’Art ?… je divague et je n’en sortirai pas – Bonsoir ! – quel dommage qu’on ne m’ait pas laissé devenir peintre !!!… Hélas !… ce sera pour dans un autre monde. – Amen –
43011 août. Journée terne, vide d’affaires, je vais le matin chez Lalique lui rafraîchir la mémoire au sujet des dessins qu’il nous promet depuis si longtemps. Mais c’est un homme débordé, il ne peut suffire à toutes les demandes – Il me raconte qu’il vient de renvoyer à Londres un diamant magnifique qu’on lui avait envoyé pour qu’il fasse des projets de monture au bout de quatre mois d’attente, on le lui a réclamé et il l’a rendu sans avoir eu seulement le temps d’y penser ! Et c’était une maison importante de Londres, qui s’adressait à lui pour la première fois ; cette première affaire lui en aurait certainement amené d’autres – mais il n’a pas le temps matériel de faire tous les dessins qu’on lui demande. Il est fatigué, il voudrait aller à la campagne, il voudrait arrêter pendant 8 ou 15 jours cet afflux de commandes qui l’enserre et le paralyse pour ainsi dire – cette visite chez cet artiste que j’admire, ravive encore mon désir ardent, fiévreux, de produire quelque chose… c’est comme un accès de rage… essayons encore !
431Le soir je vais à Vaucresson, dîner chez l’ami Warée qui a loué une propriété superbe, 6 hectares bien plantés bien boisés, à deux pas de la gare, et contigus aux grands bois qui vont à Versailles et à la forêt de Marly. C’est du reste un petit homme très intelligent et qui s’y entend à merveille pour bien s’installer et pour très bien recevoir. Avant de se mettre à table on fait le tour de la propriété. Nous apprenons que Mr Marcé [354] son beau-frère vient d’obtenir un prix de l’Institut, très important et très envié, pour récompenser un gros travail aride qu’il a fait sur les finances, je crois. Ce n’est pas moi qui lirai son ouvrage – Warée vient tous les jours de la rue de Cléry à Vaucresson en voiture, il met de 1h à 1h10 pour ce trajet. C’est bien peu et nous voyons du reste arriver ses chevaux ruisselants d’écume. Parmi les convives, à part Mr et Mme Marcé retour de Carlsbad, MrMme Roy [355] architecte, un autre personnage de l’exposn de 1900, et divers seigneurs sans importance total, huit. Installation confortable, dîner abondant mais un peu « restaurant ». On cause ferme de la guerre ou plutôt de la paix Hispano-Américaine [356] et de l’Exposn de 1900.
43212 août. Il fait tellement beau que je ne puis résister à une envie de promenade à bicyclette. Je vais, par le bois et le bord de la Seine, à St Cloud, Meudon, et Bellevue par le nouveau funiculaire [357] – Le pavillon de Bellevue [358] est supérieurement installé sur la hauteur, on a, de là, une vue admirable qui embrasse toute la Seine, le bois, et tout Paris. Il paraît qu’on y dîne très bien. J’y viendrai un de ces soirs pour fuir l’air lourd et empesté de Paris et prendre un bain d’air avant de me coucher. Il fait une chaude journée, 29°, les affaires sont nulles. Vu Chenot, de passage à Paris et retournant bien vite aux bains de mer à St Aubin où il est installé avec tout son monde. Il y a fait un peu de bicyclette avec Blaise, mais peu à cause du mauvais temps. La jolie (?) Mme Thieriot est venue hier au magasin acheter un sautoir. Vue de près elle est un peu fripée… mais quel chic, quelle élégance quelle façon de porter une toilette simple. On ne voit pas ce genre-là à l’étranger – Je viens encore de la rencontrer tout à l’heure, elle fait vraiment beaucoup d’effet dans la rue. Je ne puis résister (encore !) à m’acheter un chapeau de paille pour avoir moins chaud – et, comme j’en ai envie d’un à bords larges et fendu au sommet, je me « fends » de 7 frs 80 au Louvre pour avoir ensuite l’air d’un monsieur épatant qui a un panama de cinq louis.
433Jeanne hier a téléphoné de Gisors, ainsi que Marguerite ; c’était une bonne idée qui m’a fait plaisir. Cela m’a paru bon d’entendre pendant quelques minutes et, même imparfaitement, le son de leur voix.
43413 août. L’année dernière à pareille date je suis allé dans la même journée de Paris au Havre à bicyclette (220 kil) sans grande fatigue. Cette année je suis moins entraîné moins en forme, et je ne crois pas que je réussirais aussi bien. Parti à 4h du matin j’étais arrivé pour dîner à Ste Adresse, déjeunant une première fois aux Thilliers à 7h½ puis longuement à Rouen où je m’étais douché, reposé etc. Ma moyenne de marche était de 21 kilom. à l’heure. Voilà qu’aujourd’hui je pars pour Le Havre, mais par le train jusque Rouen, et en tâchant de prendre ensuite le bateau pour descendre la Seine. Mais peut-être reviendrai-je à vélo ? Arrivé à Rouen par une chaleur écrasante, je prends un sapin [359] pour visiter tranquillement la ville : la cathédrale, superbe extérieurement et intérieurement, avec les tombeaux des cardinaux d’Amboise et du mari de Diane de Poitiers. Le moulage de ce dernier a coûté 50 000 frs pour le musée du Trocadéro [360], et il est moins important que celui des cardinaux qui a été moulé aussi. C’est le Suisse qui sert de cicérone aux visiteurs, et il parle en vrai amateur ; il semble que la cathédrale est à lui et qu’il fait les honneurs de sa collection – Tombeau de Richard Cœur de Lion, tapisseries, etc. À St Maclou, autre Suisse, mais moins gentleman. Il montre un tableau de Murillo (?) antique (il veut dire évidemment authentique) et la fameuse porte en bois sculpté par Jean Goujon qui est admirable, avec son marteau de métal dont une tête barbue forme au centre un mascaron incomparable – Voilà, dit-il, la porte que les Anglais ont plusieurs fois couverte d’or – et qu’ils n’ont pas eue – À l’église St Ouen, il fait une fraîcheur délicieuse, j’aime beaucoup cette nef élancée, ces perspectives de colonnes élégantes. Il paraît qu’autrefois cette belle église gothique n’était qu’une chapelle d’un ordre religieux – les piliers sont ornés de tapisseries du xviie assez médiocres, en l’honneur de la fête de l’Assomption – Elles font assez bon effet – Le Suisse, sans l’assistance duquel on ne peut faire le tour du chœur, montre d’admirables grilles en fer forgé du xviiie s., des tapisseries etc. Ces églises de Rouen sont fort belles et très intéressantes, il y a encore quelques vestiges de vieilles maisons par-ci par-là, mais je me souviens de ce que c’était il y a trente ans, et j’en ai toujours gardé une profonde impression.
435Le train de Gisors.par lequel arrivent Jeanne et Marguerite ayant 20’ de retard, nous manquons le bateau pour Le Havre… hélas ! C’eût été bien agréable de descendre la Seine par cette température sénégalienne. Il faut en prendre son parti, ce sera pour une autre fois… nous déjeunons très confortablement à l’Hôtel du Nord, à côté de la grosse Horloge, que nous admirons, car c’est encore un bien joli coin de Rouen. Nous refaisons ensuite, tous les trois, la tournée des églises, je répète les explications données le matin par les Suisses et, à St Ouen, nous n’oublions pas de regarder la vue de l’église reflétée dans l’eau du bénitier (qui est recouvert d’une planche, pour obliger au pourboire). Nous voyons l’hôtel du Bourg-Théroulde dont les sculptures sont bien endommagées ; la maison en bois sculpté dite de Diane de Poitiers (que le cocher appelle Jeanne de Poitiers, le nom de Jeanne étant plus particulièrement en honneur à Rouen), la place où Jeanne d’Arc fut brûlée, les quais, la fontaine monumentale qui est vers le haut de la ville etc. Au Havre par le rapide, le train est bondé à cause des fêtes du Havre ; en arrivant nous voyons sur le quai de la gare un groupe important d’amiraux en uniforme, de fonctionnaires, etc. qui viennent recevoir le ministre de la Marine, Mr Lockroy [361], qui est dans notre train. Présentations, saluts, etc. Il paraît qu’en sortant de la gare le bon ministre a été sifflé par les Havrais qui ne lui pardonnent pas d’avoir dit récemment, à Brest, que Brest lui paraissait tout indiquée comme tête de ligne des Transatlantiques – Nous trouvons au Havre à peu près la même chaleur torride qu’à Rouen, maman nous reçoit avec joie, et c’est pour nous aussi un bien grand plaisir que de nous retrouver avec elle et avec tous les Paul. Blaise est aussi là et cela fait une table bien garnie, que les enfants rendent animée.
43614 août. Le matin, à la grande messe, il y a un nouveau curé qui ressemble un peu à Joly, il paraît très bien, et n’aura pas de peine à faire regretter l’ancien curé qui est mort récemment et qui était grincheux et bourru. L’après-midi, à la plage bain délicieux, mais hélas, il faudrait pouvoir rentrer sans se rhabiller et sans remonter ce raidillon où l’on s’essouffle et où l’on est rôti par le soleil (revue Navale). Le soir projections électriques de navires de l’escadre en rade, qui éclairent toute la côte, c’est très joli.
43715 août. Gabrielle quête à la grand messe, c’est une corvée pour elle mais elle s’en tire très bien. Hier après-midi nous sommes partis rapidement aussitôt le déjeuner fini, pour assister à la revue navale passée par le Président de la République et le ministre de la Marine. Embarqués à 1h ½ sur le François Ier nous arrivons en rade avant Félix Faure, et juste à temps pour recevoir les salves d’artillerie des cuirassés à bout portant. L’escadre est superbe, le temps magnifique, notre bateau tourne et retourne autour de tous les navires que nous examinons à loisir sous toutes leurs faces, il y en a neuf gros : le célèbre Pothuau à bord duquel fut prononcé le fameux toast de l’Empereur de Russie « les deux nations alliées et amies » [362] etc. – Le Masséna, Le Cassini, Le Valmy, L’Amiral Thérouard, Le Surcouf, L’Épervier, Bouvines, Jemappes, etc. et des torpilleurs – La rade est sillonnée de barques, de bateaux, de remorqueurs, de yachts de toute sorte. Il y en a un, ravissant, le « Macha » venu de Trouville à bord duquel nous reconnaissons notre grand confrère Boucheron. Le pont est garni de fleurs, une énorme gerbe de fleurs à l’extrémité du beaupré, et une ancre de fleurs suspendue au mat. Le Président de la R.F. arrive sur Le Cassini peint en gris, et escorté de deux grands torpilleurs. Tous les navires sont abondamment pavoisés. Les matelots poussent trois fois le cri de « Vive la République », les canons tournent etc. C’est un très beau spectacle par ce temps idéalement beau – Blaise et moi nous faisons des photos mais nos plaques sont bien vite épuisées – Nous sommes à côté du vaisseau amiral Le Masséna lorsque le Président y monte. On arbore immédiatement son pavillon particulier qui est le pavillon national avec deux F dorés entrecroisés au centre, puis la musique des équipages joue la Marseillaise, les tambours et clairons sonnent aux champs etc. etc. ensuite les matelots défilent sur le pont et la musique joue Le Régiment de Sambre et Meuse on aperçoit tous les amiraux, généraux et autres en grande tenue, Félix en habit avec le grand cordon de la Légion d’honneur, salue pour répondre aux vivats ; ensuite il décore des officiers, on entend les sonneries de « ouvrez » et « fermez le ban ». Le gros cuirassé est complètement entouré d’une flotille de bateaux de tous calibres, et le transatlantique La Touraine [363], qui est arrivé d’Amérique juste à temps pour le commencement de la revue, a envoyé ses passagers sur le remorqueur Titan de la Cie Transatlantique pour qu’ils puissent mieux voir cette belle cérémonie. Le Président est reconduit dans un canot à son croiseur. Il repart vers Le Havre escorté de ses torpilleurs et l’escadre tout entière recommence ses salves – C’est très beau – nous rentrons derrière Le Cassini et débarquons à 4h ¼ – Il y a un monde fou sur les jetées, et Le Havre est plein. Les tramways sont pris d’assaut. Les enfants sont ravis de leur journée, mais nous avons bien fait de laisser à la maison Thérèse, René et, naturellement, Marie-Antoinette qui « tète encore sa mère ». Un bon bain nous remet en état, et on dîne ensuite de grand appétit – Ce soir lundi après dîner, dans le jardin, nous nous amusons à chanter L’Africaine, Faust [364], etc. Les enfants voudraient que cela ne finisse pas, mais nos voix demandent grâce et puis il est l’heure d’aller se coucher. Il fait tellement chaud, qu’on dort bien mal !
438Encore un bon bain ce matin ! Paul qui s’est décidé à en prendre un hier a recommencé aujourd’hui, et les enfants sont enchantés. Je me couvre la tête d’algues marines comme un vieux triton, et Blaise me photographie. Félix Faure est venu à la plage, en promeneur, chapeau marin de paille guêtres et gilet blancs – il a une petite tente qui lui est réservée – je l’ai photographié au moment où il sortait, et une fois encore au moment où il allait remonter dans sa voiture attelée en poste. Il m’a aperçu au moment du déclic, et avec son plus gracieux sourire, il dit : j’en retiens une épreuve. Très volontiers, Mr le Président, ai-je répondu si c’est réussi malgré le peu de lumière (il était 7 heures).
43916 août. On musarde, cette dernière journée, les enfants jouent dans le jardin sur la pelouse minuscule, je les photographie. Jeanne et Marguerite partent à 3h et Blaise part le soir !… demain ce sera mon tour. Je téléphone à Paris et fais q.q. courses en ville. Il fait extrêmement chaud.
44017 août. Parti de bon matin à bicyclette pour Rouen, en suivant les bords de la Seine. Il fait un brouillard épais et humide qui me mouille – à Honfleur je ne puis voir l’église qu’extérieurement à cause de l’heure matinale. Jusqu’à Tancarville, je suis dans le brouillard, suivant une route monotone, longeant de hautes falaises crayeuses. Pas de maisons, à peine quelques masures de loin en loin, et toujours ce brouillard humide qui a une odeur de plantes marécageuses. À Tancarville, vu le terminus du canal, vu extérieurement le château très bien situé et très pittoresque, mais on le répare et on ne visite pas pour le moment. J’arrive à Lillebonne un jour de marché, et rencontre les paysans menant leur veau dans leur carriole ou quelque bétail à pied. Les femmes de la ville ont presque toutes des flocons de coton dans les cheveux, indice de l’industrie du pays – Cirque romain assez grand, curieux, assez bien conservé pour qu’on y donne prochainement une représentation avec combats de gladiateurs (?) au profit de l’hôpital de la ville – Le pays est joli, pittoresque, j’arrive au château d’Ételan qui, après avoir abrité des hôtes illustres dont les principaux figurent sur des plaques de marbre, appartient aujourd’hui à un riche industriel de Bolbec, Mr Desgenetais [365]. C’est un beau spécimen de l’architecture civile de l’époque de Louis XII. Le porc-épic et les initiales L et A surmontés de la couronne royale l’indiquent. Il est très intéressant extérieurement du moins, car l’intérieur aménagé en chambres plus ou moins grandes ne renferme aucun vestige des choses anciennes ; les meubles sont tous en cretonne. La chapelle est jolie et a été restaurée avec goût. De la terrasse du château on a une fort belle vue sur la forêt de Brotonne et sur la Seine dont les eaux plombées se déroulent comme un large ruban gris. Belles serres à raisin – Reprenant la route, on regagne le bord de l’eau avant Villequier et les points de vue sont tout à fait charmants. C’est ici qu’en 1843 (?) le gendre et la fille de Victor Hugo se noyèrent. Au cimetière, une même tombe les réunit, ils étaient jeunes tous deux et n’étaient mariés que depuis six mois. À côté, se trouve la tombe de Vacquerie [366], contiguë à celle de sa mère, et portant une inscription en vers : « ma chambre était à côté de la sienne quand j’étais petit, … je veux que ma tombe soit à côté de la sienne, cela ne changera pas mes habitudes ». Puis encore une tombe, également très simple, sur laquelle on lit : « Adèle, femme de Victor Hugo », sans âge, sans date, sans autre nom (dans l’église beaux vitraux Renaissance) – Jusqu’à Caudebec le paysage est ravissant. C’est ici le point le plus favorable, à ce qu’il paraît, pour voir le mascaret [367]. Il n’y en a malheureusement pas pour l’instant. Je visite la ville, l’Église est extrêmement belle, l’extérieur est une dentelle de pierre. L’intérieur est curieux, il y a de beaux vitraux, un beau buffet d’orgues, mais la chaire à prêcher est affreuse. Cette petite ville est très intéressante, il y a des rues entières qui ne sont composées que de vieilles maisons du xve et xvie siècles, bien complètes, bien conservées, et la rivière de Caux qui divise ses bras dans la ville ajoute encore au pittoresque. Il faut voir absolument la rue de la Boucherie et la rue de la Ganterie. Il y aurait de curieuses photographies à prendre. Le soleil a percé le voile de brouillard et se fait fortement sentir, surtout pendant le déjeuner à l’Hôtel de la Marine qui est en plein midi. Il y a beaucoup d’Anglais – Parti ensuite pour l’abbaye de St Wandrille située dans un joli vallon. Ce sont des Bénédictins qui y habitent depuis 3 ans seulement (ils sont 17 Pères) [368]. Je laisse ma bicyclette à l’entrée, sous la garde des frères portiers, et c’est un jeune père à la figure intelligente qui me sert de guide. Il me montre d’abord les superbes ruines de la basilique qui a été démolie en 93. Ce qui en reste est fort beau – c’est un porte-balle [369] qui s’est rendu acquéreur de ce « bien national » et il a vendu pour plus de 80 000 frs de plomb en démolissant la toiture, puis il a exploité les pierres de taille etc. Ensuite c’est une fabrique d’épingles qui s’y est installée, et enfin un Anglais, le marquis de… s’en est rendu acquéreur, et avant de la revendre a emporté en Angleterre quantité de choses intéressantes : statues, sculptures etc. Il reste encore de beaux morceaux de l’église rendus encore plus pittoresques par le lierre qui y grimpe. Le cloître est admirable et tout à fait saisissant ; il a servi de modèle pour le décor des nonnes de Robert le Diable [370]. Il contient un ancien lavabo en pierre sculptée, de l’époque de la Renaissance, très beau, et qui mériterait de figurer au musée des moulages du Trocadéro – Il y a aussi dans ce même cloître une admirable statue de la Vierge, du xiiie ou xive siècle, d’un style et d’un ton absolument exquis. Là aussi, se trouvent réunis tous les fragments de statues, de sculptures, etc., qu’on a trouvés dans l’abbaye depuis que les Pères y sont. Il y a beaucoup de choses très intéressantes. Les dames ne sont pas admises dans cette abbaye non plus que les photographes, mais les artistes peintres y sont bien accueillis. J’en vois deux qui font de jolies études du cloître et d’une ancienne porte de l’église, très ornementée de sculptures. Le réfectoire est immense et pourrait contenir facilement 300 convives. J’y vois les simples tables des Pères avec quelques bouteilles de cidre et une carafe d’eau claire pour le P. Supérieur. Et ces gens ont l’air parfaitement heureux, il se reflète sur leur visage une véritable joie intérieure, leur conversation est animée et intéressante, ils sont satisfaits et n’ont besoin de rien. Ils font gras trois fois par semaine, et jeûnent rigoureusement pendant tout le Carême, dimanches compris. La chapelle est également très grande, je parle de celle des Pères, car il y en a une autre fort laide, dans laquelle se trouvent réunis quantité de reliquaires, d’oripeaux du plus mauvais goût qui sont de la plus mauvaise époque du xviie siècle et de la fin du xviiie – cette chapelle avait été ainsi arrangée par le marquis anglais – Dans le réfectoire, ou dans la grande chapelle (je ne sais plus au juste) il y a une série d’arceaux plein cintre soutenus par des colonnettes, qui rappellent beaucoup le style mauresque et qui paraissent remonter au xie siècle. Dans le parc, la petite rivière, limpide comme un cristal, nous montre des truites à l’ombre sur un tapis de cresson. St Benoît ordonnait toujours que ses abbayes soient construites dans des endroits pourvus d’eau et dans de beaux sites. Celui-ci était bien choisi. Je termine cette très intéressante visite par la salle du chapitre, très simple du reste, qui est un fragment d’une ancienne grande salle de récréation démolie par le marquis anglais, et je prends congé de l’aimable Père qui m’a guidé – Je conserverai un excellent souvenir de l’heure passée en sa compagnie.
441Me voilà remonté sur ma machine, en plein soleil, et quel soleil cuisant ! Je file pour gagner Guerbaville et de là Jumièges. Mais le bac à vapeur de Guerbaville-la-Maillerais ne fonctionne que toutes les heures… et me voilà menacé d’attendre longtemps. Il est amarré sur l’autre rive, et je fais des signaux désespérés qui malheureusement ne sont pas aperçus, et je dois me consoler en prenant un verre de bière chaude et pâteuse dans une petite guinguette voisine, la seule maison du lieu. Enfin il arrive et je parlemente pour obtenir un voyage spécial – nous tombons d’accord pour quarante sous et me voilà en travers du fleuve. Il est 4 heures et j’ai bien envie de me baigner, mais ce ne serait pas raisonnable et de plus je suis pressé par le temps – Je traverse une partie de la forêt de Brotonne sur une excellente route, et, ce qui ne gâte rien, à l’ombre. En descendant vers Jumièges la vue est admirable, devant soi, la Seine étincelante au soleil, puis les ruines de l’abbaye qui se dressent fières et magnifiquement éclairées sur le fond vert de la forêt. C’est admirable et on oublie la chaleur. Les ruines sont actuellement la propriété de la famille Lepel-Cointet [371], on les visite sans difficulté. Dans la partie habitée, on a réuni comme en un musée, toutes les choses intéressantes provenant de l’abbaye – fragments, sculptures, statues, médailles, etc. Il y a une fort belle tête d’un duc de Normandie, puis la pierre tombale d’Agnès Sorel « en son vivant dame de beauté » – Voilà une désignation qui en dit long et sur la personne et sur l’époque. Les ruines de l’église sont imposantes et importantes, on y voit des traces de peintures, et sur un chapiteau du xe ou xie, un saint peint, encore très bien conservé. Cette nef sans toit, avec un tapis de vert gazon sur ses dalles, est d’une majesté incomparable. Il me semble qu’on y prierait mieux que dans une cathédrale et que les prières n’y seraient pas emprisonnées mais monteraient directement vers Dieu. Ce mélange d’architecture aux lignes élancées et de végétation est plein de charme, et je ne quitte les lieux qu’à regret – Appuyons ferme sur les pédales car voici une côte et un soleil torride ; je traverse Yainville et passe devant le château du Taillis pour arriver à Duclair, très long village qui s’étend au pied d’une falaise, tout au bord de la Seine. C’est un endroit renommé pour ses canards et on en voit qui barbottent et qui prennent leurs ébats sur la route. Le soleil frappe la falaise crayeuse et produit une réverbération qui vous cuit. Quelle chaleur !… Du reste la vigne, les figuiers poussent ici avec une vigueur extrême ; un groupe de tournesols penchent leurs têtes languissantes vers la Seine et semblent exténués par l’ardeur du soleil vers lequel ils tournent leurs énormes fleurs… j’arrive ainsi à St Martin de Boscherville où commence une longue, très longue côte qui traverse la forêt de Roumare et qui afflige péniblement les muscles de mes pauvres jambes. Il y a là cinq ou six kilomètres qui ne passent pas inaperçus. Arrivé à Canteleu, il faut redescendre une autre côte rapide, mais la vue sur Rouen et sur la Seine est une des plus belles que l’on puisse contempler dans n’importe quel pays, et devant un pareil spectacle la fatigue s’envole. Le dur pavé de Rouen vous rappelle à la réalité !… Heureusement qu’il y a un établissement de bains fort bien aménagé et qu’une excellente douche fait tout oublier. Me voilà ragaillardi et je dîne avec un appétit de cycliste à l’Hôtel du Nord où je savoure le plaisir de boire frais et d’être bien servi – En attendant l’heure du train, j’entre le soir dans la cathédrale qui est encore ouverte. Mais il y fait si bon, avec une fraîcheur juste à point, que je crains de m’y endormir sur la chaise où je suis assis. Dans cette demi-obscurité on ne me verrait peut-être pas et comme je ne tiens pas à y être enfermé toute la nuit je vais à la gare, prendre le rapide qui en une heure ¾ me ramène à Paris. C’est mieux marcher que moi !
44218 août. Il faut reprendre le collier de misère, écrire des lettres, s’occuper de menus détails, etc… Je vais rue Bourdaloue pour terminer le rangement et le partage des affaires de la pauvre cousine Freppel. Jeanne Bournique vient déjeuner à la maison. Il fait une chaleur atroce, le thermomètre marque 35° à l’ombre et il ne descend pas au-dessous de 25° la nuit !… c’est une température bien pénible, qui nécessite la douche bienfaisante sans laquelle je serais complètement accablé.
443Le soir, Blaise m’emmène dîner chez Le Doyen [372], avec une tisane de champagne frappée qui nous remonte le physique et le moral. On est très bien ainsi en plein air, et le dîner est fort bon – Nous parlons de la course de 72 heures à bicyclette, qui vient d’avoir lieu – c’est un Américain né en Allemagne, Miller, qui est arrivé premier, ayant fait 1 812 kilomètres, c’est insensé !
444Voilà les anniversaires des batailles livrées sous Metz !….Gravelotte, St Privat, Rezonville ! Je me rappelle encore tout cela comme si c’était hier. Du haut de l’esplanade de Metz je voyais la fumée de la bataille, les forts St Quentin et Plappeville tirant à toute volée, les troupes traversant la ville, l’Empereur, la Garde Impériale avec tous ses beaux uniformes. J’étais jeune alors et c’était pour moi un spectacle passionnant. Je ne compris la réalité que le lendemain de ces batailles gigantesques lorsqu’arriva en ville ces longues et interminables files de voitures, de chariots de toute sorte remplis de blessés, de mourants, de morts… le sang ruisselait sur le pavé ; à chaque cahot c’était un sourd gémissement s’élevant de ces voitures qui étaient obligées de s’arrêter, de repartir chaque cent mètres à cause de l’encombrement des portes et des ponts… c’était horrible ! Les agonisants s’asseyaient sur les morts pour amortir les secousses du pavé ! Ce jour-là, j’ai vu ce que c’était que la guerre et quel était l’envers de la médaille… jamais cette vision sanglante ne s’atténuera dans mon souvenir… c’était horrible et angoissant. J’en aurais long à écrire là-dessus !…
44519 août. Cet excellent Le Besnerais est venu me voir ce matin, quel brave homme et comme il est sympathique. Il me raconte les succès de ses fils [373] – l’aîné a passé ses deux bachots à la fois, cette année, et, l’année dernière il avait remporté un prix de mathématiques au concours général, il vient de conduire ce fils à Heidelberg, etc. etc.
446Mr de Osma [374] est venu aussi ; j’avais souvent pensé à lui pendant cette guerre hispano-américaine qui vient de finir. Pauvres Espagnols, ils perdent Cuba, sans compter les Philippines et leur argent. Et la royauté ?… aux premiers mots de sympathie que je lui adresse, les larmes lui viennent aux yeux. Nous nous serrons la main silencieusement, et c’est tout.
447Le soir, j’emmène Blaise dîner au pavillon de Bellevue nous prenons le bateau jusqu’au Bas-Meudon et y rencontrons Ternisien avec un de ses amis sculpteur-décorateur. Nous bavardons ferme sur l’Art nouveau ; il en tient toujours pour l’art ancien, et ne sort pas des reconstitutions xviiie siècle. Nous prenons le funiculaire, et dînons très bien sur la terrasse du pavillon. C’est un peu cher, sans doute, mais on respire un peu d’air ; il y a de la musique, médiocre il est vrai, mais la seule vue du gérant en redingote gris clair, gilet et souliers blancs vaut bien quelque chose. Nous rentrons par le train et deux grues qui rentrent bredouille et n’ont trouvé personne pour leur payer leur dîner, montent dans notre compartiment. Elles nous demandent des cigarettes, l’une même un gros cigare qu’elle fume comme un sapeur… Ternisien en est presque scandalisé. En résumé bonne soirée – Il y avait du monde élégant, de jolies toilettes, et des femmes chics, dont Olga [375], la charmante, l’exquise jeune fille qui fit avec nous la traversée de New York au Havre et qui par sa grâce juvénile et par sa beauté séduisit tous les passagers. Cette traversée extraordinaire restera un de mes meilleurs souvenirs. Nous étions une bande joyeuse de camarades et nous organisâmes fêtes sur fêtes : noce bretonne, la mariée étant Olga, et le marié André Bouilhet, cortège, discours du maire, banquet de noce, enfant naturel venant troubler le dessert, etc., puis un bal masqué très réussi ; un concert dont je dessinais les programmes dont la vente produisit plus de 1 500 frs etc. etc. Nous rapportâmes ainsi près de 3 000 frs pour la caisse des naufragés, et le temps ne nous parut pas long.
44820 août. De bonne heure au bois à bicyclette pour rejoindre Joly qui prend ses premières leçons – je le retrouve dans l’allée des commençants avec « la Duchesse » qui est une cycliste éprouvée. C’est un ami de Joly, italien, qui lui donne des leçons. La femme de cet ami est une superbe créature, gaie et aimable. Nous prenons quelque […] citronnée glacée et rentrons – Je vais chez Mr Allain, ayant une assignation d’un locataire de Belleville, Mr Leffray […] qui est en guerre avec les concierges etc… Blaise vient me prendre après déjeuner pour voir mon atelier japonais il a l’air de s’y intéresser (?). Je pars pour Noyers par une chaleur intense. Le trajet en wagon est terrible, mais heureusement que celui de Gisors à la maison se fait en voiture, on respire un peu. Nous dînons dehors sur la terrasse, puis j’ai séance du conseil municipal, session d’août. On y décide ce qu’on fera pour la fête patronale puis il y a une discussion très vinaigrée entre Raffy et Delastre qui a écrit sournoisement une lettre au préfet pour demander la radiation de Raffy comme conseiller parce que celui-ci est domestique. Béguin prend part pour Raffy ; Pollet bafouille, la mêlée menace de devenir générale. Je me fâche, je les attrape tous, cela me soulage et on finit par se taire. Mais quelle férocité !
44921 août. Chaleur ! Chaleur ! impossible de bouger sans ruisseler. Vu à la messe le Cte Pozzo, toujours très aimable, et qui nous envoie une grosse brioche de pain bénit. Vu Mr Passy qui vient faire sa tournée de conseiller général [376], la session commençant demain à Évreux. Je lui demande de faire placer des poteaux indicateurs sur les routes conduisant à Noyers, et de nous faire obtenir que la levée supplémentaire de la boîte aux lettres, qui a lieu ce soir, soit faite par l’entremise de l’administration et non en traitant directement avec le facteur – un peu de musique avec Marguerite – on baigne Pouf, qui ne demande pas mieux par cette chaleur (31° au frais) les feuilles se dessèchent et tombent !…
45022 août. Je prends le train de 7h à Gisors pour éviter la chaleur. Mr Passy et Mr Petit de Neaufles montent dans mon compartiment et le temps paraît plus court en bavardant jusque Paris. Mr Passy dit que les populations n’ont pas d’opinion, elles connaissent personnellement leur député et votent pour lui par habitude et parce qu’il s’occupe d’eux. Il y a des haines féroces, des polémiques injurieuses. Il raconte qu’un jour il était au marché de Gisors avec sa fille, et le lendemain on vit dans l’Écho Républicain : Mr Passy était au marché avec son fichu fruit (sa fille) etc… Il y a 36° de chaleur à Paris, je vais prendre une longue et excellente douche. La nuit, impossible de dormir, il y avait 29° dehors à onze heures du soir ! Heureusement qu’un orage a rafraîchi un peu, mais si peu ! Le thermomètre marquait encore 24° à 4h du matin après la grosse pluie !
45123 août. Chez Hayashi le matin, il me montre ses deux chiens japonais, sorte d’épagneuls king-charles à longs poils soyeux blancs et noirs, la tête ronde le nez court les yeux gros et de longues oreilles. Ils sont très gentils et caressants. Ils coûtent 150 frs pièce au Japon, et le transport triple la dépense.
452Haghiwara et Nagasaki me montrent une admirable série de poteries (bols) qu’on vient de déballer, et je ne puis résister à la tentation d’en acheter quelques-unes (!!…) malgré leur prix élevé – mais ce sont des choses si rares et si belles !… et je suis si faible de caractère quand il s’agit d’objets d’art… j’en fais mon meā-culpā !
453L’après-midi, Mr Glaenzer [377] de New York que je connais particulièrement vient avec deux américaines dont il m’avait annoncé la visite. Je leur montre nos plus belles pièces, nos pierres les plus merveilleuses, nos objets les plus rares et les plus précieux. Elles sont épatées (j’te crois) et le « Blue Star » lui tape dans l’œil ainsi que le gros diamant jonquille de 54 carats. Ferons-nous une affaire ? Ce n’est pas impossible, et cela ne ferait pas de mal dans le paysage par cette chaleur, pour rencontrer la moyenne du mois – Attendons et espérons – La chaleur continue.
45424 août. De bonne heure je vais chez Joly prendre la Princesse pour qu’elle puisse étrenner sa bécane neuve. Mais le temps est maussade, il a plu, et je trouve le couple couché. La partie est remise à une autre fois, et je file seul au bois où je rencontre des ondées qui me mouillent sans me rafraîchir, hélas. Ensuite, à la Chbre Syndicale, avec Marest pour les fiches de la Bibliothèque. J’examine par la même occasion les albums de photos de Boucheron. Sa joaillerie a bien vieilli, et même les pièces qui ont fait sensation à l’Expn de 89, telles que la grappe de raisins, le cyclamen, le lilas, le chardon, etc, ne sont plus dans le mouvement. Son album de pièces d’art et d’orfèvrerie est intéressant en ce sens qu’il montre quelle grande production on a produit dans cette maison. Mais ce ne sont pas des objets raffinés, ni même de bon goût. Allons ! On a fait des progrès depuis, tant mieux ! L’après-midi, vu André Bouilhet à qui je propose de faire des articles sur l’orfèvrerie pour l’Art et Décoration ; j’avais parlé de lui à Lévy qui m’a prié de le pressentir à ce sujet. Je commence la préparation de l’inventaire par l’entrée fastidieuse des marchandises !… Au Hamman, je pèse 76k600 après massage.
455Je passe ma soirée à dessiner avec ardeur, avec fièvre, avec rage ! Je voudrais produire, créer, trouver de nouveaux modèles, les mettre au point ! Je ne sais où j’en suis je suis trop nerveux dans ces moments-là. Ce matin je suis monté chez Lalique, j’y ai vu de si jolies choses… Ah ! pouvoir en faire aussi, quel rêve !… Peut-être qui si depuis mon adolescence je m’étais mis à travailler dans la bonne voie… si j’avais été un peu guidé, encouragé… je ne m’épuiserais pas ainsi en vain ?.??!…
45625 août. Dès 8 heures chez Haghiwara pour choisir quelques belles estampes japonaises parmi mes doubles. Je veux les offrir à Lalique en témoignage d’admiration. Pour moi, c’est un homme extraordinaire, un vrai génie. Il ne doute pas des sentiments que j’ai pour lui. J’en rêve quelquefois – Je passe ma journée à préparer l’inventaire, à entrer les marchandises, etc. travail monotone mais utile, je le fais par devoir – Vu Landoy, le dessinateur, je lui achète q.q. dessins, je lui fais part de mes idées de mes impressions, et lui indique quelques projets à réaliser. J’espère réussir et je fais mettre en train à l’atelier diverses pièces dont je suivrai minutieusement l’exécution. Il faut que nous arrivions à produire nous aussi quelque chose de bien – Et pourquoi non ?
457Le soir, dîner chez Joly avec la Princesse et Mr et Mme Adolfo Passigli [378] et le Dr Lacombe – excellent dîner : melon, homard à l’américaine, filet champignons et tomates farcies, pâté parfait avec foies gras, glace exquise etc. etc – On fait de la musique, on rit, Mme Passigli est une belle italienne très intelligente, très amusante avec sa prononciation étrangère, ils ont amené leur chien Flick qui est une bête excellente, très affectueuse & &
45826 août. Je vais prendre la Princesse de bonne heure pour étrenner sa nouvelle bicyclette, nous faisons le tour du bois, il fait un temps superbe. Joly a renoncé momentanément (?) à la bécasse. La chaleur fait un peu trêve depuis hier, on a quelques moments de température agréable et guère plus de 25°, c’est parfait.
459Hier je suis allé au Louvre voir la nouvelle installation des bijoux égyptiens réunis en une seule vitrine. C’est très beau. Mais on en avait parlé avec tant de musique dans les journaux que je croyais qu’il y avait de nouvelles choses avec – Je passe ma journée à entrer et à sortir des marchandises. Vu Paul Monthiers, Callot, Mr Leclerc Président de Tunis [379], etc.
460Le soir encore des dessins, je pioche, je lutte, je bats les flancs !…
461C’est aujourd’hui 26 l’anniversaire de l’alliance-Russe et du toast du Pothuau : les deux nations amies et alliées.
46227 août. Chez Le Turcq, où je passe une heure et demie à voir des dessins à échanger des idées – je pense que nous arriverons à faire quelque chose ensemble – Vu Tourrette à qui je porte la boucle iris à émailler. Pourvu qu’il la réussisse ! Vu Jules Écorcheville que je suis allé inviter à venir à Noyers pour la chasse ou à un autre moment – Vu Frey [380], encore pour des dessins.
463Parti pour Noyers – Le trajet de Gisors à Noyers en voiture est bien agréable, il délasse du chemin de fer et rafraîchit de l’air de Paris, qui est de plus en plus pestilentiel et poussiéreux puisqu’on n’arrose presque plus pour ménager l’eau.
46428 août. Beau temps, vent, promenade en break à Chauvincourt, et retour par Gamaches et Vesly. Il fait bon, les récoltes se rentrent, la campagne change d’aspect… ce sera bientôt l’automne. Les photos de l’escadre faites au Havre ne sont pas trop mauvaises, mais celles de Félix Faure sont absolument ratées. Tant pis !
46529 août. J’arrive par le 1er train, il fait frais (13°) à 6h du matin pour aller à Gisors. Je monte chez Lalique à qui je fais choisir quelques bonnes estampes japonaises. Il en prend cinq : un paysage avec des pins et un pont l’hiver de Hokusaï, une très belle épreuve de Toyokuni [381] et une de Kiyonaga, et un beau paysage de Hiroshige genre Cl. Monet pins et mer. Il paraît content et moi j’ai du plaisir à lui faire ce cadeau ; il me demande à venir voir ma collection, je serai enchanté de la lui montrer après mes vacances. Dans la journée, chez Le Saché qui est absent mais son commis, que nous avons surnommé le Borniol de la Bijouterie à cause de son air funèbre, me montre tous ses dessins. Il y en a des quantités – mais combien aussi de choses vieillottes. N’y a-t-il donc pas en ce moment un joaillier capable de faire des choses nouvelles ? Je choisis cependant quelques dessins qui peuvent servir de point de départ, d’idées à modifier – Le soir, aux Variétés saison lyrique : Le Barbier de Séville avec Mme Jenny Passama [382] qui n’est pas trop mauvaise surtout si on la compare aux autres artistes qui sont bien médiocres. Figaro est tout à fait mauvais. La salle est pleine, le prix des places est modéré (5 frs orchestra). Il y a Sarcey [383], Manzi, etc. je suis content d’y être allé, c’est toujours de la musique, et il y avait bien longtemps que je n’avais entendu le Barbier. J’y trouve un air de famille avec Don Juan – En sortant, Manzi me mène prendre une granite au Napolitain [384] – il me raconte qu’il y a dix ans il est arrivé à Paris avec 700 frs (ou 1 200 frs) en poche, c’est Goupil père qui l’a pris comme ingénieur aux appointements de 300 frs par mois, puis peu de temps après il a inventé (?) la photogravure on lui a donné 1 000 frs par mois, puis après 3 000 frs, et, maintenant après avoir fait gagner 10 millions au père Goupil (dit-il), et en avoir gagné plus d’un lui-même dans la maison, il vient de racheter le fonds Goupil (gravure et estampes seulement) et le voilà patron là où il avait modestement débuté [385].
46630 août. Le Tsar Nicolas II vient de proposer le désarmement général !… [386] en voilà une surprise. Si c’était réalisable, quel bonheur pour l’humanité ! mais, est-ce possible ? et l’Alsace-Lorraine ?… même si on nous la rendait, est-ce que les autres puissances ne réclameraient pas aussi ? L’Espagne, Gibraltar ; le Pape, Rome, etc. etc. Il va y avoir du grabuge dans les chancelleries. Mais quelle idée généreuse et belle ! Si seulement Guillaume [387] voulait en dire autant, qui sait ?…
467Mme Crousy est venue de Vichy, on va pouvoir la taquiner, et pour sa première visite nous commençons bien. Le Turcq est venu me montrer des dessins de bijoux qui me plaisent assez ; je crois que nous arriverons à faire ensemble quelque chose de bien – je lui fais choisir – L’abbé Georges Hirn [388] dîne avec moi, il part demain pour Ste Adresse. C’est un brave homme et nous causons longuement des choses de l’âme, de philosophie, de mysticisme, etc. Je dessine ensuite jusqu’à minuit.
46831 août. Coup de théâtre au sujet de l’affaire Dreyfus [389] !… L’agence Havas publie la note suivante : « Aujourd’hui, dans le cabinet du ministre de la Guerre, le lieutt colonel Henry a été reconnu et s’est reconnu lui-même l’auteur de la lettre en date d’octbre 1896 où Dreyfus est nommé. M. le ministre de la Guerre a ordonné immédiatement l’arrestation du Lt Col. Henry, qui a été conduit à la forteresse du Mont-Valérien. » Ainsi tout est à recommencer, ce sera une nouvelle agitation, un nouveau scandale, etc…
469Jeanne vient de me téléphoner de Gisors, le cocher s’en va parce que sa femme est malade, la cuisinière part, etc. bref, elle est dans le pétrin cela devient de plus en plus difficile d’avoir des domestiques convenables !
470Le soir, à l’Opéra. Il y avait bien longtemps que cela ne m’était arrivé et je suis content d’entendre un peu de musique avant de partir en vacances. Samson et Dalila [390], et Coppélia [391]. C’était tentant. Mme Héglon est très bien en Dalila et Bartet est un bon prêtre de Dagon, mais les autres… Dupeyron est mauvais, il est vrai que l’excellent Colleuille [392] est venu faire une annonce au dernier acte, Mr Dupeyron étant pris d’un enrouement subit, etc… Quant à Coppélia quel régal ! Voilà les ballets comme on n’en fait plus guère, Mlle Subra, qui faisait sa rentrée, est charmante quoique un peu engraissée – même observation pour Mlle Invernizzi. Ce ballet dont je me délecte et que je n’avais pas entendu depuis des années, me rajeunit de vingt ans ! C’est la 191e représentation. Jadis, avec Sylvia [393], c’était ce que j’aimais le plus ; je parle du temps où j’étais abonné à l’opéra, pas marié, etc. C’était Mlle Beaugrand [394] qui dansait, vive spirituelle et légère, et Cornet qui était parfait dans son rôle de Coppélius ! Que tout cela est loin.
4711er septembre. Nouveau coup de théâtre : le colonel Henry s’est suicidé dans la prison du Mont-Valérien – Le Général de Boisdeffre, chef d’État-major général de l’armée, donne sa démission – Le Commandant Esterhazy est réformé – Voilà des nouvelles importantes – Tout le monde dans la rue tient un journal à la main – qu’est-ce qui va sortir de tout cela !!… quel remue-ménage ! La tristesse est générale, je suis absolument navré.
472Le bon Lefèvre vient me voir ce matin, sur ma demande nous bavardons et causons de l’Art nouveau et de 1900 je lui demande, le cas échéant, de me chercher quelques idées de me faire des croquis de bijoux et bibelots – Il emporte deux flacons chinois en pierre dure pour essayer d’en faire quelque chose – Je lui fais choisir deux estampes japonaises : la montagne rouge avec ciel pommelé de Hokusaï et la lessiveuse debout de Toyokuni qui ressemble à un Mantegna – Il est enchanté – Ensuite, c’est Le Turcq qui vient me montrer des projets – je lui fais quelques critiques et lui rends ses dessins avec mission d’en étudier certains qui me plaisent bien. Après déjeuner, je vais chez Hayashi qui a déballé une nouvelle caisse de poteries dont je choisis quelques échantillons, mais très peu. Il me montre une série admirable de sculptures anciennes, bouddhas et autres, datant du viiie au xiie siècle, dont j’entends parler depuis plusieurs mois. C’est très beau, mais quels prix !… un grand bouddha noir du viiie siècle 35 000 ! – un autre, de l’époque de Kanaoka [395], 25 000 (je dis vingt-cinq mille !…) heureusement qu’il y en a de moins chers et qui me plaisent tout autant. J’en choisis un très élégant, de pose moins connue, mais que je ne puis cependant avoir à moins de 5 000 (il en voulait 6 000). Je vais dîner à Pontoise chez Jules Écorcheville. Il y a les Valadon et les Lefèvre. Ils ont le téléphone installé et j’en profite pour communiquer rue de la Paix juste au moment de la fermeture du magasin, ce qui me fait un contre-appel. Après dîner, musique piano et violon, un peu de César Franck, de Wagner, et de Mozart. Cela fait toujours grand plaisir.
4732 septembre. Journée très chargée, j’ai tant de choses à déblayer et à terminer au magasin avant mon départ que je ne sais jamais si tout pourra être prêt !… et c’est justement ces jours-là qu’il vient le plus de monde se mettre en travers, et cependant je me lève avant 7 heures pour avoir plus de temps à moi. Vu Callot, Haghiwara, Bournique, des fabricants de toute sorte, Mme Crousy, Landoy [396], etc. etc. etc. Été chez Richard pour Belleville et chez Lévy pour lui apporter l’acceptation de Bouilhet pour écrire des articles sur l’orfèvrerie, à condition que ces articles ne commencent qu’en janvier prochain pour lui laisser le temps de les préparer d’ici là. Vu Bing pour le remercier de son dîner et de sa bonne soirée du mois dernier à la Jonchère. Vu Portier qui vient de recevoir des flacons chinois, j’en choisis pour le magasin. Il attend Lalique cet après-midi.
474Le cocher de Noyers est parti, ainsi que la cuisinière, la pauvre Jeanne est dans l’embarras, je m’occupe ici de lui trouver du personnel, mais ce n’est pas facile. Le soir, Le Besnerais et de Beffort viennent me prendre pour aller dîner au pavillon de Bellevue qu’ils ont grande envie de connaître, et bien que je leur dise que les prix sont exorbitants – Très joli trajet en bateau au moment où le soleil se couche dans une brume lilas. C’est ravissant. Dîner salé, 51 frs pour trois, sans extra… Il est vrai qu’il y a de la musique, mais peu de monde !
4753 septembre. Dernières courses avant le départ, dernier coup d’œil sur les pièces en fabrication à l’atelier etc. etc. je suis très affairé, il fait un temps admirable, jamais le baromètre n’a été aussi haut…
476Acheté un drapeau pour la mairie de Noyers et des ballons d’illumination chez [Barallon].
477Lalique m’a envoyé le bijou qu’il a fait pour Marguerite ; c’est une broche composée d’une tête juvénile aux cheveux éployés et repercés, émaillés d’un émail transparent violacé – sous cette figure en or, une brassée de marguerites épanouies en émail blanc un cœur d’or naturel. C’est très joli ; très « Art nouveau » – je vais le remercier chaleureusement –
478Parti pour Noyers dans un train bondé de chasseurs, de chiens, etc. Le temps est superbe, mais quelle chaleur !
4794 septembre. Ouverture de la chasse ! Ciel sans nuage, baromètre haut, etc. Le rendez-vous est chez Marion [397] à Chauvincourt un peu avant 7h. Belle journée – je tue le matin 7 perdreaux, l’après-midi 5, et un lièvre, total 13, et je suis roi de la chasse. Il y a beaucoup moins de gibier que l’année dernière. Mais quel temps admirable ! Vers 9h ½ nous commençons à tirer la langue, on casse une croûte arrosée d’un verre de cidre ou de vin et accompagnée d’une rondelle de saucisson – Tout cela à l’ombre d’une meule – À 11h, c’est l’apéritif obligatoire « au rendez-vous des chasseurs » – Ensuite déjeuner plein d’entrain chez Marion. Il y a son oncle, ses beaux-frères etc. Mr Buchotte [398] maire de Gisors et son fils, environ 20 convives – On se remet en route vers 2h ½ en traînant un peu la guêtre. Il y a des luzernes inextricables et éreintantes ; certains ont des crampes dans les jambes – on fait chercher Jeanne et Marguerite pour dîner, et au dessert, Mme Lefèvre chante très joliment, Mr Montaillet, etc. etc. Puis un tour de chevaux de bois, car c’est la fête patronale de Chauvincourt, puis carton au tir d’où je sors vainqueur, rentrés à Noyers à 11h ½ par un clair de lune admirable.
4805 septembre. Encore un tour de chasse avec Marion, mais nous sommes tous un peu fourbus, y compris les chiens, et après deux heures de plaine et de betteraves on en a assez – je rentre avec 3 perdreaux. Déjeuner à Noyers – je donne à Marguerite la ravissante broche de Lalique, elle paraît ravie… on le serait à moins.
481L’après-midi, repos bien mérité, rangements, lettres, etc.
482(Il faut compter de 3 à 4 cartouches par pièce de gibier tué).
483Voilà encore des complications avec cette affaire Dreyfus ! Cavaignac [399] a donné sa démission de ministre de la Guerre. Quand et comment cela finira-t-il !
4846 septembre. Journée de soleil, journée chaude, journée de flemme. Toute la nuit, par la fenêtre laissée ouverte, j’ai écouté le susurrement du jet d’eau. Il faisait un clair de lune admirable, des milliers d’étoiles au ciel, une nuit tiède. Impossible de se rafraîchir malgré le tub pris avant le dîner. Aussi, sortant avec nonchalance dans le parc, je cherchais, sans entrain, quelque fleur à dessiner. Mais par cette chaleur et cette sécheresse tout est torréfié, les feuilles tombent, les plantes sont comme du foin. Un écureuil est venu me narguer à dix pas ; et me voilà devenu féroce : Je cours chercher mon fusil et au lieu des dessins je lève le nez dans les arbres et je cherche les écureuils. J’en assassine un tout joli qui était en train de croquer une noisette, il tombe foudroyé tenant encore l’amande entre ses dents. Pourquoi l’homme est-il si cruel, pourquoi éprouve-t-on du plaisir à chasser, à tuer d’innocentes perdrix à les blesser !… est-ce de l’atavisme et nos ancêtres étaient-ils des cannibales, des assassins ?… mystère !
485C’est le général Zurlinden qui est nommé ministre de la Guerre.
4867 septembre. Toujours la chaleur ! Nous allons l’après-midi à Gisors. Je téléphone à Paris où l’on me dit qu’il fait chaud aussi… Visite à Mr Passy, très aimable. Il me montre deux beaux portraits de ses grands-parents par Prud’hon [400]. L’un est de cette belle matière grasse si caractéristique du maître, mais avec des ombres au bitume qui ont noirci. L’autre avec un peu de sécheresse est également très beau, il représente aussi une femme, avec un turban sur la tête, charmant de pose d’exécution. Dans les couloirs des gravures des caricatures intéressantes faites par un de ses amis. Par la fenêtre on aperçoit un très beau parc. Dans Gisors, nous cherchons une cuisinière, sans succès immédiat. On profite de la chaleur pour mettre la rivière d’Epte complètement à sec. C’est une idée bizarre. Le lit de la rivière n’est qu’un amas de pots cassés, de vieilles ferrailles, de débris de toute sorte cela ressemble à certaines vitrines de musées gallo-romains…
487Toujours et encore la chaleur ! 29° à l’ombre et au nord.… le soleil est implacable pas le plus petit nuage au ciel – Mme Léon Thibault vient avec sa fille nous faire une visite. Puis c’est Mme Guesnier avec de ses amies Mme… (sœur de Mr Plum) et ses trois filles, et Mme… nous allons dîner à Vesly, chez les Guesnier.
4889 septembre. Je continue à m’escrimer sur des dessins pour tâcher de trouver enfin quelque chose d’inédit. C’est bien difficile ! Je m’épuise en vains efforts et il y a dans tout ce que je fais une réminiscence de déjà vu. Il fait toujours bien chaud. Le jeune Dubois nous amène un cocher, vieux et un peu sourd, mais espérons qu’il fera notre affaire. C’est toujours mieux que rien. Nous faisons atteler à la fin de la journée pour tâcher d’avoir un peu d’air, et je rapporte de notre promenade un magnifique pied de cardère que je dessinerai demain. Le soir, le temps change, la fraîcheur arrive ! enfin !… pendant que nous contemplons les étoiles et que Marguerite cherche à identifier les constellations, il se forme dans le ciel comme des nuées de vapeurs lumineuses très curieuses. Cela naît, cela s’évanouit instantanément et c’est tellement lumineux que nous sommes éclairés comme par un peu de lune. Qu’est-ce que c’est ? est-ce de la lumière zodiacale ? C’était une aurore boréale (Jeanne a tué un écureuil très adroitement).
48910 septembre. Les marchands (tir, bal, chevaux de bois) s’installent pour la grrrande fête de Noyers qui aura lieu demain – Le temps est gris et il fait bon. Pourvu que cela dure et qu’il ne pleuve pas avant 48 heures à cause de la fête – Il paraît qu’à Vernon il y a un ballon captif, la ville a garanti 500 frs à l’entrepreneur, le prix des places est de 2 frs on peut tenir 4 ou 5 dans la nacelle. On dit qu’ils feront leurs frais et que la ville n’aura rien à payer pour sa garantie. Je passe la plus grande partie de ma journée à dessiner des cardères, cela m’amuse beaucoup. Mais quelle différence entre cette saison brûlée où l’herbe est séchée où il n’y a plus de fleurs au bord des routes, avec le commencement de juillet où tout était si florissant et si beau !…
490Avec Marguerite nous allons faire une petite promenade à bicyclette avant le dîner : Bernouville, Étrépagny, Chauvincourt. Il fait bon, le temps s’est un peu rafraîchi. Coucher de soleil splendide.
49111 septembre. Jules Écorcheville vient passer 48 heures avec nous. J’espère qu’il prolongera son séjour. On a assassiné hier l’Impératrice d’Autriche [401] ! c’est monstrueux !….Pendant qu’elle se promenait à Genève, un anarchiste italien lui a enfoncé un stylet dans le cœur. Faut-il être canaille !…
492Et c’est aujourd’hui la fête de Noyers. Toujours des plus modestes : un manège de chevaux de bois, un tir, une boutique de pain d’épices et objets variés, une autre boutique de jouets, une marchande de gâteaux et la tente du bal Sigaud. Il y vient cependant beaucoup de monde, de Dangu, de Vesly, des environs. À quatre heures, la fanfare de Dangu vient nous régaler de son répertoire… c’est un peu moins aigre qu’il y a deux mois, ils ont fait des progrès, mais ils en ont encore beaucoup à faire !
493Les Guesnier viennent nous faire visite pendant la fête, il en est de même de nos chers voisins Thibault qui sont accompagnés de leurs amis Notté et de Mme Lévêque. Nous faisons des cartons au tir, il y a un lapin à gagner. Je fais 28 points, c’est 30 le maximum irréalisable. Léon Thibault, Jules Écorcheville, et Raffy font également 28. Il faudra faire des tirs de débat. Le soir, au bal – Ils ont tous l’air de bien s’amuser. Il y a des jeunes filles charmantes de Vesly, de Dangu etc. et on danse avec beaucoup d’entrain et de correction – vers onze heures, nous allons chez les Thibault ; Mme Notté qui a un véritable talent de pianiste fait danser. Marguerite et Jules dansent la Berline [402] très gracieusement. Mme Notté est une créole de la Havane, elle nous a joué cet après-midi à la perfection la marche du Régiment de Sambre et Meuse etc. – Pendant la nuit, vers 4 heures ½, orage épouvantable, pluie torrentielle, éclairs ininterrompus tonnerre, fracas de tous les diables – Nous nous levons, Jeanne et moi, pour voir si les fenêtres sont bien fermées partout afin d’éviter les inondations. Mais quels coups de canon !
49412 septembre. Le matin, nous devions aller chasser de bonne heure avec Thibault et Mr Notté, mais il a tellement plu que nous hésitons. On se lève cependant, on se consulte, et en fin de compte on se décide à partir, mais à 9h seulement. Promenade sur le territoire de Noyers, de Vesly et de Chauvincourt. Résultat : chacun un perdreau, sauf Mr Notté qui est bredouille – C’est bien maigre.
495Après-midi, la fête recommence et pendant qu’elle bat son plein, à 3h ¾ on annonce tout à coup que le feu est à la ferme de Nainville… Immédiatement tout jeu cesse, on sonne la générale, tout le monde court en habits du dimanche vers Nainville. Pendant que les pompiers se réunissent, je saute en carriole avec Jules et Thibault et nous arrivons les premiers – C’est une grande grange qui flambe. Il y a 1 000 gerbes de blé et 1 500 d’avoine. Nous déménageons les fagots les objets en bois, etc., qui touchent au bâtiment embrasé. Les pompiers de Noyers arrivent très vite. Il faut faire la part du feu en coupant la toiture, et cela se fait assez rapidement pour sauver le grenier à blé par où le feu aurait pu aussi gagner la maison d’habitation. La chaîne s’organise de suite les femmes et les jeunes filles la composent en majeure partie. Elles ont presque toutes enlevé leurs jupes pour ne pas abîmer leurs vêtements […] Il fait un temps superbe, et ce sinistre a un petit air de fête. D’autant plus qu’on distribue du cidre et du pain aux travailleurs, et qu’on est rassuré sur l’importance des dégâts, qui fort heureusement sont purement matériels et garantis par une assurance – les pompiers de Guerny sont arrivés peu après ceux de Noyers, puis ceux de Dangu. Bientôt la cour de la ferme est pleine de monde, le curé de Dangu fait la chaîne, il y a même une bonne sœur qui est là. Jules prétend qu’elle est venue à bicyclette. Mais quel remue-ménage, quel brouhaha dans la cour, où l’on a lâché poules, canards, bestiaux !… Les pompiers de Noyers travaillent avec beaucoup d’activité et, ma foi, mieux que je ne l’aurais cru. Ils grimpent sur le toit qu’ils défoncent, se promènent sur les murs, etc. Mais on voit bien le caractère de chacun, on reconnaît ceux qui font réellement quelque chose comme Arenalès, Pigeard, Goujeon et ceux qui font les affaires, les « Auguste », comme Gautrin, Delâtre, etc. bien qu’ils soient très maculés de boue, d’eau, de charbon etc. c’est bien amusant de les voir – Le domestique du château de Dangu, Pozzo II comme l’appellent les loustics, vient, l’air digne et calme, les deux mains passées sous un tablier blanc immaculé. Aussitôt les lazzis s’entrecroisent. Il ne veut pas aller à la chaîne, on lui jette un seau d’eau dans les jambes ; « c’est pour montrer que tu y es venu et pour faire croire que tu as fait quelque chose » lui dit-on. Enfin, les tonnes d’eau qui font le va et vient jusqu’à la mare, et les trois pompes, achèvent de circonscrire le feu. Il n’y a bientôt plus qu’à laisser brûler ce qui reste de la grange dont les murs très solides datent de 1812. Le vent était heureusement faible et très bien placé sans quoi tout aurait pu y passer. Jeanne Marguerite Mme Mignan, etc. sont là. Les forains de Noyers ont quitté leurs baraques pour venir aider ; mais la fête est finie et ces pauvres gens perdent beaucoup d’argent. Personne ne revient à Noyers pour s’amuser, il est du reste plus de 6 heures et il faut que les pompiers restent sur le lieu du sinistre. Le soir, le bal est morne il n’y a que des jeunes filles, et presque pas de danseurs, aussi sont-elles obligées de danser entre elles – Gaston [403] était à Gisors avec Mignan quand le feu a pris. On a pu le prévenir, et il était chez le notaire, en train de louer sa ferme quand on a pu le joindre, il accourt mais tout est à peu près fini quand il arrive – Je lui serre la main et lui donne des explications – son fils [404] est là, un jeune homme de 15 ans, l’air un peu dadais, avec un long nez, ne ressemblant en rien à son père ni à la famille Monthiers.
49613 septembre. Jules Écorcheville restant aujourd’hui nous allons faire un tour de chasse à Chauvincourt. Résultat : lui 2 perdreaux, et moi, 1 lièvre et 1 perdreau. Nous avons vu beaucoup de gibier mais il partait de très loin, et puis, sans chien, c’est assez difficile – sans compter que nous avons bien mal tiré ! L’après-midi nous reconduisons Jules à Gisors qu’il ne connaît pas. Il est enchanté de voir le donjon (où nous montons), la Tour du Prisonnier, l’Église etc. – je téléphone à Paul – soirée très fraîche – j’essaie de déchiffrer les Maîtres Chanteurs avec Marguerite, mais je ne suis pas de force ! Hélas…
49714 septembre. Calme plat, temps gris avec un peu de pluie, et cependant le baromètre est très haut ; Mme Thibault vient nous faire une visite. Décidément, le ménage ne va pas fort. Ils ont chacun leur chambre, etc. Léon est tellement rapiat qu’il a fait payer 2 verres cassis par sa fille !… Mr Guesnier vient nous voir et avoir des détails sur l’incendie qui fume et brûle encore. Je dessine un pavot. Mais la saison est trop avancée et j’ai bien du mal d’en trouver encore un au jardin.
49815-16 septembre. À Paris causer avec Paul de tous mes projets d’Art nouveau et d’Exposition de 1900. Journées très occupées. Chambre syndicale, conseil de Perfectionnement pour discuter le programme des cours de l’École qui recommencent le 3 oct. On parle de faire des conférences aux élèves, mais j’estime que cela les assommerait, on a du reste essayé sans succès. Mon avis est si on en fait, qu’elles soient terre à terre et pratiques – Il fait chaud – Vu Marest, Callot, Le Turcq, Fray, Richard, Hayashi, etc… Nous prenons nos repas chez Drouant – je rentre à Noyers à minuit.
49917 septembre. Temps toujours splendide – Dessin – les Thibault viennent nous voir avec Mme Jozon. Visite détaillée du potager !…
500Reçu à 6h une dépêche de G. Petit : avons amateur très sérieux pour Meissonier Le Déjeuner [405] à quel tout dernier prix voulez-vous le laisser répondez télégraphiez ai répondu : Laisserai Déjeuner à cent mille net comptant – (Il en a coûté 125 mille à van Praet). Mais je serais content d’en finir.
50118 septembre. Voilà encore l’affaire Dreyfus qui revient sur l’eau, le général Zurlinden a donné sa démission de ministre de la Guerre (Chanoine le remplace) et on va procéder à la révision du procès [406]. Quel cauchemar !… mais il faut absolument qu’on en sorte qu’on en finisse –
502La pluie tombe torrentielle jusqu’à 5 heures – nous allons dîner chez les Guesnier avec Mme Arnoux (84 ans !) Mr Arnoux les Geoffray… on fait une poule au billard.
50319 septembre. Temps splendide – j’écris des lettres, etc. et le temps passe trop vite visite au Cher Voisin – arrivée d’une nouvelle cuisinière… la santé de maman ne va pas, Thérèse nous informe – hélas ! pauvre maman… que faire pour la soulager ? Je crains bien qu’elle n’ait une mauvaise pierre dans son sac !
504Léon Thibault m’a donné hier un vieux plan de Noyers de l’an 13 [407], et un plan de Nainville de 1770. Et Constant nous a donné un fragment de vieille affiche de la vente du château, qu’il avait mise de côté. En voici la copie, c’est dommage que les lacérations rendent certaines phrases incomplètes :
505… en t(otalité ou en p)arties
506La Baronnie de Nainville et la Terre et Seigneurie de Noyers, […] … a haute… moyenne et basse justice, droits de patronage, féodaux et seigneuriaux, droits de chasse … noble sur plusieurs belles Terres qui en relèvent, leurs châteaux, entr’autres celui de Noyers de 260 pieds de long, couvert en ardoise, bâti à la moderne, en pierre de taille sur une belle é(lévati)on, ayant une très belle vue à 5 à 6 lieues à la ronde, imitant en petit la façade des Tuileries de (Paris), du côté des Jardins, décoré de très-belles terrasses et jouissant de l’agrément des eaux, que l’on (peut) conduire dans la plus grande partie des appartenances et dans des Écuries doubles de 100 pieds de long, sur 24 pieds de large ; ayant une Chapelle et une très belle Tribune, qui communique des Apartamens du château à l’Église ; deux Parcs attenans l’un à l’autre, tout en haute futaie que bois-taillis ; de très-beaux Jardins : les Fermes constituantes, tout en terres labourables que plantes, Prairies et Bois ; les terres labourables composant 10 charrues de labour ; tous les Bâtiments en très bon état, couverts en tuile d’une… et solide bâtisse : le tout situé dans le Vexin Normand, à trois quarts de lieu de la grande route de Rouen à Paris, à deux lieues de Gisors, deux de Magny et d’Étrépagny, quatre de Vernon et des Andelys, seize de Paris et dix de Rouen.
507S’adresser à Paris à Mr de La Bonne, procureur au Châtelet rue de l’Homme Armé.
508À Rouen Mr Guillotte, notaire rue St Lô
509À Étrépagny, près Gisors, à Mr Bonté, avocat au Parlement ;
510Et à Noyers, par Gisors, à M. Maillard, agent des affaires de Madame la Comtesse de Lénoncourt ; lesquels donneront tous renseignements et instructions nécessaires
511Permis d’imprimer et afficher ce 21 Août 1779. Trugard de Maronne
512De l’imprimerie de Machuel, rue S. Lô –
513Sur le plan de 1770 remis par Mr Thibault, figure une grosse tour qui se trouvait à Robinson à la partie culminante du Parc. C’est toujours ce que j’avais pensé – On a dû se servir des pierres de cette tour pour bâtir les murs du Parc etc. –
514Je fais avant le dîner une petite promenade à vélo : Gisors, le bois de Gisors, St Paër, St Denis-le-Ferment, et retour par Bernouville. Il fait un temps exquis – Mme Guesnier vient dîner. Elle raconte des histoires de la révolution, que sa grand-mère lui racontait ; son grand-père a dû guillotiner Robespierre – l’autre jour, Mr Guesnier racontait que son père avait vu guillotiner à Rouen 33 chauffeurs, le même jour. Toute la bande y a passé et le chef a été exécuté le dernier.
51520 septembre. Je vais à bicyclette à Vernon […] déjeuner avec Mme Morlot. MrMme Paul Monchot y sont. Excellent déjeuner. Visite à Mme Le Roy – Visite aux Legrand dont la fille, Mme Binet-Gallot, vient d’être très malade : on lui a opéré un abcès à l’intestin. Elle est à Seine-Port chez des amis, on va la ramener à Vernon par bateau (200 frs par jour). Je téléphone à Paris à la maison – Retour par la vallée, je retrouve Jeanne, Marguerite, Mme Jozon, Mme Thibault et sa fille à Aveny, où elles sont venues à bicyclette et en voiture – nous visitons la petite île charmante qui a de si beaux arbres, et où se trouve une source bouillonnante d’eau froide et limpide (62 kilomètres). Nous mangeons quelques biscuits arrosés d’un verre de vin blanc – En rentrant, nous passons à Gisancourt chez le père Delâtre qui rentre précisément tous les jeunes et jolis chevaux. Nous lui demandons de nous procurer, si possible, du gibier pour jeudi (dîner Guesnier-Plum, etc.).
51621 septembre. Je vais à Vesly à bicyclette demander aux Guesnier et Plum si ça leur est égal d’être treize à table parce qu’alors nous inviterons les Thibault – Ils n’y voient aucun inconvénient – L’après-midi promenade avec MrMme Thibault, Marguerite, Jeanne. Mme Jozon et Mlle Bournizien sont en petite voiture, traînées par Karali. Marguerite les escorte à bicyclette. Nous allons à Bernouville où nous visitons l’ancienne propriété des Morlot, très ombragée, plantée d’arbres superbes mais un peu humide à cause de la rivière qui la traverse – Nous allons ensuite par Bézu, St Paër et la vallée à St-Denis-le-Ferment où nous rencontrons Mme Bourgeois (la femme du maire et conseiller d’arrondissement) qui très aimablement nous fait visiter son domaine. La porte d’entrée est très curieuse avec ses deux tourelles, elle date, dit-elle, du temps de François Ier (je la croirais plutôt Louis XIII). Dans le château, salle à manger en vieilles boiseries, pilastres, armoires, vieille lance, etc. Dans une chambre à coucher très curieux papier peint du commencement du siècle, très bien conservé, représentant de grands paysages genre Joseph Vernet ou Hubert Robert, en camaïeu – nous visitons l’intérieur de la porte d’entrée qui sert de « chambre à grains » il y a là un petit appartement complet : En montant nous lunchons sur le bord de la route. Sandwichs et fruits, gâteaux… c’est très agréable – Je fais un détour pour aller à Chauvincourt inviter les Marion à dîner pour samedi – (31 kilomètres compteur 1101).
51722 septembre. Partie de chasse avec Mr Plum et Léon Thibault – je ne tire pas une seule cartouche, le gibier part très loin. Thibault récolte cependant deux perdreaux – Il me retient à déjeuner, de force. J’ai grand appétit, excellent déjeuner (gigot parfait, perdreau froid, bouteille de vieux Bourgogne etc.) nous chassons encore après déjeuner sur ses terres ! où il y a assez de gibier. Nous tuons chacun un perdreau – mais il fait chaud ! À 3h les Guesnier-Plum arrivent au château, on s’installe sur la petite terrasse et les enfants organisent un crocket [sic]. Il fait un temps idéal. Les Thibault Jozon arrivent, on fait tous ensemble un tour de parc avant le dîner, qui est réussi. Ensuite, au billard poule à la casserole, on taquine Mr Guesnier qui perd. Musique, chant, et la jeunesse danse au salon.
51823 septembre. Voilà maintenant que c’est le colonel Picquart qui est accusé de faux dans l’interminable affaire Dreyfus [408] ! Comment nos pauvres cervelles peuvent-elles résister à tout cela ? Le Duc d’Orléans a fait placarder un manifeste sur les murs de Paris [409]. Le pauvre homme ! quelle influence peut-il avoir ! Il est bien oublié, et ses affiches ne changeront rien aux événements. C’est égal, ce sera vraiment curieux de connaître le fin mot, le dénouement définitif de cette affaire. Mais cela arriverait-il jamais ?? On en est malade.
519La journée se passe à écrire des lettres, à ranger, à penser au départ, hélas ! Il faut que je rentre à Paris pour l’inventaire et pour travailler. Mais voilà, pourrais-je travailler plus et mieux que je ne l’ai fait ici, à Noyers, où je pensais réaliser tant de projets et où le temps a passé si vite et sans que j’aie pu faire quelque chose de véritablement utile !… ce n’est pourtant pas la bonne volonté qui me manque ! et je ne suis jamais satisfait de mes dessins, de mon travail. C’est une recherche une lutte de tous les jours, et qui me paraît stérile. Je pense souvent à Sisyphe et à son caillou !…
52024 septembre. À bicyclette à Fourges pour préparer le gîte des chevaux pour demain et assurer notre déjeuner. Je m’adresse au maire, Mr Coquand [410], que je trouve à l’extrémité du village en train de répartir les emplacements aux forains. Il me reçoit d’une façon charmante et m’offre même de loger nos chevaux chez lui. Je décline la proposition, d’autant plus que l’aubergiste qui doit nous nourrir a un local disponible. Retour à Noyers par un coquin de vent debout qui me fait appuyer ferme sur les pédales – L’après-midi, au moment où nous disposons à partir avec nos chers voisins pour Tourny, voilà Georges Baugrand [411] qui vient nous surprendre en automobile. Pour une surprise, c’en est une. Il est bien gentil d’arriver ainsi et je monte ainsi que Léon Thibault dans son char à pétrole pendant que les dames prennent la voiture et que les deux jeunes filles conduisent Karali. Nous filons bon train et arrivons bien avant les voitures. Visite à l’horloger, qui passe pour avoir des bibelots intéressants. C’est une désillusion. Il n’a que quelques assiettes insignifiantes, des vieux livres en très mauvais état et pas rares, et chez sa mère, c’est à peu près la même chose – Elle a cependant un beau baromètre Louis XVI en bois sculpté et doré, et une commode L. XV en bois naturel avec des cuivres bien ciselés – Mais elle ne veut pas vendre. L. Thibault lui achète cependant 4 assiettes pour 25 frs. Les dames arrivent et nous visitons l’église qui n’a rien de remarquable. Il paraît que cet horloger avait de fort belles choses il y a 5 ou 6 ans – il avait une assiette ou un plat aux armes du Seigneur de Tourny, celui qui a donné son nom à l’avenue qui est à Bordeaux. Pour rentrer à Noyers, les dames montent en auto, et non en voiture. Les Marion dînent avec nous après avoir fait préalablement le tour de parc réglementaire. G. Baugrand est très aimable. On cause, naturellement, agriculture, cidre, pommes etc. Cette année les pommes à cidre sont rares on parle déjà de 5 frs la rasière de 50 litres.
52125 septembre. Nous partons avec les Thibault et G. Baugrand pour Fourges où a lieu un grand concours de pompiers – arrêt à Guerny pour la messe que nous chantons conscieusement. Mlle Bournizien et Marguerite montent en auto. Il fait un temps superbe et délicieux, le trajet par la vallée est charmant. Fourges est rempli de pompiers et de familles de pompiers, partout des tables dans les cours dans les coins, des arcs de triomphe – branchages de sapin, des guirlandes de feuillage, des drapeaux, etc., décorent les rues tant bien que mal. Il y a beaucoup d’animation. Après une promenade d’orientation pendant laquelle nous poussons jusque l’Epte (et où la petite chienne de Baugrand a failli se noyer, mais est repêchée par Marguerite) nous déjeunons assez convenablement chez Bequet Armancy – puis Baugrand nous quitte pour aller à La Roche-Guyon et de là à Maisons Laffitte ou Paris. Nous assistons au rassemblement puis au défilé des pompiers. Ceux de Noyers sont reconnaissables à leurs pantalons blancs. Nous les encourageons de la voix et du geste, et ce n’est pas sans une certaine petite émotion que nous les voyons passer leur examen. À la vérité, ils ont mieux manœuvré que les autres, et les récompenses qu’ils ont obtenues étaient bien méritées. Le lieutenant Béguin et Émile Gautrin ont chacun un prix de stratégie !… consistant en cuillères à café ! La section de Noyers a un prix de tenue, un prix de matériel et un prix de manœuvre. C’est parfait. Les divisions supérieures manœuvrent sur la place du gros orme, et font des exercices de sauvetage d’un homme que l’on descend par une corde du 2e étage. Je vais dans la tribune officielle faire q.q. photos. Je photographie aussi mes pompiers, et quelques scènes de saltimbanques et de chevaux de bois – Vu Mr Passy, Mr Bourgoin [412] mon sous-préfet qui est très aimable et me parle de mes tableaux, de ma vente etc. Mr Milliard [413] l’ancien ministre de la Justice arrive en voiture vers 5h, tandis que nous nous disposons à partir. Il est nuit lorsque nous sommes à Noyers bien qu’il ne soit que 7h la lune brille et, comme dit Hérédia :
522Tandis qu’à l’Est d’où vient la grande nuit sereine
523Silencieusement s’argente le Croissant [414].
52426 septembre. Nous allons déjeuner à Vesly, chez les Guesnier avec les Plum. On fait ensuite une partie de boules et MMrs Eugène et Alfred Bourgeois [415] taquinent conscieusement leur oncle Mr Guesnier au sujet de la politique, de l’affaire Dreyfus, des judaïsants et des autres juifs. C’est très amusant de voir la façon dont ils lisent, en la travestissant, La Libre Parole [416] ; et le brave Mr Guesnier prend la plaisanterie presque au sérieux.
525Ensuite on va faire un tour à la fête, on monte sur les chevaux de bois, etc. Marguerite, qui a une passion de tir, casse des œufs au jet d’eau. Nous faisons des cartons – je fais 28 points ; gagnerai-je le lapin comme l’année dernière ?
526Dernière soirée de vacances à Noyers ! derniers préparatifs de départ !…
52727 septembre. Je pars de bon matin en voiture pour Gisors par un froid de 5 degrés au-dessus de zéro. Je crois être en Sibérie après les grosses chaleurs de ces derniers jours. Les hirondelles ont dû filer et je les envie. J’arrive à Paris gelé. Maman est rentrée hier soir de Ste Adresse, bien fatiguée, bien souffrante, je la trouve dans son lit très découragée !… Que faire ! si seulement je pouvais la soulager, lui remonter le moral, faire renaître la confiance, l’espoir… C’est triste, hélas, de vieillir et de souffrir ! Rien ne vaut, pour passer dans un monde que j’espère meilleur, rien ne vaut une bonne fluxion de poitrine ou quelque chose d’équivalent : court et propre.
528Il y a séance du Conseil de Perfectionnement à la Chambre syndicale ; l’autre jour j’avais dit qu’il ne fallait pas apprendre trop de théorie aux élèves et que l’architecture, la géometrie, la minéralogie, etc., devaient les ennuyer profondément, je disais qu’on pouvait parler une langue sans en connaître tout d’abord la grammaire et que les petits enfants en étaient un exemple frappant. Aujourd’hui, je propose entre autres choses d’offrir une prime hebdomadaire (10 ou 20 frs) à celui qui aura fait le meilleur dessin exécutable ; c’est-à-dire que ceux de nos collègues qui y consentiraient et que cela intéresserait apporterait par exemple une pierre importante à monter et la donneraient comme thème aux élèves, ou bien demanderaient selon leurs besoins un dessin de bracelet ou de soupière qu’ils voudraient bien exécuter. Cela encouragerait beaucoup nos jeunes gens, et ils seraient très fiers de voir leurs dessins exécutés ; de plus ils se rendraient mieux compte de ce que cela donnerait à l’exécution, de leurs qualités et de leurs défauts, et ils apprendraient aussi à faire des dessins exécutables, pratiques, appropriés aux différents métiers de notre corporation –
529Journée très occupée, visites à maman, rangements au magasin, mise au courant et mise en train pour la reprise sérieuse du service. Cela me paraît tout drôle d’être à Paris, et puis, quelle différence de température : ici 18° et de la pluie, à Noyers 5° ce matin !
530Je relève dans un article de Mr Gabriel Séailles [417] une belle pensée : « L’avenir est inconnu ; agissons comme s’il dépendait de nous. » J’aime cela, il me semble que si on répandait des idées comme celle-là cela ferait du bien et donnerait plus de confiance en soi. L’autre jour, Mr Léon Daudet [418] rappelait que son père répétait souvent : « L’homme trouve à quarante ans, sous son paillasson, la clef qui ouvre l’existence. » Je trouve que cela est bien vrai et, pour ma part, il me semble que je suis un tout autre homme depuis que j’ai quarante ans ; il a fallu pour ainsi dire que j’atteigne cet âge pour voir clair, pour acquérir un peu d’expérience, pour penser tout différemment, pour être beaucoup plus indulgent, etc. etc.
531Hier matin, à Noyers, un petit roitelet qui était entré dans la salle à manger par une fenêtre entrebaillée, s’est tué net en se précipitant sur les vitres, voulant fuir lorsqu’on est entré, et croyant la fenêtre ouverte… pauvre petit oiseau il était ravissant, nous l’avons ramassé avec tristesse, et en examinant ses petites pattes fines son bec effilé ses plumes si jolies nous avions le cœur bien serré. Il était si vif et si pétulant… chaque fois que Marguerite se mettait au piano il venait se remettre sur le rebord de la fenêtre et poussait de petits cris de joie ! Vraiment la mort de ce petit être plein de gaîté, m’a fait quelque chose…
53228 septembre. Préparation de l’inventaire : entrer et sortir les marchandises, faire les listes d’appel etc. voilà l’emploi de la journée – Suis allé chez maman, le matin, à midi et à 6h. Elle ne va pas fort, mais elle me paraît plutôt mieux qu’hier ! – Vu le général Jamais [419], Louis Richard, G. Baugrand, etc. Le soir, à l’Opéra, Les Maîtres Chanteurs, excellente représentation : Delmas, Renaud, Vaguet, Bréval [420], etc. Tous les artistes de la création et j’éprouve un plus grand plaisir que la première fois, bien qu’il y ait encore bien des endroits un peu trop touffus pour mon goût – mais je m’y ferai sans doute –
53329 septembre. Toujours pâlir sur l’inventaire ! je fais les prix des flacons chinois, tout en admirant les belles matières dont ils sont faits – Vu Migeon, Grumbach, Richard, Crousy etc – Gillot m’a envoyé un recueil de quelques-unes de ses gardes de sabre japonaises reproduites d’une façon supérieure par son procédé d’héliogravure. C’est très beau – maman va toujours à peu près la même chose… Promenade le soir sur les boulevards, je cherche toujours un emplacement pour nous y transférer. C’est bien difficile à découvrir. Louis Richard que j’ai mis dans la confidence, propose La Panification [421] au coin de l’avenue de l’Opéra et de la rue des Petits-Champs. Mais c’est trop loin, ce n’est pas le bon quartier, il faut aller plus à l’ouest et tâcher de rester rue de la Paix – Il propose Gouache le confiseur, Bd de la Madeleine ; ce ne serait peut-être pas mauvais ? C’est pourquoi j’y vais voir ce soir, et je m’assieds mélancoliquement sur le banc qui est juste en face. Si quelqu’un de connaissance me voyait ainsi, il pourrait croire que c’est pour faire de l’œil aux demoiselles du magasin.
534Vu l’Express Bar [422] sur le Bd des Italiens. Il y a foule. C’est une distribution automatique, moyennant deux trois ou quatre pièces de 10c introduites dans les appareils, de bocks, de verres de liqueur, chartreuse, kummel, whisky, champagne, café, etc. et de sandwichs, gâteaux, zakouskis. C’est très curieux et assez tentant. Je résiste cependant à cette petite attaque de gourmandise – Vu la nouvelle façade de Parisiana [423] qui n’est pas trop mal, autant qu’on en peut juger le soir. C’est bien le genre « beuglant ». J’irai voir ça un de ces soirs – intérieurement.
535– L’air de Paris ne me vaut décidément pas grand-chose, me voilà de nouveau en grande lutte avec moi-même parce que les rues sont pleines de femmes charmantes… c’est assommant d’être ainsi bâti et d’être obligé de se faire la guerre toute la journée !… j’étais bien plus tranquille à Noyers, mais j’espère que c’est encore une de ces crises qui se passeront sans rien de grave. Du reste, je veux qu’il en soit ainsi. Et pendant que j’écris, j’entends au-dessus de ma tête des rires frais et jeunes, on joue du piano, on s’amuse à l’étage au-dessus…. Et ils ne mettent pas de sourdine ! oh non !… je vais lire La Samaritaine de Rostand avant de me coucher… cela me fera du bien pour aujourd’hui et pour les jours suivants ainsi-soit-il !
53630 septembre. Après une longue journée consacrée à l’inventaire, le soir, comme je sortais de voir maman me voilà tout à coup devant le Vaudeville, et, en quelque sorte sans que j’y pense, je me trouve au guichet prenant un fauteuil… c’est bizarre… je suis presque étonné de me trouver dans la salle – on joue Zaza [424], j’arrive juste à temps pour le lever du rideau – Réjane joue admirablement – Huguenet est remarquable – Pièce très intéressante et excellente soirée qui me fait d’autant plus de plaisir qu’elle est imprévue – Il y a une scène avec une petite fille qui est admirable ! et le tout est très bien.
537La reine de Danemark est morte [425].
5381er octobre. Dans mes recherches ininterrompues pour trouver un local où nous puissions nous transplanter, je vais voir la « Panification nouvelle » au coin de l’avenue de l’Opéra et de la rue des Petits-Champs. C’est grand, bien situé, trois façades, un vaste sous-sol où on pourrait installer les bureaux et l’atelier… Prix du local entier 24 000 frs mais ils veulent en garder un morceau pour vendre leur pain, et la partie disponible resterait à 19 000 frs avec un bail de 17 ans. C’est peut-être à voir ? J’aimerais mieux évidemment la rue de la Paix, mais s’il n’y a pas moyen… qui sait ? Enfin, cherchons encore, cherchons toujours –
539Mme Marie Laurent [426], Présidente de l’Orphelinat des Arts, chevalière de la Légion d’honneur, vient avec Mme Poilpot [427] pour acheter un lot pour leur œuvre – Ils choisissent un vieux rossignol 5 fleurs de joaillerie avec pampilles que je leur cède à des conditions tout à fait exceptionnelles pour 2 500 frs – Je file à Noyers et je manque presque mon train. Je suis content de lâcher un peu Paris dont l’air me trouble un peu et finirait peut-être par avoir une influence pernicieuse sur moi… il passe trop de jolies femmes rue de la Paix, j’ai beau ne pas vouloir les regarder, j’en vois encore trop pour mon état d’âme… cette résistance incessante et absolue à mes instincts amoureux me paraît contre nature… il me semble que j’ai un poignard dans le cœur, je suis angoissé, tourmenté, et je m’imagine que si je me laissais aller de loin en loin à un tendre épanchement, cela soulagerait ma soupape, j’aurais plus de tranquillité d’esprit et de corps… mais le devoir avant tout (hélas !). Il y a des moments où cela me paraît bien dur et me pèse terriblement.
540À Noyers, je trouve Mlle Mismaque [428] qui s’y est trouvée en même temps que Mme Le Roy de Vernon repartie jeudi – Elle vient passer quelques jours avec nous et en même temps faire un peu travailler Marguerite. Mme Carnot, veuve du Président de la République est morte subitement en son château de Presle.
5412 octobre. À Dangu, après la messe, nous visitons l’église en détail. Dans la chapelle de droite, sont les 12 apôtres en pierre sculptée, travail de la fin du xvie s. (1585). Il y a aussi un vitrail (St Denis) de la même époque avec le portrait d’un Montmorency à genoux. Le curé vient nous rejoindre, et nous bavardons. Je lui fais remarquer que les canons de l’autel de cette chapelle sont manuscrits et ornés de miniatures de Leprince, et datées 1713. Il ne s’en était pas encore aperçu. Il se plaint que ses saints soient mal placés, mutilés, etc. on en avait, dit-il, offert 1 500 frs pièce à un de ses prédécesseurs. Je lui réponds que les saints sont habitués aux mutilations aux fracasseries, etc, et que tout le monde sait bien qu’on a l’habitude de leur faire des niches !… (Que d’esprit, mon Dieu ! que d’esprit !) Le brave curé a le rire facile et large – Il nous montre, dans la sacristie, un petit lavabo en cuivre repoussé, du xviiie s., un flambeau en cuivre qui me paraît être de l’époque romane, et nous raconte qu’il y avait un superbe ostensoir en argent, du xviiie s., provenant du château de Noyers, donné par le grand-père Roycourt, et qui malheureusement avait été vendu ainsi que plusieurs autres choses intéressantes de même provenance, des chasubles en soie blanche brodée très anciennes etc. Dans l’église se trouve une plaque datée de 1354 ou 1346 indiquant la date de la consécration de la dite église à Jean le baptiste.
542Après déjeuner, les pompiers viennent en corps, avec le drapeau, pour que j’y attache les récompenses obtenues au concours de Fourges de Dimanche dernier. Après les avoir félicités du résultat obtenu et de leur travail, j’accroche les deux palmes de vermeil et la médaille de bronze, et on passe dans la salle à manger pour arroser tous ces lauriers – Constant montre avec fierté sa médaille d’honneur – je leur montre les photos faites pendant le concours, je leur en distribuerai. Tous ces braves gens ont l’air enchanté – Ils repartent clairons et tambour en tête, pour faire le tour du village et s’arrêter chez tous les membres honoraires – Quant à nous faisons un tour de parc avec Mlle Mismaque et allons dans le bois voir le Roi, gros chêne que je remesure et qui a 3m 20 de circonférence et 1m de hauteur du sol. Ensuite on continue les jeux qui avaient été interrompus le jour de la fête de Noyers par l’incendie de Nainville (Gaston a donné 140 frs aux pompiers de Noyers, 80 frs à ceux de Guerny et 50 à ceux de Dangu, comme gratification). Il y a des jeux de chevilles et de ciseaux, tout le monde gagne un lot. Ensuite, il faut couper la tête au canard avec un vieux sabre qui ne coupe guère. C’est très amusant de les voir tous compter en pas la distance qui les sépare du canard, et, une fois qu’ils ont les yeux bandés, ne faisant plus les pas de la même longueur, ils se trompent sur la distance – Enfin après que tous ont essayé sans succès, Georges Malheux lui coupe le cou aux applaudissements de ses camarades –
5433 octobre. Rentré à Paris – maman va bien doucement…. Le Docteur Labadie-Lagrave vient la voir, il n’est pas satisfait et parle d’une opération !… il reviendra dans 8 jours – Hélas, pauvre maman !… – Dîner chez Paul, qui, après dîner me joue avec Gabrielle les parties les plus touffues des Maîtres Chanteurs, pour me convaincre de leur clarté – Je ne suis pas encore convaincu –
5444 octobre. Courses diverses : Joly pour lui parler de l’Italien qui baisse (92,50) Fauré-Lepage pour mon fusil ; aux Français pour prendre un fauteuil ; Tourrette pour réclamer la boucle iris ; Le Turcq pour causer de nos différents objets en train – L’après-midi chez Bouilhet, pour voir s’il peut faire une jolie timbale avec mon moule antique de la Collctn Tyszkiewicz. Il me fait visiter toute l’usine de la rue de Bondy [429], les salles de modèles, de galvanoplastie, de polissage etc. etc. c’est très intéressant et je ne croyais pas que ce fut aussi important, d’autant plus que la grande usine est à St Denis – Parmi les modèles en plâtre, il me montre les quatre femmes grandeur nature qui ont été faites pour le lit d’un rajah ; le service de la ville de Paris ; les grandes pièces des différentes expositions – Je vois aussi un vieil employé qui est là depuis 40 ans et qui ne s’est jamais assis !.. il reste debout toute la journée – Quelles jambes !
545Le soir, aux Français, Louis XI [430] de Casimir Delavigne. Drame en 5 actes. Très bien joué. Très intéressant. Je passe une bonne soirée. Silvain en Louis XI est magnifique, on l’acclame quatre fois de suite après le 4e acte. Albert Lambert en Nemours joue très bien, ainsi que Prudhon en Coitier. Vu au foyer José-Maria de Hérédia dont j’aime passionnément les sonnets.
5465 octobre. Thérèse va à Vaucresson avec tous ses enfants pour cueillir ses poires… j’ai Paul à déjeuner nous bavardons beaucoup, parlons de l’éducation des enfants (garçons) que je trouve idiote telle qu’on le fait aujourd’hui avec du grec et du latin qui ne servent à rien, etc. – Nous parlons beaucoup philosophie, morale, religion, vie future, matérialisme etc… à la suite de cette conversation il me prête le « Cours de philosophie » élémentaire [431].
547Le soir, dîner avec Le Besnerais, de Beffort, et Grumbach chez Drouant nous ne parlons pas de l’affaire Dreyfus – ensuite promenade sur le boulevard, vu la nouvelle grande salle de la brasserie Pousset [432] très curieuse genre Art nouveau – ce n’est pas mal, les peintures de Clairin et le plafond au vitrail qui représente un immense paon sont très bien.
5486 octobre. De très bonne heure à l’atelier que je fais nettoyer à fond par les ouvriers de Constant, tapissier. Ça en avait grand besoin la poussière envahissait tout. J’espère que dans q.q. jours mes deux ateliers seront reluisants. En sortant, je vais chez Hayashi qui me montre de très beaux kakémonos, des laques et divers objets provenant d’une collection japonaise. Il y a une petite boîte ronde en laque, exquise, dont il demande 1 200 frs et un admirable kakémono de Sōami [433] de 2 000 frs… je résiste cependant ! – Vu Joly, Bouilhet, Ch. Houdard avec son fils André retour des vacances, etc. Les ouvriers terrassiers sont en grève [434] et ils débauchent les autres ouvriers du bâtiment. Nous voyons passer rue de la Paix deux escadrons de cuirassiers. Ils sont bien beaux mais je les préférerais dans leur caserne, car tous ces événements ne font guère marcher les affaires !
549Maman va toujours bien doucement… Lundi nous saurons s’il faut l’opérer !… Hélas !… – La femme de Mr Garnier est au plus mal, on lui a téléphoné hier pour lui dire qu’elle se mourait. Elle va un tout petit peu mieux aujourd’hui… naturellement il n’est pas venu au magasin –
550Déjeuner et dîner chez Paul et un peu de Samson et Dalila le soir. Cela m’empêche de sortir et de risquer de mauvaises rencontres j’en suis enchanté car j’ai eu bien des tentations et de très violentes tous ces jours-ci… Il est temps que je retourne à Noyers. Pourvu seulement que ma femme ne soit pas de trop mauvaise humeur et m’accueille bien !!…
5517 octobre. Beaucoup de fabricants, de courtiers, etc. nous achetons deux beaux lots de turquoises à un persan – Vu Callot dans son atelier remis à neuf (et qui en avait bien besoin), il me montre divers tableaux anciens appartenant à P. B. [435] notre ami qui se trouve un peu dans la mélasse. J’en achèterais volontiers un grand, genre Vernet ou Hubert Robert, pour le prix qu’il voudra, car je ne le ferai que pour rendre service – et je lui rendrai même son tableau par-dessus le marché si il y tient – Vu à mon atelier les tapissiers en plein nettoyage. La femme de Mr Garnier va mieux, nous en sommes bien contents pour lui – pauvre garçon il était désespéré !… Vu Mme Forain [436] qui me tient des heures au magasin pour me proposer d’acheter quelque bijou et de me payer avec des dessins de son mari. (Pas un sou vaillant ! et cependant il gagne beaucoup d’argent) – Le soir j’emmène Paul, Thérèse, Gabrielle et Suzanne à la Porte St Martin pour voir Cyrano de Bergerac – Coquelin y est étourdissant de verve et d’entrain – La pièce m’a fait plutôt meilleure impression que la première fois, quoiqu’elle me semble toujours un peu opérette, féerie, un peu énervante à force d’esprit, mais cependant très bien. Nous passons une excellente soirée, les cousines sont ravies. Il y a devant nous deux femmes superbes, épatantes, catapultueuses !… une surtout, grande, belle femme, yeux superbes, visage frais et gai… sapristi quelle splendeur… il est temps que je retourne demain à Noyers, mon veuvage me pèse terriblement ! Beaucoup de monde dans la salle ; les acteurs qui jouent cette pièce depuis le commencement de l’année doivent la savoir par cœur : Mme Legault, toujours un peu dinde, Volny [437], Desjardins ; Coquelin fils très bon en Ragueneau. Bonne soirée.
5528 octobre. Maman va plutôt mieux, pourvu que cela se maintienne. Été à l’enterrement du fils Cosson (19 ans !) il était très malade depuis longtemps – Vu Valadon, Le Roy, Écorcheville, Foulon-Ouest [438] etc. – Je pars pour Noyers… voyage avec André Bouilhet et Mr Engrand jusque Maisons-Lafitte.
5539 octobre. Cyrano est très malade ! Ce pauvre petit chien qui est si gai, si doux, si gentil, a un air triste et navré. Il est d’une maigreur extraordinaire on peut compter ses vertèbres et il semblerait que les extrémités de ses côtes vont lui trouer la peau. Il n’a rien mangé depuis quatre jours ! Pauvre bête, pourvu qu’il guérisse. Il a le cou enflé comme si c’était un vaste goitre. Le vétérinaire dit que c’est un kyste, mais il doit se tromper car c’est mou, et comme une poche d’eau. Du reste, depuis hier, cette grosseur a sensiblement diminué – Lorsqu’on va à la niche d’où il ne veut pas sortir, et qu’on l’appelle doucement, on entend sa queue qui frappe contre les parois et qui semble dire merci, c’est bien, je vais un peu mieux !
554Nous faisons une petite promenade à bicyclette l’après-midi, Jeanne, Marguerite et moi : Bézu-St Eloi, Les Bosquets, Gisors, le bois de Gisors, St Paër, Hébécourt où la pluie nous surprend !… retour par St Denis-le-Ferment où nous arrêtons encore à cause de la pluie, et puis c’est la fête, nous abattons des œufs au tir. Mr et Mme Mignan et Mme Bourgeois qui sont là viennent à nous – retour un peu mouillé et, en rentrant, astiquage général des bicyclettes (38 kil 300). Les feuilles commencent à tomber, mais quelle belle saison quelles jolies nuances prennent les arbres. Ce sera encore bien jusqu’à la Toussaint et j’espère prendre encore q.q. jours de vacances – Quel dommage que la nuit vienne si vite !
55510 octobre. Mr Dubois fils vient reprendre les chevaux de bon matin, le cocher retourne aussi à Paris, par le même train que moi – Maman va toujours à peu près de même… le Dr Labadie-Lagrave qui devait venir à 5h nous fait poser – Nous restons, Paul et moi, à faire les cent pas devant la porte jusqu’à 7 heures… Que les gens inexacts sont donc embêtants – Rue de la Paix, beaucoup à faire : courtiers, fabricants, lettres à écrire, Mme Forain me relance encore et je finis par lui donner deux épingles de chapeaux pour 5 croquis de son mari – Dîner chez Paul – Ensuite, en rangeant mes livres, le soir, j’en retrouve quelques-uns de pornographiques qui étaient mis à part, ce qu’on appelle l’Enfer dans une bibliothèque. J’en fais un paquet et vais les jeter à la Seine au milieu du pont de la Concorde… Il y a toujours la grève des terrassiers, et, en passant tantôt dans la rue Réaumur qui est en construction, j’ai vu des fantassins en tenue de campagne, baïonette au canon, qui montaient la garde pour protéger les ouvriers qui veulent travailler, il y a des petits corps de garde de distance en distance dans des boutiques non occupées, et quelques pelotons de cuirassiers. Cela donne un aspect singulier à Paris, ça me rappelle 1871 aussitôt après la Commune, quand je voyais les troupes campées au Jardin des Tuileries, les boutiques de la rue du 4 septembre occupées par les soldats, etc. Ce n’est pas gai et voilà qui va nous faire du tort à l’étranger !
55611 octobre. De bonnes heures chez Ch. Houdard qui me montre les études qu’il a peintes cet été en Bretagne. Il a réellement fait des progrès et se donne beaucoup de mal pour en faire, mais c’est encore sec et plat et pas assez simplifié. Je souhaite de tout mon cœur que ce brave garçon réussisse – Ensuite à la Chbre Syndicale pour préparer une liste de candidats pour les prochaines élections – Philippe est le candidat perpétuel mais sa qualité de Juif le fait toujours placer en queue de la liste. Vu Écalle, Languedoc, R. Mellerio, Philippe, Coulon, Keller, V. Garce etc. Dans la journée, vu le père Fouquet [439] qui vient me demander de lui estimer un livre, poésies de Malherbe… je déclare mon incompétence mais je m’informerai (Morgand m’a dit que cela ne valait pas cent sous). Il me raconte ses débuts dans la bijouterie, son apprentissage, etc., et se propose d’en écrire un livre. Je l’y encourage fortement d’autant plus que c’est moi qui lui en avais donné l’idée et qui lui avais conseillé de le faire il y a déjà longtemps – Je vais vendre deux des dessins de Forain que j’ai pris hier en échange de marchandise et j’en retire juste le prix coûtant de nos bijoux ; nous gardons, Paul et moi, chacun un dessin comme bénéfice – Maman semble aller un peu mieux. Si seulement cela pouvait durer ! Le soir, je dîne chez Paul, comme d’habitude, et les cousines me font chanter (!!…) Faust… je redescends me coucher avec la voix cassée –
55712 octobre. Bonne et réconfortante visite à l’abbé Hélin – oui, c’est bien là le moyen de devenir meilleur, de se sentir plus fort pour passer sans encombre au milieu des écueils de la vie. Je vais voir maman qui me paraît plutôt mieux, elle a assez bonne mine aujourd’hui.
558Mariage de Mr Margo [440], neveu du brave et regretté Schwartz, à l’église N.D. des Champs – peu de monde, des amis, des militaires d’administration le beau-père étant contrôleur d’armes – Vu Lefèvre, en passant, à son atelier. Il a commencé une très grande machine, pour le Salon, plus grande que nature, qu’il appelle Le Remords. C’est un homme sur le dos duquel bondit et s’accroche un personnage qui le ronge, et qui est le remords. C’est très gai – Il me montre des vases nouveaux inspirés de la plante – Vu Joly, Fouquet, qui bavarde encore pendant une heure, Le Turcq, Richard, qui, dans ses recherches pour nous trouver un local nous indique le tailleur de l’avenue de l’Opéra, « Cheviot House », à côté des porcelaines de Copenhague [441] – Il y a 21 000 frs de loyer et 18 ans de bail – C’est à réfléchir – Dîner chez Paul avec Miss Kiloh, toujours très gaie –
55913 octobre. Journée douce et lumineuse, mon âme est remplie de sérénité, de paix, de joie simple et tranquille… Béni soit Dieu qui fait goûter un tel bien-être moral !… Que ne ferais-je pas pour que ceux qui me sont chers et que j’aime éprouvent le même bonheur, la même paix !…
56014 octobre. Hier, dîner chez les Houdard, seul avec eux dans la plus amicale intimité – partie de billard et conversation assortie – Ce matin de bonne heure rue Vignon pour terminer la location avec Mme de Aranjo – Ça ne va pas tout seul, mais enfin comme je consens à peu près à tout ce qu’elle demande, nous finissons par tomber d’accord – Chez Godet pour voir s’il n’y a absolument pas moyen de s’entendre avec notre proprio, Mr Poutard, pour agrandir le magasin [442]… Dieu veuille que l’entrevue de notre notaire et du sien ait un résultat satisfaisant ! Ce serait le rêve, malgré la dépense énorme que cela occasionnerait. Chez maman, le Dr Labadie arrive à midi en même temps que l’abbé Perreur qui s’éclipse – Hélas le Dr considère qu’une opération est indispensable !… maman en est toute bouleversée et cette perspective n’a rien de réjouissant, surtout quand on a 72 ans !… on va consulter la semaine prochaine avant de prendre un parti définitif – Vu Bouilhet, vu Scaillet [443] le sculpteur sur ivoire qui est dans la dèche et à qui j’achète une statuette pour lui venir en aide – Vu Landoy le ciseleur-dessinateur, qui a bien du mal de terminer nos bibelots – Vu Fray, pour le même motif – vu Mr Aderer [444] qui vient de faire jouer un acte (1807) et qui me remercie de lui avoir livré exactement le petit vase qu’il avait commandé pour son interprète principale – Vu Lévy qui me montre les photos de Lalique pour mon exemplaire Art et Décoration – Vu Mr Priol[eau] pour les réparations locatives de l’appart. Dinelli [445]. Vu Cauvain qui nous tient une heure pour nous raconter les vicissitudes de son fils qui était chez Boucheron et qu’on a remplacé pendant qu’il faisait son année de service militaire – Vu Callot qui m’apporte des branches de monnaie du pape pour en semer – Vu Marest qui me soumet un livre pour la Chbre Syndicale – Vu Hayashi qui me dit (hélas !) qu’une des princesses pour le mariage de laquelle nous avions fourni une corbeille de 50 000 frs est morte. Que vont devenir nos bijoux, et notre créance ?
561C’est aujourd’hui la fête de Thérèse. Je lui offre un kilog. de bonbons, chocolat marquis, puis, à déjeuner une tarte aux pêches, et le soir une Walkyrie et des pêches. Son frère André Dumoret et Mlle Lefeuvre viennent dîner – Je suis très enrhumé et tousse comme un pauvre chien. À propos de chien, Cyrano va mieux, il est sauvé, sa grosseur a percé toute seule et Marguerite le soigne avec un dévouement maternel –
562Avant de me coucher, j’examine deux magnifiques volumes que Lévy m’a envoyés en communication ; c’est le catalogue d’une collection japonaise d’un Anglais, Mr Michael Tomkinson [446] (Franche Hall, London), édité somptueusement par George Allen. Tiré à 200 exemplaires dont 175 seulement sont mis dans le commerce – Les photogravures sont merveilleuses, et les planches abondantes. Mais quel choix bizarre, quel singulier goût – C’est une sélection d’objets sans style, efféminés, qui sont au bel art du Japon ce que les Toulmouche [447] et les Vibert sont à Puvis de Chavannes ou à Rembrandt. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les planches des ivoires pour s’en rendre compte, c’est navrant. C’est comme la sculpture moderne italienne ou viennoise, comparée à la Vénus de Milo… Est-il possible d’avoir dépensé tant d’argent pour réunir une collection pareille !… Parlez-moi de celle de Gillot, ou de Bing. Là, ça ne ressemble pas aux articles des magasins de nouveautés.
56315 octobre. Voilà les marchands de marrons installés depuis plusieurs jours, les chrysanthèmes dans les voitures de fleurs, le mimosa qui a fait son apparition… C’est l’hiver qui s’annonce, malgré le beau temps persistant et exceptionnel de cette année. Je termine ce matin définitivement la location de la rue Vignon (Mme de Aranjo). Blaise a envoyé des photos de Ste Adresse à Noyers qui sont très réussies, celles des bains de Ste Adresse et de la distribution des prix du 14 juillet à Noyers sont particulièrement intéressantes, j’ai une bonne tête avec mon écharpe de maire et mon crâne qui se détache sur le feuillage noir. – Je pars pour Noyers.
56416 octobre. C’est aujourd’hui mon anniversaire de naissance… déjà 44 ans ! Mon Dieu que je suis donc vieux !… me voilà à Noyers par un temps épouvantable, pluie battante etc. Quelle triste journée. C’est un des dimanches les plus ennuyeux que j’aie éprouvé. Je lis un peu de Labiche, je fais un peu de musique, mais être retenu à la maison prisonnier par la pluie, quelle scie ! Je me ronge d’ennui – Cyrano va mieux, il s’est remplumé en 24h, dès qu’il a pu manger, mais il a une grande plaie sous le cou ; le pauvre chien est cependant bien gentil et bien amitieux, comme ils disent ici. – Le soir à 7h on annonce un incendie visible dans la vallée – je cours avec Constant pour m’en rendre compte, c’est en effet dans la direction des Bordeaux-St Clair et de Berthenonville – (j’ai appris que c’était la ferme de Berthenonville à Mr Méry de Bellegarde – nous entendons sonner la générale à Guerny et encore dans une autre direction – Mais le feu paraît trop loin pour que les pompiers de Noyers tentent d’y aller –
Fig. 17. Henri Vever, autoportrait, esquisse au crayon sur une feuille d’un carnet de croquis, s. d.
Fig. 17. Henri Vever, autoportrait, esquisse au crayon sur une feuille d’un carnet de croquis, s. d.
56517 octobre. Rentré à Paris – toujours des averses diluviennes. Journée très plate, bien que la grève soit finie et que le grrrand complot militaire ait été une fumisterie – Le soir je vais aux Variétés revoir Le Nouveau Jeu – Cette pièce est décidément épatante, quel esprit ! quel entrain ! je me suis amusé autant que la 1ère fois.
56618 octobre. Chez Bouilhet, à la Monnaie, chez maman, chez Floury où j’achète le nouvel album de Guillaume : Mes 28 jours [448] – Désopilant et très vrai. Il y a surtout des rédactions de motifs de punitions qui sont de purs chefs-d’œuvre – Après avoir dîné chez les Paul, je vais au Nouveau-Théâtre [449] rue Blanche voir jouer Rembrandt [450], drame en 5 actes, etc. La salle est très vaste, peut-être même un peu trop vaste, et le prix des places très modéré : 2 frs 50 un fauteuil d’orchestre, j’en trouve même à 2 frs. Le public est très attentif au drame qui est assez intéressant. C’est Mr Abel Deval [451] qui joue le rôle de Rembrandt dont il retrace l’existence depuis sa jeunesse à Leyde, son triomphe à Amsterdam, son mariage avec Saskia, que l’on voit mourir, et enfin la vente à la criée, du grand artiste ruiné, sa misère, ses pauvres yeux qui deviennent aveugles, et enfin sa mort dans le dénuement le plus absolu. Il y a de jolis épisodes, la scène entre Ruysdael et Rembrandt qui se rencontrent, pauvres tous deux, sans se connaître, est touchante. Mais quelle triste fin pour des hommes de génie. Beethoven sourd et Rembrandt aveugle, peut-on imaginer quelque chose de plus poignant !
56719 octobre. Consultation des Docteurs Labadie-Lagrave, Walther [452], Burlureaux chez maman. Hélas ! ils ne sont guère rassurants. Il n’y a pas d’opération à faire ni à tenter. Quand on a l’âge et la santé de maman il faut vivre tant bien que mal avec ses maladies… Combien de temps cela peut-il durer ? quelles souffrances sont en perspective ? quelles complications y a-t-il a prévoir ? nul ne le sait ou ne veut le dire… Hélas, pauvre maman !…
568Jeanne et Marguerite arrivent de Noyers pour dîner, puis le soir nous allons voir maman.
56920 octobre. La pauvre Marguerite affronte aujourd’hui l’examen de l’Hôtel de Ville, sans grand espoir il est vrai. Elle rate son problème… et la voilà dans le lac. Ce sera à recommencer au printemps prochain ; espérons, qu’en travaillant, d’ici là, elle réussira – Dîner chez les Paul. Les enfants sont contents d’être tous ensemble –
57021 octobre. Je suis furieux !… tout à fait en rage ! – sachant que Jeanne et Marguerite venaient passer 2 ou 3 jours à Paris, j’avais fait retenir 3 fauteuils d’orchestre pour l’Opéra (Lohengrin), pensant passer une bonne soirée tous les trois et faire connaître à Marguerite un opéra dont elle aime la musique et qu’elle joue au piano – Et bien ma femme, non seulement refuse d’y venir sous prétexte qu’elle n’aime pas la musique et qu’elle déteste l’opéra, mais elle me fait une scène en règle et veut m’empêcher d’y aller et d’emmener Marguerite, et cela après m’avoir dit hier que ça lui était égal – Décidément son caractère devient insupportable – j’ai déjà vendu ma collection de tableaux parce qu’elle me les reprochait sans cesse et avec aigreur ; voilà maintenant qu’elle me reproche d’avoir voulu garder Noyers à la mort de son père !… mais qu’elle le vende donc ! je m’en fiche, et au moins je ne serai pas veuf à m’embêter pendant la moitié de l’année ! Si je n’avais pas ma fille, il y a longtemps que j’aurais divorcé. Quel enfer que le mariage lorsqu’on n’est pas d’accord ! Et cependant j’y mets toute la bonne volonté possible ! Que feraient la plupart des maris lorsqu’on leur refuse le devoir conjugal ?… et encore lorsqu’on les laisse seuls à Paris pour ne le recevoir que du bout des dents quand ils vont retrouver leur moitié à la campagne ? Non, vrai, je suis indigné – c’est injuste et j’ai des envies de ficher mon camp, de partir en Égypte avec Gillot, Kœchlin, Migeon. Ce dernier est venu me voir hier, il m’a parlé encore de ce beau voyage, ils s’embarquent dans dix ou douze jours !… ce serait le rêve, c’est bien tentant. Et pendant ce temps là ma femme aurait le temps de se calmer les nerfs, de réfléchir… et moi aussi.
571Faut-il continuer à être fidèle malgré tout ? faut-il essayer de prendre la vie du bon côté, et m’amuser ? J’ai envie de tout envoyer promener !… je suis critiqué sur tous les points, jamais rien de ce que je fais n’est bien, jamais un mot d’encouragement, jamais une parole affectueuse ! quant à l’amour… un vrai iceberg on s’enrhume rien que d’y penser !…
572Après cette crise, ma colère est tombée en réfléchissant, en raisonnant, en surmontant ma vive contrariété – c’est vrai que je me faisais une vraie fête d’aller à Lohengrin avec Jeanne et surtout avec Marguerite… mais j’ai considéré ce contretemps comme une épreuve dont je voulais sortir vainqueur. Laissant de côté toute rancune et tout mouvement d’humeur, je suis resté tranquillement le soir à dessiner et je crois avoir trouvé deux nouveaux modèles de bijoux. Ce serait un beau résultat et une vraie compensation d’avoir dompté ma colère…
57322 octobre. Nous allons, Paul et moi, rue Royale voir l’emplacement du restaurant Darras [453] (Chaumard succ ?) pour examiner sommairement s’il pourrait nous convenir – Nous y sommes déjà venus hier, et il me semble qu’on pourrait y faire une installation superbe – mais Paul est moins chaud que moi, il hésite beaucoup, il préférerait rester rue de la Paix – moi aussi, mais pas dans notre local actuel – Nous allons chez Mr Contant [454] (Christofle) qui nous donne des renseignements sur ledit local, parce qu’ils ont été en pourparlers il y a cinq ans pour le prendre pour eux. Il y a actuellement 1 200 frs de loyer y compris l’entresol, et environ encore 9 ans de bail. Reste à savoir, au cas où nous nous déciderions, si le locataire actuel voudrait nous sous-louer ! Et à quelles conditions – Mais ce serait un bel emplacement ! Il faudrait agrandir les baies qui donnent sur la rue Royale et sur la rue St-Honoré, on ferait les bureaux à l’entresol, et la porte d’entrée grandiose sur le pan coupé… Il me semble que ce serait rajeunir une maison que de la transplanter là, elle serait plus en évidence plus distincte des autres qu’en restant dans le rang rue de la Paix – On ne pourrait pas passer sans la remarquer et le nom serait bien en vedette et visible de loin… c’est à voir, attentivement – mais ce n’est peut-être qu’un rêve!…
574Nous ne partons pas pour Noyers comme c’était convenu parce que Mr Millet [455] est mort et il faut aller à l’enterrement lundi matin –
575Maman ne va pas mieux !… hélas ! Le soir à la Chbre Syndle au cours de Mr Vollet.
57623 octobre. Nous allons à Versailles profiter de cette superbe journée d’automne. Le Parc est merveilleux, les marronniers ont des teintes extraordinaires. Il fait beau, il fait chaud, il fait lourd. Nous allons au Petit Trianon, voir le Hameau de Marie-Antoinette : la maison du Bailli, la Ferme, la Laiterie etc. C’est charmant. Marguerite ne les connaissait pas. Quelle saison admirable que l’automne, quelle richesse de coloration. Les feuilles mortes sont comme un tapis d’orient immense et le jaune d’or des arbres qui se reflètent dans l’eau est d’une richesse incomparable. Ce sont des tons de vitrail, d’émaux, de pierres précieuses. Quel dommage que cela dure si peu de temps… Nous rentrons par le potager et le jardin où sont de beaux arbres exotiques : palmiers, séquoias, etc., et terminons par le grand Trianon – Nous y arrivons juste avant la fermeture et sommes les derniers à le visiter. Les appartements de Napoléon Ier sont bien froids, ces meubles, ces tentures, ces guéridons en mosaïque, tout ce style est bien embêtant. Un guéridon en mosaïque, de Rome, donné par le Pape, est estimé un million – C’est peut-être un peu exagéré !… La chambre où Louis-Philippe a logé la reine d’Angleterre en 1846, avec le lit de Joséphine provenant de la Malmaison et les tentures en soieries de Lyon exécutées tout exprès pour la circonstance sont de bien mauvais goût – Voici la galerie où eût lieu le procès Bazaine – Je m’en souviens comme si c’était hier, et je vois encore la place où était assis le traître… quels cruels et mauvais souvenirs ! Le duc d’Aumale entouré de généraux en grand uniforme présidait. J’ai vu Rouher, Changarnier, Canrobert [456], venir faire leur déposition… Quel triste temps !… et comme c’est déjà loin ! Nous rentrons à Paris, fatigués par la chaleur et la marche. Dîner chez les Paul, musique.
57724 octobre. Enterrement de Mr Millet à Passy. Nous allons d’abord à la maison mortuaire puis, en attendant la fin de la messe, chez les Valadon qui viennent de s’installer rue Louis-David 10. Ils ont un petit jardin, mais je n’aimerais pas habiter une maison aussi éloignée du centre, dans un quartier à l’aspect très province, on doit y moisir facilement. L’après-midi, chez Yver [457] notaire pour terminer la succession de la pauvre cousine Freppel [458] – j’y retrouve les Bournique et Léon Wendling, que les clercs et le notaire appellent Mr le Conseiller, gros comme le bras – Visite à Sagot le libraire de la rue de Châteaudun qui me montre des Grasset et de belles affiches de Mucha. Je lui en achèterai, c’est très « Art nouveau » et Lalique s’en est bien évidemment inspiré – Dîner chez les Paul. Jeanne et Marguerite sont reparties pour Noyers cet après-midi – je tâcherai d’aller les rejoindre jeudi pour profiter des derniers beaux jours.
57825 octobre. Puvis de Chavannes est mort ! Voilà une perte immense pour l’Art et cela me fait beaucoup de chagrin… Quel génie calme quel magnifique peintre et quel poète ! On ne le remplacera pas, ses œuvres grandiront avec les années, ce sera une des plus grandes gloires de notre temps ! Je l’ai rencontré place de l’Opéra en voiture au commencement de ce mois… pauvre grand homme, le voilà disparu. Il ne laisse que des regrets car il était bon et simple, en dehors de toute coterie. On peut ajouter à ses titres de gloire qu’il n’était pas à l’Institut. Quand on pense que Gérôme, Bouguereau, Jules Lefebvre et tant d’autres en sont !… que restera-t-il de leurs œuvres dans vingt ans !…
579Je vais déjeuner chez Kœchlin qui part dans q.q. jours pour l’Égypte avec Gillot et Migeon. Bon déjeuner et cordial accueil. Maciet [459] est le seul invité avec moi, et Thiébault-Sisson [460] qui devait venir en a été empêché parce qu’il a à faire l’article nécrologique sur Puvis – On cause de tout, bibelots, musées, Expos. Rembrandt [461] à Amsterdam qui est, paraît-il, une merveille et que je regrette de ne pas pouvoir visiter… on regarde des poteries coréennes et japonaises, etc. – En rentrant, je passe à la Morgue. Il n’y a que trois macchabées peu intéressants. J’entre à Notre-Dame qui n’est décidément pas l’église de mes rêves. Combien je lui préfère Chartres, Amiens, Metz, Rouen. Beaucoup de monde dans les rues à cause de la rentrée des Chambres, de la manifestation annoncée place de la Concorde, etc. [462] Le soir, dîner chez Paul, musique avec Suzanne (Le Trouvère !!…). Quelques groupes de manifestants sont dispersés devant le cercle militaire par les municipaux. Ce n’est pas cela qui fera reprendre les affaires !… Le général Chanoine a donné à l’improviste sa démission de ministre de la Guerre – Et puis il y a la question de Fachoda sur le Haut Nil et les Anglais nous montrent les dents [463]…. Et l’inventaire de cette année n’est déjà pas brillant ! que sera-ce si ça continue !?…
58026 octobre. Séance très orageuse hier à la Chambre des Députés, le ministère est renversé, tout le monde est inquiet, agité, on s’arrache les journaux dans les rues… Quel gâchis, et ce sera encore pire la semaine prochaine lorsque les députés rentreront en séance, et ce sera encore bien pire lorsqu’il s’agira de l’Affaire et de la révision ! Triste temps que le nôtre !… Ma journée se passe en courses : chez maman, chez Mr Godet, notaire, pour lui parler de la boutique de la rue Royale dont nous avons envie, et en même temps pour lui remettre mon testament – chez Roblin [464] pour voir les estampes de la Collon Vve Casimir Perier – chez Sagot pour voir des affiches et estampes de Mucha, Grasset, etc. – chez René Foy [465] bd Malesherbes 17 un jeune homme qui fait du bijou d’art (pas très intéressant), chez Julien pour voir s’il a vendu mes Rops [466], chez Bernheim qui a une superbe Andromède de Henner [467] dont il demande 10 000 frs et qu’il me laisserait à 5 000 (rien que cela de rabais !), chez Bruschera, chez Floury, etc. – sans compter les pierres à examiner : de belles navettes en brillants, des alexandrites, etc. – L’iris pour Mr Paul Hébert est terminé, j’en suis assez satisfait quoique un peu lourd, j’espère qu’il en sera content. Vu Ch. Houdard, Joly, Mme Charles Harleux (venue pour me remercier d’avoir fait entrer son beau-frère chez Christofle), vu une série de fabricants, etc. Bref, journée très remplie et bien remplie – sans compter les lettres à écrire !…
58127 octobre. Ce matin je vais voir Gillot qui part dans quelques jours pour l’Égypte, je ne veux pas le laisser partir sans lui serrer la main. Il me montre une merveilleuse peinture japonaise qu’Hayashi vient de lui rapporter du Japon. C’est le portrait grandeur nature d’un prêtre assis, d’un dessin à la Holbein d’un ton admirable et qui date du xie siècle environ. C’est une vraie révélation pour moi, et jamais jusqu’à présent nous n’avons vu un morceau aussi capital. J’en suis saisi d’admiration. (Il a dû le payer pas loin de 10 000 frs). Je le félicite sincèrement et chaleureusement de cette belle acquisition ; puis nous faisons un tour dans la galerie où l’on fait des découvertes chaque fois qu’on y va. Cette fois, ce sont de vieux bronzes chinois, aux patines extraordinaires qu’il a groupés – sa collection d’objets du Moyen Âge a aussi augmenté et c’est très intéressant de les voir au milieu d’objets chinois et japonais. Il a un bol en vieux cloisonné de Chine qu’il a eu pour rien dans une vente insignifiante de l’Hôtel Drouot. Il l’avait aperçu, par hasard, en exposition et, comme il n’y avait absolument rien que cet objet dont il ait envie et que la vente de défroques et de meubles durait plusieurs jours, il avait chargé Marche de la commission, mais, pour ne pas éveiller les soupçons, il lui avait dit d’aller jusque 100 ou 110 frs. Il l’a eu pour 80… Et ça en vaut 2 ou 3 000 !… C’était risqué, mais un objet comme celui-là dans une vente de bric-à-brac ne pouvait se vendre que très cher ou très bon marché. Il a eu de la veine – Vu Sagot pour des affiches « art nouveau », vu Mr Guesnier, Chenot, etc. et départ pour Noyers où je vais passer encore quelques jours pour clôturer la saison. Je songe en route que c’est aujourd’hui l’anniversaire de la capitulation de Metz !… déjà 27 ans !… est-ce possible ! et dire qu’on était convaincu que Metz reviendrait à la France 3 ou 4 ans après ! Quels tristes souvenirs cette date évoque en moi. Il y a des blessures qui ne se guérissent jamais.
58228 octobre. C’est avec plaisir que je me retrouve à Noyers, il y fait un temps superbe, Mme Morlot est avec nous – Je vais, le matin, faire une visite de voisinage à Léon Thibault, qui me raconte tout au long ses malheurs conjugaux. Naturellement, il se donne le beau rôle, et c’est sa femme qui a tous les torts, qui a un caractère détestable, etc. etc. Dès le lendemain de la nuit de noces, en se réveillant, il constata avec surprise que son épouse avait de fausses dents et que la teinture de ses cheveux d’ébène avait fortement noirci l’oreiller… puis des disputes, des conversations vinaigre, des mots vifs, des reproches, etc. Bref il veut, ils veulent divorcer, et il prétend refuser à sa femme (qui est partie chez sa mère) l’entrée du domicile conjugal. Au fond, je crois qu’il avait pensé épouser une femme assez riche et il voit maintenant qu’il ne peut pas toucher au portefeuille de la mère ; et puis, il a eu tort de ne pas renvoyer au moment de son mariage la cuisinière qui était sa maîtresse, ça ne se fait pas – de là, potins, discussions, très justifiés – Enfin il me raconte tout cela pendant près de deux heures !… Il veut louer sa maison 2 800 ou, à la rigueur 2 500. C’est beaucoup, bien qu’il calcule 1 200 frs de jardinier, 350 frs de contributions et, le reste pour le revenu d’un capital qu’il évalue à 40 000 frs !… or il n’a payé la maison que 16 000 plus le mobilier 6 ou 7 000… Il aura du mal à trouver amateur –
583L’après-midi, promenade à bicyclette, je vais à Beaujardin et de là à Guerny chercher le nommé Cornille, ébrancheur, qui viendra demain. Puis je monte la colline qui est au-dessus de Beaujardin pour voir ce qu’on appelle les Pierres Tournantes. Ce sont de vieilles pierres druidiques, ou, pour mieux dire mégalithiques qui étaient un cromlech ou alignement. Les pauvres pierres sont enfouies maintenant dans le sol qu’elles ne dépassent que de 20 ou 30 centimètres – Si l’on n’était pas prévenu on ne se douterait de rien. Mais quelle belle vue sur la vallée de l’Epte on a de cet endroit ! – je vais ensuite par Boury au bois de la Bellée voir un dolmen qui est enfoui aussi et très caché au milieu des bois – sans l’assistance d’un brave homme qui m’a conduit, je n’aurais jamais pu le trouver. Il est très interéssant parce qu’il y a des sculptures rudimentaires où l’on croit reconnaître des seins de femme. L’ouverture avec une pierre percée d’un grand trou rond de 50 centimètres est curieuse – En résumé c’est assez intéressant et cela pourra être un but de promenade. Dans les environs il y a des cimetières mérovingiens et des vestiges d’établissements romains.
58429 octobre. Mon ébrancheur est très exact ; dès 7h du matin, au petit jour, il est là et il travaille consciencieusement. Je lui fais agrandir la voûte de l’avenue de tilleuls, c’est long et méticuleux. Quel métier fatiguant, monter comme un écureuil et se cramponner aux arbres, couper les branches à la faucille, risquer de se tuer, s’éreinter, tout cela pour 1 fr de l’heure ! – Le soir séance du conseil Municipal, session de novembre, que j’anticipe de q.q. jours. Rien de bien intéressant – Je lis tout au long (pas à la séance) les rapports de la Cour de Cassation sur le procès Dreyfus. La révision s’impose depuis que le colonel Henry s’est reconnu l’auteur des pièces fausses qui ont déterminé la condamnation, et depuis qu’il s’est suicidé –
58530 octobre. Après la messe nous allons, avec Mme Morlot, visiter le Parc et le nouveau château de Dangu. Les Pozzo sont partis depuis 8 jours et c’est une sorte de régisseur, Mr Pineau, qui nous conduit partout – Il y a 23 chambres de maître et 17 chambres de domestiques – Le salon est immense, d’autant plus qu’il peut s’y adjoindre un petit salon dont les portes à coulisses rentrent dans la muraille. La salle à manger et le billard ont, si je ne me trompe, 17 mètres de long sur 6 de large. Les cheminées sont placées devant des glaces sans tain d’où l’on a une vue superbe. De la terrasse ou du balcon la vue est de toute beauté – Les travaux intérieurs ne sont pas terminés, il manque encore des pâtisseries aux corniches, des raccords de peintures, sans compter ensuite tout le travail des tapissiers. C’est le château que les Pozzo avaient à St Cloud, qui a été transporté ici, pierre par pierre, et rebâti – On dit que le forfait passé avec l’entrepreneur est de 400 000 frs et que celui-ci y a perdu de l’argent – je le croirais volontiers – Le Parc est très bien aménagé, il y a de belles avenues qui s’étendent fort loin en ménageant des vues ou des perspectives très réussies – Il y a un jardin français, un jardin de propreté, des massifs de fleurs (il faut environ 60 000 fleurs par an !!). Les chambres du château ne sont pas grandes. La cave est petite, calorifère, mais on se servira de celles de l’ancien château – Il n’y a ni écuries ni remises, ce sont celles du « petit château » qui seront conservées. Eau chaude et eau froide à tous les étages, W.C. et salles de bain – Chapelle au 2e étage, indépendamment de celle qui est dans le parc – Vastes greniers, lingerie, 27m d’armoires, garde-meuble, réservoirs, etc. etc. les chambres de domestiques sont en partie au sous-sol, et au grenier – On va installer partout la lumière électrique qui sera fournie par une machine à vapeur, laquelle servira en même temps pour alimenter le « château d’eau ». Notre visite nous intéresse beaucoup et nous ne rentrons à Noyers que pour midi – Après le déjeuner, flânerie dans le parc – Gaston a loué sa ferme de Nainville et on vend aux enchères la monture : chevaux, voitures, charrues, etc. – les vaches n’atteignent que 200 frs environ l’une dans l’autre – Il paraît que c’est l’obligation de payer strictement comptant qui a empêché les enchères de monter – Le soir, banquet de la Ste Barbe que je préside, chez Delâtre – On en a avancé la date à cause de deux jeunes gens du pays (Julien Goujon et Dauphin) qui partent au régiment dans 15 jours comme conscrits. Nous sommes 25 à table, les pompiers en uniforme, képis, pantalon de coutil – Il fait chaud – Je suis entre Pollet, l’adjoint, et le père Delastre, le plus ancien conseiller municipal présent. Menu : potage aux croûtes (pot au feu excellent), bœuf bouilli, poulets au blanc, gigot, salade, crèmes, brioche, poires, café, cognac, rhum… on fait un trou, plusieurs trous normands avec du cognac que l’on continue à boire en mangeant, et qui délie les langues les plus rebelles. Ils boivent et mangent comme des affamés et, du reste, les entractes entre chaque plat leur en laissent le loisir. Au dessert, je fais apporter du champagne et je lâche mon discours – Vive Mr le Maire. Je félicite les pompiers de leurs succès à Fourges et à l’incendie de Nainville, je souhaite bonne chance aux jeunes conscrits en buvant à leurs galons futurs, je leur donne rendez-vous devant d’autres coupes de champagne lorsqu’ils reviendront sous-officiers – Puis Béguin me répond, et ensuite chacun y va de sa petite chanson. Il y en a pour tous les goûts : de patriotiques, de légères, de gauloises (oh ! combien), de gaies, de tristes, et chaque fois ce sont des applaudissments bien nourris. Le doyen, ce père Bailleur, chante du Béranger et parle des palanges guerriers (au lieu de phalanges) mais, comme c’est un mot qui n’a aucun sens pour lui, il ne s’en émeut guère. Le père Malheux commence à s’émécher, il pérore, il chante, il s’agite. Et chacun successivement s’en va dans la cour, soulager sa vessie. Même le père Pollet, qui en revenant à sa place ne peut s’empêcher de me demander comment je puis fumer sans cracher et boire sans pisser… Vers 10h ½, comme l’animation commence à devenir expansive, je m’éclipse, pendant que les autres se mettent à danser au son d’un cornet à piston et d’un ophicléïde.
Fig. 18. Dangu (Eure), château et parc
Fig. 18. Dangu (Eure), château et parc
58631 octobre. Mon ébrancheur revient, il travaille bien jusqu’à midi, mais voilà le père Malheux, encore étourdi de sa Ste Barbe d’hier, qui l’emmène prendre quelque chose, et mes deux compères reviennent complètement gris. Mon homme tombe à terre comme une masse, le nez dans l’allée, impossible d’en rien tirer. Je prends le parti de lui laisser digérer sa pistache, tout en maugréant, en rageant ferme de voir le temps perdu, et en faisant par la même occasion des réflexions philosophiques sur l’ivresse qui abat, terrasse un homme presque instantanément. Je le laisse tranquille pendant deux heures puis je le remets sur pied tant bien que mal – je lui fais de la morale, il m’appelle Mr Robert tout le temps, me frappe amicalement sur l’épaule en me disant que je suis un bon maître ; mais lorsque je lui parle de ses enfants (il en a 7 vivants sur 14, les autres étant morts, dit-il, avant d’être venus au monde !) il fond en larmes : mes pauvres enfants… etc. – puis, changeant d’idée, il chante et finit par s’en aller en titubant comme sur le pont d’un transatlantique – Parti à 4 heures, il n’est rentré chez lui qu’à 9 heures !… quelle cuite !
587Mme Morlot nous quitte et retourne à Vernon – Ne pouvant rien faire d’autre, je fais un peu de 4 mains avec Marguerite –
5881er novembre. C’est la Toussaint ! Il fait beau ; après la messe nous allons au cimetière – recueillement jusqu’au déjeuner. L’après-midi, avec Marguerite, promenade à bicyclette, probablement la dernière de la saison. Nous allons par Boury à Hérouval, par un chemin que nous n’avons pas encore parcouru, et je dépose ma carte chez Mr Drouelle [468], le négociant en perles, qui est à la chasse et que j’ai le regret de ne pas trouver – Nous continuons ensuite par Beaujardin, Boubiers, Chaumont-en-Vexin, où nous arrivons par une route excellente – Après avoir croqué q.q. marrons tout chauds arrosés d’un verre de malaga, nous grimpons à l’église qui est intéressante, et rentrons par Trie-Château et Gisors (37k800) juste avant qu’il ne fasse nuit.
5892 novembre. Il a gelé blanc, et il fait froid (+4°) mon ébrancheur revient, il continue son travail ; toute la journée je reste à lui indiquer ce qu’il faut faire, à lui désigner chaque branche à couper. De 6h ½ du matin jusqu’à 5h ½ du soir il n’a pris qu’une heure de repos pour déjeuner. Quel métier fatigant ! J’étais éreinté rien que de le regarder et de rester sur mes jambes.
5903 novembre. Je rentre à Paris, le temps est gris, maussade, on a allumé le calorifère hier pour la 1ère fois. J’ai beaucoup d’ouvrage, de lettres à écrire, etc. Maman ne va pas mieux ! Dîner avec mes amis de Régiment, chez Drouant – On parle pour la 1ère fois de l’affaire Dreyfus. Grumbach nous donne des détails très complets et nous sommes tous partisans de la révision – Pour ma part je crois à l’acquittement. Le brave Le Besnerais, et de Beffort ne se prononcent pas –
5914 novembre. Vu les boîtes de Pourée, sa collection copieuse de bagues, vu de Brotonne qui est resté longtemps en vacances et après qui je m’ennuyais – Vu Le Saché, Sagot, Floury, le père Fouquet qui nous raconte encore d’interminables histoires de son apprentissage – Vu Scaillet qui m’apporte une maquette d’après un de mes dessins – je la retouche et lui donne de nouvelles explications – j’espère que ce ne sera pas mal, et au moins voilà un objet qui sera entièrement de moi.
592Le Dr Labadie Lagrave est allé voir maman, cela lui a fait du bien, le moral est tout de suite meilleur, j’espère qu’elle passera une bonne nuit – Vu Lévy à qui je réclame encore mes photographies de bijoux Lalique.
593– ai écrit aux Colson de Nancy qui très aimablement nous invitent à aller passer q.q. jours à leur campagne quand nous voudrons – Mais, hélas ! il y a la préparation à 1900 qui va me prendre, m’absorber, entièrement. Adieu les vacances pour l’année prochaine !…
5945 novembre. Dès le matin, en courses, chez Suzanne et Havez 5 Rue Malebranche, pour acheter de l’ardoise artificielle liquide pour remettre à neuf le tableau noir de l’école de Noyers – chez Levasseur mon petit relieur – chez Bouilhet pour mes galvanos de médailles et de timbales antiques – chez maman, qui est toujours bien souffrante – À la maison, j’écris quelques lettres d’affaires, je fais quelques croquis de broche « Saule pleureur » (!!…) pour Mr Beraldi qui vient avec sa femme et qui choisit tout autre chose. Léon Wendling vient me prendre pour aller choisir les bronzes légués par la pauvre et chère cousine Freppel – Nous choisissons, pour lui, chez Barbedienne, une Jeanne d’Arc de Chapu [469] (750 frs) puis allons chez Colin, chez Michel, chez Susse [470], et en fin de compte, décidons chez Michel, une Jeanne d’Arc debout et une Alsacienne en pied, toutes deux de Laurent [471], pour le fils Morel – En passant, nous entrons chez Pousset voir la nouvelle salle de restaurant que je n’ai vue qu’à la lumière. Elle est très bien, décidément. Vu Joly, vu Le Turcq qui apporte de nouveaux dessins ; le Grand Duc Alexis a fait payer son collier de perles – Le soir, je vais dîner rue Royale au restaurant Chaumard, afin d’en examiner à loisir la disposition intérieure. J’y dîne très mal et cette cuisine me donne la colique avant la fin du repas, mais je lève sommairement le plan de l’établissement, ce qui nous permettra d’en causer, d’examiner si cela peut nous convenir, si nous pouvons nous y transplanter – Mais cela mérite réflexion sérieuse, et méfions-nous d’un emballement qu’il serait trop tard de regretter ensuite… Je vais ensuite à la Chbre Syndicale au cours de Mr Vollet qui montre aux élèves comment il faut s’y prendre pour exécuter un dessin. Il se sert, comme point de départ, d’un dessin d’élève, qu’il améliore et corrige, puis son trait dessiné, il peint, il gouache – C’est, aujourd’hui, un miroir à main qu’il exécute, l’encre de Chine joue un grand rôle – pour l’or, il faut du jaune indien, de l’ocre, du chrome, un peu de sienne brûlée et toujours de la gouache. Je reviens avec Jacta qui m’empresse pour prendre une part dans une société de colonisation au Congo français. Il s’agit d’exploiter le caoutchouc et l’ivoire et d’obtenir une concession du gouvernement français. C’est en très bonne voie, paraît-il. Boin, David le lapidaire, Gauthier le Président de la Chbre syndle des lapidaires, etc., en sont. Les Belges sont dans l’affaire pour la plus grosse part – Sur un capital de 600 000 frs à souscrire on n’a réservé aux capitaux français que 100 000 – Je me risque pour 1 000 frs (2 actions donnant droit à 1 part de fondateur) ce sera un billet de loterie !…
5956 novembre. Après avoir embrassé maman, je pars pour Noyers par un soleil d’automne idéal. Mais en route je rencontre le brouillard qui est très épais à Gisors et sur toute la région… Le train a du retard (comme toujours) et de plus l’heure en est changée, de sorte que c’est à peine si j’ai le temps de passer chez Lamaury pour mes grandes photos, et nous n’arrivons pour déjeuner à Noyers qu’à 1 heure. Ensuite ce sont les pompiers qui me réclament à la mairie pour choisir l’étoffe de leurs pantalons ! à 12fr 75 le pantalon !… ils sont enchantés. On commence les rangements, les préparatifs de départ etc.
5967 novembre. De bonnes heures avec Gautrin pour terminer mes élagages du côté du réservoir et du côté du grenier rouge. Cela prend toute la journée jusqu’à l’heure du départ. Je n’ai que le temps de ranger les bicyclettes, les livres, etc. Il fait froid… 4° et du vent. Je suis gelé malgré mes sabots. Enfin nous rentrons définitivement à Paris, avec 350 kilogs de bagages et 13 colis !…
5978 novembre. Courses, fabricants, etc. etc. journée très chargée de détails. Le soir Assemblée Générale de la Chbre Syndicale à 9h poignées de main nombreuses et variées – Élections – je reste pour pointer – Le malheureux Philippe reste encore sur le carreau ! C’est le candidat perpétuel.
5989 novembre. Chez Mr Vollet à Montmartre (Bd Clichy) je lui demande de nous chercher des projets de broches, etc. – Vu Scaillet pour mon pentacol [472]. Vu Le Turcq, etc. Mr Godet notaire vient pour parler du restaurant Chaumard… il va écrire en priant Mr C. de venir lui parler pour affaire qui l’intéresse… attendons, et réfléchissons.
59910 novembre. Je viens de chez Lalique… il n’a pas commencé les dessins que je lui ai demandés au commencement de mai ! Il les promet toujours, mais il ne les donne jamais. Pour avoir l’occasion de revoir les objets qui sont dans son salon, j’insiste pour lui acheter quelque chose : je prends une petite broche et deux épingles à chapeaux – cela me permet de pénétrer dans le sanctuaire et de revoir plus tranquillement certains bijoux – Il y en a de charmants mais d’autres vraiment trop excentriques. Le fond de ses vitrines plates est en verre légèrement dépoli, placé sur de la moire blanche. C’est très pratique, et d’un joli effet – mais je retrouve dans ses vitrines une certaine quantité de pierres de ses expositions qu’il n’a pas vendues – La journée se passe à voir les boîtes de fabricants et à être dérangé par des clients à raccomodages… le soir, je commence à ranger la bibliothèque et le bureau, mais quel travail !…
60011 novembre. C’est véritablement l’été de la St Martin, nous avons depuis plusieurs jours un temps de printemps ! et dire que je suis trop occupé pour pouvoir faire un peu de bicyclette !… Je vais de bonne heure au Hammam je pèse 76k100 après massage et sudation – Après déjeuner, tournée rue de la Paix, sur le Bd et rue Royale pour voir les dispositions d’étalages afin de refaire les nôtres – chez Téterger [473] rue Castiglione, de jolis bijoux antiques (Le Turcq fecit). En passant rue Royale je fais encore des vœux pour que les démarches de Mr Godet réussissent et que nous ayons le bon coin !… Le soir, continuation des rangements dans la bibliothèque… ouff !
60112 novembre. Je livre la boucle iris à Mr Paul Hébert – Il la trouve très bien, il en est satisfait – Je suis bien content de ce résultat qui m’a donné beaucoup de mal. Si j’avais eu toute latitude pour ce bijou j’aurais fait une fleur plus stylisée, plus ornementale, beaucoup moins nature et il me semble que c’eût été beaucoup mieux – on ne fait pas toujours ce qu’on veut – Été chez Bing voir de nouveaux bijoux très « Art nouveau » qu’il m’a téléphoné de venir voir – C’est très intéressant mais un peu filamenteux – macaroniaque, et un peu monotone – c’est le genre cursif, calligraphique, entrelacesque, anglo-allemand – Il y a de jolies choses et j’achète 2 broches et un petit vase. C’est Mr Colonna qui lui fait la plupart de ses dessins. J’en reconnais d’autres du dessinateur de Le Turcq (Chadel [474]). Bing est très satisfait des affaires, les commandes affluent, il ne peut (presque) y suffire. Cela prouve bien que lorsqu’on fait quelque chose de réellement nouveau, on réussit, et c’est pourquoi je voudrais que les journées aient 48 heures pour me permettre de dessiner, de travailler beaucoup plus – Peut-être arriverai-je au but que je poursuis si nous avons le « Bon Coin » de la rue Royale ?… J’espère !! Justement Mr Godet a téléphoné qu’il s’était mis en rapport avec le notaire de Mr C… on aura des nouvelles dans q.q. jours – Callot vient dîner, il y a longtemps qu’on ne l’avait vu, il nous raconte un tas de choses drôles et son entrain d’autrefois semble être revenu.
60213 novembre. Journée de chasse à Charmont chez Georges Hamot. On part « dès l’aurore », comme le « chasseur diligent » [475] de Freischütz, mais encore tout endormi – Ciel très menaçant, baromètre très bas… il a plu toute la nuit. Cependant tout espoir n’est pas perdu – Accueil très cordial – Chacun se prépare dès l’arrivée et en prévision de la pluie – Déjeuner à 10h dans une immense salle à manger, simplement mais confortablement organisée – 15 couverts, 15 fusils car Mme Hamot chasse aussi. Menu : saucisson beurre, ragoût de mouton, dindon rôti, pâté de lapin, salade, roquefort, poires, raisins (pas de gâteaux), café, liqueurs – on part de suite pour les battues – à 11h ½ on commence le feu – Il y a des quantités de lièvres on passe de la plaine au bois et réciproquement – temps splendide, trop chaud. Ces pauvres lièvres sont si gentils et ont les yeux si doux ! Quel plaisir barbare que la chasse, et on y devient si facilement féroce !… Pauvres bêtes, surtout celles qui ne sont pas tuées net, qui se débattent et se tordent encore pendant quelques minutes d’agonie atroce, ou qui continuent à courir ou à se traîner avec les pattes et les reins cassés !… Au tableau : 74 lièvres, 25 perdreaux 15 lapins. Je ne suis pas favorisé par la chance et il me passe peu de chose à portée. J’abats 3 lièvres, 1 lapin, 1 perdreau (17 cartouches) – Parmi les invités : Louis Hamot, Alavoine [476], P. H. Rémon [477], le vieux père Trognon qui ressemble à un vrai Don Quichotte – dîner de grand appétit : potage, saucisson poulet au blanc, filet rôti, pommes rôties, roquefort, flans, fruit – Mais nous sommes obligés d’y séjourner trois quarts d’heure pour attendre le train de Dieppe-Paris – Nous en profitons pour visiter Chars par une nuit absolument noire, et des rues boueuses – on ne voit rien, et il n’y a du reste rien à voir – Entrons chez un mastroquet faire une partie de zanzibar et prendre un cassis – Rentrés à la gare, empilés dans un wagon avec toutes nos valises, nos fusils, notre gibier qui ne sent pas bon (3 lièvres, 1 lapin, 1 perdreau par tête). Tout le monde s’endort vite et profondément, à l’exception de deux enragés qui n’arrêtent pas de jouer aux cartes et qui ont une installation portative construite expressément pour le voyage – Je dors ma nuit comme un homme fatigué.
60314 novembre. Beaucoup de boîtes de fabricants à examiner, nous continuons nos assortiments de fin d’année – cela prend beaucoup de temps – Le soir, à l’Opéra, la Valküre [sic]… très bonne soirée : Delmas, Bréval, Alvarez, Mlle Jane [sic] Marcy [478]. Je savoure tout le temps. Excellente soirée !…
60415 novembre. Toujours les fabricants qui apportent leurs nouveautés (?) de fin d’année, c’est long et fatigant et la journée n’y suffit pas. Mr Godet est venu nous dire que le notaire de Chaumard avait des prétentions exorbitantes ; il a insinué que le fonds avec les réparations (lesquelles ! grand Dieu !!.) revenaient environ à 150 000 frs et qu’on céderait peut-être (?!..) à 350 000 !.. Quelle exagération ! est-ce possible ! non jamais nous ne ferions une bêtise pareille – Il faut voir et demander que l’on précise si oui ou non on veut céder, et formuler un chiffre – Mais je crois bien que c’est une affaire à abandonner – Hélas !…
60516 novembre. Toute la nuit cette affaire de la rue Royale me trotte dans la tête – j’en suis découragé, navré. Si seulement on voulait être raisonnable ! Il faudra que je trouve un moyen pour aboutir car réellement nous ne pouvons plus rester comme nous sommes ; notre installation est défectueuse et trop petite, et il n’y a pas moyen de remédier – La journée se passe encore avec les fabricants. Maman ne va pas bien du tout, elle souffre horriblement, jour et nuit – Cela me désespère !… Que faire pour la soulager, sinon pour la guérir ! Quel martyre inutile à endurer !…
606Voilà l’affaire Dreyfus encore dans une nouvelle phase, la Cour de Cassation, qui examine la révision, a décidé d’informer le condamné, par les voies rapides, de la recevabilité de la demande en révision de son procès et qu’il serait invité à présenter ses moyens de défense. On verra donc prochainement ce nouveau procès [479]… et s’il y a eu réellement erreur judiciaire. Quelle effroyable chose !…
607Les bons mufles d’Américains veulent voler, tout simplement, les Philippines aux malheureux Espagnols, bien qu’il ait été tout d’abord convenu qu’ils ne prendraient qu’une île. Quelles canailles ! et ils font cela avec un calme, un sang-froid insupportable !
608Bonne soirée à l’Opéra (Lohengrin) avec Jeanne et Marguerite. C’est surtout pour elle que j’y vais et que je suis heureux. Elle est enchantée, et, comme elle a joué la partition au piano elle prend grand plaisir à la représentation. Vaguet est très bon, Ackté a une voix un peu métallique. Quant à Mlle Picard, MM. Noté, Chambon [480] etc., c’est assez ordinaire. J’éprouve toujours une grosse émotion pendant l’interrogation et la prière d’Elsa au 1er acte… et puis je trouve cette musique exquise ! Beaucoup de monde dans la salle : les Maurice Monthiers, Jules Écorcheville, etc. qui viennent causer pendant l’entracte. Les Legrand de Versailles, Chauchard, Nagasaki, Bignon, etc. etc.
60917 novembre. Séance de Comité d’Admission pour 1900, à la Chbre syndicale présidence de L. Aucoc – Nous sommes environ 25 présents – on discute surtout le peu de place qui est attribué à la classe. C’est ridicule et on va encore une fois être resserré comme en 1889 – je rédige un ordre du jour pour réclamer auprès de l’administration – Il est adopté à l’unanimité, mais… nos vœux ne sont pas encore réalisés.
610Suis allé chez Mme Paul Hébert et Mme Solacroup [481] leur porter les bijoux que Mme Hébert mère leur donne et a fait remonter à leur intention – Mme P. H. est toujours enchantée de sa boucle, cela me fait plaisir – Vu Meunier le relieur, Bing, Lévy, etc. Mme Fouquier, qui vient nous inviter à dîner pour le 27. Elle va mieux mais je la trouve encore bien pâle. Pauvre femme, elle a un teint de religieuse – Vu G. Baugrand, Joly, Neumann, Mme Morlot dîne avec nous.